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Christian

Dans la version primitive des Serments de Strasbourg apparait l’adjectif christian, que dans ses récritures successives Brunot transformera en crestiien, chrestien, pour aboutir à la forme chrétien que nous connaissons actuellement. Brunot nous donne ainsi en raccourci l’histoire phonétique de cet adjectif, auquel nous allons nous intéresser de manière plus détaillée sous l’angle de la phonétique historique.

L’étymon de cet adjectif est chrĭ stĭānŭm, transposition en latin classique de l’adjectif grec χριστιανός. En latin classique, cet adjectif se prononçait /kristianum/, ce que nous savons grâce aux principe très simple qui liait l’alphabet latin à sa prononciation, et était accentué sur sa pénultième syllabe, lourde : /kristiánum/.

Les voyelles brèves du latin classique se prononçaient avec un timbre plus ouvert en latin vulgaire ; d’autre part, le /i/ en hiatus se consonantisait en /j/ ; enfin, le /m/ final ne se prononçait pas ; le mot se prononçait donc en latin vulgaire : /krestjano/.

En gallo-roman, la voyelle finale s’amüit. Durantla même phase de construction du français, la séquence /stj/ aurait dû se palataliser en /s/ ; or le résultat montre clairement que cette palatalisation n’a pas eu lieu ici, le /t/ ayant été préservé. En revanche, le /a/ tonique et libre a commencé à cette époque une lente diphtongaison, conditionnée par le /j/ antécédent, qui s’achèvera au XIe siècle sous la forme/ie̯/. À la fin du XIe siècle, le /s/ préconsonantique s’amuïra (à une date postérieure à celle de la bataille de Hastings). À la fin du protofrançais, l’adjectif se prononçait donc : /kretie̯n/.

En ancien français, la diphtongue se nasalisera avant de se réduire pour livrer un résultat /jɛ̃/, qui correspond déjà à sa prononciation définitive : /kretjɛ̃n/.

En français classique, le /n/ final s’amüira, la nasalisation étant prise en charge par la seule voyelle. Et le /r/, déplaçant son point d’articulation, passera de « roulé » à « grasseyé », gagnant les caractéristiques acoustiques qui sont les siennes aujourd’hui. Au final : /kʁetjɛ̃/

Si nous voulons rendre compte de manière détaillée de l’évolution phonétique de cet adjectif nous avons :

  ch r ĭ s t ĭ ā n ŭ m  
  k r i s t i a n u m étymon en API
LC k r i s t i a n u amüissement
LV k r e s t i a n o   ouverture
  k r e s t j a n     consonantisation
GR k r e s t j a n o   segmentation
  k r e s t j a n o   dissimilation
  k r e s t j a n   amüissement
  k r e s t j aa̯ n     segmentation
  k r e s t j aε̯ n     dissimilation
  k r e s t i̯aε̯ n     vocalisation de /j/ → triphtongaison par soudure
  k r e s t ia̯ε̯ n     affaiblissement de /a/
  k r e s t iε̯ε̯ n     fermeture de /a/ sous l’action de /i/ et /ɛ/
  k r e s t iε̯ n     réduction de /ɛɛ̯/
  k r e s t ie̯ n     fermeture de /ɛ̯/ sous l’action de /i/
XIe s. k r e t   n     amuïssement
XIIe s. k r e   t iẽ̯ n     nasalisation de /e̯/
  k r e   t jẽ n     consonantisation de /j/
XIIIe s. k r e   t jɛ̃ n     ouverture de /ẽ/
XVIIe s. k r e   t jɛ̃     amuïssement de la consonne nasale en syllabe fermée
  k ʁ e   t jɛ̃       déplacement du point d’articulation
  k ʁ e   t jɛ̃        
Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

ulb ltc

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