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Le français des poètes

En dépit de cette tentative, réelle ou fictive, d’ériger en norme la langue parlée dans la sphère royale, ce n’est pas de cette sphère royale qu’émergera la langue française, mais du milieu des poètes.

Les trouvères (poètes de langue d’oïl), et dans une moindre mesure les troubadours (poètes de langue d’oc), étaient des artistes obligés de se déplacer pour pouvoir vivre de leur art et donc obligés d’adapter leurs œuvres à chaque région traversée et à chaque situation linguistique nouvelle. Les troubadours, poètes de cour, avaient une situation peut-être un peu plus stable que les trouvères, mais stabilisés ou non, les uns et les autres ne trouvaient bien souvent à vivre de leur art qu'à distance des lieux où ils avaient vu le jour et pouvaient aussi bien se trouver mêlés à des joutes poétiques impliquant des poètes venus d'autres régions qu'eux.

La « France » de l’époque étant caractérisée par sa fragmentation dialectale, la langue parlée d’une ville à l’autre, d’un village à l’autre variait parfois très sensiblement. S’il est vrai qu’on pouvait se faire comprendre de proche en proche, plus on s’éloignait de sa zone d’origine, comme c’était le cas de nombres de poètes, plus l’espoir de se faire comprendre diminuait. Or de cette intercompréhension dépendait la notoriété des poètes… et de leur notoriété, leur gagne-pain. L’enjeu était donc important.

Définition : Intercompréhension
L’intercompréhension est la capacité à se comprendre entre locuteurs de langues différentes.

C’est ainsi qu’au XIIe siècle (époque de Conon de Béthune et de Chrétien de Troyes) a commencé à se mettre en place une langue véhiculaire forgée artificiellement par les poètes pour se faire comprendre d’une région dialectale à l’autre. À la fin du Moyen Âge, le français des poètes était devenu un artéfact qui reprenait aux différents dialectes les éléments qui leur étaient communs, ce qui facilitait l’intercompréhension, mais elle éliminait les différences trop marquées, génératrices d’incompréhension.

Bien sûr, toute trace dialectale n’avait pas disparu de la langue des poètes du Moyen Âge, sinon on n’aurait pas pu identifier Rutebeuf comme champenois, ni Jean Bodel comme picard (encore que d’autres éléments que la langue entrent ici en considération), mais les traits dialectaux qui subsistaient dans la langue des poètes n’étaient pas suffisamment marqués pour nuire à la compréhension et à l’intercompréhension.

Cette démarche des poètes est importante pour l’histoire de l’espace francophone, car le besoin de communiquer entre régions de dialectes différents va se faire sentir dans d’autres contextes que le contexte poétique, et la démarche des poètes, visant à communiquer dans une variante supradialectale de la langue, sera à chaque fois copiée. D’une certaine manière, le français est né du processus communicatif mis en place par les poètes de cette époque.

Avec cet artéfact, nous sommes très loin de l’idée d’un dialecte de Paris, le supposé « francien », d’où proviendrait la langue française, mais c’est peut-être parce que, justement, Paris ne disposait pas d’un dialecte propre qu’elle pouvait devenir le lieu privilégié de l’éclosion de cette langue de synthèse.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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