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L’ordonnance de Villers-Cotterêts

De nombreux ouvrages consacrés à l’histoire externe de la langue française véhiculent l’idée selon laquelle François Ier aurait en ce siècle, par ordonnance royale, fait du français la langue de la France. Les plus prudents apportent un correctif : François Ier aurait fait du français la langue officielle de la France. Les uns comme les autres sont très éloignés de la réalité. Il s’en faut en effet de beaucoup que la célèbre ordonnance royale, qui ne visait aucunement la masse des locuteurs, ait conduit au rayonnement de la langue française qu’on lui prête encore trop souvent – question de prestige, une fois encore, puisque ce qui prévaut dans cette idée reçue est la personnalité de François Ier..

Considérons le texte de la fameuse Ordonnance du Roy sur le faict de justice, connue sous le nom d’Ordonnance de Villers-Cotterêts.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts
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Le titre originel de l’ordonnance, Ordonnance du Roy sur le faict de justice, donne déjà une indication importante de la sphère d’action de cet édit royal : François Ier vise ici la justice et s’il est vrai que les articles 110 et 111 de cette ordonnance concernent l’usage de la langue, ils ne visent que la langue des décisions de justice :

Les articles 110 et 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts
110. Que les arretz soient clers et entendibles et afin qu’il n’y ayt cause de doubter sur l’intelligence desdictz Arretz, nous voullons et ordonnons qu’ilz soient faictz et escriptz si clerement qu’il n’y ayt ne puisse avoir aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieu a en demander interpretacion.
Trad. : 110. Que les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu’il n’y ait de raison de douter sur l’interprétation de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait ni puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison à en demander l’interprétation.

111. Nous voulons que doresenavant tous arretz, ensemble toutes aultres procedeures, soient de noz courtz souveraines ou aultres subalternes et inferieures, soient de registres, enquestes, contractz, commisions, sentences, testamens et aultres quelzconques actes et exploictz de justice ou qui en deppendent, soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langaige maternel francoys et non aultrement.
Trad. : 111. Nous voulons que dorénavant tous les arrêts, et même toutes les autres procédures, soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, soit des registres, enquêtes, contrats, ordre de missions, décisions, testaments et autres quelconques actes et exploits de justice ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langue maternelle française et non autrement.

Encore ne faut-il pas se méprendre sur le sens à donner au couple d’adjectif maternel francoys appliqué au nom langaige. Certes, nous manquons encore à l’heure actuelle d’études qui nous permettent de cerner proprement le sens que l’adjectif francoys avait à l’époque, mais il est vraisemblable que l’expression en langaige maternel francoys utilisée ici renvoyait d’une manière générale aux langues vernaculaires de la France, c’est-à-dire à l’ensemble des formes dialectales, d’oïl et d’oc, du français et non au français du roi, à la langue dans laquelle le roi exerçait le pouvoir.

La volonté de François Ier était en effet d’abord et avant tout que les décisions de justice soient rendues dans une langue que les administrés comprennent. Jusqu’alors, les décisions de justice étaient en effet rendues en latin, or on a vu que depuis le XIIe siècle, plus personne ou presque ne comprend le latin, même dans l’administration.

François Ier cherche donc à faire en sorte que les décisions de justice soient rendues dans une langue compréhensible de ses administrés et imposer un dialecte, quel qu’il soit – son français ou n’importe quelle autre variété de français – aurait eu le même effet sur ses administrés que de maintenir l’usage du latin, les décisions seraient restées incompréhensibles des locteurs de tous les autres dialectes. Il est d’ailleurs très peu probable que ce fin stratège, qui cherchait à s’assurer un soutien populaire, ait pu prendre une mesure d’exclusion à l’égard que quelque langue vernaculaire que ce soit : l’usage de l’expression en langaige maternel francoys trahit surtout une volonté de s’en prendre au latin, symbole de l’Église catholique contre le pouvoir de laquelle François Ier entendait lutter, de s’en prendre au latin et d’en condamner l’usage dans les tribunaux.

On le voit, on est très éloigné ici de l’idée de faire du français la langue, fût-ce seulement officielle, de la France.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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