Balade 112 : J’ay puis vint ans au jour de l’an nouvel (CXII)
Autre Balade
J’ay puis vint ans au jour de l’an nouvel
Acoustumé de faire une chançon
Sur l’art d’amours, de dueul ou de revel.
Mais au jour d’hui puis de dolereus sont
5 Faire mon chant, car la belle façon
Voy deperir de celle que j’amay,
Son front palir, dont je suis en esmay,
Son corps languir, perdre sa renommee, 26a
Et tout lui vient par un point que je sçay,
10 Par le default d’estre bien gouvernee.
Qui jadis ot le viaire si bel,
Le corps si gent et de si grant renom
Que nulle autre, depuis le temps Abel,
En tous estas n’ot si precieus nom :
15 Convoitise la ferit d’un canon,
Car riche fut. Depuis oy dire ay
Qu’Envie y vint disant : « Je la guarroy ».
Mais par lui fut destruite et affolee.
Ainsi languist. Jamais ne la verray,
20 Par le deffault d’estre bien gouvernee
La povre n’a que les os et la pel,
Et si ne puis trouver medicin bon :
Endoulles font pluseurs de son pourcel,
Tantost n’ara ne boudin ne jambon.
25 Elle gist la. L’un fait a l’autre don
De ce qu’el a. Pour s’amour partiray,
Ne jamais jour ne me rejouiray.
Ains vueil plourer tous temps sa destinee,
Puis que ma Dame ainsi fenir verray
30 Par le default d’estre bien gouvernee.
L’envoy
Prince, je suis en tresgrant souspeçon
Que ma Dame ne soit morte ou alee,
Et que ne puist venir a garison,
Par le default d’estre bien gouvernee.