Le besoin d’une langue supradialectale s’est accru au XIIIe siècle du fait du climat de sécurité qui s’est installé durant le long règne de saint Louis. Ce climat de sécurité a conduit les gens à se déplacer davantage : les routes étant redevenues plus sûres, les gens ont recommencé à sortir des limites étriquées de leur village, le commerce est redevenu florissant et là encore le besoin de se faire comprendre de ville en ville, de région en région, s’est fait sentir, la langue supradialectale dont le principe avait été forgé par les poètes s’est avérée être un excellent outil de communication.
Les choses ne se sont pas arrêtées là. Cette forme particulière de la langue française née du processus communicatif mis en place par les poètes a étendu son usage véhiculaire à un autre contexte encore où s’est fait sentir la nécessité de communiquer entre personnes provenant de régions dialectales différentes : du fait de la réputation de sage et de diplomate acquise par saint Louis, ce français véhiculaire est devenu au XIIIe siècle la langue de la diplomatie à travers toute l’Europe ; la langue française a perdu par la suite ce statut de langue de la diplomatie, statut qu’elle retrouvera à l’époque de Louis XIV – autre roi prestigieux.
C’est cette langue supradialectale, cette forme particulière du français, dont le principe a été forgé par les poètes puis récupéré par différents groupes sociaux quand les besoins de communiquer avec l’extérieur se sont fait sentir, qui s’est progressivement imposée en France, pour devenir progressivement une langue à part entière, comparable dans ses usages aux dialectes à partir desquels elle s’était formée. C’est éventuellement cette langue supradialectale, artificielle, que l’on peut baptiser de « francien » – à condition de ce souvenir que ledit « francien » n’est pas un dialecte du français, n’est pas une simple manifestation de la variation diatopique du français, mais le produit de cette variation.
La distribution des langues en présence pour le XIIIe siècle ne s’affiche pas comme fondamentalement différente de celle qu’on avait pour le xiie siècle :
La situation linguistique au XIIIe siècle
Au XIIe siècle | Au XIIIe siècle | |
Langue du roi | français | français |
Langue de l’administration | latin classique (+ français) |
latin classique (+ français) |
Langue de la diplomatie | français | |
Langue véhiculaire | français dialectal + français supradialectal |
français supradialectal |
Langue du culte | latin chrétien | latin chrétien |
Langue de la culture | latin classique + français supradialectal |
latin classique + français supradialectal |
Langue du savoir scientifique | latin classique + français supradialectal |
latin classique + français supradialectal |
Langue d’enseignement | latin classique | latin classique |
Langue vernaculaire | français dialectal | français dialectal |
La seule nouveauté du tableau de synthèse est l’introduction d’une langue de la diplomatie, mais celle-ci qui n’est jamais qu’un sous-emploi de la langue véhiculaire. Toutefois les emplois de cette langue véhiculaire touchent désormais tellement de groupes sociaux qu’elle efface complètement le statut du latin classique dans cette fonction.