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Le lexique au XVIe siècle

Au XVIe siècle, époque de la Renaissance en France, une Renaissance qui signe à la fois une relance intellectuelle et un retour aux sources de la culture française, la redécouverte des modèles antiques a donné un coup de pouce supplémentaire au processus de relatinisation de la langue française enclenché au XIIe siècle ; par le truchement des traductions, le lexique s’est notamment doté d’une nouvelle série de doublets.

La découverte des modèles grecs a de son côté contribué à l’hellénisation du lexique – pensons à des mots comme dialogue, poème, poète… qui ont fait leur entrée dans la langue française dans le prolongement de cette (re)découverte.

Le lexique français s’est trouvé considérablement augmenté de ces nouveaux apports du latin classique et du grec, et la langue du XVIe siècle s’est trouvée à ce point envahie par les latinismes que certains érudits ont réagi.

La réaction la plus virulente, celle du poète Joachim du Bellay, s’est manifestée dans sa Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse : du Bellay y encourageait l’enrichissement du vocabulaire français par la création de nouveaux mots, certes, mais des mots créés à partir de matériau proprement français (mots composés, mots abrégés, dérivation à partir de racines déjà utilisées) ; il mettait directement en pratique ce qu’il préconisait dans son ouvrage, n’hésitant pas à inventer les mots qui lui permettaient d’exprimer plus justement sa pensée – à les inventer à partir de mots français existants, non plus en puisant dans le latin classique (comme on le faisait depuis le XIIe siècle) ou dans le grec ancien (comme on avait commencé à le faire à son époque).

Pierre de Ronsard, autre poète de ce siècle, a également réagi contre la latinisation, mais en réhabilitant les régionalismes. Il a ainsi déclaré en 1565, dans son Abbrégé de l’Art poëtique françoys, accepter les vocables picards, angevins, tourangeaux, etc., lorsqu’ils comblaient les lacunes du français.

Plus nuancé, le témoignage de Montaigne, autre homme de lettres de l’époque, a rejoint celui de Ronsard : « Que le gascon y aille, si le françois n’y peut aller » clame-t-il dans ses Essais (I, 25).

Une autre caractéristique de l’époque a été l’invasion fulgurante de la langue française par les italianismes. Au XVIe siècle, le modèle intellectuel et culturel de presque toute l’Europe est en effet l’Italie – la France, qui venait de sortir d’une guerre longue de plus d’un siècle, était en retrait, alors que l’Italie connaissait une période florissante depuis le XVe siècle[1]. L’influence culturelle de l’Italie s’est reflètée dans le lexique de l’époque par le biais de multiples emprunts. Le prestige de l’Italie était tel que des milliers de mots italiens se sont alors introduits en français, dans de nombreux domaines :

  • la guerre :

canon, cavalcade, cartouche…

  • la finance :

banqueroute, crédit, trafic…

  • les mœurs :

courtisan, disgrâce, caresse, escapade…

  • la musique :

fugue, intermède, mandoline, opéra, piano, sérénade, violoncelle…

  • la peinture :

coloris, fresque, gouache, miniature, profil…

  • l’architecture :

belvédère, appartement, balcon, rotonde…

  • la mode :

caleçon, costume, ombrelle, perle, perruque, plastron, pantalon…

  • l’alimentation :

citrouille, gamelle, riz, sorbet, vermicelle…

Cette influence italienne sur la langue française a alors dépassé et dépassera pour longtemps en importance toutes les influences étrangères qui ont agi et agiront sur le français, jusqu’au milieu du XXe siècle.

La découverte du Nouveau Monde (Amérique), la découverte de la route maritime des Indes ont contribué en outre à faire entrer dans la langue française de l’époque des mots d’origine espagnole (300 à peu près), et quelques mots d’origine portugaise (une cinquantaine) et d’origine anglaise – rapportés par les navigateurs espagnols, portugais ou anglais des terres nouvellement découvertes. Mais ni l’espagnol ni le portugais ni l’anglais n’ont exercé à l’époque sur le français une influence aussi grande que celle de l’italien.

Les intellectuels de la Renaissance ont évidemment réagi contre cette italianisation outrancière du lexique français, comme ils ont réagi contre sa latinisation.

Parmi les lettrés du XVIe siècle hostiles à l’italianisation de la langue française, citons le nom d’Henri Estienne, l’un des hommes les plus érudits de ce siècle, l’un des plus grands pourfendeurs d’italianismes de l’époque également. Henri Estienne faisait partie des tenants d’une langue française pure, de ceux qui rejetaient non seulement les latinismes et les italianismes mais aussi les régionalismes – ouvrant ainsi la voie au purisme qui caractérisera tout le siècle suivant.

La position d’Henri Estienne nous révèle que le lexique est un des domaines de la langue française où s’est exprimée le plus tôt la volonté d’une standardisation de la langue, la recherche d’une langue qui n’offre qu’un unique visage – un point de vue sur la langue diamétralement opposé à celui que nous avons adopté dans le cadre de ce cours.

Il y a eu bien d’autres puristes aux côtés d’Henri Estienne, mais en dépit de toutes les réactions puristes, les latinismes, hellénismes, régionalismes et italianismes feront partie intégrante du lexique français de l’époque, tout comme les emprunts faits aux autres langues que l’italien, un lexique qui se trouve au moins enrichi de l’extérieur, à défaut de l’être avec des moyens propres de création de mots nouveaux.

Cet enrichissement du lexique français était d’ailleurs tel que le besoin s’est fait sentir d’élaborer un dictionnaire des mots français. Le premier dictionnaire des mots français, le Dictionnaire Francois latin contenant les motz et manieres de parler françois tournez en latin, a vu le jour à cette époque, dictionnaire que l’on doit à Robert Estienne (fils d’Henri Estienne), par ailleurs inventeur du mot dictionnaire. L’ouvrage contenait 9 000 mots français, et comme l’indique le titre, chaque mot y était suivi d’une définition en latin (« tournez en latin ») ; la seconde édition comptera 13 000 entrées.

À titre de comparaison, à la même époque, le lexique de Shakespeare comptait 24 000 mots différents. Plus tard, le dépouillement d’un grand nombre de textes situés entre 1785 et 1965 en vue de la constitution du Trésor de la Langue Française dénombrera 71 640 mots. Il serait intéressant de procéder à ce type de recensement sur les différentes phases de l’histoire de la langue française. Mais il est clair que la langue française du XVIe siècle, même enrichie de latinismes, d’hellénismes et d’italianismes, offrait un lexique appauvri.


[1]Période du Quattrocento autrement dit du XIVe siècle là ou le français parle de XVe siècle, l’italien comptant les siècles différemment du français.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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