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Morphosyntaxe du moyen français

C’est dans le domaine de la morphosyntaxe et de la syntaxe que se feront sentir les différences les plus nettes entre l’ancien français et le moyen français.

Au cours de la période du moyen français, les articles, dont l’emploi était jusqu’alors sporadique, s’installent progressivement – seules quelques hésitations touchent encore l’emploi de l’article partitif au XVIe siècle.

Cette généralisation des articles est à mettre en lien avec l’amüissement des consonnes finales. On l’a vu, ce « séisme » linguistique du XIIIe siècle a eu pour effet de faire disparaître la déclinaison, les noms ne s’opposant plus dès lors que par le nombre, singulier ou pluriel. Mais la marque de nombre pluriel (le –s final du pluriel, y compris dans ses réalisations graphiques -x et -z), même si elle se conserve dans les graphies, n’est plus audible.

Remarque : Dans le système graphique de l’ancien français, un –x en fin de mot est l’abréviation de –us et un –z en fin de mot est l’abréviation de –ts.

La langue va pourvoir au remplacement des marques flexionnelles par un recours accru aux prépositions, et au remplacement des marques de nombre par la mise en place et la généralisation du recours aux articles. La morphologie des articles présente en effet cet intérêt pour la langue qu’elle différencie expressément non seulement un singulier d’un pluriel mais aussi un masculin d’un féminin, au moins au singulier :

La prise en charge du nombre par les articles en moyen français

  Singulier Pluriel
Masculin le les
Féminin la les

En substituant aux marques flexionnelles des prépositions et des articles, le français passe d’un statut de langue à dominante flexionnelle à un statut de langue à dominante syntaxique – nous en avions vu les prémices en ancien français ; c’est une des manifestations de la modernité du français.

La place devant le nom tendant de plus en plus à être saturée par l’article, l’adjectif qualificatif qui s’antéposait ou se postposait librement par rapport au nom (on disait à l’époque la Rouge Mer aussi bien que la Mer Rouge) tend de plus en plus à se postposer.

L’article véhiculant des informations de nombre jadis dévolues à la morphologie, les autres termes de numération tendent à adopter la même position que lui et à s’antéposer au nom, alors qu’ils pouvaient jusqu’alors se postposer librement (on peut encore trouver au XVe siècle des hommes vint ‘20 hommes’).

La disposition des déterminants du nom au sein du groupe nominal évolue ainsi progressivement vers celle qu’adoptera la langue moderne.

Ainsi en est-il plus généralement de la disposition des éléments constitutifs de la phrase.

À partir du XIVe siècle, à l’ordre des mots sémantique de l’ancien français – T-V-P (topique-verbe-patient), réalisation la plus courante de T-V-Xn – se substitue un ordre des mots  syntaxique S-V-O (sujet-verbe-objet) : le schéma moderne de la phrase simple se met en place.

Cette évolution peut paraître peu significative ; elle est toutefois le corrélat de nombreux changements survenus dans le français de cette époque, notamment sur le plan du statut des pronoms personnels.

L’évolution phonétique a fait s’amüir les finales désinentielles, avec les conséquences qu’on a vues sur l’organisation du groupe nominal. Mais l’effacement des consonnes désinentielles n’a pas touché seulement les noms, elle a touché aussi les verbes, et la langue a suppléé aux désinences verbales défaillantes selon un processus similaire à celui qu’elle a déployé pour suppléer aux désinences nominales.

La langue a  en effet chargé les formes sujet des pronoms personnels d’expliciter la personne grammaticale contenue dans le verbe fini, alors que la désinence verbale était jusqu’alors considérée comme un indice suffisant de cette personne. C’est sans doute cette nouvelle fonction dévolue aux pronoms personnels qui a contribué à maintenir la flexion casuelle dans le système pronominal français – c’est en effet le seul domaine dans lequel la différenciation casuelle ne disparaît pas.

Alors qu’en ancien français les pronoms fonctionnaient exactement comme des noms, que l’expression du sujet n’était pas une obligation syntaxique et que la position du sujet par rapport au verbe demeurait libre, la perte des désinences verbales a fait que les pronoms sujets sont devenus au XIVe siècle des substituts des désinences verbales perdues.

De formes toniques qu’ils étaient, ce qui leur conférait une certaine mobilité, les pronoms personnels sont devenus des clitiques positionnés systématiquement devant le verbe. Ce faisant, ils ont saturé la position devant le verbe, de la même manière que les articles ont saturé la position devant le nom, et ont contribué d’une part à figer l’ordre des mots, d’autre part à substituer à l’ordre sémantique T-V-P l’ordre syntaxique S-V-O, qui devient prépondérant. Dans ce schéma, l’expression du sujet sous la forme du pronom apparait comme une nécessité syntaxique, même si l’origine du processus est phonétique et s’il s’agissait au départ de combler les défaillances de la morphologie verbale.

Du fait que le sujet syntaxique s’est substitué au topique (élément mis en relief) pour saturer la place devant le verbe, la langue a commencé à recourir à des moyens nouveaux pour marquer la topicalisation. Le focalisateur c’est…qui / c’est…que, connu de l’ancien français, a gagné ainsi en fréquence à partir du XVe siècle. Conséquences en chaine donc ou « effet domino ».

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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