Lay 8 : Prince, pour la grant honnour (CCCXI)
VIIIe Lay
Ci commence le Lay du Roy
Prince, pour la grant honnour, 95a
La reverence et amour,
L’obeissance et cremour
Que je te doy,
5 Comme subgiéz a son Roy
Et son seignour
Naturelment, mon labour
Met et employ
A t’y descripre le ploy
10 D’onneur, de prouesce et foy
Et de valour.
Or vueilles par ta douçour
Prandre en gre et ma clamour
Retenir, tresnoble flour
15 Dont je m’esjoy,
Et mon ignorance et moy
Et ma folour
Excuser, quant je m’atour,
Qui petit voy
20 Et sçay, d’oser sanz effray[1]
Penser ne parler a toy
Par nes un tour.
Mais la grand benignité
De ta royal majesté,
25 Et ce que j’ay
A ta court nourris esté,
M’a du faire admonnesté,
Et que je sçay
Que Jeunesce en son essay
30 T’a si bouté,
Que fraindre ta voulenté
Presques pourray.
Or pran garde a la durté
De ton aage et l’orfenté
35 Que je diray :
A .xiii. ans en Royauté, 95b
En bail de ton parenté
Veu venir t’ay,
En guerre, en plour, en esmay,
40 En povreté,
Et en peuple sanz pité,
Dont doleur ay.
Voy ou Fortune t’a mis,
Considere tes amis,
45 Pense a ton fait.
Tu es de meubles desmis,
Et voy que tes ennemis
T’ont pieça fait.
Ilz te destruisent a fait.
50 Se tu as ami parfait
Croy le et chieris,
Car trop voy de gens faillis
Par leur meffait.
Des or as sens et advis.
55 Les mors sont mors, les vis, vis.
Chascuns se trait
A convoitier, ce m’est vis.
Or ne soiéz pas ravis
En ce forfait :
60 Homs convoiteus se deffait.
Advise qui te meffait,
Flour du doulz lis,
Et soit chascuns remeris
Selon son trait.
65 Tu es d’empereurs attrais,
De sains Roys et de parfais,
De princes, contes et ducs
Qui firent les vaillans fais.
Tu es Rois du saint palais
70 Ou les drois sont soustenus 95c
Et les peuples maintenus[2]
Par vraie justice en paix.
Tu es des clers et des lais
Li drois et li vrais escus.
75 Par raison a eulx retrais,
De leurs meurs ne te distrais,
Ains y soies entendus.
Aime Dieu, se tu le fais
Et doubte[s] de ton cuer, mais
80 Qu’a lui soies attendus,
Tous biens te seront rendus,
Ne n’auras paour jamais.
Mais s’envers lui te meffais,
Tu es mors et confondus.
85 Soit Verité en ta bouche,
Car cilz en qui elle touche
Est amis de Dieu prouchain.
Mentir est en Roy reprouche.
Des que ce pechié lui touche,
90 Il est diffaméz a plain,
Car menteur a cuer villain.
Dieux tel pechié lui reprouche
Et ne seuffre qu’il approuche
De lui le soir et le main.
95 Fay de Loyauté ta touche,
Soies fermes comme souche,
Oy chascun en son reclaim,
Et fay que raison t’approuche,
Et de justice ta couche.
100 N’aten pas jusque[3] au demain,
Ainçois de ta propre main
La fay, et se nulz en frouche
Ou en parle ne [en] grouche
Fay le pugnir de son claim.
105 Aies gens hardis et preux, 95d
Humbles, courtois, gracieux
Et saiges pour toy servir,
Prodommes et cremeteux,
Non pas avers, convoiteux,
110 Qui ne veulent qu’acquerir.
Fay de ta terre enquerir
Qu’elle puet valoir a ceulx
Qui le scevent. Lors par eulx
Pourras ton estat tenir.
115 Soies aux mauvaix crueux,
Aux debonnaires piteux.
Fay tes chasteaux retenir.
Donne aux povres langoreux,
Et les bons religieux
120 Fay en leurs droiz maintenir,
Et ton peuple soustenir,
Tant qu’il ne soit disiteux,
Et que tes estas soit tieulx
Qu’il ne doye deperir.
125 Vis selon ta revenue,
Non pas plus. Lors ta venue
Sera par tout bien amee.
Ta despense soit solue,
Et ne soit chose tolue,
130 Dont ta court soit diffamee.
Garnis toy chascune annee,
Si sera lors soustenue
Ta court et bonne tenue :
Autrement seroit blamee.
135 Prant ton droit, quoy qu’i se mue,
Sanz quitter a la massue
Chose qui t’est adjugee.
Tes officiers remue :
Se leur vie est corrumpue,
140 Soit lors par toy corrigee, 96a
Et la gent restituee
Sanz prandre rien en la nue.
Qui ce fait bon pain mangue,
Sanz prandre male goulee.
145 Ne pran que ce qu’il te fault
De gent pour ton estat hault,
Par le moien de raison.
Le trop fait avoir deffault,
Autrui grieve et petit vault :
150 Lors apovrist la maison.
Sus chascun [soit] sa saison,
Et puis en son hostel ault.
S’on en parle, ne t’en chault,
Car le faire ainsis est bon.
155 Je voy quant regle deffault
Que povreté l’omme assault
Et maine a perdicion.
De riche joieux et bault
Fait souvent povre rigault,
160 Un truand ou un garson,
Mais qui tient regle en parson,
Fortune ja en sursault,
Ne lui fera froit ne chault.
Lors ne la prise un bouton.
165 Vestir te dois humblement,
Nettement,
Honnestement
Selon ton estat royal.
Servir Dieu devotement,
170 Purement
Et sainctement,
Messe oir de cuer loyal :
Et puis monter a cheval,
Querir ton esbatement
175 Doucement et liement
Sanz faire mal. 96b
Puis doiz vivre sobrement,
Promptement,
Non longuement,
180 Et qu’en ton vin soit egal
L’eaue ou vin, pou mainrrement,
Qu’il se sent :
C’est grant tourment
De vin : Roy imperial
185 En puet estre desloyal.
Herode en pecha griefment,
Telement
Que durement
En chut aval.
190 Amer dois bons chevaliers,
Gens d’armes et escuiers
Qui doivent suir ta guerre.
Ceuls soient tes conseilliers
En ce cas, qui les premiers
195 Yront pour honnour acquerre
Et ton ennemi requerre.
Clercs n’y vont pas voulentiers,
Car ce n’est pas leurs mestiers :
Nulz n’y doit leur conseil querre.
200 Honoure les estrangiers.
Paye bien tes souldoiers.
De ton ennemi enquerre
Doiz, et estre doulz parliers,
Larges, courtois et entiers,
205 Et avoir cuer de conquerre.
Roys qui autrement fait, erre.
Donne chevaulx et coursiers.
A ses ennemis soit fiers,
Tant qu’il les prangne et enserre.
210 Garnisse bien sa frontiere
Et son ennemi requiere.
Gar qu’en son lieu ne l’attende, 96c
Car l’attente y est trop chiere,
Et si est fole maniere
215 De recevoir tele offrande[4] :
Mieulx vault qu’ailleurs se deffende
Et qu’autrui païs conquiere.
Qui attent tant c’om le fiere,
Il ne scet qu’il se demande.
220[5] Bonne aliance premiere
Doit querir sanz faire chiere.
Et qu’a chascun son droit rende.
S’avoir puet paix[6], si la quiere,
Bonne, honourable et entiere,
225 Mais autrement n’y entende.
Toudis a victoire tende
Pour essaucier sa banniere,
Tant que louenge en acquiere
Et que son regne en amende.
230 Et comme tu pais aras,
Jouster, tournoier pourras
Et mener vie joieuse,
Dancier et chanter feras,
Et autre heure chaceras
235 Et menrras vie amoureuse,
Belle, honneste et gracieuse.
Les dames honoureras
Et en tous lieux garderas
De toute chose doubteuse.
240 Autre heure en riviere yras.
De tes deduis leur donrras.
Laisse vie convoiteuse,
Lors de tous améz seras.
Donne aux bons ce que tu as,
245 Ne soit ta mains paresceuse :
A Roy est chose honteuse
Quant il est de donner las. 96d
Pour Dieu ! tresor ne fay pas,
Fors que de gens vertueuse.
250 Lors sera grant ta vigour,
Tant que li grant et menour[7]
Et li estrangier plusour
De ton arroy
Feront grant compte, ce croy.
255 […]
De jour en jour.
Mais ne pran pas long sejour
Et ne recroy
De guerre, jouste ou tournoy
260 Suir l’amoureuse loy
Sanz nul retour.
Ne ne[8] met ja en destour.
Soies fermes comme tour.
Tien de prouesce l’estour
265 Et le convoy.
Aime les bons et reçoy,
Et nulle ame ne deçoy.
Lors sanz demour
Aras vie sanz tristour
270 Et sanz desroy.
Reclaime Dieu en recoy,
Fay bien, vif et si t’esjoy,
C’est li meilleur[9].
Ci fine le lay du roy.
[1] Saint Hilaire corrige en effroy
[2] Ms. soustenus
[3] Ms. jusques
[4] Ms. offrandre
[5] Saut de 30 vers en arrière dans la numérotation de l’édition.
[6] Ms. Se paix puet avoir
[7] Ms. li menour
[8] Saint Hilaire corrige en te
[9] Saint Hilaire corrige en meillour