Le système vocalique du protofrançais se différencie de celui du gallo-roman par l’intégration de voyelles nasales, nées au contact de voyelles orales et de consonnes nasales, de nouvelles voyelles qui feront partie des caractéristiques du français – le portugais étant la seule autre langue romane présentant des voyelles nasales.
Remarque : L’hypothèse que le latin classique connaissait déjà des voyelles nasales, longtemps exclue, est aujourd’hui de plus en plus souvent débattue et admise. Toutefois, faute d’arguments décisifs et d’informations sur ce qu’il pouvait en être en latin vulgaire, nous continuerons de considérer que les voyelles nasales sont des acquisitions du protofrançais, non des prolongements du latin.
Le protofrançais développe, au XIe siècle, un /ɑ̃/, né du contact d’une consonne nasale avec /a/ et entame le processus de nasalisation de /e/ et /ɛ/.
D’une manière générale, la nasalisation des voyelles française se fera en trois phases, lors de trois chronolectes consécutifs – protofrançais, ancien français et moyen français :
Les phases de la nasalisation des voyelles françaises
1re phase | 2e phase | 3e phase | |||||
État en gallo-roman | a | e | ɛ | o | ɔ | i | y |
Début de la nasalisation | xie s. | xie s. | xiiie s. | xive s. | xive s. | ||
Résultat | ɑ̃ | ɛ̃ | ɔ̃ | ɛ̃ | œ̃ |
À l’issue du moyen français, une phase de dénasalisation débouchera sur l’élimination soit de la nasalité de la voyelle, soit de la consonne nasale.
Le système consonantique du protofrançais se caractérise quant à lui par des pertes :
- celle du /ɫ/, qui se vocalise en /u/, générant ainsi de nouvelles diphtongues au contact des voyelles antécédentes, un /u/ qui retrouve sa place dans le système vocalique d’où il était sorti en gallo-roman ;
- celle du /ŋ/, qui se palatalise généralement en /ɲ/
- celles du /gw/ et du /kw/, qui se réduisent en /g/ et /k/.
Durant le protofrançais, la phonétique se caractérise surtout en ce qu’elle est le lieu de rencontre de l’histoire externe de la langue française et de son histoire interne, la seconde venant au secours de la première pour résoudre un intéressant problème méthodologique. En cause ici, les /s/ préconsonantiques.
Les phonéticiens qui se sont intéressés au protofrançais ont en effet pu observer que tous les /s/ préconsonantiques n’évolueront pas au même rythme, et la date de 1066 va être un élément clé de l’analyse des évolutions divergentes. On se souvient qu’en 1066, à l’issue de la bataille de Hastings, Guillaume le Conquérant s’empare de l’Angleterre, y implantant le dialecte normand ; il en résultera un nouveau dialecte français, l’anglo-normand, qui finira par s’éteindre, mais dont l’anglais gardera définitivement la trace, puisque c’est au normand qu’il doit une part importante de son lexique. Or, si l’on observe les termes normands intégrés par l’anglais, on constate que le /s/ devant consonne sonore ne s’y prononce pas, ce qui nous révèle qu’il ne se prononçait déjà plus avant son importation en Angleterre par les Normands, donc avant 1066 :
ínsŭlam > AF isle > ile
en anglais : isle (/aɪl/), island (/aɪlənd/)
En revanche, le /s/ devant consonne sourde se prononce dans les mots normands intégrés à l’anglais, ce qui nous indique que dans cet environnement le /s/ préconsonantique a résisté au moins jusqu’à la date de la bataille de Hastings :
cŏstăm > AF coste > côte
*foréste > AF forest > forêt
en anglais : coast (/kəʊst/) / forest (/foɹɪst/)