Chançon royal 19 : Ou jeune aage le sang est chaut et tendre (CCCXXXIII)
Balade
Ou jeune aage le sang est chaut et tendre
Pour retenir toute chose et sçavoir,
Et en tel temps les ars mondains aprandre,
Dotrine, sens et force recevoir,
5 Grace d’engin et appertise avoir,
Car tous les ars aprant homs en jeunesce :
Tout li siet bien. Le contraire est, pour voir,
D’omme qui vient en aage de viellesce.
Qui vouldroit bien a ces choses entendre,
10 Separéz sont comme blanc est du noir,
Et comme vin de l’eaue, a droit comprandre.
L’un a froidour, l’autre a chalour, s’espoir
Que le meilleur pour vivre main et soir
Est que chascun l’un l’autre en estat lesse
15 Vivre a par soy, pour oster le doloir
D’omme qui vient en aage de viellesce.
L’un est joieux, a tout deduit veut tendre,
Dancer, chanter, saillir et esmouvoir
Tous ses paraulx a toute chose emprandre,
20 Sanz regarder folie ne sçavoir,
Armes, amours suir sanz percevoir
La fin de ce qui aucunement blesse,
Les vieulx moquer. Autrement puet paroir
D’omme qui vient en aage de viellesce.25 Son sang est froit et long ou il veult tendre,
Meurs et rassis et de foible pouoir.
Le temps passé loe, et si veult reprandre
Le temps present, et envix puet veoir
Rire ou jouer. D’espargnier a vouloir.
30 Son sens est grans, mais il tost se courresse.
La nature est, qui le scet concepvoir, 109d
D’omme qui vient en aage de viellesce.
Si doit chascuns en patience prendre
Le temps qu’il a jeune et viel sanz doloir :
35 Car le viel ot le premier, puis descendre
L’a convenu et ou second manoir.
Le jeune fault ou premier remanoir
Par certain temps, puis trouvera l’adresse
Soudainement, s’il vit comme vray hoir,
40 D’omme qui vient en aage de viellesse.
L’envoy
Princes, jeunes veult joie recevoir,
Et li vieulx homs a meureté s’adresse.
Telz est ses temps, ce n’est que li devoir
D’omme qui vient en aage de viellesse.