Chançon royal 78 : Se je savoie autan com Salemon (CCCXCII)
Autre Balade[1]
Se je savoie autan com Salemon
Ou Jheremie de divine escripture,
Et comme fist Aristote ou Platon
Qui sceurent moult des secréz de nature,
5 Ne pourroie nullement concevoir
De mercier ne faire mon devoir,
Vous, ma Dame, du riche saintuaire
Qu’il vous a pleu a ma personne faire,
Et si ne suy digne du recevoir.
10 Pourveu m’avéz de tresprecieux don
Fait en fin or a povre creature,
Car dedens a joyaulx de grant renom,
C’est de la croix ou le Dieu de nature
Pendi pour nous en son royaume avoir,
15 Du test saint Jehan le Baptiste pour voir,
De saint Mathieu, apostre debonnaire,
Le grant Anthoine, Magdalene qui plaire
Voult au vray Dieu par son digne vouloir.
Et comment puis je a lui rendre guerdon,
20 N’oser veoir celle sainte figure
Du tronc du fust ou Dieu pres du larron
Mouru a tort de mort layde et obscure ?
Digne n’en suy et n’en ay le pouoir.
Mais ce me fait trop fort le cuer douloir
25 Quant je le voy en mon reliquiaire
Crucifié a douleur et a haire.
Ce me doit moult a pité esmouvoir.
Roy glorieux, qui pour nostre pardon 133d
Voulz ton saint corps mectre a [la] sepulture,
30 Et qui paias d’Adam la raençon,
Et d’Eve aussi et de leur porteure,
Que leurs pechiéz fist en enfer cheoir,
Et au tiers jour les alas pour veoir,
Ressuscitans pour eulz d’enfer retraire,
35 Pitié le fist par toy au ciel retraire :
Vueillons nous y, s’il te plaist, pourveoir.
Je te supply, de vray cuer et de bon,
Et au vrays sains que tu aies en cure
La duchesce qui d’Orleans a nom,
40 Qui m’a donné si riche pourtraicture,
Qui tant m’a fait de s’amour apparoir.
En tous ses fais te vueilles comparoir,
Vrays et piteux soiéz en son affaire.
Ma maistresse est, en la fin tu puist plaire,
45 Si qu’elle puist ton regne percevoir.
L’envoy
Princes, s’onques ma Dame debonnaire
Ne m’avoit fait nul autre prouffit traire
Que les joyaulx qui tant peuent valoir,
Si sont a lui tenu moy et my hoir
50 A tousjours mais son service parfaire.
[1] Chant royal sans refrain