Chançon royal 23 : N’a pas long temps que m’en aloye (CCCXXXVII)
Autre Balade
N’a pas long temps que m’en aloye
En pelerinaige a Boulongne.
Femmes trouvay enmi ma voye,
Dont l’une filloit sa coulongne :
5 Et l’autre, qui estoit yvrongne,
Disoit : ― Nous sommes bien trompé, 111a
Aux Anglois n’avons paix n’alongne,
Encor n’ont pas brebiz souppé.
― Pourquoy ? se demanda Maroye.
10 ― Pour ce qu’adés nous font essongne :
C’est le gieu de boute en courroie,
Mais tous temps font ilz leur besongne,
Car, en Guyenne et en Gascongne,
Ont ja maint fort chastel happé :
15 En traittant font toudis vergongne.
Encor n’ont pas brebiz souppé.
Or me di : ― Est il nul qui voye
Ne qui perçoive leur entronge ?
― Je croy que non : que vous diroye ?
20 Il me semble qu’om les ressongne
En Espaigne et en Castalongne,
Et en France ou ilz ont grapé.
Escoce et Galles le tesmoingne.
Encor n’ont pas brebis souppé.
25 Par la mere Dieu, je vourroie
Que paix fust, sanz plus vestir brongne :
Pour gens d’armes plus ne fuiroye.
Ne m’ont laissié une escalongne.
Mais l’en dit que ceuls de Brougongne
30 Viennent. Tout sera atrappé :
Qui a rien bon si le repongne.
Encor n’ont pas brebis souppé.
Ne demourra bestail ne proye,
Blef ne vin : qui vouldra se songne.
35 Poucin, chapon, geline n’oy,
Ne cheval d’abbé ne de moigne,
Se le roy ses os y admaine,
Par Calays serons occupé.
Se siege y est, que Dieux le doingne !
40 Encor n’ont pas brebiz souppé.
― Helouys[1], ce seroit grant joye :
S’ainsi estoit, tout y mettroye,
Mais que Calays fut atrappé.
N’est nul desirer ne le doye,
45 Mais çains est de trop fort courroye.
Encor n’ont pas brebis souppé.
[1] Ms. Helouye
