Chançon royal 119 : Las ! que j’ay veu de tribulacion (MCXXIV)
Autre balade
Las ! que j’ay veu de tribulacion,
De tempestes et de mortalitéz,
De haines, de peuples mocion.
De grans orgueilz et de grans vanitéz,
5 De traisons et de crudelitéz,
Puis .l. ans, et vengence soudaine,
Conflis de roys en France et en Espaigne
Pour nos pechiéz, et universel guerre
Pour le debat de France et d’Angleterre,
10 Pais ardoir, tout detruire a la ronde[1]
Pour convoitier et seignourie acquerre ! 298c
C’est tout neant des choses de ce monde.
Car nul n’en a vraie possession,
N’estre ne puet qu’a sa vie heritéz
15 Au mieulx venir, et par decepcion
En sont pluseurs ou par force privéz
A leur vivant. Entre vous qui vivéz,
Aiéz regart aux conquests Charlemaine,
Ceulx d’Alixandre et de la gent rommaine,
20 Qui tant de maulx soufrirent pour conquerre,
Mais puis leur mort tout fut cas comme un voirre
Et divisé. Ainsi fault que tout fonde
Des biens mondains, foulz est qui pour eulx erre :
C’est tout neant des choses de ce mnde.
25 Quarte lignie et generacion
Ay vey des roys depuis que je fu nez,
Philippe, Jehan, Charle en succession
Le .ve., Charles, ses filz ainsnéz,
Regna aprés, dont furent subjuguéz
30 A Rosebech Flament sur la montaigne.
.xxvim. mourirent soubz s’enseigne,
Qui .xiii. ans n’ot quant les ala requerre.
Aprés au Dam par siege les va querre,
Bonbourc assist. A celle fois seconde,
35 Ses ennemis en desloge et desserre :
C’est tout neant des choses de ce monde.
A Amiens vi la conjunction
Et les noces quant il fut espouséz
A Ysabel, qui de l’estracion
40 De Baviere est. Je vi ses osts menéz
En la duchié de Gueldre et feux boutéz,
Le duc venir es tentes en la plaine
Devers le roy, et sa volunté plaine
Faire du tout. Et, qui en veult enquerre,
45 A Saint Denis un chafault, et par terre
Joustes tresgrans ou l’or lui et habonde. 298d
Mais qui vouldroit jugier a droitte esquerre,
C’est tout neant des choses de ce monde.
La feste vi passant en mission
50 Toutes autres, de la royne, entendéz,
Faicte a Paris, aprés l’Ascension.
Pour la guerre j’ay veu pluseurs traittéz,
Les grans treves des deux roys, assembléz
Dessoubz Ardre, leur gent et leur compaigne,
55 La fille au roy de France qu’il amaine
Au roy anglois qui pur femme o lui erre
Droit a Calays. N’a que .vii. ans, soubz serre
La espousa la vierge enfant et monde.
Mais qui ces poins sent, dont li cuers me serre,
60 C’est tout neant des choses de ce monde.
L’envoy
Prince, j’ay veu les tmeps desordonnéz,
Sanz droit, sans loy, pais habandonnéz,
Tous maulx courir, iniquité parfonde,
Les quelz je voy en mieulx estre esperéz.
65 Mais ja pour ce trop ne vous y fiéz :
C’est tout neant des choses de ce monde.
[1] Ms. larronde