L’étude de la variation diaphasique, également appelée variation situationnelle ou stylistique, prend en considération le contexte de la communication linguistique. Elle est surtout l’affaire de la sociolinguistique, mais est aussi étudiée dans le cadre de la stylistique.
La variation diaphasique est, comme la variation diagénique, définie comme se manifestant au sein d’un groupe et semble donc subordonnée à la variation diastratique, bien que d’une manière différente. Elle rend compte du fait qu’une même personne, quelle que soit son origine sociale ou son milieu professionnel, peut s’exprimer différemment selon la situation de communication dans laquelle elle se trouve : selon le contexte, selon l’âge de ses interlocuteurs, selon qu’il ou elle s’exprime par écrit ou oralement, selon qu’elle s’exprime d’une manière spontanée ou mûrement réfléchie, etc.
Certains linguistes utilisent le terme diamésie (et l’adjectif diamésique) pour désigner cette faculté d’adaptation linguistique des locuteurs, ciblant spécifiquement le médium de communication, un raffinement terminologique peu utile du point de vue qui est le nôtre, la variation diaphasique jouissant déjà d’une belle panoplie d’appellations concurrentes. Nous ne nous encombrerons pas de cette proposition terminologique, bien éloignée de faire l’unanimité.
La variation diaphasique, c’est-à-dire selon l’usage ou selon les usagers, se manifeste à tous les niveaux de la langue : phonique, morphologique, syntaxique, lexical.
On parle usuellement de registre ou de niveau de langue pour qualifier la variation diaphasique :
- registre soutenu (ou encore soigné, recherché, élaboré, châtié, cultivé, tenu…)
- registre standard (ou non marqué ou encore courant, commun, usuel)
- registre familier (ou encore relâché, spontané, ordinaire)
- registre vulgaire (ou populaire),
- etc.
Le terme « registre » est antérieur à la linguistique variationnelle, de même que le terme « style » qui définit l’usage écrit de la langue propre à un individu. En revanche, pour répondre au mot « style », la linguistique a forgé le mot « idiolecte » qui définit l’usage de la langue propre à un individu.
L’idiolecte est donc le produit des interactions entre les différents « –lectes » que le locuteur maitrise, voire de la prégnance de l’un ou l’autre de ses « –lectes », que ces –lectes soient en lien avec les différents groupes sociaux auxquels il appartient ou avec les différentes circonstances dans lesquelles il est amené à s’exprimer. L’idiolecte est donc le produit des interactions entre les différents « –lectes » que le locuteur maitrise, voire de la prégnance de l’un ou l’autre de ses « –lectes », que ces –lectes soient en lien avec les différents groupes sociaux auxquels il appartient ou avec les différentes circonstances dans lesquelles il est amené à s’exprimer.
Les dimensions de la variation linguistique – X
Espace | Groupe social | Sexe | Usage | Temps |
Variation diatopique | Variation diastratique | Variation diagénique | Variation diaphasique | Variation diachronique |
Grammaire comparée Linguistique comparative Dialectologie |
Sociolinguistique | Sociolinguistique | Sociolinguistique | Grammaire historique |
Dialecte Géolecte Régiolecte Topolecte |
Technolectes Sociolecte |
Sexolecte |
Registre Style Idiolecte |
Comme la variation diastratique, la variation diaphasique n’est pleinement étudiée dans son ensemble que depuis l’essor de la sociolinguistique, c’est-à-dire depuis le XXe siècle.
Mais ici encore, si la sociolinguistique a été la première à théoriser sur le sujet, les observations diaphasiques ont de loin précédé la théorisation.
Dans le cas du français, ce type de variation était déjà au cœur des débats entre auteurs de dictionnaires au XVIIe siècle, certains lexicographes (dont les Académiciens) répugnant à l’époque à faire entrer dans leurs dictionnaires des mots populaires ou vulgaires face à d’autres qui estimaient que le vocabulaire non noble a sa place dans les dictionnaires. Ici encore, Pierre Richelet et Antoine Furetière se démarqueront nettement des Académiciens français, en faisant entrer dans leurs dictionnaires des mots relevant d’un registre vulgaire – Furetière fait ainsi entrer dans son dictionnaire des mots relevés dans des récits de voyageurs, sans se soucier du registre auquel appartiennent ces mots ; bordel, chier, connard… figurent dans le dictionnaire de Richelet.
Une petite mise au point s’impose ici. Même si certains registres sont plus étroitement liés à certains groupes sociaux, il faut éviter de faire l’amalgame entre un registre et un groupe social, entre registre et sociolecte, entre idiolecte et sociolecte, une même personne pouvant disposer de plusieurs registres et choisir tel ou tel registre en fonction de la situation. Mais la frontière entre l’un et l’autre concepts est relativement mince, l’étude de la variation diaphasique mettant surtout l’accent sur les choix individuels, là où l’étude de la variation diastratique cherche plus à identifier des emplois collectifs, définissant des groupes sociaux ou des habitudes sociales.
De même que les dictionnaires intègrent désormais des mots relevant de différents technolectes et sociolectes, de même ils intègrent des mots des différents registres, en indiquant explicitement à quel registre ils appartiennent. En revanche, les grammaires restent généralement des grammaires « bien pensantes », avec le Bon Usage de Maurice Grevisse en figure de proue, même si ont vu le jour dans les dernières décennies une très sérieuse Grammaire des fautes (Henri Frei) ou une moins sérieuse Grammaire impertinente (Yak Rivais), qui font état des usages stylistiquement marqués de la grammaire – stylistiquement, c’est-à-dire diaphasiquement.
Les études de stylistique n’ont d’ailleurs pas, elles non plus, attendu l’essor de la sociolinguistique pour s’intéresser à la variation diaphasique, individuelle, de la langue. Même si la stylistique est une discipline relativement jeune (elle s’est surtout développée à partir du XIXe siècle), la rhétorique ancienne avait déjà mis en place tout un appareil d’analyse des particularités du langage d’un écrivain : les tropes ou figures de style, permettant d’en définir le style.