Balade 628 : Cherir se doit sur toutes et amer (DCCCCLXXXIII)
Balade comment toute terre qui a vaines d’or et d’agent se doit moult amer et chierir et reclamer plus que Dieu, car nous laissons Dieu pour acquerir l’or et l’argent
Cherir se doit sur toutes et amer
Terre qui a vaines d’or et d’argent,
Qu’elle se fait plus que Dieu reclamer
De roys, de dus, de clers, de toute gent,
5 Ne nul ne voy qui ne soit indigent
Tant ait de vins, meubles, blef et aumaille,
Par son parler, et que tout ne lui faille
Se de flourins n’a grant somme en tresor.
Pour l’acquerir art chascun et traveille[1] :
10 C’est grant peril que de tant amer l’or.
Car on s’en fait homicide clamer
Quant on le va trop en tresor mussant,
Si qu’il ne puet contrevenir, n’aler
Pour secourir l’un l’autre, en marchandant :
15 Mais quant il court, on vit plus largement
Que du tenir repost en la corbaille :
Aux anciens souffisoit grain, poulaille,
Moutons, brebis, vaches, chievres et tor,
Estre vestus, vignes, prez et vitaulle :
20 C’est grant paril que de tant amer l’or. 258b
Et s’en laiss’on, par le trop desirer,
A servir Dieu, on vit en convoitant.
Et s’en voit on pluseurs desheriter,
Haine yssir, sourdre noise et content.
25 Autruy avoir[2] embler et faire tant
D’autres pechiéz. Guerre en vient et bataille.
Et neantmoins clerc, noble et villenaille
Ne souhaident autre chose desor
Qu’avoir argent. Tel souhait ne leur vaille :
30 C’est grant peril que de tant amer l’or.
L’envoy
Prince, qui a pour son estat mener
Viande et vin, et ses gens gouverner
Puet bien du sien, et qui habonde encor,
L’or ne pourroit en son espece user :
35 C’est grant peril que de tant amer l’or.
[1] SaintHilaire corrige en travaille
[2] Ms. cuer