Balade 895 : Je ne cessay depuis .xxxii. ans (MCCCVI)
Autre balade
Je ne cessay depuis .xxxii. ans
Homme servir en grant traveil et paine,
Matin lever, chevauchier par les champs
Par tous pais, pour querir gloire vaine,
5 User mon corps tant que n’ay nerf ne vaine,
Pis ne costéz, jambes, bras qui ne sente
Doleur partout. Et jeunesse s’absente,
Viellesce vient qui mes maulx me raconte :
Et que fera la povre ame dolente,
10 Car en la fin nous fault touz rendre compte ?
Guerdon me fault, car nulz n’est recordans
De mes travaulx. Chascuns cy garde prangne
Car quant fruit fault, vielz homz devient chargans.
Sanz guerdonner, a son propre se taingne,
15 Et se riens n’a, fault que son mal soustaingne.
En povreté lors se plaint et demante,
Impaciens, car doleur le tourmente.
Riens n’a acquis, lors a de languir honte,
Sont temps perdu et es pechiéz lamente,
20 Car en la fin nous fault touz rendre compte.
Las ! que n’ay je vers Dieu esté courans
Et lui servi, com fist la Magdelaine !
Car se j’eusse le tiers esté souffrans
De maulx que j’ay pour creature humaine
25 A lui servir, la gloire souveraine
Fust a m’ame. Tart es que me repent. 355b
En sa vigne vien par trop vielle sente
Au vespre ouvrer, mais sa pité surmonte
Tout douçour. Or ay doubteuse attente
30 Car en la fin nous fault tous rendre compte.
L’envoy
Prince, qui a terre, labour ou rente
Ou qui scet art, sanz servir se contente
Fors le vray Dieu qui tous noz pechiéz compte.
Homme servir par dessus lui ne tempte,
35 Mais le serve de bonne et vraye entente,
Car en la fin nous fault tous rendre compte.