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Morphologie verbale du moyen français

Dans le secteur de la conjugaison, c’est surtout dans la réduction des alternances des radicaux que le moyen français va marquer la différence d’avec l’ancien français : de nombreux verbes tendront à forcer la cohérence du système de l’ancien français – sa cohérence et sa complexité – en ne retenant qu’un seul radical pour l’ensemble de leur conjugaison.

La réduction des alternances, consonantiques, vocaliques ou syllabiques, se fait essentiellement à la faveur du radical des formes faibles, c’est-à-dire anciennement accentuées sur la désinence, qui sont majoritaires dans l’ensemble de la conjugaison : elles servent notamment à la construction de l’infinitif, qui deviendra forme de référence du verbe pour toute la conjugaison.

L’extension du radical des formes fortes, c’est-à-dire anciennement accentuées sur le radical, sera exceptionnel ; elle touche essentiellement les verbes aimer (qui aurait dû donner amer) et pleurer (qui aurait dû donner plourer).

Dans certains cas, deux paradigmes vont évoluer distinctement à partir de chacun des deux radicaux, développant des sens distincts : plier s’opposera à ployer, tous deux issus de plicare, déjeuner à dîner, l’un et l’autre issus de disjejunare, etc.

Les désinences verbales seront également touchées.

Les nombreuses formes du subjonctif latin n’avaient abouti qu’à deux tiroirs en ancien français, deux subjonctifs I et II dont les formes étaient très usitées.

Remarque : Nous évitons ici les étiquettes de subjonctif présent et imparfait, pour éviter toute confusion avec l’indicatif, où « présent » et « imparfait » prennent un sens très différent.

Au XIVe siècle, de nombreuses formes verbales que l’évolution phonétique avait rendues spécifiques au subjonctif I sont éliminées, de sorte que le tiroir du subjonctif I devient pour de nombreux verbes indifférencié de celui du présent :

L’indifférenciation présent – subjonctif I en moyen français

 Singulier Présent Subjonctif I Pluriel Présent Subjonctif I
1re pers. chant/chante chante 1re pers. chantons chantons
2e pers. chante chante 2e pers. chantez chantez
3e pers. chante chante 3e pers. chantent chantent

La langue va par la suite déjouer cette rencontre homonymique en dotant, un peu curieusement, les 1re et 2e personne du pluriel du subjonctif de la finale des imparfaits (de l’indicatif) :

La réfection du subjonctif I en moyen français

 Singulier Présent Subjonctif I Pluriel Présent Subjonctif I
1re pers. chant/chante chante 1re pers. chantons chantions
2e pers. chante chante 2e pers. chantez chantiez
3e pers. chante chante 3e pers. chantent chantent

Ce croisement surprenant entre formes du subjonctif et formes de l’imparfait n’est toutefois qu’une manifestation parmi d’autres des nombreux tâtonnements de la langue du XVIe siècle dans le domaine des désinences.

La langue hésite notamment sur les finales de l’imparfait, qui se caractérisaient dès le protofrançais par la voyelle –e–. Celle-ci commencera à s’effacer des graphies (comme de la prononciation) au XVe siècle, le XVIe siècle ne semblant plus savoir quel parti prendre :

Les hésitations sur l'imparfait en moyen français

 Singulier AF MF Pluriel AF MF
1re pers. chantoie chantoie/chantois 1re pers. chantions chantions
2e pers. chantoies chantoies/chantois 2e pers. chantiez chantiez
3e pers. chantoit chantoit 3e pers. chantoient chantoient/chantoint

De la même manière va se faire jour au XVIe siècle une tendance à aligner les formes de la 3e personne du pluriel du passé sur le reste du paradigme et à les doter d’une finale –arent se substituant à –erent, qui finira pourtant par s’imposer :

Du quel faisant lever les fosses, toucharent les piocheurs de leur marres ung grand tombeau de bronse, long sans mesure, car oncques n’en trouvarent le bout, par ce, qu’il entroit trop avant les excluses de Vienne.
Rabelais, Gargantua (2e v.), p. 11

Le XVIe siècle voit aussi se développer un « échange » de désinences en –a– et en –i– pour les mêmes verbes au passé (il tombit, il responda).

Enfin, face aux hésitations, que manifeste l’ancien français dans la formation des formes du futur, entre les finales –erai et –rai ou –irai et –rai, qui apparaissent comme interchangeables pour un même verbe :

mettray >< metteray
donneray >< donray

le XVe siècle développe un nouveau futur périphrastique combinant l’infinitif au présent du verbe aller, et concurremment une périphrase en vouloir + infinitif de même valeur, dont seule la première passera le cap du moyen français :

je vais aller = je veux aller = j’irai

En créant ce futur périphrastique, voué à un grand succès, le français du XVe siècle ne fait que reproduire un mécanisme universel de création du futur, le futur synthétique du français remontant déjà à une périphrase latine et la plupart des langues recourant à une périphrase pour exprimer leur futur (langues germaniques, arabe dialectal).

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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