Dans une situation de diglossie sans bilinguisme, autre configuration identifiée par Fishman, il existe une division fonctionnelle à l’intérieur d’une communauté : les usages entre les deux formes linguistiques (ou entre les deux langues) et les groupes sociaux sont intégralement séparés.
Cette configuration trouve plusieurs illustrations dans la préhistoire du français. La diglossie latin – celtique décrite précédemment était vraisemblablement dans les premières décennies une situation de diglossie sans bilinguisme : les Gaulois parlaient celtique, les Romains parlaient latin, les deux langues coexistaient sans qu’une communauté linguistique éprouve le besoin de communiquer dans la langue de l’autre. De même, la diglossie latin – francique décrite était-elle vraisemblablement une diglossie sans bilinguisme dans les premières décennies de l’occupation franque. Nous aborderons dans la suite de ce chapitre du cours le statut linguistique particulier de l’Angleterre à la fin du Moyen Âge, qui est une autre illustration de cette configuration.
Plus près de nous dans le temps, cette configuration de diglossie sans bilinguisme est aussi celle que l’on a dans un pays comme l’Ile Maurice, dont la population est restée essentiellement francophone alors que l’ile est devenue possession anglaise et que l’anglais y a le statut de langue officielle. Il y a une situation de diglossie français – anglais à Maurice, mais pas de réel bilinguisme : les Mauriciens qui parlent français constituent un groupe distinct des Mauriciens qui parlent anglais, seule la nécessité de communiquer entre membres de chaque groupe pouvant inciter un individu à apprendre et utiliser la langue de l’autre.
D’une manière générale, cette configuration correspond d’ailleurs à celle des colonies européennes où les colons s’occupaient peu des pratiques indigènes et conservaient leur langue pendant que les indigènes continuaient d’utiliser la leur.