Chançon royal 46 : Puisque Dieux voult que Raison gouvernast (CCCLX)
Autre Balade
Puisque Dieux voult que Raison gouvernast
Et Justice feist la pugnicion,
Je voulsisse que la guerre cessast
Entre les gens d’une religion,
5 De la crestienne foy,
Et que chascuns fust pugnis par la loy
Qui mefferoit ou feroit fole emprise.
Autrement va, car par tout regner voy,
Contre Raison, Orgueil et Convoitise.
10 S’Orgueil ne fust qui ainsi s’eslevast
Pour possider grant dominacion,
Convoitise l’autrui ne convoitast, 120b
Guerre ne fust ne tribulacion.
Mais communement perçoy
15 Que qui plus a plus veult faire d’anoy,
Et guerrier Dieu, le monde et l’Eglise,
Sur les quelz .iii. chevauchent a desroy,
Contre Raison, Orgueil et Convoitise.
Et se aucuns fust qui me contraignast,
20 En opposant que ce tient a Raison,
Que les mauvés juger ne ressoingnast
Et Justice feist l’execution,
Li convoiteux fussent coy,
Li orgueilleus venissent a supploy,
25 Puis qu’en ces .ii. n’eust cremour ne faintise,
Paix nous venist et cessassent cil doy,
Contre Raison, Orgueil et Convoitise.
J’opposasse, se voulentéz n’ouvrast
Et en l’omme franche discrecion,
30 Que Justice et Raison nous gardast.
Mais la cause de non dampnacion
Ou de nous sauver, ce croy,
Est Frans Vouloirs qui nous fait cest effroy
Et qui, raison ne rigueur, riens ne prise,
35 Mais pour ravir amaine avec[ques] soy,
Contre Raison, Orgeuil et Convoitise.
Or fust bien temps que chascuns s’advisast
Qu’a son proesme ne feist sedicion,
Mais, selon Dieu, de vray amour s’amast
40 Et de guerre ne fust plus mocion.
Car Dieu, le souverain roy,
Au jugement dira : Touz vous congnoy.
La rendra [il] a chascun son juise.
Au derrain jour s[er]ont en petit ploy,
45 Contre Raison, Orgueil et Convoitise.
Prince, je croy que se Raison regnast, 120c
Pitiéz aussi et Amour gouvernast
Tant au monde comme en religion,
50 Que nous n’eussions ja persecution
Ne guerre aussi et que Dieux nous amast.[1]
[1] Saint Hilaire suppose l’envoi incomplet.
