Balade 577 : Dont puet venir la fortune que j’ay (DCCCCXXI)
Autre Balade
Dont puet venir la fortune que j’ay
N’en quel climat pot mes corps estre nez ?
Esbahis sui de ce que ne le sçay,
Car en tous cas suis sis fort fortunéz
5 Qu’au premier cop suy par tout honouréz
Sanz ce que j’aye aucune congnoissance.
Mais plus y suis et moins ay de puissance, 239c
Et suis de touz escharnis et ruséz.
Dont puet venir sur moy tel desplaisance ?
10 Plus me voit on, tant suis je moins prisiéz.
Pour ce jamais en un lieu ne seray,
Se j’euvre a droit, longuement arrestéz.
Ainçois d’un lieu [en] un autre [j’]iray
Et par ainsis puis estre renomméz.
15 Par long demour seroie diffaméz.
Resister vueil donc a mon influance,
Merveilleus sui quant je voy et je pense
Qu’en trespassant fuy fort[1] auctorisiéz,
Et long sejour me nuist et desavance :
20 Plus me voit on, tant suis je moins prisiéz.
Trufes ne sont. Tenéz que c’est tout vray
Et que je suis au premier bien améz.
Mais aussi tost que g’i arresteray,
Ou je faiz[2] bien, si suis je reboutéz
25 Par faulz rappors, et par derrier moquéz.
Dont puet venir tele desordonnance
Encontre moy et tel descongnoissance ?
S’ont fait les sors dont je suis destinéz :
Fuir me fault. N’est ce pas grant meschance ?
30 Plus me voit on, tant sui je moins prisiéz.
L’envoy
Prince, bien doy telle perseverance
Et tel climat dont je suis gouvernéz
Craindre et hair, qui si me desavance :
Plus me voit on, tant suis je moins prisiéz.
[1] Ms. forment
[2] Saint Hilaire corrige en saiz