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Système graphique et orthographe du français moderne

Les grammairiens des XVIe siècle et XVIIe siècle n’avaient pas réussi à fixer l’orthographe du français, même si d'une manière générale, ce sont les graphies étymologisantes figées dans les dictionnaires de la fin du XVIe siècle qui se sont imposées. On ne peut commencer à parler réellement d’orthographe que pour le français moderne.

C’est au XVIIIe siècle que se règle l’usage de la plupart des signes diacritiques, introduits dans le système graphique en moyen français. L’accent aigu, qui ne marquait jusqu’alors que les –e finals, est introduit partout où il y a lieu d’induire une prononciation /e/ ; l’accent grave, qui jusqu’alors n’était utilisé que pour différencier des homographes, est introduit sur le –e– pour induire une prononciation /ε/ ; le e non accentué se lira désormais /œ/, à moins qu’il ne soit entravé, auquel cas il se lira /ε/. Se trouve ainsi levée l’ambigüité créée pour le –e– par la langue du XIIe siècle.

L’accent circonflexe, introduit sporadiquement au XVIe siècle mais abandonné au XVIIe, est récupéré et vient remplacer dans les graphies le –s– préconsonantique, amüi depuis le xie siècle – un usage préconisé au XVIe siècle par Ronsard mais qui n’avait pas été suivi.

Le recours au tréma pour dénoncer les « semi-consonnes », usage répandu au XVIIe siècle, est abandonné au XVIIIe siècle : on passe de feüille à feuille et de roïal à royal ; le tréma se borne désormais à marquer la diérèse.

Cette redistribution des signes diacritiques n’est pas la seule modification apportée aux habitudes graphiques par le français moderne. L’écriture adopte au XVIIIe siècle les graphèmes j et v, comme variantes de i et u pour noter les consonnes /ʒ/ et /v/, ce que les érudits avaient préconisé dès le XVIe siècle. Le graphème anglais w – utilisé ponctuellement en protofrançais – s’introduit dans le système graphique français, par le biais des ouvrages imprimés en Grande-Bretagne, pour les mots empruntés à l’anglais.

Par ailleurs, la transcription des consonnes palatales, qui avait donné tant de mal aux copistes du Moyen Âge, se fixe XVIIIe siècle, au moins pour le /ɲ/, pour lequel on adopte définitivement le digramme –gn– (sauf pour le nom oignon qui devra attendre une réforme de la fin du XXe siècle pour s’aligner). La palatale /ʎ/ étant sortie du système phonétique au XVIIe siècle ne connaîtra pas la même régulation de sa transcription : les multiples combinaisons –il–, –ill–, –li–, –lli–, –ll–, héritées du Moyen Âge se maintiennent pour transcrire ce qui se prononce désormais /j/, sans tentative de ramener à une seule les différentes options graphiques.

Les différents correctifs apportés à l’orthographe française en vue de la stabiliser font toutefois ressentir au XIXe siècle la nécessité d’une réforme, aussi bien chez les imprimeurs (tel Firmin-Didot, imprimeur de l’Académie française) que chez les lexicographes (tel Émile Littré) ou encore chez les philologues (tel Léon Clédat).

Différentes batailles de l’orthographe ont ainsi traversé le XIXe siècle, mais elles furent sans réel impact sur l’orthographe. Elles aboutiront au XXe siècle sous la forme de frileuses réformes de l’orthographe, en 1901, 1975 et 1990 – des réformes qui autorisent des graphies concurrentes, suggèrent aux correcteurs de ne pas sanctionner certains écarts… sans réformer réellement.

Une des raisons qui ont poussé à une réflexion sur l’orthographe française en ce XIXe siècle, époque où la réflexion grammaticale s’intensifie (on appelle parfois ce siècle le « siècle des grammairiens » ou le « siècle de la grammaire »), est que l’orthographe française s’est vue compliquée par la prolifération de mots d’emprunts aux graphies non francisées, emprunts qui multiplient les correspondances nouvelles entre graphèmes et phonèmes, comme les digrammes –oo– pour /u/ dans le mot football et –ea– pour /i/ dans speaker ou /ε/ dans steak.

La réforme de 1990 poussera à une naturalisation systématique des emprunts, mais l’usage a du mal à suivre : si on est très tôt passé de roastbeef à rosbif, le biftek a toujours du mal à supplanter le beefsteak. Pourtant, les emprunts antérieurs au XVIIIe siècle, malgré l’absence de toute volonté de légiférer sur ce point, ont été si bien intégrés qu’il est fréquent de nos jours que l’on ne les perçoive plus comme des mots d’origine étrangère.

C’est le cas notamment pour de nombreux mots anglais :

contredanse (< country-dance)
paquebot (< packet-boat)
paletot (< paltok)
comité (< committee)
etc.

Autre fait marquant : à la fin du XXe siècle, l’évolution technologique, par la voie de l’informatique, contribue à réhabiliter l’écrit, alors que depuis le début du siècle, les innovations technologiques (radio, télévision, disques, cassettes audio…) avaient contribué à privilégier l’oral. Le minitel d’abord (qui n’a pas réussi à s’imposer en dehors des frontières de la France et n’a pas passé le cap du XXIe siècle), l’Internet ensuite provoquent un engouement pour la communication écrite instantanée : se développe ainsi la mode du « claviardage » (mot-valise pour clavier + bavardage), d’ordinateur à ordinateur tout d’abord, de téléphone portable à téléphone portable ensuite. Ce mode de communication écrite instantané engendre de nouvelles habitudes graphiques (tendance à l’abréviation et à la syncope, prédilection pour les épellations, enrichissement de la ponctuation par l’usage d’émoticônes, etc.), exacerbées dans le cas des textos et des « tweets » (où le message du scripteur est en outre limité en nombre de caractères), nouvelles habitudes dont nous ne sommes pas encore à même de mesurer la portée sur le système graphique de la langue commune.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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