Même si nous disposons d’un matériau linguistique plus consistant pour décrire le protofrançais que pour le latin vulgaire et le gallo-roman, la description du système verbal de l’époque reste malaisée, du fait de la grande complexité de ce système.
La désinence de 1re personne du pluriel –umus conjecturée pour le gallo-roman ne semble pas encore s’être installée, si l’on en juge par la Séquence de sainte Eulalie :
Tuit oram que por nos degnet preier. (v. 26)
ou par la Vie de saint Léger, dont le scripteur ne semble pas savoir quel parti prendre :
Domine Deu devemps lauder (v. 1)
In su’ amor cantomps dels sanz (v. 3)
Quœ nos cantumps de sant Lethgier (v. 6)
En revanche, la Séquence montre la généralisation de la désinence –ent à la 3e personne du pluriel :
Uoldrent la ueintre li Deo inimi,
Uoldrent la faire diaule servir. (v. 3-4)
Enz enl fou la getterent, com arde tost (v. 19)
tout comme la Vie de saint Léger :
Quœ por lui augrent granz aanz (v. 4)
ou la Vie de saint Alexis :
Deu en apelent amdui parfitement (v. 23)
Lour dous enfanz vuelent faire assembler. (v. 45)
La Séquence nous montre encore qu’en dépit d’un amuïssement supposé précoce par les phonéticiens, le –t de la 3e personne du singulier précédé d’une voyelle se maintient dans la graphie :
Bel auret corps, bellezour anima (v. 2)
Elle non eskoltet les mals conselliers (v. 5)
Qu’elle Deo raniet chi maent sus en ciel (v. 6)
tout comme la Vie de saint Léger :
Quœ il awret ab duos seniors (v. 8)
ou la Vie de saint Alexis :
Ço ne vuelt il que sa medre le sachat
Plus aimet Deu que trestot son lignage (v. 249-250)
Les Serments de Strasbourg nous montrent également deux futurs de formation romane :
si saluarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra saluar dift, in o quid il mi altresi fazet. Et ab Ludher nul plaid nunqua’m prindrai qui, meon uol, cist meon fradre Karle in damno sit
que l’on retrouve également dans strophes de la Vie de saint Léger :
Primes didrai vos dels honors
Quœ il awret ab duos seniors ;
Aprés ditrai vos dels aanz (v. 7-9)
ou dans la Vie de saint Alexis :
Grant est la presse : nos n’i podroms passer. (v. 517)
Les langues romanes dans leur ensemble ont en effet opté pour des formes verbales du futur qui ne doivent rien à la conjugaison du latin classique mais sont issues d’une périphrase composée d’un infinitif et d’un verbe avoir conjugué au présent :
facere habeo = ‘j’ai à faire’ → ‘je dois faire’ → ‘je ferai’
C’est ce qui explique que les formes françaises du futur, quelle que soit l’époque d’où on les examine, correspondent à celles d’un infinitif, sur lequel viennent se greffer les finales du présent du verbe avoir :
Le mode de formation du futur françaisLe mode de formation du futur français
chanterai | chanter | ai |
chanteras | chanter | as |
chantera | chanter | a |
chanterons | chanter | (av)ons |
chanterez | chanter | (av)ez |
chanteront | chanter | ont |
La Séquence y ajoute un futur du passé également de formation romane – un infinitif suivi du verbe avoir à l’imparfait :
Melz sostiendreiet les empedementz (v. 16)
Le brouillon de sermon sur Jonas atteste en outre une forme verbale composée de l’auxiliaire avoir et du participe :
Ionas propheta habebat mult laboret e mult penet
avec une valeur claire d’accompli.