Balade 277 : Vous qui tournéz lumiere en obscurté (CCLXXXI)
Autre Balade
Vous qui tournéz lumiere en obscurté,
Et qui vouléz du jour faire la nuit,
Pervertissans par dormir la clarté
Du beau souleil, qui pour besongner luit,
5 Uséz voz corps et vous destruiséz tuit,
Quant vous faictes contre loy arrebours :
Car pour traveil fut ordonné li jours,
Et pour repos la nuit froide et oscure.
A vostre mort couréz plus que le cours :
10 Trop me merveil comment vie vous dure.
A souper tart trop estes ahurté,
Manger sanz faim, boire sanz soif vous nuit.
Le ventre plain, sanz selle, avéz monté
Et chevauchié, querans vostre deduit,
15 Dance, balé, c’est ce qui vous destruit.
Seoir, veiller, avoir aux dez recours,
Rebanqueter, c’est la vie des cours,
Les jours dormir. Las ! que c’est chose dure !
Adviséz ci, car, se vous n’estes sours,
20 Trop me merveil comment vie vous dure.
Jusqu’a midi estes ou lit bouté.
Lors vous levéz, et avéz mal enduit
Vostre manger, s’en naist enfermeté.
Teste vous duelt, li povres cuers vous cuit.
25 Tantost buvéz, folie a ce vous duit.
Et puis queréz joustes et les bouhours,
Gieux de palme, ou les chevauchers lours,
Et excercéz touz escés en nature
Que ne pourroit souffrir chevaulx ne ours :
30 Trop me merveil comment vie vous dure.
L’envoy
Prince, et tous ceuls qui améz vo santé, 61c
Contre vos corps n’uséz de voulenté.
Gouvernéz vous de vie nette et pure.
Coucher vous soit de bonne heure apresté,
35 Et le dormir du jour si long osté :
Trop de merveil comment vie vous dure.