L’ancien français se caractérise par la mise en place d’un grand nombre de périphrases, un trait plus significatif qu’il n’y parait. Le latin, surtout dans sa variété classique, est une langue à dominante morphologique : dans le domaine du nom, la seule flexion casuelle apporte les informations de genre, de nombre, de fonction, alors que dans le domaine du verbe, la conjugaison apporte les informations de mode, temps, voix, personne, nombre. Cette dominance est déjà moins affirmée en latin vulgaire, où les déclinaisons et conjugaisons se réduisent et où se développent des mots outils chargés d’expliciter les informations perdues sur le plan morphologique. La tendance à créer des formes périphrastiques, amorcée en latin vulgaire pour le futur, confirmée en gallo-roman pour le comparatif, ira en s’amplifiant en ancien français et en moyen français, période de son histoire où le français deviendra une langue à dominante syntaxique. En privilégiant les formes périphrastiques, l’ancien français progresse vers la modernité.
Dans le domaine nominal, c’est en ancien français que se forgent les formes composées du système de comptage :
dix-sept
trente-neuf
quatre-vingt-quatre
…
s’opposent désormais à
onze
quatorze
seize
…
formes synthétiques héritées du latin (pourquoi pas *dix-et-un, *dix-quatre, *dix-six sur le modèle de vingt-et-un, vingt-quatre, vingt-six ?).
Dans le domaine verbal, se forgent les formes analytiques du passif en estre + participe passé, de même que les formes pronominales du verbe, parmi lesquelles de nombreuses formes préfixées en entre–/entr– : s’entraimer, s’entrecombatre, s’entracorder, s’entrehaïr, s’entrafoler…
C’est encore en ancien français que se met en place le « tandem » négatif qui deviendra propre à la langue française, formé d’un ne hérité de la négation latine, et d’un nom vidé de son sémantisme – pas, point, mie.