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La perte de la déclinaison

Dans la récriture que Brunot donne en moyen français, plus discrète que les manipulations de l’ordre des mots ou l’introduction des articles, est l’élimination de la forme Dieus, avec –s final, au profit de Dieu, sans –s ou la fusion de Lodevis et Lodevic en une unique forme Loys. Procédant du même principe, mais mieux perceptibles, on peut noter les substitutions :

sire → seigneur
Charlon → Charles / Charle

On se souvient que les formes de la déclinaison s’opposaient essentiellement, du gallo-roman à l’ancien français par la présence ou l’absence de la marque finale –s :

La déclinaison prototypique de l’ancien français

  Singulier Pluriel
Cas sujet murs mur
Cas régime mur murs

ce qui s’explique étymologiquement. Or, dans l’histoire de la langue française un évènement phonétique majeur (notre « séisme linguistique ») va prendre place au XIIIe siècle : l’amuïssement des consonnes finales. Brunot nous en illustre ici un des effets.

En moyen français, du fait de l’amüissement des consonnes finales, l’alternance entre les deux cas de l’ancien français disparaît, et par là même la notion même de déclinaison.

Dans la réduction de deux cas à un seul, qui a entrainé la disparition de la déclinaison, c’est généralement la forme du cas sujet qui a été éliminée, parce qu’elle était d’un emploi bien moins fréquent que la forme du cas régime : de Dieus, cas sujet avec –s, et Dieu, cas régime sans –s, on n’a gardé que Dieu. Mais dans le cas particulier des noms de personne, c’est plutôt le cas régime qui a été éliminé et le cas sujet qui a été conservé. Ainsi, Brunot n’a retenu de Lodevis (CS) et Lodevic (CR), que la forme Lodevis, d’où la finale –s de Loys. De même il est passé de Charlon (CR) à Charles/Charles (CS), cas sujet, parce que c’est le cas sujet que la langue a retenu dans ce cas précis. Encore une fois, Brunot nous donne ici du moyen français une image conforme à la réalité linguistique de l’époque.

Ainsi en est-il encore de la substitution de seigneur (CR) à sire (CS), le moyen français ayant certes conservé la forme sire mais pour la réserver à un usage royal qui ne convient plus au contexte des serments.

Les choix graphiques de Brunot nous éloignent toutefois de cette réalité linguistique : la forme Charle sans –s que donne Brunot dans

cest mien frere Charle
a son frere Charle
Charle mon seigneur

et qu’il semble donner comme une variante libre, préférentielle, de Charles :

ce mien frere Charles

n’a pas les faveurs des copistes de la fin du Moyen Âge ; au mieux la forme Charle attire-t-elle l’attention sur l’amüissement des consonnes finales.

Dans les mêmes passages, Brunot conserve cest dans un cas et lui substitue ce dans l’autre :

cest mien fredre Charlon
→ cest mien frere Charle

cest mien fredre Charlon
→ ce mien frere Charles

on peut y voir le reflet d’une redistribution des démonstratifs qui débouchera plus tard sur une élimination de nombreuses formes et une spécialisation des formes résiduelles (ce >< cet >< celui). D’une manière générale, on observe en effet que les déterminants du nom adoptent dans la récriture en moyen français leur forme moderne :

mes sire → mon seigneur
de soe part → de sa part

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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