Dans une configuration de bilinguisme sans diglossie, dernier cas de figure identifié par Fishman, plusieurs personnes d’une même communauté connaissent deux langues sans qu’il existe d’usage spécifique pour l’une et l’autre langue.
Fishman limitait cette configuration aux immigrants récemment installés dans un pays d’accueil et qui utilisent alternativement leur langue maternelle et la langue de leur pays d’accueil dans une distribution qui ne semble ni complémentaire ni hiérarchisée – d’un individu à l’autre, la ligne de partage entre les deux langues pratiquées peut être sensiblement différente ; c’est donc aux yeux de Fishman essentiellement un état de transition.
Durant la romanisation et plus tard durant la période franque, un bilinguisme transitionnel a peut-être pris place dans nos régions, avant que ne s’y éteignent le celtique puis le francique. Mais les situations diglossiques du Moyen Âge sont purement conjecturales, et il est impossible de déterminer si certaines situations tenaient davantage de la diglossie ou du bilinguisme.
Le caractère transitionnel de cette configuration de bilinguisme sans diglossie, pointé par Fishman, pourrait bien être fortuit. Cette configuration permet en effet de décrire des situations non transitionnelles, comme celles que l’on rencontre dans différentes villes cosmopolites comme Montréal ou comme Bruxelles, où une grande partie de la population est bilingue (et on ne vise pas seulement ici, pour Montréal le bilinguisme français-anglais ou pour Bruxelles, le bilinguisme français-néerlandais), sans que la répartition entre les usages des deux langues pratiquées par les individus soit réellement codifiée – ici encore, d’un individu à l’autre, la ligne de partage entre les deux langues pratiquées peut être sensiblement différente, mais cette situation n’est pas forcément transitoire.
Par ailleurs de plus en plus de pays ou régions optent pour une forme particulière du bilinguisme sans diglossie, que l’on pourrait appeler un bilinguisme institutionnel, notamment la Belgique avec la région de Bruxelles. Dans une configuration de bilinguisme institutionnel, deux langues co-existent, chacune des deux langues pouvant couvrir tous les emplois, et les individus communiquent dans l’une ou l’autre de ces deux langues au choix, les individus peuvant aussi ne connaitre qu’une des deux langues en présence. On peut toutefois observer que dans une situation comme celle de Bruxelles, région institutionnellement bilingue de Belgique, le système éducatif vise à faire des Bruxellois des individus bilingues, c’est-à-dire des individus connaissant deux langues, mais seule l’institution a l’obligation de pratiquer les deux langues (d’où un affichage bilingue dans les lieux publics, des textes bilingues émis par l’administration, etc.).
La situation diglossique castillan – catalan que connait actuellement une ville comme Barcelone est susceptible d’évoluer dans la voie du bilinguisme institutionnel, puisqu’une des victoires linguistiques des catalonophones est d’avoir engagé la Catalogne dans un traitement égalitaire du catalan et du castillan.