Le latin classique est ainsi devenu dans l’empire de Charlemagne non seulement une langue de communication, ce qu’ambitionnait Charlemagne, mais aussi une langue de culture et une langue d’enseignement, la langue du pouvoir et de l’Église, la langue de l’administration ; plus symboliquement, le latin classique est alors devenu la langue de l’unification de ce vaste empire que Charlemagne venait de (re)construire.
Mais on se souvient que Charlemagne avait aussi la volonté de promouvoir sa langue maternelle comme langue véhiculaire. Même si ce souhait ne s’est pas réalisé, Charlemagne est resté attaché à sa langue maternelle, qu’il a continué de pratiquer, notamment avec les notables de la cour dont le francique était également la langue maternelle, ce qui nous incite à faire ici la différence entre la langue de l’administration impériale – le latin classique –, la langue de l’empereur – le francique – et la langue du pouvoir (c’est-à-dire la langue dans laquelle le pouvoir est exercé par l’empereur) – le latin classique et le francique, en partage.
À ce stade, de telles distinctions peuvent paraître subtiles, voire artificielles, mais elles prendront tout leur sens dans la suite de notre parcours dans l’histoire de la langue française. Dans le contexte de la renaissance carolingienne, cette distinction permet de faire la part entre la langue véhiculaire de l’administration impériale – ce que nous venons de désigner sous le nom de « langue du pouvoir » – et la langue véhiculaire de la population, qui ne se confondent pas : en effet, si le latin classique est devenu la langue de communication de l’administration impériale, le gallo-roman demeurait la langue de communication des populations de nos régions.
Ainsi, durant la période carolingienne, comme précédemment, le latin classique, soutenu par Charlemagne, remplissait davantage de fonctions que la langue vulgaire, le gallo-roman, qui n’en demeurait pas moins la langue majoritaire.
Le gallo-roman aurait dû devenir aussi la langue du culte à l’issue des conciles de 813, où il avait été recommandé aux prêtres de s’adresser aux fidèles en langue « romane rustique ». Mais nous manquons de témoignages pour déterminer si ces recommandations ont été aussitôt suivies d’effet.
La situation linguistique de la zone d’éclosion de la langue française durant la renaissance carolingienne, à l’aube de la naissance du français se présente donc comme suit :
La situation linguistique durant la période carolingienne
Durant la période franque | Durant la période carolingienne | |
Langue du roi | francique | |
Langue du pouvoir | latin classique + francique | |
Langue de l’administration | latin classique | latin classique |
Langue véhiculaire | gallo-roman | gallo-roman |
Langue de référence | latin classique | latin classique |
Langue d’enseignement | latin classique | latin classique |
Langue du culte | latin chrétien | latin chrétien (+ gallo-roman) |
Langue vernaculaire | gallo-roman + francique | gallo-roman |