Balade 856 : Un paisant avoit un chien (MCCLIII)
Autre Balade morale d’un paisant et de son chien
Un paisant avoit un chien
De grant exploit, jeune et puissant,
Fort et hardi, si l’ama bien
Car tout beste fut prenant,
5 Et si gardoit diligemment[1]
Son hostel de jour et de nuit.
Manger lui fist de maint deduit,
Et des loups sont tropiau garda. 341a
Or devint vieulx. Lors le destruit.
10 Quant fruit fault, desserte s’en va.
Son vivre en son aage ancien
Lui restraint et le va foulant
Pour un chaiel qui ne vault rien,
Dont le viel chien est moult dolent
15 Et dit : ― J’ay perdu mon jouvent,
Qui cuidoie cueillir le fruit
De mon jeune temps. Or suy vuit
D’avoir guerdon. Adviséz la.
Notéz bien ce proverbe tuit.
20 Quant fruit fault, desserte s’en va.
Bien voy ceste figure et tien.
Reduire la puis proprement
A mon service, et pour ce vien
A conclure semblablement :
25 Quant j’ay servi treslonguement,
Lors vient ingratitude et bruit.
D’estat me despointe et me nuit.
Las ! ma viellesce que fera ?
Bien puis dire com vray instruit :
30 Quant fruit fault, desserte s’en va.
L’envoy
Prince, faictes faire autrement
A ceuls qui servent loyaument,
Vostre regne mieulx en vauldra.
Ne faictes com le paisant
35 Fist a son chien mauvaisement.
Quant fruit fault, desserte s’en va.
[1] Ms. moult diligemment