La morphologie verbale du latin vulgaire connait elle aussi des différences sensibles d’avec celle du latin classique.
Le dénominateur commun des infinitifs du latin classique était la désinence –re. Les exceptions étaient peu nombreuses (esse, posse, velle), le latin vulgaire les a écartées en dotant les infinitifs concernés d’un infinitif analogique en –re, c’est-à-dire en alignant les formes minoritaires sur les formes majoritaires :
esse → *essere
posse → *potere
velle → *volere
Mais plus significativement, la différenciation phonétique du latin vulgaire contribue à déstructurer les paradigmes de la conjugaison du latin classique, qui en sera plus nettement affectée encore que la déclinaison nominale. En cause essentiellement dans cette désorganisation, la place variable de l’accent tonique, qui peut tomber en effet ou sur le radical verbal ou sur la désinence :
L'accentuation des formes verbales
Singulier | Pluriel | ||
1re pers. | cánto | 1re pers. | cantámus |
2e pers. | cántas | 2e pers. | cantátis |
3e pers. | cántat | 3e pers. | cántant |
Dans de nombreux cas, les formes fortes (accentuées sur le radical) ne vont pas évoluer de la même manière que les formes faibles (accentuées sur la désinence), du fait de la place différente de l’accent et de l’évolution divergente que vont suivre les voyelles toniques et les voyelles atones. Cette particularité va entraîner une disparité des radicaux dans la conjugaison du latin vulgaire et plus tard du français (alors que le radical était stable dans la conjugaison du latin classique).
Le latin vulgaire se différencie également du latin classique par la création de formes verbales composées, comme celles qui préfigurent le passé composé français :
LC amaui → LV *habeo amatum
Enfin, l’irrégularité du futur synthétique du latin classique (cantabit vs scribam vs scribet) et de nombreux faits d’homonymie (scribam = futur = subjonctif) accentués par la différenciation phonétique (cantabit se prononce comme cantauit en latin vulgaire, du fait de nombreuses spirantisations) sont vraisemblablement à l’origine du développement de formes du futur spécifiques au latin vulgaire, construites à partir d’une périphrase impliquant le verbe avoir au présent, auquel est associé l’infinitif du verbe à exprimer au futur :
*facere habeo
En latin classique, cette périphrase signifiait ‘j’ai à faire’. Dans le latin vernaculaire, jusqu’au Ve siècle, elle permettait d’exprimer la perspective et l’obligation : ‘je dois faire’. Entre le VIe et le VIIIe siècle, elle acquiert son sens de futur : ‘je ferai’.