On pourrait croire que le français est depuis toujours la langue maternelle des Français ou la langue maternelle de la France – cette dernière manière de voir étant un peu abusive, mais on a vu à travers l’examen des définitions qu’il est d’usage d’assimiler la région et les personnes, le pays et ses habitants.
On pourrait le croire, alors qu’il n’en est rien. Le français n’a pas toujours été la langue maternelle de la population de la France.
Le cas de quelqu’un comme Marcel Pagnol est ici particulièrement révélateur : écrivain de langue française et membre de l’Académie française, Marcel Pagnol, né en France en 1895, avait encore pour langue maternelle le dialecte de sa région de naissance, le provençal ; de la même manière, à l’époque où Ferdinand Brunot, auteur de la première Histoire de la langue française, est né à Saint-Dié, la langue maternelle de la population de sa région, les Vosges, était le lorrain. Pagnol doit essentiellement sa passion pour la langue française au fait que son père, en tant qu’instituteur, apprenait le français aux petits Provençaux et Brunot doit sa passion pour la langue française au fait que ses parents lorrains étaient de fervents francophiles.
Le français ne s’est imposé en France qu’à l’époque moderne et c’est aussi à notre époque que le français s’est imposé comme langue maternelle dans certaines régions de la Belgique et de la Suisse. Nous verrons dans le chapitre consacré en propre à l’histoire de la langue française comment cela s’est fait – nous verrons que les moyens déployés relèvent parfois proprement du « terrorisme linguistique ».
1. Le cas du Québec
Si on veut se placer sur l’axe chronologique, le français était la langue maternelle des Québécois bien avant de devenir la langue maternelle des Français, des Belges ou des Suisses.
Implanté artificiellement au Québec à la fin du XVIe siècle, suite à la migration (un peu forcée) de nombreux « francophones » (avec des guillemets à « francophones » car à cette époque, on ne peut pas encore parler de francophones au sens où nous l’entendons à l’heure actuelle – nous y reviendrons dans le chapitre consacré en propre à l’histoire de la langue française), le français est devenu la langue maternelle des Québécois dès le xviie siècle. Il y a eu au Québec une assimilation linguistique très rapide en dépit du fait que cette assimilation n’ait pas été explicitement organisée : aucune politique linguistique n’a en effet été menée au Québec à cette époque pour amener les autochtones à parler français.
Définition : Assimilation linguistique
L’assimilation linguistique est le processus par lequel passe un groupe pour adopter la langue d’un autre groupe, en l’occurrence ici, le processus par lequel les autochtones de ce qui avait été appelé à l’époque Nouvelle-France ont adopté la langue des colons français.
Définition : Politique linguistique
Une politique linguistique est une politique menée par un État ou une organisation internationale à propos d’une ou de plusieurs langues parlées dans les territoires relevant de son autorité, pour en modifier le corpus ou le statut.
En l’occurrence ici, la France (en la personne des colons français) n’a mené en Nouvelle-France (nom donné par les Français au Canada de l’époque) aucune action visant à imposer le français aux autochtones – contrairement à ce qu’elle fera un peu plus tard en Afrique.
Le français est donc devenu la langue maternelle des Québécois au XVIIe siècle sans qu’aucune politique linguistique ne soit menée : l’assimilation s’est faite spontanément.
2. Le cas de l’Europe
En Europe, dans les pays et régions où la langue française est née et où elle était héréditaire, c’est-à-dire dans des pays et régions où le français n’a pas été implanté artificiellement comme au Québec, l’assimilation linguistique des populations a été très lente, en dépit d’une politique linguistique menée parfois de longue date (ou peut-être à cause d’une telle politique linguistique).
Définition : Langue endogène ou héréditaire
Langue qui a évolué, s’est transformée, s’est individualisée dans une aire géographique déterminée où elle continue une tradition multiséculaire
Définition : Langue exogène
Langue originellement extérieure à une aire géographique déterminée mais qui s’y implante artificiellement
Par exemple, François Ier, roi de France, mena au XVIe siècle une politique linguistique très active en faveur de la langue française – en fait, si on veut être tout à fait exact, on doit dire qu’il a mené une habile politique linguistique en défaveur du latin, comme nous le verrons dans la suite du cours. Il a ainsi soutenu les imprimeurs qui imprimaient des textes en français, des écrivains qui s’exprimaient en français et a pris toutes sortes de mesures stratégiques profitant directement ou indirectement à la langue française. Pourtant, le français n’est devenu la langue maternelle des Français qu’au XXe siècle.