ghf

La politique linguistique de François Ier

Bien plus que la célèbre ordonnance, dont les effets sont restés longtemps confinés à la seule sphère de l’administration royale, c’est la politique menée globalement par François Ier contre le latin qui a contribué à son époque à propulser le français sur les devants de la scène. En luttant contre le latin, François Ier s’attaquait en réalité au pouvoir de l’Église catholique, qui s’identifie à l’usage du latin – nous avons vu précédemment que le latin symbolisait l’unité de l’empire reconstitué par Charlemagne ; le rôle identitaire des langues n’est plus à démontré.

La politique habilement menée par François Ier contre le latin ne l’a pas seulement conduit à imposer l’usage de la langue vernaculaire dans les tribunaux (une mesure qui mettra encore du temps à être suivie d’effet, même si François Ier formulait lui-même ses arrêts en français) : la politique linguistique de François Ier l’a surtout mené à soutenir l’usage du français comme langue de référence. Le soutien marqué par François Ier, tout comme par sa sœur Marguerite de Navarre d’ailleurs, aux écrivains qui choisissaient de s’exprimer en français, encore une fois au détriment de ceux qui choisissaient le latin, n’a fait qu’accuser le recul du latin comme langue de la culture. Son soutien aux imprimeurs qui imprimaient en français allait dans le même sens.

Fait intéressant, la politique linguistique menée par François Ier a contribué à attirer pour la première fois dans l’histoire de la langue française l’attention des locuteurs du français sur leur langue maternelle : c’est à cette époque qu’est née la grammaire française et que s’est développée une réelle réflexion linguistique sur le français, une langue qui jusqu’alors préoccupait plus les Anglais qui devaient l’apprendre (nous avons évoqué les manuels anglais de conversation) que les Français. Les premiers grammariens sortirent des rangs des imprimeurs – comme Geoffroy Tory dans son Champfleury (1529) –  ou des poètes, confrontés par leur art à une langue française qui ne répondait plus aux canons latins – comme Joachim du Bellay dans sa Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse (1549) ; mais rapidement des lettrés se sont érigés proprement en grammairiens – comme Louis Meigret ou Pierre de la Ramée (cf. partie du cours consacrée à la grammaire historique).

La même volonté de lutter contre le pouvoir de l’Église en s’en prenant au latin a conduit François Ier à promouvoir le français comme langue d’enseignement ; il a créé le Collège de France où Forcadel a enseigné pendant une courte période les mathématiques en français, où Pierre de la Ramée a enseigné pendant une courte période la grammaire en français.

Dans le secteur de l’enseignement, les protestants, soutenus eux aussi par François Ier, ont été autorisés à organiser un enseignement pour leurs enfants et l’ont fait en français. Toutefois, l’enseignement en dehors de ce contexte particulier, a continué d’être organisé principalement en latin.

La politique linguistique menée par François Ier est un premier pas franchi dans l’expansion de l’usage du français en France, mais le français reste une langue qui est encore loin d’être quantitativement représentative à cette époque. C’est surtout un pas franchi dans l’accession du français au statut de langue de prestige.

Ce qui est le plus intéressant dans la démarche de François Ier, ce n’est pas tant que sa politique linguistique ait conduit à étendre et diversifier les usages de la langue française et par là à rehausser le prestige de la langue française ; c’est le fait que pour s’attaquer à l’Église catholique et au prestige dont elle jouissait à son époque, François Ier ait mis en place une politique linguistique contre le latin : dans le chef de François Ier, faire diminuer le prestige de la langue latine était le moyen le plus sûr de faire diminuer le prestige de l’Église. Toutes les mesures stratégiques prises en ce sens par François Ier profitaient directement ou indirectement à la langue française. François Ier a donc joué un rôle capital dans l’essor de la langue française, mais ce ne fut pas par le biais de l’ordonnance royale que l’on cite habituellement à l’appui de ce constat.

En ce siècle, le français est aussi langue du culte protestant, un culte qui admet et encourage que l’on s’adresse à Dieu dans les langues vernaculaires. C’est un des effets de la politique de soutien et de tolérance de François Ier à l’égard des huguenots[1].

Signalons enfin, pour en terminer avec la politique linguistique de François Ier, qu’à la fin du XVIe siècle, la langue française s’est exportée, par le biais de colons cette fois, non plus vers l’Angleterre ou l’Italie comme cela a été le cas à la fin du Moyen Âge, mais vers le Nouveau Monde. L’histoire a retenu le nom de Jacques Cartier, comme celui de l’homme qui a pris possession, au nom de François Ier, du territoire de la Nouvelle-France (futur Canada) en 1534.

Le XVIe siècle apparait ainsi comme une période de grande effervescence linguistique, tous les bouleversements ayant un même déclencheur : l’habile politique linguistique menée par François Ier en défaveur du latin.

En net recul dans les différentes fonctions sociales qu’il occupait jusqu’alors, le latin s’est effacé au profit du français. Si le français dialectal demeurait la langue vernaculaire majoritaire, il était mis pour la première fois en balance avec la forme commune, supradialectale, du français :

La situation linguistique au XVIe siècle

  Au XVe siècle Au XVIe siècle
Langue du roi français français
Langue de l’administration latin classique + français français (dialectal)
Langue véhiculaire français français (+ latin classique)
Langue du culte latin chrétien latin chrétien + français
Langue de la culture latin classique + français français
Langue du savoir scientifique latin classique + français latin classique + français
Langue d’enseignement latin classique latin classique + français
Langue vernaculaire français dialectal français dialectal + français

François Ier a ainsi joué un rôle considérable dans la progression du français, sans avoir jamais chercher à imposer le français aux Français.


[1]Nom que l’on donne aux Français protestants de l’époque dans le conflit qui les opposa à l’Église catholique.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

ulb ltc

L’utilisation du genre masculin dans les pages du présent site a pour simple but d’alléger le style. Elle ne marque aucune discrimination à l’égard des femmes.