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Phonétique et prononciation du moyen français

L’essentiel du système phonétique du français est acquis au XIIIe siècle. À partir du moyen français, ce système ne connaitra plus que des aménagements mineurs.

Le système vocalique se signale au XVe siècle par l’acquisition d’une nouvelle voyelle orale : tous les /ə/ acquis antérieurement, quelle que soit leur origine, se labialisent alors sous la forme d’un /œ/. À la même époque le système vocalique acquiert la voyelle nasale /œ̃/, résultat de la nasalisation de /y/, entamée au XIVe siècle, tout comme celle de la voyelle /i/, qui aboutira en /ɛ̃/, une voyelle nasale déjà acquise au système dès le XIIIe siècle comme résultat de la nasalisation de /a/, /e/ et /ɛ/. Le processus de nasalisation des voyelles françaises s’arrêtera là : il ne touchera pas les autres voyelles du système (ni /u/, ni /ə/, ni /ø/), quelle que soit leur origine. Le système vocalique atteint alors son état d’achèvement.

Le système consonantique ne connait ni acquisition ni perte durant cette période – il lui reste à connaître des modifications mineures en français classique comme en français moderne, pour atteindre son état d’achèvement.

À partir du moyen français, la prononciation des mots français va continuer d’évoluer, mais sans qu’il en résulte une réorganisation du système phonétique, comme cela avait pu être le cas en ancien français : les changements que l’on pourra observer résulteront de la stabilisation et de l’exploitation du système. La « loi de position », qui prend place à la fin du moyen français, en sera un des effets les plus remarquables.

L’opposition entre voyelle ouverte et voyelle fermée qui caractérise le français et s’ancre dans le latin vulgaire avec l’acquisition des voyelles /ɛ/ et /ɔ/ subit au XVIe siècle une modification importante, résultat d'un processus qui s'étire sur toute la durée du moyen français.

Les témoins linguistiques dont nous disposons pour le moyen français permettent d’observer que certaines consonnes exercent une action ouvrante (/r/) ou fermante (/z/, /v/) sur les voyelles antécédentes. Dès lors, le timbre ouvert ou fermé des voyelles va tendre à ne plus être associé à leur origine étymologique  mais à leur position dans le mot. Se met alors en place dans la prononciation du françaisce qu’on appellera la « loi de position », dont l’usage est encore flottant au XVIe siècle, mais qui se généralisera au XVIIe siècle, une loi phonétique qui tient compte de la structure syllabique :

  • les voyelles libres se fermeront ou garderont leur timbre fermé ;
  • les voyelles entravées s’ouvriront ou garderont leur timbre ouvert.

Cette « loi » s’applique essentiellement aux voyelles des syllabes finales des mots :

prātŭm > pré          
mārĕm > mer – /mer/ > /mɛr/

pĕdĕm > pied
fĕrŭm > fier – /fjer/ > /fjɛr/

dŭōs > deux
flōrĕm > fleur – /flør/ > /flœr/

clausŭs > clos
aurŭm > or – /or/ > /ɔr/

Autre élément important de cette époque troublée (tant sur le plan de l’histoire interne de la langue que sur celui de l’histoire externe), on voit se manifester au XVIe siècle les premiers signes de l’action contrariante des grammairiens face à l’évolution de la langue. Sur le plan phonétique, cette action se manifestera notamment à travers la « bataille » qui opposera les « ouïstes » au « non-ouïstes ».

Quel était l’enjeu de de cette « bataille » ?

Le français connaissait une tendance naturelle à la fermeture de /o/, quelle qu’en soit l’origine, en /u/, bien attestée au fil des siècles :

AF code > coude
AF torner > tourner
AF dolor > douleur
AF oïr > ouïr

Cette tendance avait été d’emblée contrecarrée par l’analogie pour les mots apparentés : on a ainsi mortel, et non *mourtel comme le voudrait la phonétique historique, par analogie à mort.

Au XVIe siècle, les hésitations vocaliques entre /o/-/ɔ/ et /u/ suscitent débat chez les grammairiens, qui se répartissent alors en deux camps : les « ouïstes » acceptent la fermeture en /u/ et disent /suleʎ/, /purtre/ pour soleil et portrait, et les « non-ouïstes » refusent la fermeture de /u/ et disent /soleʎ/, /portre/.

Ce débat entre « ouïstes » et « non-ouïstes » s’inscrit sur toile de fond de la réforme érasmienne de la prononciation du latin. On se souviendra en effet qu’Érasme avait pris l’initiative de réformer la prononciation du latin classique, de la normaliser, de la standardiser, de manière à adopter au sein de la « République des lettres » une prononciation unique du latin classique, proche de sa prononciation originelle. L’initiative d’Érasme aura pour effet de faire régresser la prononciation de certains mots français pour la rendre plus proche de celle du mot-source latin :

XVe s. /d(œ)zi /> XVIe s. /dezi/
XVe s. /f(œ)ri > XVIe s. /feri/

C’est tantôt le point de vue des uns, tantôt celui des autres qui s’imposera selon les mots concernés : à côté de férir, on aura venir ; à côté de désir, on aura devoir.

Mais même si les grammairiens – ou plus généralement les lettrés – entendent désormais agir sur la langue, l’évolution phonétique la plus marquante dans le passage de l’ancien au moyen français ne leur doit rien et est strictement liée à la nature de l’accent.

Le /ə/ final, peu après s’être labialisé en /œ/, s’amüit lorsqu’il est derrière voyelle – on trouvera ainsi joy pour joie, Troy pour Troyes dans les textes dès le XIVe siècle. La voyelle qui devient finale à la suite de cet amüissement tend à s’allonger par compensation :

amie /ami:/
vs
ami /ami/

Cette caractéristique – la longueur vocalique – devient un nouveau trait pertinent du vocalisme français.

La partie prétonique du mot tendant à évoluer comme un mot à part entière, le /œ/ initial en hiatus s’amüit, également au XIVe siècle :

că(d)ĕntĭăm > AF cheance > MF chance
sē(c)ūrŭm > AF seür > MF sur

Tous les amüissements vocaliques qui s’échelonnent du latin vulgaire au moyen français vont contribuer, à partir du XIVe siècle, à faire évoluer l’accent tonique hérité du latin vulgaire en un accent rythmique (accent de groupe) qui deviendra propre au français.

L’une des principales caractéristiques de cet accent rythmique est de consolider les groupes qui s’enchainent, masquant les frontières de mots et débouchant sur des agglutinations parfois suivies de déglutinations hasardeuses que la langue cautionnera :

l’ierre → lierre → le lierre
t’ante → tante → ta tante
l’agriotte → la griotte
unicorne → une icorne → l’icorne → la licorne

Par ailleurs, l’amüissement des consonnes finales en ancien français a pour effet de générer en moyen français de nombreux hiatus entre des fins de mot devenues vocaliques et des initiales de mot vocaliques, hiatus que la langue va tenter de résoudre à partir du XVIe siècle au moyen des liaisons :

mes amis = mes ͜ amis
les enfants = les ͜ enfants

Ces liaisons seront un autre trait caractéristique de la modernité du français.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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