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Les technolectes

La variation diastratique n’est pleinement étudiée que depuis l’essor de la linguistique variationnelle au XXIe siècle, un siècle qui est celui de la spécialisation professionnelle. Mais, dans le cas du français, l’existence de technolectes, et donc d’un des aspects de la variation diastratique, n’avait pas attendu l’essor de la sociolinguistique ou de la linguistique variationnelle et avait déjà été perçue notamment par les lexicographes (c’est-à-dire les auteurs de dictionnaires) au XVIIe siècle.

À l’époque où a été fondée l’Académie française (en 1635), en vue de protéger la langue française, d’en définir les normes et d’en encourager les bonnes pratiques, les Académiciens s’étaient donné pour tâche de rédiger, entre autres, un dictionnaire et une grammaire.

Les Académiciens qui œuvraient à la réalisation du premier Dictionnaire de l’Académie française ont refusé d’y intégrer les mots relevant des arts, sciences ou techniques, y admettant occasionnellement ceux des arts, sciences et techniques propres à la noblesse : c’est ainsi que l’on trouve dans la première édition du dictionnaire de l’Académie des termes propres à la pratique de la chasse sous toutes ses formes, mais rien qui touche au jardinage ou à la boulangerie.

Devant la lenteur avec laquelle le dictionnaire de l’Académie progressait (la première édition est parue en 1694, soit soixante ans après la naissance du projet), deux hommes, Pierre Richelet et Antoine Furetière (ce dernier ayant fait partie de l’Académie, mais s’en étant vu exclure) ont pris à l’époque, de manière indépendante, le parti de réaliser chacun son propre dictionnaire et d’y intégrer de nombreux mots rejetés par les Académiciens, et parmi ceux-ci les mots propres aux arts, sciences et techniques.

Les dictionnaires de Richelet et de Furetière, dont les titres sont un véritable pied-de-nez à l’Académie française (Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise : Ses Expressions Propres, Figurées & Burlesques, la Prononciation des Mots les plus difficiles, les genres des Noms, le Regime des Verbes avec Les termes les plus connus des Arts & des Sciences, le tout tiré de l’usage et des bons auteurs de la langue françoise pour Richelet, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts pour Furetière) ont été, comme on s’en doute, assez mal accueillis par les Académiciens.

Les démarches de Richelet et de Furetière montrent une fois encore que même si personne n’avait encore théorisé sur la question, la perception d’une variation du français selon les groupes professionnels (autrement dit la perception de l’existence de technolectes) était déjà réelle au XVIIe siècle. Bien présente aussi l’idée de prestige linguistique, puisque, en somme, la démarche des Académiciens vise à bannir du lexique les mots liés à des réalités sans prestige de la vie de l’époque – nous reviendrons sur ce concept de prestige linguistique.

À l’heure actuelle, les lexicographes ont renoncé à l’ostracisme des premiers Académiciens français et intègrent les mots techniques et scientifiques dans les dictionnaires, en indiquant même souvent de manière tout à fait explicite à quelle science ou à quelle technique ces mots appartiennent.

Toute la terminologie mise en place dans ce chapitre constitue un technolecte, la langue d’un groupe professionnel, celui des linguistes – sociolinguistes et variationnistes.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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