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La distribution des langues en présence

De notre côté de la Manche, entre la Guerre de Cents Ans, divers épisodes de famines (dès 1315) et diverses vagues de peste (dès 1348), la situation linguistique de la France (une région qui inclut toujours une partie de la Belgique et de la Suisse) ne fut pas vraiment au cœur des débats.

Et pourtant des faits majeurs vont émerger.

La Guerre de Cent Ans se déroulait essentiellement sur le territoire français et a amené les chevaliers, tant français qu’anglais, à traverser le pays de part en part, pour converger vers la Guyenne (Aquitaine), cœur du conflit. Ces chevaliers, qui vivaient à la cour du roi, utilisaient entre eux comme langue véhiculaire (c’est-à-dire pour communiquer dans les situations liées à leur fonction sociale) la langue du roi, autrement dit le français supradialectal, que nous appellerons désormais plus simplement « français » ; ceci valait d’ailleurs aussi bien pour les chevaliers français que pour les chevaliers anglais, puisque la langue de la cour était le français de part et d’autre de la Manche. La Guerre de Cent Ans a donc amené des chevaliers qui parlaient français à traverser de part en part la zone d’éclosion du français et à y user de leur langue pour se faire comprendre. Le français s’affirme ainsi, en raison de circonstances guerrières, comme la principale langue véhiculaire du royaume.

Sur un autre plan, à la fin du XIVe siècle, sous l’impulsion de Charles V, l’entreprise de traduction des textes latins en français, entamée au XIIe siècle, s’est intensifiée : d’une part, le nombre des personnes capables de lire le latin dans le texte et de le comprendre s’était considérablement réduit – c’était déjà ce qui avait motivé la première vague de traduction deux siècles plus tôt ; d’autre part, Charles V, roi lettré, avait l’ambition de former une élite administrative performante et cette ambition passait par l’extension de l’usage du français. Là encore, le français est propulsé comme langue de culture, plaçant en retrait un latin que seuls quelques lettrés parviennent encore à comprendre.

Même si l’arrière-plan historique et social de la Guerre de Cent Ans n’était pas très favorable à l’éclosion de la culture, le latin a été aussi de moins en moins utilisé dans la littérature, où la langue française, dans sa variante supradialectale encore, s’est de plus en plus affirmée – quelques poètes seulement émergeront de cette époque chahutée (Guillaume de Machaut, Christine de Pisan ou Eustache Deschamps). Dans la zone des dialectes d’oc toutefois a subsisté une littérature en langue occitane très vivace.

En net recul dans les différents domaines de la transmission du savoir, le latin a perdu progressivement au cours de ce siècle son statut de langue de référence, ainsi d’ailleurs que son statut de langue officielle : on a commencé en effet à employer plus régulièrement le français au lieu du latin dans les actes officiels, dans les parlements régionaux et à la chancellerie royale sur le territoire français (et non plus seulement, comme aux siècles précédents, dans les contacts avec l’Angleterre, qui finira d’ailleurs par renoncer à l’usage du français dans ses échanges officiels).

Le français dialectal restait toutefois la langue dominante quantitativement : les locuteurs qui se servaient du français supradialectal (le roi, la cour, les chevaliers, l’administration, la chancellerie, les écrivains, les hommes de sciences, les commerçants, les voyageurs) ne représentaient pas 10 % de la population concernée ; le reste, de la Wallonie à la Provence, ne connaissait que le français dialectal, qui demeurait majoritaire, sous la forme des dialectes d’oïl et d’oc.

Nous trouvons donc au XIVe siècle la distribution suivante des langues dans un espace francophone diminué :

La situation linguistique au XIVe siècle

  Au XIIIe siècle Au XIVe siècle
Langue du roi français français
Langue de l’administration latin classique (+ français) latin classique + français
Langue véhiculaire français supradialectal français
Langue du culte latin chrétien latin chrétien
Langue de la culture latin classique + français supradialectal (latin classique) + français
Langue du savoir scientifique latin classique + français supradialectal latin classique + français
Langue d’enseignement latin classique latin classique
Langue vernaculaire français dialectal français dialectal
Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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