Balade 57 : Il a .xvi. ans que je suis ou vergier (LVII)
Balade
Il a .xvi. ans que je suis ou vergier
Ou tous viennent pour querir leurs delis,
Et ou j’ay veu pluseurs boire et mangier,
Qui estoient lasches et afadis,
5 Prandre deduit, arracher[1] du doulz lis,
Planter ailleurs, et santé recevoir.
Mais en ce lieu suis tousjours maladis :
Onques n’y poy une flourette avoir.
Par tout ce temps ay servi au closier
10 De mon pouoir, tant que suis envieillis,
Sanz riens avoir et sanz prandre loier. 14a
D’un po du plant ay esté escondis
Du doulz vergier, ou j’ay veu toudis
Mains cueillant fruit sanz ferre leur devoir.
15 Et dont vient ce, doulz Dieu de paradis ?
Onques n’y poy une flourette avoir.
Ce m’est trop dur comme g’y voy fauchier
A plaine faulx les fleurs et les pasquis,
Et que la sont saoul li estrangier
20 Soudainement, et sur l’erbe languis.
Helas ! dont vient au closier tel advis ?
Face qui l’a long temps servi sçavoir.
En ce vergier seray lors remeris :
Onques n’y po une flourette avoir.
L’envoy
25 Princes, l’en doit cuer loial tenir chier.
L’en donne a tel qui n’a mestier d’avoir.
En ce jardin dont j’ay voulu touchier,
Onques n’y poy une flourette avoir.
[1] Ms. a arracher : Saint Hilaire corrige en arrachier