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Du latin vulgaire au gallo-roman

À la suite des invasions franques, le latin vulgaire des Gallo-Romains a été mis au contact du francique des Francs ; les conditions semblaient alors réunies pour que le latin parlé en Gaule, après avoir évincé le celtique, soit à son tour évincé par un parler germanique, celui des Francs. Pourtant, le scénario tracé quelques siècles plus tôt avec la langue latine évinçant le celtique ne s’est pas répété.

Dans la situation de diglossie latin – francique, c’est la langue des Francs, dominants, qui a été évincée au profit du latin, langue des dominés. Ce nouveau scénario s’explique par le fait que les Francs ne brillaient pas particulièrement par leur administration et ont donc conservé telle quelle l’administration gallo-romaine, héritée des Romains ; aussi, après les invasions franques, les Gallo-Romains ont-ils continué d’utiliser le latin en famille, mais également dans le domaine de l’administration.

On peut conjecturer que certains Gallo-Romains ont utilisé le francique pour établir le contact avec les Francs, en d’autres termes que le francique est devenu pour eux une langue strictement véhiculaire, apprise en plus de leur langue maternelle qu’ils ont conservée, le latin vulgaire. Mais il est bien plus probable que, comme à l’époque des invasions germaniques, les temps aient été trop troublés pour que de nouveaux besoins de communiquer se fassent sentir chez les Gallo-Romains et les conduisent à apprendre la langue de leur nouveau colonisateur ; cette seconde hypothèse viendrait en effet mieux en appui du constat du fait que la langue du colonisateur ne soit pas devenue langue dominante de la Francie.

La conversion de Clovis au christianisme, en 496, a vraisemblablement joué également un rôle dans le fait que la langue des Francs n’ait pas supplanté le latin sur l’ancien territoire de la Gaule romaine et que la langue des colonisés soit devenue la langue dominante, les Francs adoptant le latin comme langue du culte.

Mais d’autres facteurs sont aussi à prendre en considération, comme le fait que de nombreuses écoles, où l’enseignement se faisait en latin, ont continué de fonctionner durant toute la période des invasions ou encore le fait que les Gallo-Romains, même soumis aux Francs, ont conservé tous leurs biens.

Minoritaire dans ses usages en Francie, le francique s’effacera progressivement au profit du seul latin vulgaire ; la langue dominante demeurera le latin vulgaire, langue des colonisés, les Gallo-Romains.

Le francique fournira toutefois au latin vulgaire de la Francie un superstrat d’une grande importance pour la carte d’identité du français, car ce superstrat francique a, bien plus que le substrat celtique, contribué à différencier le latin de nos régions d’avec le latin pratiqué dans le reste de l’Europe romanisée et à faire que le français s’est plus nettement que les autres langues romanes distancié de la langue-mère.

Dotée d’un substrat celtique et d’un superstrat, la variété du latin vulgaire qui s’est développée dans nos régions a été appelée « gallo-roman » par les spécialistes modernes des langues romanes. C’est une appellation plutôt malheureuse, car elle désigne la forme que prend la langue à l’issue de la période franque, c’est-à-dire à un moment où l’expression « Gallo-Romania » cesse d’être pertinente pour les historiens. C’est que le préfixe gallo– est utilisé ici dans un sens exclusivement territorial : le gallo-roman est la langue romane qui s’est développée sur le territoire des anciennes Gaules.

Il y a souvent un décalage entre l’usage que les historiens et les linguistes font d’un même mot – l’expression Moyen Âge ne désigne pas la même réalité pour les historiens et pour les philologues, d’où parfois certaines zones d’incompréhension quand les uns et les autres se rencontrent. Il est donc particulièrement important d’identifier avant toute analyse dans quel sens un terme propre à une discipline est utilisé.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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