Que nous montre la juxtaposition des deux récritures de Brunot sur le plan phonétique ?
Le serment de Louis à Charles, récriture du texte dans la langue du XIe siècle
Por Dieu amor et por del crestiien poeple et nostre comun salvement, de cest jorn en avant, quan que Dieus saveir et podeir me donet, si salverai jo cest mien fredre Charlon, et en aiude, et en chascune chose, si come on par dreit son fredre salver deit, en ço que il me altresi façet, et a Lodher nul plait onques ne prendrai, qui mien vueil cest mien fredre Charlon en dam seit.
Se Lodevis lo sairement que son fredre Charlon jurat, conservet, et Charles, mes sire, de soe part lo soen ne tient, se jo retorner ne l’en puis, ne jo ne neuls cui jo retorner en puis, en nulle aiude contre Lodevic ne li i ier.
Le serment de Louis à Charles, récriture du texte dans la langue du XVe siècle
Pour l’amour Dieu et pour le sauvement du chrestien peuple et le nostre commun, de cest jour en avant, quan que Dieu savoir et pouvoir me done, si sauverai je cest mien frere Charle, et par mon aide et en chascune chose, si comme on doit par droit son frere sauver, en ce qu’il me face autresi, et avec Lothaire nul plaid onques ne prendrai, qui, au mien veuil, à ce mien frere Charles soit à dan.
Si Loys le serment que a son frere Charle il jura, conserve, et Charle mon seigneur, de sa part le sien ne tient, si je retourner ne l’en puis, ne je, ne nul que j’en puis retourner, en nulle aide contre Loys ne lui serai en ce.
La prononciation du français n’a quasiment plus évolué depuis la fin du XIIIe siècle. Brunot nous montre certes quelques modifications qui renvoient à de nouvelles prononciations :
por → pour
aveir → savoir
deit → doit
seit → soit
mais des formes comme pour, savoir, doit, etc. étaient acquises déjà avant le XVe siècle, dès la fin de la période de l’ancien français et il faut donc se garder de les prendre comme caractéristiques du moyen français – il ne faut pas perdre de vue que Brunot nous donne ici en quelques lignes une image de modifications qui s’échelonnent sur quatre siècles – du XIe au XVe siècle.
De même, les formes ce, le, je, là où on avait ço, lo, jo témoignent d’une stabilisation de la prononciation /ə/ dans les monosyllabes clitiques.
La transformation de sairement en serment témoigne d’un trait plus propre au moyen français : la tendance à l’amüissement des /ə/ issus des voyelles prétoniques internes. Le passage de aiude à aide ou celui de neuls à nul témoignent peut-être du même trait évolutif.
Sur le plan consonantique, Brunot fait état, en passant de fredre à frere, de l’amuïssement des consonnes dentales intervocaliques, mais celui-ci est réputé avoir eu lieu au XIe siècle, et Brunot aurait aussi bien pu le répercuter déjà dans sa première récriture.
Brunot fait enfin état d’un passage de salvament à sauvement, de salver à sauver. Il témoigne ainsi de l’aboutissement du processus de vélarisation du /l/, caractéristique du gallo-roman, qui expliquera notamment pourquoi le pluriel de cheval est chevaux et non chevals. Aboutissement sur le plan graphique, mais non sur le plan phonétique, puisque ce que Brunot écrit désormais au ne se prononcera pas /o/ avant la fin du XVIe siècle.
Mais surtout, Brunot fait état de l’amüissement des consonnes finales, en effaçant des graphies les désinences –t de la 3e personne du singulier des verbes :
donet → done
façet → face
jurat → jura
conservet → conserve
ainsi que de certains –s finals, un point sur lequel nous reviendrons :
Dieus → Dieu
Charles → Charle
neuls → nul