L’étude du français du Moyen Âge passe nécessairement par l’étude de ses différents dialectes, dont les variations étaient très marquées à cette époque.
L’une des différenciations les plus fondamentales que l’on puisse faire entre les dialectes « français » du Moyen Âge est celle qui oppose les dialectes d’oïl et les dialectes d’oc, deux désignations fondées sur la façon dont on dit « oui » dans les dialectes ainsi regroupés, des désignations qui apparaissent à la fin du xiiie siècle et que reprendra le poète florentin Dante.
Entre les dialectes d’oïl et les dialectes d’oc, les dialectes francoprovençaux (dont la réalité demeure très controversée) constitueraient une zone franche :
La répartition des dialectes du français en trois zones au Moyen Âge
Du fait que les barrières naturelles (fleuves, montagnes…) jouent généralement un rôle capital dans la délimitation des territoires linguistiques, de nombreuses études consacrées à l’histoire de la langue française donnent traditionnellement comme ligne de partage entre dialectes d’oïl et dialectes d’oc la frontière géographique naturelle que constitue la Loire, mais dans les faits, le partage entre les deux zones ne suit aucune frontière naturelle ou politique – ce qu’illustre bien la carte ci-dessus. Cette absence de caution géographique de la frontière linguistique est à ce point dérangeante pour certains qu’ils préfèrent forcer les faits et faire coïncider, au mépris de toute étude de terrain, frontière linguistique et frontière naturelle entre les dialectes d’oïl et d’oc. Mais les Belges, entre autres, sont bien placés pour savoir qu’il n’y a pas nécessairement de coïncidence entre une frontière linguistique et une frontière naturelle : la zone néerlandophone de la Belgique n’est pas séparée de la zone francophone du pays par une chaine de montagne ni par un fleuve.
En réalité, au Moyen Âge, la frontière linguistique entre les deux zones d’oïl et d’oc était une frontière fluctuante, se déplaçant en fonction du fait linguistique que l’on prend en considération (trait phonétique, fait lexical…), comme le révèle le travail de description dialectologique entrepris à la fin du xixe siècle par Jules Gilliéron (Grand Atlas linguistique de la France) et poursuivi jusqu’à nos jours par les dialectologues :
Les fluctuations de la frontière entre dialectes d’oc et dialectes d’oïl
Mais même si la délimitation ente zone d’oïl et zone d’oc est fluctuante, il n’en demeure pas moins que plusieurs isoglosses évoluent dans un faisceau parallèle pour partager la Gallo-Romania (c’est-à-dire la Gaule romanisée) en deux moitiés linguistiquement distinctes.
Définition : Isoglosse
En linguistique variationnelle, une isoglosse est, sur une carte géolinguistique, une ligne qui marque les limites à l’intérieur desquelles un trait linguistique donné se retrouve et hors desquelles ce même trait ne se retrouve pas.
Sous l’appellation de dialectes d’oïl étaient notamment regroupés le picard, le wallon, le normand, le champenois, le lorrain, le bourguignon. Les dialectes d’oc se subdivisent en gascon, occitan, limousin, auvergnat et provençal.
Entre les dialectes d’oïl et d’oc, le domaine francoprovençal, incluant les régions de Lyon, de Genève et du Val d’Aoste, constitue une zone d’interférences, souvent contestée – pour ceux qui considèrent que la distinction est fondée, les parlers francoprovençaux se distinguent suffisamment et des dialectes d’oïl et des dialectes d’oc pour n’être assimilés ni aux uns ni aux autres, mais ont en commun des traits linguistiques relevant et des uns et des autres.
Si on compare la carte des grandes familles dialectales du français au Moyen Âge et la carte des isoglosses de mener, chanter et heure, et qu’on les superpose, on constate que l’isoglosse mener inclut la zone francoprovençale dans la zone d’oc, l’isoglosse chanter l’inclut dans la zone d’oïl et l’isoglosse heure la traverse.
Familles dialectales et isoglosses
Ceci permet de bien visualiser la place à part qu’occupent ces dialectes, mais la question est de savoir si cela suffit à légitimer leur traitement particulier. Nous n’essaierons pas de trancher dans ce débat, en marge de nos préoccupations.
Revenons, plus globalement, aux dialectes français du Moyen Âge.
Les régiolectes de la langue française au Moyen Âge
Certaines des variétés régionales du français connues au Moyen Âge sont demeurées bien vivaces. D’autres ont été récemment « ressuscitées » par la volonté politique de redonner aux langues régionales leur droit de citer : en France, on est ainsi passé à la fin du XXe siècle de la DGLF, Délégation Générale à la Langue Française, à la DGLFLF, Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, un changement d’appellation révélateur d’un changement d’attitude par rapport aux « langues régionales », c’est-à-dire aux régiolectes.
Récemment, le cinéma a contribué à populariser le chtimi, c’est-à-dire le dialecte picard, qui existait déjà au Moyen Âge (où il s’entendait jusqu’aux portes de Paris) et continue d’exister à l’heure actuelle, dans le nord de la France et le sud-ouest de la Belgique sous une forme proche de celle qu’il avait alors. Le chtimi doit son nom aux caractéristiques phonétiques qui le distinguent fondamentalement du français standardisé : ch’ pour ce, ti pour toi et mi pour moi – de la même manière que la variété de français québécois qu’on appelle joual doit son nom à une façon particulière de prononcer le mot cheval.
Mais en dépit de la vivacité des langues régionales, un des principaux effets de la standardisation du français qui a été mise en place à partir du XVIIe siècle (par Vaugelas et par les normativistes qui ont suivi) a été de réduire la variation diatopique.
Définition : Standardisation linguistique
La standardisation, en linguistique, est le processus par lequel on codifie une langue pour la faire répondre à une norme unique.
Cette réduction de la variation diatopique s’est accélérée par l’invention au début du XXe siècle de la radio et de la télévision, qui ont l’une et l’autre contribué à la diffusion de la langue standardisée bien au-delà des frontières de la France.
L’objectif final du processus de standardisation de la langue française entrepris au XVIIe siècle était de réduire à néant la variation linguistique dans toutes ses dimensions, en élisant une seule variété de français et en l’imposant comme seule digne d’être pratiquée.
Cet objectif final n’a jamais été atteint, pour des raisons qui ne seront pas développées ici. Retenons simplement qu’à l’heure actuelle, même si le processus de standardisation du français est toujours en mouvement, on peut encore identifier des variétés diatopiques de la langue française : on peut encore identifier des dialectes comme le picard en France et en Belgique, le wallon en Belgique, etc.
Il y a essentiellement deux secteurs de la langue dans lesquels la variation diatopique demeure plus particulièrement marqué de nos jours : celui de la prononciation et celui du lexique.