Le chronolecte « ancien français » couvre spécifiquement les XIIe et XIIIe siècles.
À partir du XIIe siècle, les conditions sociales et culturelles se sont trouvées réunies pour que le français puisse faire l’objet d’une mise par écrit généralisée. Il s’agit d’une étape très importante pour l’histoire du français, puisqu’à partir du moment où une langue se met par écrit, elle laisse des traces. Et de fait, à partir du XIIe siècle, nous disposons d’un nombre grandissant de documents en langue française et l’image que nous pouvons nous faire de cette langue nouvelle devient de plus en plus précise, de même que les descriptions que nous pouvons en donner deviennent plus fiables.
Il y a toutefois deux éléments méthodologiques qu’il ne faut pas perdre de vue devant la masse de cette documentation :
- la mise par écrit du français est le fait de lettrés, qui ont été formés en latin et au latin, la seule langue d’enseignement à l’époque, et ont inévitablement été influencés par la connaissance qu’ils avaient du latin – nous avons déjà attiré l’attention sur ce point dans la description que nous avons faite du protofrançais, mais le constat reste d’actualité pour l’ancien français ;
- la langue qui a été mise par écrit et dont les écrits sont arrivés jusqu’à nous est essentiellement la langue des poètes, c’est-à-dire la langue fabriquée dont il a été question au chapitre consacré aux langues véhiculaires ; il s’agit non seulement d’une langue fabriquée, mais aussi, comme nous l’avons déjà signalé dans notre introduction à la description du protofrançais, d’une langue qui se positionne expressément en marge de la langue commune, en marge de la langue de l’homme de la rue, dont nous n’avons gardé aucune trace.
En d’autres termes, si la masse de la documentation est importante, elle ne livre l’image que d’une seule des nombreuses variétés du français qui devaient exister à l’époque, image biaisée tant par la forme poétique que par le profil de ses scripteurs. Nous sommes encore (et pour longtemps) très éloignés d’une description de la langue « dans tous ses états ».
C’est d’ailleurs l’uniformité littéraire du corpus poétique qui conduit à identifier la période des XIIe et XIIIe siècle comme constituant un unique chronolecte, comme le moyen français se caractérisera par l’émergence de la prose. Mais sur un plan diachronique comme celui que nous adoptons ici, il y aurait beaucoup à gagner à dissocier la description du français du XIIe siècle de celle du XIIIe siècle, tant les différences qui se manifestent de l’un à l’autre vont jouer un rôle capital dans l’histoire de la langue française. Sans aller jusqu’à cette scission en deux chronolectes distincts, nous tâcherons de rendre compte au mieux des différences entre les deux siècles, qui font du XIIIe siècle, et du XIIIe siècle seul, une époque charnière dans l’histoire du français.
Nous examinerons successivement :