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Morphologie nominale de l’ancien français

L’ancien français a hérité du latin vulgaire une déclinaison nominale réduite à deux cas, dont nous avons vu dans la description du protofrançais qu’elle s’applique aussi bien au nom qu’à l’adjectif et à l’ensemble des déterminants du nom et aux pronoms.

Pour des raisons relevant essentiellement de l’évolution phonétique, la différenciation entre les deux cas se fait essentiellement par l’opposition entre une forme sans désinence et une forme avec désinence –s. Cette même opposition permet également de distinguer le singulier du pluriel au sein d’un même paradigme, une ambigüité qui sera un des facteurs qui feront abandonner la déclinaison nominale.

Plus rarement, l’opposition casuelle se marque par l’opposition entre deux radicaux différents, là encore pour des raisons originellement phonétiques (les mots concernés ne comptent pas le même nombre de syllabes au cas sujet et au cas régime ; la forme du cas sujet n’est donc pas accentuée comme la forme du cas régime et n’a pas évolué, phonétiquement, de la même manière).

Au xIIe siècle

Le corpus des textes du XIIe siècle nous montre que la déclinaison du nom dissocie quatre types de paradigmes, selon que la différenciation casuelle est marquée à la fois au singulier et au pluriel, qu’elle est marquée à l’un des nombres uniquement ou qu’elle n’est pas marquée.

Le paradigme de déclinaison le plus courant des noms déclinables au singulier et au pluriel est celui des noms masculins issus de noms latins en –us/–um :

La déclinaison des noms masculins en ancien français – I

  Singulier Pluriel
Cas sujet murs mur
Cas régime mur murs

Le second paradigme, à alternance de radical, est moins courant, mais touche des noms, également masculins, d’un usage particulièrement fréquent :

La déclinaison des noms masculins en ancien français – II

  Singulier Pluriel
Cas sujet hom homme
Cas régime homme hommes

parmi lesquels, outre hom/homme, ber/baron, emperere/empereor, compain/compagnon, lerre/larron, niés/neveu, enfes/enfant… ainsi qu’un grand nombre de prénoms de création romane (le plus souvent d’origine francique) : Charles/Charlon, Guenes/Guenelon, Hues/Huon

Les noms déclinables uniquement au singulier sont essentiellement des noms féminins issus de féminins latins, sans alternance de radical :

La déclinaison des noms féminins en ancien français – I

  Singulier Pluriel
Cas sujet fins fins
Cas régime fin fins

ou plus rarement à alternance de radical :

La déclinaison des noms féminins en ancien français – II

  Singulier Pluriel
Cas sujet suer sereurs
Cas régime sereur sereurs

Les seconds sont essentiellement de création romane : nonne/nonain, pute/putain, Berte/Bertain

Les noms déclinables uniquement au pluriel sont exclusivement des noms masculins, peu nombreux :

La déclinaison des noms masculins en ancien français – III

  Singulier Pluriel
Cas sujet pere pere
Cas régime pere peres

Les noms indifférenciés en cas, autrement dits indéclinables, sont essentiellement de deux types :

  • les noms féminins en –e (issus de féminins latins en –a, ou de neutres pluriels en –a pris pour des féminins dès le latin vulgaire – cf. § 7.1.1.3), qui opposent simplement un singulier à un pluriel :

La déclinaison des noms féminins en ancien français – III

  Singulier Pluriel
Cas sujet chose choses
Cas régime chose choses
  • les noms, masculins ou féminins, dont le radical se termine par –s et qui ne différencient pas leur singulier de leur pluriel, le –s du radical se confondant alors avec le –s désinentiel :

Les noms indéclinables de l'ancien français

  Singulier Pluriel
Cas sujet mois mois
Cas régime mois mois

Les adjectifs, les articles, les déterminants numéraux, démonstratifs et personnels se déclinent suivant les mêmes modèles de déclinaison que les noms. Les adjectifs se démarquent parfois du nom en ce qu’ils incorporent dans leur déclinaison des formes résiduelles du neutre.

Les pronoms personnels se démarquent des noms, adjectifs et déterminants en ce qu’ils intègrent également des formes résiduelles du neutre, mais surtout en ce qu’ils opposent des formes toniques à des formes atones, d’une part, et, d’autre part, en ce que, pour la 3e personne du singulier, deux cas régimes distincts se sont conservés. Il en résulte un microsystème relativement complexe, mais qui dans sa complexité n’est pas sensiblement différent de celui que nous connaissons encore à l’heure actuelle :

Le système des pronoms personnels de l'ancien français

Pronoms personnels purs
  Pers. simples Pers. doubles
1re 2e 3e 1re 2e
Sujet je/jeo/gié tu nos vos
Régime tonique moi toi soi nos vos
atone me te se
Représentants
  3e singulier 3e pluriel
masc. fém. n. masc. fém.
Sujet il ele il il eles
Régime tonique lui li els eles
atone 1 le la le les
atone 2 li la le lor

La déclinaison à trois cas est également adoptée par les pronoms relatifs :

La déclinaison des pronoms relatifs en l’ancien français

Masculin / féminin CS qui
CR1 que
CR2 cui
Neutre CR quoi/que

Au XIIIe siècle

Si les textes du XIIe siècle montrent un système de déclinaison stable, ceux du XIIIe siècle en donnent une image plus hésitante. Le XIIIe siècle voit en effet se manifester les premiers signes de l’abandon de la déclinaison nominale bicasuelle héritée du latin vulgaire. Des réductions des deux cas au seul cas régime, qui conduiront à l’abandon de la déclinaison, se manifestent dès le XIIe siècle, dans la zone ouest du domaine d’oïl, c’est-à-dire principalement en anglo-normand. Le phénomène progresse ensuite vers l’est : le domaine central (de la Normandie aux portes de Paris) est touché ensuite et le domaine champenois et picard enfin.

Différents facteurs conditionnent cette évolution :

  • la flexion nominale joue presque uniquement sur une opposition –ø/–s, qui ne permet que peu de combinaisons ;
  • dès l’origine, la marque –s est ambiguë, rendant ou l’opposition de deux cas, ou l’opposition de deux nombres, ou l’une et l’autre oppositions ;
  • dès l’origine encore, de nombreux noms ne marquent pas l’opposition casuelle ;
  • enfin, et surtout, les consonnes finales cessent de se prononcer, mettant à mal un système essentiellement bâti sur l’opposition entre la présence ou l’absence d’un –s final.

Les textes du XIIIe siècle donnent ainsi de la déclinaison nominale une image assez fluctuante, allant d’un strict respect (dans les textes picards et champenois) à une disparition quasi-totale (dans les textes anglo-normands).

Il faut noter que l’amuïssement des consonnes finales contribuera aussi à effacer de la prononciation la différenciation en nombre, même si les graphies sont conservatrices, ce qui aura pour la langue française d’autres répercussions encore que la disparition de la déclinaison.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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