Chançon royal 127 : Marion, entendéz a mi (MCLXIX)
Autre balade
Marion, entendéz a mi :
Je vous aim plus que creature,
Et pour ce d’umble cuer vous pri
Qu’au dessoubz de vostre sainture
5 Me laisséz de la turelure
Et de ma chevrette jouer.
La vous aprandray a dancer
Au coursault, et faire mains tours.
― Robin, je n’y sçaroie aller : 311a
10 Doit on ainsi parler d’amours ?
― Ouil. Et encores vous di
Que chanter par art de nature
Vous feray, et doubler aussi.
Je vous monstreray la figure
15 Du contrepoint, et la mesure
Des semibreves acorder,
De faindre la voix, de monter
Et de deschanter a rebours.
― Aléz, qu’om vous puist estrangler !
20 Doit on ainsi parler d’amours ?
― Marion, qui scet cest art ci,
On y prant douce nourrture,
Aprenéz le fa et le mi,
Bien vous monstreray l’escripture
25 Tant que vous n’aréz jamais cure
D’autre art sçavoir, fors de compter
Une, deux, les temps mesurer
Et fleureter plus que le cours.
― Merveilles vous oy recorder :
30 Doit on ainsi parler d’amours ?
Or m’aprenéz, mon doulz ami,
Cest art. ― Lors l’atouche et mesure.
Les tableaux de son livre ouvri.
Sa plume y bouta roide et dure :
35 Un po cria, mais elle endure.
Et cilz li commence a noter :
Une, deux, la tierce doubler,
Et se joint, car li temps fut cours,
Disans, pour tel chant assembler :
40 « Doit on ainsi parler d’amours ? »
Marion, qui bien s’entendi,
A solfier mist cuer et cure.
Quant la douçour de l’art senti
Qui du livre fist l’ouverture,
45 Elle pasma, et revint sure, 311b
Que Robin s’en vouloit aller.
A deux bras le va acoler.
La se fist recorder ses flours
Et dist : « Plus ne vueil demander :
50 « Doit on ainsi parler d’amours ? »
L’envoy
Princes, tel art fait a loer
Dont li enfant scevent ouvrer,
Qui en sont maistres sur trois jours.
Les vieulx ne le scevent monstrer.
55 Pour ce leur seult on reprouver :
Doit on ainsi parler d’amours ?[1]
[1] Saint Hilaire mentionne que tout l’envoi est écrit à l’encre rouge