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Pièce 2 : Ci commence l’art de dictier et de fere chançons, balades, virelais et rondeaulx (MCCCXCVI)

Ci commence l’art de dictier et de fere chançons, balades, virelais et rondeaulx, et comment anciennement nul ne osoit apprandre les .VII. ars liberaulx ci naprés declaréz, se il n’estoit noble                        394a
Entre les .vii. ars et sciences par lesquelles ce present monde est gouverné, et qui sont appelléz ars liberaulx, pour que que anciennement nul, se il n’estoit liberal, c’est a dire fils de noble homme et astrait de noble[1] lignie, n’osoit aprandre aucun d’iceuls ars, c’est assavoir : Gramaire, Logique, Rhetorique, Geometrie, Arismetique, Musique et Astronomie, lesquelz ars trouva, du tiers aige du monde et au temps de Habraham, Zozoastres, qui regnoit en Baterie et pour ce[2], est le premier et principal ars Gramaire, par lequel l’en vient et aprant tous les autres ars par la figure[3] des letres de A, B, C, que les enfans aprannent premierement, et par lesquelz aprandre et sçavoir l’en peut venir a toute science, et monter de la plus petite letre jusques a la plus haulte.
Logique est aprés une science d’arguer choses faintes et subtiles, coulourees de faulx argumens, pour discerner et mieulx congnoistre la verité des choses entre le faulx et le voir, et qui rent l’omme plus subtil en parole et plus habille entre les autres.
Rhetorique est science de parler droictement, et a quatre partie en soy a lui ramenees, toutes appliquees a son nom ; car tout bon rhetoricien [394b] doit parler et dire ce qu’il veut moustrer saigement, briefment, substancieusement et hardiement.
De Geometrie
Geometrie est science de mesurer et faire par proporcion la taille des pierres et des merriens, et la perfection des tours rondes et quarrees ; de faire et edifier les chasteaulx, salles et maisons pour habiter, les clochiers et autres edifices en ront, en triangle et en quarreure, et les mener droit sanz boce jusques a leur perfection ; faire tonneaulx et autres vaisseaulx de certaines pieces, longueur et grosseur, et aucunefois cornus, comme sont les baingnoueres et autres vaisseaulx, par contrainte de cercles de certaines pongnies, par les lieures des osiers ; faire nez et galees en mar. Et cest art[4] s’applique aux[5] fevres, charpentiers et maçons, ausquelz, se ilz sont bons ouvriers de leurs mestiers, il fault comprandre et avoir en yamginacion de leur pensee toute la fourme et la perfection d’un chastel, d’une maison, d’un grant vaissel et des circonstances, avant que il soit commencé, et faire la forme et mesure de chascune pierre, et ainsi des autres.
Arismetique est science de getter et compter par le nombre des augorisme[6] et autre nombre commun, et de mesurer et arpenter les terres, [394c] les boys et choses semblables, pour sçavoir la haulteur des choses en alant vers le ciel ; la largeur des eaues et des rivieres, la parfondeur des puis et des concaves de la terre ; de sçavoir les heures, les temps, les minutes et les momens ; pour sçavoir le commencement des jours et des nuis, des sepmaines, des moys et des ans ; pour venir au grant miliaire et sçavoir par ce nombre, en querculant, la revolucion des temps et congnoistre le cours du souleil et de la line, et du zodiaque ; sçavoir la maniere du poys et de la loy des monnoyes, tant en or comme en argent, les dragmes, caras, demi dragmes et les empirances ; et a venir par getter et compter en montant et plutipliant son nombre de la plus petite somme jusques a la plusgrande et haulte ; et pour congnoistre selon les espaces des charpenteries, a veoir les cours des toiz par un des cours seulement, quans milliers de clou et de late et de tieulle il avra sur un toit, et ainsi des autres choses en ce cas. Et cest art appartient asséz sçavoir aux monnoyers et changeurs, et si fait il bien aux astronomiens pour les jugemens de leur science.
Astronomie est une science de la congnoissance des estoilles et des sept planettes erratiques et prin[394d]cipales, c’est assavoir : Mars, Mercurius[7], Saturnus, Jupiter, Sol et Luna ; de leurs influences et disposicions selon leurs qualitéz et conjunctions en divers signes et leurs oppositions, pour jugier des inclinacions naturelles des hommes selon leur nativité[8], et aussi des fertilitéz ou sterilitéz des terres et des fruis, des chauls[9] et des froiz, des sentéz et maladies des gens et des bestes ; de sçavoir le compost du souleil et de la lune, de partir les ans et trouver les bisextes et leurs conjunctions des lunes pour ordonner leurs saingnies, et les temps de prandre medicine, et autres choses qui de ce se despendent.
Musique est la derreniere science ainsis comme la medecine des.vii. ars ; car quant le couraige et l’esperit des creatures ententives aux autres ars dessus declairéz sont lasséz et ennuyez de leurs labours, musique, par la douçour de sa science et la melodie de sa voix, leur chante par ses .vi. notes tierçoyees, quintes et doublees, ses chans delectables et plaisans, lesquelz elle fait aucunefois en orgues et chalumeaux par souflement de bouche et touchement de doiz ; autrefoiz en harpe, en rebebe, en vielle, en douçaine, en sons de tabours, en fleuthes et autres instrumens musicans, tant que par sa melodie delectable les cuers et esperis de ceuls qui auxdiz ars, par pensee, ymaginaison et labours de bras estoient traveilliéz [395a] pesans et ennuiéz, sont medicinéz et recreéz, et plus habiles aprés a estudier et labourer aux autres.vi. ars dessus nomméz.
Et est a sçavoir que nous avons deux musiques, dont l’une est artificiele et l’autre est naturele.
L’artificiele est celle dont dessus est faicte mencion ; et est appellee artificielle de son art, car par ses .vi. notes, qui sont appellees us, ré, my, fa,, sol, la, l’en puet aprandre a chanter, acorder, doubler, quintoier, tierçoier, tenir, deschanter, par figure de notes, par clefs et par lignes, le plus rude homme du monde, ou au moins tant faire, que, supposé ore qu’il n’eust pas la voix habile pour chanter ou bien acorder, sçaroit il et pourroit congnoistre les accors ou discours avecques tout l’art d’icelle science, par laquelle et les notes dessus dictes l’en acorde et donne l’en son divers aux aciers, aux fers, aux boys et aux metaulx, par diverses infusions interposees d’estain, de plomb, d’arain et de cuivre, si comme il puet apparoir es sons des cloches mises en divers orloges, lesqueles par le touchement des marteaulx donnent sons acordables selon lesdictes.vi. notes, proferans les sequences et autres choses des chans de saincte Eglise. Et ainsi puet estre entendu des autres instrumens des voix comme rebebes, guiternes, vielles et psalterions, par la [395b] diversité des tailles, la nature des cordes et le touchement des doiz, et des fleutes et haulx instrumens semblables, avecques le vent de la bouche qui baillié leur est.
L’autre musique est appellee naturele pour ce qu’elle ne puet estre aprinse a nul, se son propre couraige naturelment ne s’i applique, et est une musique de bouche en proferant paroules metrifiees, aucunfoiz en laiz, autrefoiz en balades, autrefoiz en rondeaulx cengles et doubles, et en chaçons baladees, qui sont ainsi appellees pour ce que le[10] refrain d’une balade sert tousjours par maniere de rubriche a la fin de chascune couple d’icelle, et la chançon baladee de trois vers doubles a tousjours, par difference des balades, son refrain et rebriche au commencement, que aucuns appellent du temps present virelays. Et ja soit ce que cest musique naturele se face de volunté amoureuse a la louenge des dames, et en autres manieres, selon les materes et le sentement de ceuls qui en ceste musique s’appliquent, et que les faiseurs d’icelle ne saichent pas communement la musique artificiele ne donner chant par art de notes a ce qu’ilz font, toutesvoies est appellee musique ceste science naturele, pour ce que les diz et chançons par eulx faiz ou les livres metrifiéz se lisent de bouche, et proferent par [385c] voix non pas chantable, tant que les douces paroles ainsis faictes et recordees par voix plaisent[11] aux escoutans qui les oyent, si que au Puy d’amours anciennement et encores [est] acoustuméz en pluseurs villes et citéz des pais et royaumes du monde.
Ceuls qui avoient et ont acoustumé de faire en ceste musique naturele serventois de Nostre Dame, chançons royaulx, pastourelles, balades et rondeaulx, portoient chascun ce que fait avoit devant le Prince du puys, et le recordoit par cuer, et ce recort estoit appelé en disant, aprés qu’ilz avoient chanté leur chançon devant le Prince, pour que que neant plus que l’en pourroit proferer le chant de musique sanz la bouche ouvrir, neant plus pourroit l’en proferer ceste musique naturele sanz voix et sanz donner son et pause aux dictez qui faiz en sont.
Et aussi ces deux musiques sont si consonans l’une avecques l’autre, que chascune puet bien estre appellee musique, pour la douceur tant du chant comme des paroles qui toutes sont prononcees et pointoyees par douçour de voix et ouverture de bouche ; et est de ces deux ainsis comme un mariage en conjunction de science, par les chans qui sont plus anobliz et mieulx seans par la parole et faconde des diz qu’elle ne seroit seule de soy. Et semblablement [395d] les chançons natureles sont delectables et embellies par la melodie et les teneurs, trebles et contreteneurs du chant de la musique artificiele. Et neantmoins est chascune de ces deux plaisant a ouir par soy ; et se puet l’une chanter par voix et par art, sans parole ; et aussis les diz des chançons se puent souventefoiz recorder en pluseurs lieux ou ilz sont moult voulentiers ois, ou le chant de la musique artificiele n’aroit pas tousjours lieu, comme entre seigneurs et dames estans a leur privé et secretement, ou la musique naturele se puet dire et recorder par un homme[12] seul, de bouche, ou lire aucun livre de ces choses plaisans devant un malade, et autres cas semblables ou le chant musicant n’aroit point lieu pour la haulteur d’icellui, et la triplicité des voix pour les teneurs et contreteneurs necessaires a ycellui chant proferer par deux ou trois personnes pour la perfection dudit chant.
Et de ceste musique naturele, et comment homme, depuis qu’il se met naturelment a ce faire, ce que nul, tant fust saiges le maistre ne le disciple, ne lui sçavroit aprandre, se de son propre et naturel mouvement ne se fai[396a]soit, vueil je traictier principaument, en baillant et enseignant un petit de regle ci aprés declaree a ceuls qui [13]nature avra encliné ou enclinera a ceste naturele musique, afin que ilz saichent congnoistre les façons et couples des lais, la maniere des balades, chançons et rondeaulx en pluseurs et diverses manieres ; quelz lettres sont les voieulz et queles les liquides et les consonans ; et comment, en metrifiant, deux voieulx ensuians l’un l’autre menguent la moitié d’une silabe ; quelles rymes sont consonans et quelles leonimes, et queles equivoques ; par quantes manieres se puent faire balades et de quans vers, et comment elles se puent copper.
Et premierement pour avoir l’introduction de ce que dit est, je commenceray a la declaracion des voieulz en la maniere qui s’ensuit. C’est assavoir que nous avons cinq voyeulx principaulx : a e i o et[14] u. Et sont diz voyeulx, pour ce que sans yceulx ou aucun d’eulx ne se peut former voix ne sillabe de lettre ne mot que l’en peust prononcer ne proferer a nul vray entendement. Et entre ces cinq voyeulx en y a deux, c’est assavoir e[15] et u, qui se mettent bien ensemble, ainsi comme Julien[16], Vivien, ou ainsi[17] comme Jacob et Vates.
Item les liquides sont : b, c, d, f, g, k, l, m, n, q, r, s, t, x, v, z. Et n’est pas h proprement lettre, mais n’est que une aspiracion sonnant se[396b]lon la maniere des noms, ainsi comme se on vouloit dire hannequin ou hannote, qui sanz ladicte h n’aroit pas[18] son plain son, ainçois diroit on annequin et annote. Et desdictes liquides les unes sont consonans, les autres demi voyeux, et les autres mutes, qui donnent pou ou neant de son. Et sont les six demi voyeux s, l, m, n, r et x ; et sont appeléz demi voyeux pour ce que ilz commencent en voyeul et terminent par eulx meismes. Item les neufs lettres [19] mueles et qui point ne donnent de son ne de fin en sillabe se trop po[20] non, sont.ix. C’est assavoir b, c, d, f, g, k, p, q, t, lesquelles sonnent trespou au regard des autres lettres. Z et x ont double consonant et font leur posicion si comme dixit et Gaza. Et sont lesdictes liquides comme l, m, n, r, qui font la sillabe brieve, si comme est Ysabel, Marion, Jehan, Robert et eureux ; et par ceste regle puet estre congneu en brief ce qui est voyeul, demi voyeul, liquide, sonnant et mueles[21] des[22] lettres de l’A, B, C, par lesquelles tout langaige latin et françois est escript et proferé.
Or sera dit et escript cy aprés la façon des Balades
Et premierement est assavoir que il est balade de huit vers, dont [396c] la rubriche est pareille en ryme au vers antesequent, et toutefois que le derrenier[23] mot du premier ver de la balade est de trois sillabes, il doit estre de .xi. piéz, si comme il sera veu par exemple cy aprés ; et se le derrenier mot du second ver n’a qu’une ou deux sillabes, ledit ver sera de dix piéz ; et se il y a aucun ver coppé qui soit de cinq piéz, cellui qui vient aprés doit estre de dix.
Exemple sur ce que dit est
Balade de .viii. vers couppéz[24]
                        Je hez mes jours et ma vie dolente
                        Et si maudis l’eure que je fu nes,
                        Et la mort humblement me presente
                        Pour[25] les tourmens dont je suy fortunéz.
5                                  Je hez ma concepcion
                        Et si maudi ma constellation
                        Ou Fortune me fist naistre premier,
                        Quant je me voy de touz maulx prisonnier.[26]
                        [Car povreté chascun jour me tourmente,
10                    Par son fait sui hayz et diffaméz,
                        Chascuns me fuit, ne nulz ne me parente,
                        Les riches voy trop bien emparentéz.
                                    Ceulz ont indignacion
                        De moy veoir de qui creacion
15                    Je sui estraiz, si sui plus bas que biers,
                        Quant je me voy de toux maulz parsonniers.
                        Helas ! il n’est nul, tant sage se sente,
                        Se riches n’est, qui ja soit honoréz.
                        Maiz s’un homme a trois cens livres de rente,
20                    Tant soit cocart, chascuns sera paréz
                                    En dissimulacion
                        De li faire grans inclinacion.
                        Or sui povres, je vy a grans dengiers
                        Quant je me voy de tous maulx parsonniers.]
Et est ceste balade leonime, par ce qu’en chascun ver elle emporte sillabe entiere, aussi comme dolente et presente, concepcion et constellacion.
Autre balade[27]
                        De tous les biens temporelz de ce monde
                        Ne se doit nulz roys ne sires clamer,
                        Puisque telz sont que Fortune suronde
                        Le plus puissant puet l’autre deserter,                                            396d
5                      Si qu’il n’est roy, duc n’empereur de Romme
                        Qui en terre puist vray tiltre occuper
                        Ne dire sien, fors que le sens de l’omme.[28]
                        [Veoir [le] puet chascun a la reonde
10                    En pluseurs cas. Soit en terre ou en mer,
                        Tant par guerre, ou convoiteux sefonde,
                        Comme autrement, voit l’en estat muer,
                        Riche apovrir, et le povre eslever,
                        Le fort ravir qui le plus assomme ;
15                    Si ne doit nulz telz biens attribuer
                        Ne dire sien fors que le sens de l’omme
                        Mais par bon sens ou science profonde,
                        Que l’en ne puet a creature oster,
                        Se puet chascun maintenir net et monde
20                    Et en touz lieux saigement gouverner.
                        Si puis par ce conclure et vueil prouver
                        Qu’es biens mondains n’a vaillant une pomme.
                        Homs, quel qu’il soit, [dont] ne se doit vanter,
                        Ne dire sien fors que le sens de l’omme.]
Ceste balade est moitié leonime et moitié sonant, si comme il apert par monde, par onde, par homme, par Romme, qui sont plaines sillabes et entieres ; et les autres sonans tant seulement, ou il n’a point entiere sillabe, si comme clamer et oster[29] ou il n’a que demie sillabe, ou si comme seroit prensetement et innocent. Et ainsi es cas semblables puet estre congneu qui est leonime ou sonnant.
Exemple de Balade de .ix. vers toute leonyme[30]
                        Vous qui avéz pour passer vostre vie
                        Qui chascun jour ne fait que defenir,
                        Vous vives frans sanz viande ravie,
                        Se du vostre vous pouéz maintenir.
5                      Or vous vueilliéz du serf lien tenir
                        Ou pluseurs par couvoitise
                        Ont perdu corps, esperit et franchise ;
                        C’est de servir autrui, dont je me lasse :
                        Vieillesce vient, guerdon fault, temps se passe.[31]
10                    [Car cil qui sert plus tost muert et devie
                        Que cilz qui peut fanchise retenir.
                        Pourquoy ? Pour ce que Mesdis et Envie
                        Regnent sur lui. Je l’ai veu advenir
                        En maintes cours. Par ce puis soustenir
15                    Que sil fait folle entreprinse
                        Qui joie fuit et de dueil fait sa prinse :
                        Car en servant avec son corps qui casse,
                        Viellesce vient, guerdon fault, temps se passe.
                        Mais cilz qui vit du sien a chiere lie,
20                    Et qui se puet par son labour chevir,
                        Vit longuement et sanz merancolie
                        Et si se puet loyaument enrrichir
                        Sanz telz meschiefs ne telz paours souffrir.
                        Et pour ce quant je m’avise,
25                    Vueil Dieu servir et aler a l’esglise,
                        Vivre du mien, ne me chaut qui amasse :
                        Viellesce vient, guerdon fault, tempsse passe.]
Exemple de balade de dix vers de .x. et .xi. sillabes
Et se doit on tousjours garder en faisant balade, qui puet, que les vers ne soient pas de mesmes piéz, mais doivent restre de .ix. ou de .x., de .vii. ou de .viii. ou de .ix., selon ce qu’il plaist au faiseur, sanz les faire touz egaulx [397a], car la balade n’en est pas si plaisant ne de si bonne façon.
Autre Balade[32]
                        Pour quoy fina par venin Alixandre,
                        Qui si puissans fut et si fortunéz
                        Que le monde soubmist en aage tendre,
                        Et commença.xv. ans puis qu’il fut nez
5                      A conquerir ? Comment du destinéz
                        Cilz qui conquist Ynde[33], ce fut Pompee ?
                        Aprés Thessale ot la teste couppee,
                        En Egipte le fist ly roys fenir
                        Tholomee[34], par traison dampnee :
10                    Toudis avient ce qu’il doit avenir.[35]
                        [Comment osa Jason la Toison prandre ?
                        Ly premiers fut qui fist faire grant nefs.
                        Comment osa ravir ne entreprandre
                        Helaine puis Paris li forsenéz ?
15                    Troye, Ylion en furent deffinéz,
                        Hector li preux, destruite la contree.
                        Agamenon, Gregois et leur armee,
                        Destruirent tout. Mais a leur revenir
                        Perirent tuit, po de gent exceptee :
20                    Toudis avient ce qui doit advenir.
                        Julles Cesar auquel Romme voult rendre
                        Comme empereur triumphe et dignitéz,
                        Qui saige fut ne se sceut pas deffendre,
                        Et si tenoit lettres des conjuréz
25                    Encontre lui, qu’il ne fust mors ruéz
                        Si tost qu’il fist ou Capitole entree.
                        Est ainsis donc a chascun destinee
                        Sa vie ou mort, de perdre ou conquerir ?
                        Je croy qu’oil. Chascuns a sa journee :
30                    Toudis advient ce qu’il doit advenir.
                        L’envoy
                        Princes, je tien quant a la loy donnee
                        Que Franc Vouloir se puet contretenir
                        Mais quant au ciel de sa cause causee,
                        Toudis advient ce qu’il doit advenir.]
Autre Balade[36]
                        Depuis que le diluge fu
                        Et que les cinq citéz fondirent
                        Par leur pechié, par ardent fu,
                        Que Loth et sa femme en yssirent,
5                      Ne puis que les prophetes dirent
                        Les maulx dont ly mons seroit plains
                        Pres de la fin, li noms Dieu vains
                        Et sa loy escandalisee,
                        Ne fu li termes si prochains
10                    D’estre monarchie muee.[37]
                        [Comme il est, car nulle vertu                                                            257c
                        Ceuls de ces .vii. aages ne firent.
                        Tout est a present corrompu,
                        Tous estaz mal faire desirent,
15                    Doleur fut que telz gens nasquirent,
                        Orgueilleus, convoiteus, haultains,
                        Lasches, couars, de cuer villains.
                        Dont la parole yert avoiree,
                        Dedenz vint ans, po plus po moins,
20                    D’estre monarchie muee.
                        Car on vent les biens de Jhesu
                        Autrement qu’apostre ne firent,
                        Et justice n’a point d’escu :
                        On het tous ceuls qui l’establirent.
25                    Nostre ancien pas ne trairent
                        L’un l’autre, mais a ses deux mains
                        Veult destruire, le plus le moins,
                        Guerre, sanz paix faire, a l’espee.
                        Et par ce avons signes certains
30                    D’estre monarchie muee.
                        L’envoy
                        Princes, selon les diz des sains,
                        Pour leurs pechiéz seront estains
                        Les pecheurs en place ordonnee
                        Prouchainement. De leur sang tains
35                    Seront les champs. C’est li vrais saings
                        D’estre monarchie muee.]
Balade equivoque, retrograde et leonime
Et sont les plus fors balades qui se puissent faire, car il couvient que la derreniere sillabe de chascun ver soit reprinse au commencement du vers ensuivent, en autre signification et en autre sens que la fin du ver precedent. Et pour ce sont telz mos [397b] appelléz equivoques [38] et retrogrades, car en une meïsme semblance de parler et d’escripture ilz huchent et baillent signification et entendement contraire des mos derreniers mis en la rime, si comme il apparra en ceste couple de balade[39] mise cy aprés :
Autre Balade[40]
                        Lasse, lasse, maleureuse et dolente !
                        Lente me voy, fos de soupirs et plains.
                        Plains sont mes jours d’ennuy et de tourmente ;
                        Mente qui veult, car mes cuers est certains,
5                      Tains jusqu’a mort et pour celli que j’ains ;
                        Ains mais ne fu dame si fort atainte ;
                        Tainte me voy quant il m’ayme le mains.
                        Mains, entendéz ma piteuse complainte.[41]
                        [Plainte seray quant j’aym de vraye entente.
10                    Ente en semblant a doulce fueille et rains,
                        Rains en folour qui le semblant faulx plente,
                        Plente qui a deceu maintes et maints :
                        Mains, tuéz moy, quant il est si villains.
                        L’ayns je ? Nenil, puisqu’il m’a s’amour fainte.
15                    Fainte est s’amour par tel douleur par mains :
                        Maints, entendéz ma piteuse complainte.
                        De lui amer m’avoit mis en la sente.
                        Sente qui veult que d’autre est ses cuers sains.
                        Sains, vengiéz moy. Mes maulx vous represente.
20                    Presente suy, qui fais douloureux clains.
                        Clains m’en a Dieu, car mes cuers est emprains,
                        Prains de la mort qui m’a pour lui enceinte.
                        Sainte Juno, vez les maulx ou je mains !
                        Maints, entendéz ma piteuse complainte.]
Et couvient[42] que tous les couples se finent par la maniere dessurdicte tout en equivocacion retrograde, ou autrement elle ne seroit pas dicte ne reputee pour equivoque ne retrograde, supposé[43] ore que le derrenier [mot] du ver se peust reprandre a aucun entedement du ver ensuiant, se il ne reprenoit toute autre chose que le precedent.
Autre Balade de .ix. et de .viii. piéz et de .viii. vers de ryme pareilles, ce semble, par la maniere de l’escripre, qui est une mesme escripture, et par lettres semblables
Et ne se pourroit congnoistre que par la maniere du prononcer en langue françoise, car les mos [397c] sonnent par la prononciacion l’un mot une chose et l’autre une autre ; et ainsi semble que nous aions deffault de lettres selon mesmes les Hebrieux ; et apparra cy aprés par la lecture.
Item en ladicte balade a envoy. Et ne les souloit on point faire anciennement fors es chançons royaulx, qui estoient de cinq couples, chascune couple de .x., .xi. ou .xii. vers ; et de tant se puelent bien faire, et non pas de plus, par droicte regle. Et doivent les envois d’icelles chançons, qui se commencent par Princes, estre de cinq vers entéz par eulx aux rimes de la chançon sanz rebrique ; c’est assavoir .ii. vers premiers, et puis un pareil de la rebriche ; et les .ii. autres suyans les premiers, deux concluans en substance l’effect de ladicte chançon et servens a la rebriche. Et l’envoy d’une balade de trois vers ne doit estre que de trois vers aussi, contenant sa matere et servant a la rebriche, comme il sera dit cy aprés :
Autre Balade[44]
                        Chascuns se plaint, chascuns ordonne
                        Sur ce que Dieux a ordonné ;
                        L’y uns dit, quant il pluet ou tonne :
                        ―  Que n’a Dieux le beau temps donné ?
5                      Las ! C’est trop pleu et trop tonné !
                        S’il fait chaut, on souhaide froit,
                        Pourquoy est on si mal sené ?
                        Encor est Dieux ou il souloit.
                        [L’un dit quant une cloche sonne :
10                    ― Ne sera ce jamais sonné ?
                        S’un autre charpente ou massonne,
                        Assés en sera sermonné.
                        Il n’est homme de mere né                                                                 262c
                        Qui il souffise ce qu’il voit
15                    Ne qui ait bien ymaginé :
                        Ancor est Diex ou il souloit,
                        Qui ses biens par tout habandonne,
                        Et de pluseurs est indigné,
                        Pourveent a toute personne,
20                    Qui tost a le lait temps finé,
                        Les biens, le soleil ramené,
                        Et qui en tous cas nous pourvoit.
                        Souffrons ce qu’il a destiné :
                        Ancor est Dieu ou il souloit.]
                        L’envoy
                        Princes, chascuns veult mettre bonne
                        Aux euvres [de] Dieu qui tout voit ;
                        C’est pechiéz, sa justice est bonne :                                                  397d
                        Encor est Dieux ou il souloit.
D’autres Balades de.vii. vers
Item encores peut l’en faire balades de .vii. vers, dont les deux vers sont tousjours de la rebriche, si comme il puet apparoir cy aprés :
Balade[45]
                        Par fondement me doy plaindre et plourer,
                        Et regreter des .ix. preux la vaillance,
                        Car je voy bien que je ne puis durer.
                        Confort me fuit, Honte vers moy s’avance,
5                      Couvoitise met en arrest sa lance
                        Qui me destruit mon plus noble pais.
                        Preux Charlemaine, se tu fusses en France,
                        Encor y fust Roland, ce m’est advis.
                        Alixandres, qui ot a justicier
10                    Tout le monde par sa bonne ordonnance,
                        Quant il sçavoit un povre chevalier,
                        Armes, chevaulx li donnoit et finance,
                        Pour sa bonté li faisoit reverence.
                        De ce faire sont les plus haulx remis.
15                    Preux Charlemaine, se tu fusses en France,
                        Encor y fust Roland, ce m’est advis.
                        Car chascun jour me fault amenuisir,
                        Par le default de vraye congnoissance,
                        Et par Deduit qui tient en son dangier
20                    Celuy[46] qui doit en moy mettre deffense,
                        Par le jeune conseil qu’il a d’enfance,
                        Dont Roboam fut convaincus jadis.
                        Preux Charlemaine, se tu fusses en France,
                        Encor y fust Roland, ce m’est advis.
Autre Balade[47]
                        S’Ector li preux, Cesar et Alixandre,
                        Deyphille, Tantha, Semiramis,                                                           398a
                        David, Judas Machabé, qui tendre
                        A subjuguer vouldrent leurs ennemis,
5                                  Josué, Panthasilee,
                        Ypolite, Tamaris l’onouree,
                        Artus, Charles, Godefroy de Buillon,
                        Marsopye, Menalope, dit l’on,
                        Et Synope, qui eurent cuers[48] crueux,
                        Revenoient tout en leur region,
                        Du temps qui est seroient merveilleux.[49]
                        [Si fist par lui Hector mourir et rendre
                        .xix. roys deffendant son pais.
                        France conquist, Angleterre sceut prendre
15                    Cesar. Par luy fut Pompee fuitis.
                                    Alixandre avironnee
                        A du monde la terre et conquestee.
                        Semiramis midi, septemtrion,
                        Ethiope mist a sugettion,
20                    Et Babbiloine, ains trecer ses cheveulx.
                        Mais eulx, veans la persecucion
                        Du temps qui est, seroient merveilleux.
                        Deyphile fist ardoir et emprandre
                        Thebes la grant. Tantha Rommains osubmis
25                    A pluseurs fois. David tourna en cendre
                        De Goulias l’orgueil qu’il ot emprins.
                                    Judas, pour la loy hebree,
                        A Apoloyne et Anthioque ostee
                        Vie des corps. Josué, ce scet on,
30                    .xl. roys mist a sa dittion
                        Et.vii. encor. Mais se preues et preux
                        Pouoient vir la tribulacion                                                                  138c
                        Du temps qui est, seroient merveilleux.
                        Au roy Priant Panthasilee entendre
35                    Contre Gregois voult et servir[50] jadis,
                        Et Ypolite osa bien entreprandre
                        Conte Herculés et Heseus hardis,
                                    Ceuls soubmist sa renomme.
                        Et Thamaris la force a subjuguee
40                    Du roy Cyrus. D’Artus vindrent Breton.
                        Sesne, Espaingnol furent du roy Charlon
                        Et leurs pais a plain conquis touz deux.
                        Mais eulx vivans aroient marrison,
                        Du temps qui est seroient merveilleux.
45                    Duc Godefroy de touz n’est pas le mendre,
                        Jherusalem conquist et le pais
                        Marsopie. N’ot pas le cuer trop tendre
                        Europe, fut Ephesun par lui prins.
                                    Synope royne clamee
50                    Fut a ce temps, de Femenye nee
                        Menalope, subjuguerent maint bon.
                        Mais qui verroit le mal, la traison,
                        Les faussetéz et les gens convoiteux,
                        Qui au monde regnent et leur renon,
55                    Du temps qui est seroient merveilleux.]
                        L’envoy
                        Princes, se ceuls qui orent si grant nom
                        N’eussent tendu a ce qui estoit bon,
                        Leur renom fust en ce monde doubteux ;
                        Or ont bien fait, et pour ce les loon[51] ;
60                    Mais se tout vir pouoient par raison,
                        Du temps qui est seroient merveilleux.
Serventois sont faiz de cinq couples comme les chançons royaulx ; et sont communement de la Vierge Marie, sur la Divinité ; et n’y souloit on point faire de refrain, mais a present on les y fait, servens comme en une balade ; et pour ce que c’est ouvrage qui se porte au Puis d’amours[52], et que nobles hommes n’ont pas acoustumé de ce faire, n’en faiz cy aucun autre exemple.
De la façon des Virelais[53]
[398b] Aprés s’ensuit l’ordre de faire chançons baladees, que l’on appelle virelais, lesquelz doivent avoir trois couples comme une balade, chascune couple de deux vers, et la tierce semblable au refrain, dont le derrain ver doit, et au plus pres que l’en puet, estre servant a reprandre ledit refrain, ainsi comme le penultime vers d’une couple de balade doit servir a la rebriche d’icelle. Et est assavoir que virelais se font de pluseurs manieres, dont le refrain a aucunefois .iiii. vers, aucunefois .v. aucune .vii., et est la plus longue forme qu’il doye avoir, et les deux vers aprés le clos et l’ouvert doivent estre de .iii. vers ou de deux et demi, brisiéz aucunefoiz, et aucunefois non. Et le ver aprés doit estre d’autant et de pareille rime comme le refrain, si[54] comme il apparra cy aprés :
Serventoys[55]
                        Mort felonne et despiteuse,
                        Fausse, desloyal, crueuse,
                                    Qui regnes sans loy,
                        Je me plaing a Dieu[56] de toy,
5                      Car tu es trop perilleuse.
                        Merveille est que ne marvoy,
l’ouvert                      Quant je voy
                        Morte la plus gracieuse
                        Et la mieudre en bonne foy
10 le clos                    Qui, je croy,
                        Fust onques, ne plus joyeuse.
                        C’est par toy, fause crueuse ;                                                             398c
                        Ta venue est trop doubteuse,
                                    Tu n’as pas[57] d’arroy ;
15                    Espargnier prince ne roy
                        Ne veulz, tant yes orgueilleuse.
                        [Pourquoy pren tu en tel ploy,
                                    Dy le moy,
20                    Joeune gent et vertueuse,
                        Et espargnéz en recoy,
                                    Par anoy,
                        Viellesse la dolereuse ?
                        Tu joues a la courseuse.
25                    Orrible, laide et hideuse,
                                    Fui t’en, je te proy.
                        Va faire ailleurs ton envoy.
                        T’acointance est hayneuse.]
                        Mort felonne et despiteuse.[58]
Autre Serventois[59]
                        Bien doy faire tristement
                        En dueil et en tourment[60]
                                    Mon temps user,
                        Quant je me voy[61] refuser
5                                  Presentement
                        Par un mot trop simplement
                                    Dire ou mande.
                        Las ! qui le me fist penser ?
l’ouvert          Foleur, qui desperer
10                                Fait telement
                        Mon cuer et en plours muer
le clos             Que je ne me puis saouler
                        D’estre dolent.
                        Car ma damme nullement
15                    Ne daingne amoureusement
                                    A moy parler.
                        Mars me fait par tout blasmer
                                    Si durement
                        Qu’en moy n’a fors que tourment
                                    Dur et amer.
                        Bien doy faire tristement,
                        [Or veil Pitié reclamer
                        Qu’elle veuille demander
                                    Piteusement
25                    Merci et grace rouver,
                        Tant que je puisse trouver
                                    Pardon briefment
                        Vers ma dame. Et vrayement
                        A son doulx commandement
30                                Veil amender
                        Le meffait et moy garder
                                    Si fermement
                        Que tousjours par son commant
                                    Vouldray ouvrer.
                        Bien doy faire tristement.][62]
[Virelay][63]
                        Cent mille foiz vous doy remercier,                                                  398d
                        Chiere dame, de vostre doulz octroy,
                        Car vous m’avéz fait plus riche d’un roy
                        Et plus d’onnour que ne puis souhaidier ;
5                      Car maint seigneur garni de noble arroy,
l’ouvert          Riche et vaillant, vers vous poursuir voy
                        Pour vostre bien et vostre honnour traictier,
                        Qui mieulx valent en tous estas de moy.
le clos             Mais je vous aim telement, par ma foy,
10                    Que nulement ne vous puis oublier.
                        Et quant vous plaist de tant humilier
                        Que la douçour de vo parler reçoy,
                        Vous me tenéz en si amoureus ploy
                        Qu’autre aprés vous jamais [avoir] ne quier.
15                    Cent mille foiz vous doy remercier.[64]
                        [Or ne veulléz, dame que j’aim et croy,
                        Moy oublier, ne pour riche conrroy
                        Autre prendre pour mon fait delaissier,
                        Car en ce cas aroye trop d’anoy.
20                    Je languiroye, et bien savéz pourquoy.
                        Vers vous aray tousjours le cuer entier :
                        Faictes autel, ame, je vous requier,
                        Soyéz loyal en l’amoureuse loy.
                        Mon corps vous doing et le cuer vous envoy :
25                    Je ne vous say autre chose bailler,
                        Cent mille foys vous doy remercier etc.]
Rondel sangle[65]
                        Cilz qui onques[66] encores ne vous vit
                        Vous aime fort et desire veoir.
                        Or vous verra, car en cest espoir vit
                        Cilz qui onques[67] encores ne vous vit.
5                      Car pour les biens que chascun de vous dit
                        Vous veult donner cuer, corps, vie et pouoir ;
                        Cilz qui onques encores ne vous vit
                        Vous aime fort et desire veoir.
Autre Rondel[68]
                        Je ne vueil plus a vous, dame, muser ;
                        Vous pouéz bien querir autre musart.
                        Tart m’apperçoy qu’om m’a fait amuser ;
                        Je ne veuil plus a vous, dame, muser.
5                      Ne plus n’espoir en vous mon temps user,
                        Quant d’esprevier sçavéz faire busart.                                             399a
                        Je ne veuil plus a vous, dame, muser ;
                        Vous pouéz bien querir autre musart.
Rondel double
                        Joieusement, par un tresdoulz jouir,
                        En jouissant menrray vie joieuse,
                        Comme cellui qui se doit resjouir
                        Et joie avoir en la vie amoureuse.
5                      Se joieus suy, chascun le puet veir
                        A mon chanter, tresplaisant gracieuse.
                        [Joieusement, par un tresdoulz jouir,
                        En jouissant menrray vie joieuse.][69]
                        Pour ce doy bien vostre amour conjouir,
10                    Et joye avoir, humble flour precieuse ;
                        S’en chanteray tant que l’en puist ouir
                        Que mon chant vient de voix douce et piteuse.
                        Joieusement, par un tresdoulz jouir,
                        En jouissant menrray vie joieuse.
Autre Rondel[70]
                        Au monde n’a au jour d’ui que ces deux,
                        Eur et meseur, a tout considerer,
                        Dont l’un fait bien et l’autre desperer.
                        Aler partout puet cil qui est eureux,
5                      On ne lui puet ne nuire ne grever.
                        Au monde n’a au jour d’ui que ces deux.
                        Mais bien se gart toudis le maleureux,
                        Car il ne puet fors meschance trouver ;
                        Chascun li nuit, si puet dire et prouver :
10                    Au monde n’a au jour d’uy que ces deux.
Rondel[71]
                        Nul ne tendit onques a cheval d’or
                        Qu’il n’en eust la bride a[72] son vivant,
                        Se du querir fut saige et diligent.
                        Diligence est un tresnoble tresor
5                      Et qui a fait enrrichir mainte gent.
                        Nulz ne tendit onques a cheval d’or.                                                399b
                        Le contraire ne vis onques encor,
                        Mais j’ay veu povre de negligent.
                        Or y penséz et sachiéz craiement ;
10                    Nul ne tendit onques a cheval d’or,
                        etc.
Autre Rondel
                        Vo soulz regart, douce dame, m’a mort,
                        S’amours ne fait que voz gentis cuers m’aint[73].
                        Quant en riant a vous amer m’amort,
                        Vo doulz regart, douce dame, m’a mort.
5                      Quar je congnois en sa douçour ma mort
                        Pour la parfaicte amour qui en moy maint ;
                        Vo doulz regart, douce dame, m’a mort,
                        S’amours ne fait que vo gentis cuers m’aint.
Autre Rondel
                        Certes mon oeul richement visa bel,
                        Quant premiers vit ma dame bonne et belle.
                        Pour ce que gent maintien et vis a bel,
                        Certes mons oeul richement visa bel.
5                      Ne fut tel fleur puis que fut vis Abel,
                        Car fleur des fleurs tout li monde l’apelle :
                        Certes mon oeul richement visa bel,
                        Quant premiers vit ma dame bonne et belle.
La façon des Sotes Balades[74] et Pastourelles
Item, quant est aux pastroueles et sotes chançons, elles se font de semblable taille et par la maniere que font les ballades amoureuses, excepté tant que les materes se different [399c] selon la volunté et le sentement du faiseur ; et pour ce n’en faiz je point icy exemple pour briefté et pour abregier ce livret[75].
Cy parle de la façon des Laiz
Item, quant est des laiz, c’est une chose longue et malaisiee a faire et trouver, car il y fault avoir.xii. couples, chascune partie en deux, qui font .xxiiii. Et est la couple aucune fois de .viii. vers, qui font .xvi.[76] ; aucunefoiz de .ix., qui font .xviii. ; aucunefoiz de dix qui font.xx. ; aucunefoiz de .xii. qui font .xxiiii., de vers entiers ou de vers coppez. Et couvient que la taille de chascune couple a deux paragrafes soient d’une rime toutes differens l’une couple a l’autre, excepté tant seulement que la derreniere couple des .xii., qui font .xxiiii., et qui est et doit estre conclusion du lay, soit de pareille rime, et d’autant de vers, sanz redite, comme la premiere couple. Et pour exemple de ce, je mes cy .iii. couples d’un lay, et par ycelles consideré et attendu ceste regle, l’en pourroit diversifier les autres couples, et faire jusqu'à .xii., qui font .xxiiii., par la maniere que dit est. Et qui se doubteroit de ce non pouoir retenir, il ne fauldroit que prandre un lay, car ilz sont asséz communs, et ce seroit trop longue chose de l’avoir escript en ce livret[77].
Lays[78]
                        Puisqu’il me couvient partir,
                        D’amour martir,                                                                                   399d
                                    Las ! que feray ?
                                    Ou iray ?
5                                  Que deviendray,
                                    Fors que languir,
                        Quant[79] m’amour et mon plaisir
                                    Deguerpiray ?
                        C’est celle que je desir,
10                                D’ardent desir,
                                    De cuer vray,
                                    […]
                                    Celle a qui j’ay
                                    Mon recourir ;
15                    Par li puis vivre ou mourir :
                                    Pour ce m’esmay.
                        Car de[80] Dydo ne d’Elayne,
                        De judith la souveraine,
                        [Ne] d’Ester ne de Tisbee,
20                    De Lucresse la roumaine,
                        Ne d’Ecuba la certaine,
                        Saire loyal ne Medee
                        Ne pourroit estre trovee
                        Dame de tant de biens plaine :
25                    C’est l’estoille tresmontaine,
                        Aurora la desiree.
                        C’est l’estoille[81] clere et saine
                        De toute beauté humaine[82],
                        C’est la bien endotrinee,
30                    En chant tresdouce seraine,
                        En honnour la premeraine,
                        D’umilité aournee,
                        Dame de douçour clamee,
                        De beau parler la fontaine,
35                    De toute grace mondaine
                        En ce monde renommee.                                                                   400a
                        Mais ses gens corps
                        Et ses depports
                        Est un tresors
40                    Tresprecieus,
                        Dont je sui mors
                        Si je vois hors.
                        Las ! dolereus,
                        Maleureus
45                    Et souffraiteeus,
                        Que feray lors,
                        Se Reconfors
                        Et doulz Ennors
                        Ne m’est piteux ?
50                    Viengne la mors,
                        Je m’y acors,
                        Au langoreus,
                        Quant je recors
                        Les doulz confors
55                    Les regars fors
                        De ses doulx yeux,
                        Qui m’ont amors
                        Au dolet mors
                        Des amoureux,
60                    Les gracieux
                        [Et savoureux][83]
                        Et doulz rappors
                        Par qui je pors
                        Tous dolens pors,
65                    Les maulx doubteux,
                        A tristes pors
                        M’a Deconfors
                        Mis[84] perilleux.[85]
Et par cest exemple de six couples [400b] de lay differens l’une de l’autre en metre et en nombre de vers et aussi en ryme, lesquelles .vi.[86] couples ne font que troys des.xii. que un lay doit avoir, puet estre clerement entendue la forme et la taille d’un lay a tous ceuls qui les vourront faire. Et pour mieulx veoir la difference desdictes couples en ay je cy[87] mis troys suyvanment. Et doit la derreniere des .xii. estre semblable de ryme et de nombre de vers a la premiere, ainsi comme il appert par la fin de ce present lay, ou il a ainsis escript :
                        Pour ce prie a Souvenir[88]
                                    Que tost venir,
                                    Quant m’en iray,
240                              Sanz delay,
                                    Face ce lay
                                    Au departir
                        A ma dame, et sans mentir
                                    Liéz en seray.
245                  Avec moy le vueil tenir
                                    Et retenir,
                                    Et tant feray
                                    Que j’aray,
                                    Quant revendray,
250                              Par poursuir,
                        Grace, honneur et remerir,
                        Ou g’y mourray.
Item semblablement et finablement pourra sçavoir un chascun qui de [400c] son noble couraige avra la musique naturele bien estudié[89] faire et amender, par cest present art, avecques son noble engin, toutes manieres de balades, rondeaulx, chançons baladees[90], serventois, sotes chançons, laiz, virelais et pastourelles, eu regart aux exemples et articles cy dessus escrips, et autres que l’en puet veoir en tel cas communement de ceulx qui mieulx et plus saigement le scevent et sçavroient mieulx faire que moy, qui suy ruddes et de gros entendement, et soubz la correpcion desquelz je soubmet ce qui fait en est a leur amendement, en eulx[91] suppliant que se aucune chose y a faicte moins suffisanment, ou que j’aye pechié contre l’art en aucune maniere, ilz me vueillent ce pardonner en l’imputant a ma simplesce et ignorance, et le corrigent humblement pour honour[92] de la science et pour l’amour des aprantis ; car ce qui fait en est a esté du commandement d’un mien tresgrant et especial seigneur et maistre, auquel pour mon petit engin ne autrement, pour l’obeissance que je lui doy, excusation n’eust pas eu lieu, quant a moy. Et pour ce, lui supplie treshumblement qu’il vueille prandre en gré ce que j’en ay peu et sceu faire, et a moy pardonner mes faultes car qui fait ce qu’il puet et scet, au commandement de son seigneur, pour ce que obedience vault mieulx que offrande [400d] ne sacrifice, comme dit la Saincte Escripture, il doit estre prins en gré et tenu pour escusé.
Ce fut fait le .xxve. jour de novembre, l’an de grace Nostre Seigneur mil .ccc. .iiiixx. et douze.


[1] Ms. BNF 6221 homme et astrait de noble mq.

[2] Raynaud corrige en Perse ; le ms. BNF 6221 donne également pour ce

[3] Raynaud corrige en les figures

[4] Ms. BNF 6221 art mq.

[5] Mot doublé par le copiste

[6] Ms. BNF 6221 argorisme

[7] Raynaud supplée Venus (absent dans les deux ms. de référence)

[8] Ms. BNF 6221 nature

[9] Ms. champs

[10] Ms. BNF 6221 le mq.

[11] Ms. plaisant (id. ms. BNF 6221)

[12]  Ms. BNF 6221 homme mq.

[13] Raynaud corrige en que ; les deux ms. donnent qui

[14] Ms. BNF 6221 et mq.

[15] Raynaud corrige en i (les deux ms. donnent e).

[16] Ms. BNF 6221 Jule ou

[17] Ms. BNF 6221 aussi

[18] Ms. BNF 6221 pas que

[19] Ms. BNF 6221 mueles mq.

[20] Ms. BNF 6221 po mq.

[21] Raynaud corrige en muele

[22] Ms. BNF 6221 dictes

[23] Ms. BNF 6221 derrain

[24] Pièce n° DCCCXIV du manuscrit de référence, f° 213c-d

[25] Ms. BNF 6221 Par

[26] Le ms. BNF 6221 ajoute les deux strophes complétant la ballade. Nous restituons le texte en nous fondant sur notre manuscrit de référence

[27] Pièce n° CXXI du manuscrit de référence, f° 28a-b

[28] Le ms. BNF 6221 ajoute les deux strophes complétant la ballade.

[29] Ces deux mots font partie de la 3e strophe non reprise par le copiste

[30] Pièce n° CXXXII du manuscrit de référence, f° 30b

[31] Le ms. BNF 6221 ajoute les deux strophes complétant la ballade.

[32] Pièce n° MCLV du manuscrit de référence, f° 306c-d

[33] Raynaud corrige en Jude

[34] Ms. BNF 6221 Tholomeus

[35] Le ms. BNF 6221 ajoute les deux strophes et l’envoi complétant cette ballade.

[36] Pièce n° DCCCCLXXXI du manuscrit de référence, f° 257b-c

[37]  Le ms. BNF 6221 ajoute les deux strophes et l’envoi complétant cette ballade.

[38] Ms. BNF 6221 sont appelez mos e.

[39] Ms. BNF 6221 la balade

[40] Pièce n° CCCCLXXVII du manuscrit de référence, f° 157b

[41] Le ms. BNF 6221 ajoute les deux strophes complétant cette ballade

[42] Ms. BNF 6221 combien

[43] Mot doublé par le copiste

[44] Pièce n° DCCCCXCIX du manuscrit de référence, f° 262b-c

[45] Pièce n° CXLI du manuscrit de référence, f° 31d

[46] Ms. Cil

[47] Ballade n° CCCCIII du manuscrit de référence, f° 138b

[48] Ms. corps

[49] Le ms. BNF 6221 ajoute trois des quatre couplets qui complètent ce chant royal.

[50] Ms. secourir

[51] Ms ; loe on

[52] Ms. BNF 6221 darmes

[53] Ms. BNF 6221 De la façon des virelais mq.

[54] Ms. et

[55] Raynaud corrige en Virelay ; pièce n° DCCXXVI du manuscrit de référence, f° 193b-c, enregistré à la table comme étant un virelay.

[56] Ms. BNF 6221 a Dieu mq.

[57] Ms. BNF 6221 point

[58] Le ms. BNF 6221 complète le virelay.

[59] Raynaud corrige en Virelay (les deux ms. donnent Serventois) ; pièce n° DCCXXVII du manuscrit de référence, f° 193c-d, enregistré à la table comme étant un virelay.

[60] Raynaud corrige en dolentement

[61] Ms. BNF 6221 voy mq.

[62] Le ms. BNF 6221 complète le virelay.

[63] Titre suppléé d’après le ms. BNF 6221 ; pièce n° DCCXXXIII du manuscrit de référence, f° 195a-b

[64] Le ms. BNF 6221 complète le virelay.

[65] Pièce n° DCXXXV du manuscrit de référence, f° 182c

[66] Ms. BNF 6221 onques mq

[67] Ms. BNF 6221 onques mq

[68] Pièce n° DCXXXI du manuscrit de référence, f° 182b

[69] Vers manquants dans les deux manuscrits

[70] Pièce n° DCCVI du manuscrit de référence, f° 188d

[71] Ms. BNF 6221 Ballade rondel

[72] Ms. BNF 6221 en

[73] Ms. BNF 6221 c. aye

[74] Raynaud corrige en Chançons (les deux ms. donnent balades)

[75] Ms. BNF 6221 livre

[76] Ms. BNF 6221 aucune foiz de .viii. vers qui font .xvi. mq.

[77] Ms. BNF 6221 livre

[78] Raynaud corrige en Lay ; Ms. BNF 6221 Le lay de departement ; pièce n° CCCXIII du manuscrit de référence, f° 99b-d

[79] Ms. Tant que (id. dans le ms. BNF 6221)

[80] Ms. BNF 6221 de mq.

[81] Raynaud corrige en ymage ; Ms. BNF 6221 ymage

[82] Le ms. BNF 6221 arrête la citation à cet endroit.

[83] Vers manquant rétabli d’après le manuscrit de référence

[84] Ms. BNF 6221 Me mis

[85] La citation reprend plus bas au v. 237 de la forme complète du lay.

[86] Ms. BNF 6221 .xii.

[87] Ms. BNF 6221 icy

[88] Le ms. BNF 6221 arrête la citation à cet endroit.

[89] Raynaud supplée bien estudié (absent des deux ms.)

[90] Ms. BNF 6221 balades

[91] Ms. BNF 6221 leur

[92] Ms. BNF 6221 pour lonneur

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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