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Lundi, mardi...

Le texte primitif des Serments de Strasbourg atteste une forme di (dist di in avant) à laquelle Brunot va substituer les formes jorn, puis jour.

Substitution légitime, la forme di n’ayant pas passé le cap du protofrançais – du moins comme forme autonome, puisqu’on la retrouve dans les actuels noms des jours de la semaine.

Intéressons-nous pour commencer à ce mot di, nous reviendrons ensuite sur les noms des jours de la semaine.

Le gallo-roman se caractérise par une diminution importante de la masse phonétique des mots. Pour de nombreux mots qui se sont alors réduits à une syllabe, un processus de substitution s’est mis en place, un mot plus étoffé sur le plan phonétique a pris la place du monosyllabe. C’est ainsi que le di a été remplacé par le jour, produit d’un adjectif dĭŭrnŭm, dérivé du nom diem.

Comment est-on passé de dĭŭrnŭm à jour ?

Rappelons pour commencer que c’est d’une forme à l’accusatif que l’on part habituellement pour tracer l’histoire, phonétique, d’un mot français, du fait que la majorité des mots qui se sont conservés proviennent d’une forme remontant à l’accusatif en latin vulgaire.

En latin classique, ce mot, prononcé /diurnum/, était accentué sur le /i/. Toutefois, en latin vulgaire, ce /i/, en hiatus, s’est consonantisé en /j/ de sorte que le mot, qui ne comptait plus que deux syllabes, était devenu un paroxyton, dont les deux ŭ s’étaient ouverts en /o/. La consonantisation du /i/ en /j/ a aussi provoqué la palatalisation du /d/ initial. Le /m/ final s’étant amüi très tôt, le mot se prononçait /djʒorno/.

Le gallo-roman voit se poursuivre la palatalisation de la consonne initiale, mais se caractérise de manière plus significative par l’amüissement de la voyelle finale. Soit, à l’issue de la phase gallo-romane une prononciation /ʤorn/, que rend bien la forme écrite jorn que nous livre Brunot dans la récriture qu’il donne des Serments des Strasbourg en français du XIe siècle, c’est-à-dire en protofrançais, période pendant laquelle le mot n’évolue pas.

En ancien français, l’affriquée /ʤ/ résultant de la palatalisation de /d/ se réduit à /ʒ/. Durant cette période, la voyelle tonique /o/ se ferme en /u/. Plus significativement encore, la consonne finale /n/ s’amüit, puis dans la foulée, le /r/ devenu lui aussi final. À l’issue de l’ancien français, le mot se prononçait /ʒu/.

Les grammairiens du XVIIe siècle rétabliront la prononciation du /r/, qui évoluera peu après vers /ʁ/, de sorte qu’au XVIIIe siècle, le mot aura sa forme phonétique définitive : /ʒuʁ/.

L’évoolution complète à partir de l’étymon dĭŭrnŭm est la suivante :

  d ĭ ŭ r n ŭ m  
  d i u r n u étymon en API
LV d i o r n o   ouverture
  d j o r n u   consonantisation
  dj o r n o   fausse palatalisation
  djʒ o r n o   assibilation
GR djʒ o r n   amuïssement
  o r n     dépalatalisation de dj
AF u r n     fermeture
  ʒ u r n     réduction
  ʒ u r     amuïssement
  ʒ u       amuïssement
XVIIe ʒ u r       restitution sous l’action des grammairiens
XVIIIe ʒ u ʁ       déplacement du point d’articulation

Nous l’avons dit pour commencer, le mot di auquel s’est substitué le mot jour a survécu en français à travers les noms des jours de la semaine.

Ces noms de souche latine avaient été formés sur le schéma suivant :

lunae diem > lundi
martis diem > mardi

En d’autres termes, il s’agissait au départ de groupes nominaux adoptant l’ordre complément (au génitif) + complété (à l’accusatif), mais qui ont été traités dans la chaine parlée du latin vulgaire comme formant un groupe accentuel et ont évolué comme des mots simples. Ce processus est loin d’être isolé : toutes les formes du futur en français sont à l’origine des formes périphrastiques qui ont été si étroitement associées qu’elles ont elles aussi évolué comme des mots uniques :

facere habeo > ferai

De nombreuses prépositions françaises résultent d’un processus semblable :

ab ante > avant
de intus > dans

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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