PREMIÈRE BRANCHE
[1a]
1 Je, a cest mien commencement
2 Jusques a mon definement
3 Ou moyen, devant et aprés,
4 Prie Dieu que de moy soit prés
5 Et me doint mener telle vye
6 Que je soye en sa compagnie
7 Et si me doint en bien finir
8 Ne m’en porroye plus tenir.
9 C’est ung propos, une memore
10 Dont faire voeul nouvel’[1] histoire,
11 Livre commencier et finir
12 Ce que je pense a maintenir.
13 Grand piece a que g’y ay pensé,
14 Ne m’en puis estre retardé,
15 Ne n’en suis point hors de doloir
[1b]
16 Jusques[2] en aye dit mon voloir,
17 Ne mon cœur ne s’en poeult pas taire.
18 Pour ce, nouvel livre en voeul faire
19 Sans exemple, sans enseignier,
20 Sans a moy riens d’aultrui baillier,
21 Sans nul conseil, sans nulle ayeue,
22 Fors que par generale veue.
23 J’appelle veir generalment
24 Et concepvoir soubtillement,
25 Aller, vëoir, vivre et sentir,
26 Goust acquere, jurer, mentir,
27 Semblant, promesse et abstinence,
28 Conffessïon et penitance.
29 Qui cecy scet bien concepvoir
30 N’a pas perdu tout son sçavoir.
31 De Troye fu qui ce livre fist
32 Et tout le fait comprins y mist,
33 Ditta et escript de sa main.
34 Tant y pensa et soir et main.
35 Clerc fu, mais adonc laiz estoit.
36 Environ quarante ans avoit
37 Quant ceste pensee lui vint
38 Par oyseuseté qui le tint.
39 Dame Oyseuze a monlt de branches
40 Malvaisez, perileuses, franches.
41 Maint sont qui par oyseuseté
42 Sont venus a grant povreté,
43 Devenu glout, murdrier, ribaut,
44 De grant plenté a grant deffault.
45 Qui jones prent oiseuseté
46 Envis est ne chiee en vieulté.
47 Oiseuseté l’homme aneantist[3],
48 Tous les menbres lui afoiblist,
49 Entamist, alentist et tue,
50 Qu’il n’en poeult avoir nulle ayeue.
51 Naturelment s’i ennature
52 Que il n’a de bien faire cure,
[1c]
53 Ne ne tient a avoir nul pris[4],
54 Pour ce que pas ne l’a apris.
55 Ains a le bien mortiffïé
56 Quant d’oiseuzeté est lïé.
57 Et lors devient il controuveur,
58 Mesdisant, orguilleux, bourdeur,
59 Solefïans et metans cures
60 A effacier bonnez natures
61 Et sur les bons a controuver,
62 Tout par deffault de bien ouvrer,
63 Desirant l’autrui, envïeulx.
64 De tous maulx faire curïeulx.
65 Briefment, en oiseuz ne se fie
66 Homs qui voeult mener bonne vye
67 Meïsmement ou solitaire,
68 Qui nul bon estat ne scet faire.
69 Sur ordres et sur seculiers,
70 Generaulx et particuliers,
71 Gentilz, bourgois, officïaulx,
72 Par tout guette ses envïaulx.
73 Et pluiseurs sont qui par oyseuse
74 Mainent bonne vye et joyeuse,
75 Estudient en ditz trouver,
76 Voir contre menchongne trouver.
77 Soubtillement font instrument,
78 Translatent latin en rommant
79 Et se si oyssent es histoires,
80 En racontant, choses notoires,
81 Es anchïennes choses lire,
82 Bien retenir et mal despire
83 Et sur tout voeullent bien gloser
84 Pour le mal arriere bouter.
85 De ce viennent les beaulx dittiés
86 Ou maint bon se sont delitiés :
87 De ce viennent les beaulx notablez,
88 Œuvres de maint fais delittablez,
89 Notes et estampïez belles,
[1d]
90 De ces rotelenges nouvelles.
91 Mais toutes voyes nul n’entende
92 Que a oizeuse vye tende,
93 Car fol est, a pas se fol vient,
94 Qui a oizeuzeté se tient.
95 Voit ouvrer ou estudïer,
96 Gart ne voit ses menbres lïer.
97 Pour ce est d’oizeuze la branche
98 Dure, pesme, courtoise et franche.
99 En tel oizeuze, c’est prouvé,
100 Chelui qui cest livre a rimé
101 L’an mil trois cens et dix [et] noeuf
102 Commença ce livre tout noeuf
103 Et baptisa quant a sa part
104 C’est le Contrefait de Regnart.
105 Car sur Regnart poeult on gloser,
106 Penser, estudïer, muser
107 Plus que sur toute rien qui soit.
108 Qui proprement Regnart perchoit
109 Le texte layt, prende la glose.
110 S’il se congnoist, et dire l’ose,
111 Meurs et condicïons et fais.
112 Il trouvera nul n’est parfais.
113 Et Regnart nous dit et enseigne
114 Que bon est que homme se tiengne
115 De dire mensongne ne voir,
116 S’amour de pluseurs voeult avoir.
117 Cil clerc pluiseurs fois si s’en faint,
118 Sa langue maniere constraint,
119 Et mist ce derriere devant.
120 Pour ce commence cest rommant
121 Pour dire par escript couvert
122 Ce qu’il n’osoit dire en appert
123 Et jetter lui convenoit foeur
124 De la cheminee du cœur.
125 Or commencera il son dit,
126 Car dame Oyzeuze lui a dit
[2a]
127 De tousjours bien faire et bien dire[5]
128 Ne se doit nuls homs escondire,
129 Salomon nous veult reveler
130 Et dist : « Nul ne doit sens celler
131 Ne mettre en repos ne covrir,
132 Ains le doit a trestous ouvrir
133 Qui pour bien mestier en aront
134 Et qui pour bien le requerront. »
135 Car ce doit bien chascun savoir,
136 Pour un ne fut point fait savoir,
137 Mais pour tous ceulx, au mien cuidier,
138 Qui le desirent et ont chier.
139 Dieu largement le bien crëa
140 Qu’a nullui ne le devëa,
141 Car qui veult bonne vie avoir,
142 Il scet bien qu’il en peut avoir,
143 Ce est des biens Dieu qui ne ment,
144 Que il depart si largement.
145 En tous estas sauver se peu[len]t
146 Trestous ceulx du ciecle qui veu[len]t,
147 Soient clercs, lettrés ou chanoines,
148 Marïez, march[ë]ans ou moynnes,
149 Seculiers, d’ordre ou autrement.
150 Voeullent amer Dieu seulement,
151 Loyaulté faire et maintenir,
152 En paradis doivent venir,
153 Nul n’y a de contredit point.
154 Mais qu’il maintiengne[6] bien ce point,
155 Trestous sont de Dieu appelé,
156 Il n’en y a nul recellé.
157 Dont tu, qui as clergie et sens,
158 Et tu os dire, vois et sens
159 Que le povre a mestier d’aïde[7],
160 Et tu peus que nelui aïde[8] ?
161 Voeulx tu ton sens mectre a recoy,
162 Que nul n’y parte fors que toy ?
163 Tu sens, se tu as propre esgart,
[2b]
164 En ton sens as la mendre part,
165 Mais est a tous les requerans.
166 Combien qu’en soies acquerans,
167 Tu n’en es fors que despenseur,
168 Et Dieu en est a toy presteur.
169 Presté le t’a pour departir,
170 Non baillié pour ja departir,
171 Si comme[9] le Philozophe dist
172 Qui maint bien nous met par escript.
173 Il dist : « Poy peut en verité
174 Nulz sans amour de charité
175 A bëatitude venir. »
176 Pour ce doit chascun advenir
177 A tous ceulx qui aïde quierent,
178 Combien que pas ne le requierent.
179 Cil[10] qui veult scïence muchier
180 Samble le mauvais despencier
181 A qui son maistre baille argent
182 Pour departir a povre gent,
183 Mais ne le donne ne depart,
184 Tout retient et met a sa part.
185 Comme le mauvais vilain lourt
186 Qui un puis fait dedens sa court,
187 Bien l’ediffie et fait murer
188 Comme pour tousjours mais durer.
189 Et puis deffent que nul n’y viengne
190 Pour quelque besoing qu’il adviengne.
191 Tant a son eaue et son puis chier
192 Que il n’y veult nulluy huchier,
193 Ains veult le puis avoir tout seulz,
194 Vëez le chetif et prescheux !
195 Se tous les voisins y alaissent
196 Et leurs voisins y amenassent,
197 Et chascun puichast a deux mains.
198 Meilleur en fust, ja n’y eust moins[11].
199 Plus y venist, plus en ostassent,
200 Et aussi ceulx mieulx l’en amassent.
[2c]
201 Et quant n’y laisse nul puchier,
202 Le puis s’en peust empunaisier,
203 Et la fontaine en peut tarir,
204 Quant il n’y laisse nul venir
205 Ainsi est il d’homme scïent
206 Qui son sens celle en escïent,
207 Qu’aidier ne veult le sien amy.
208 Tout le voeult avoir a par lui
209 Et n’en veult aidier nulle gent,
210 S’ilz ne lui baillent de l’argent.
211 Et tost aprés le mort a prins
212 Le rend compte de son aprins,
213 Comment il l’a multiplïé,
214 Le sens que Dieu a envoié
215 Pour departir aux Besongneux,
216 Dont il a esté desdaigneux
217 De departir en ceste vie
218 Ce qu’il eust, et sien n’estoit mie.
219 Lors s’appelle las, meschëant,
220 Quant plaindre ne lui vault nëant.
221 Et pour [i]ce certainement
222 Je, a cest mien commencement,
223 Ne voeul mie estre decheü,
224 Ains voeul que de tout[12] soit sceü
225 Une scïence qu’aprins ay
226 De grant auctorité, et sçay
227 Que pluiseurs y prendront grant bien,
228 S’ilz le veullent entendre bien.
229 Car de long tamps en est l’hystoire
230 Et prinse sur vieille memoire,
231 Et les memoires ancïennes
232 Sont aux josnes phisicïennes
233 En exemples, en mencïons,
234 En biens et en fondacïons,
235 En manieres, en ordonnances,
236 En meurs, vivres et circonstances,
237 En humilité, en servir,
[2d]
238 En la grace Dieu desservir,
239 Qui autrement fut desservie
240 Et sainte Eglise mieux servie
241 D’œuvre[13] et de devocïon
242 (Si comme on voit la noncïon
243 Es vrays livres que ceüs sont)
244 Que es presens qui orez sont.
245 Chascun si estudie et quiert
246 Ce que Nature lui requiert,
247 Non point Nature raisonnable,
248 Mais de follie appetissable,
249 Appetissable en varïance
250 Et en toute folle ordonnance,
251 Comme luxure et gloutonnie
252 Et autres dont je ne diz mie.
253 Et les biens que ilz en rechoipvent,
254 Qui des mors sont et tourner doivent
255 Ou douaire[14] du crucefix,
256 Si comme de ce suis tout fis,
257 Ilz le mectent en aultre affaire,
258 Et dient qu’ilz le peuvent faire,
259 Car quant on leur baille, il est leur.
260 Mais ilz usent pain de douleur
261 Et a leur tresgrant dampnement,
262 Se sainte Escripture ne ment.
263 Pour ce d’une ancïenne histoire
264 Voeul je commencier ma memoire,
265 Et sera en partie de l’art
266 Que on[15] appelle maistre Renart.
267 C’est l’art qui les greniers remplist
268 Et les grans choses acomplist.
269 C’est l’art qui fait les simples gens
270 Devenir povres indigens.
271 C’est l’art qui fait les droits boiteux
272 Et les vaillans povres honteux.
273 C’est l’art qui fait les faulx hautains
274 Et les vermaulx pales estains.
[3a]
275 C’est l’art qui fait les bons muchier
276 Et les maulvais en hault d[r]echier.
277 Il fait de montaignes vallees
278 Et es grans vaulx fait les montees.
279 C’est l’art qui fait du blanc le noir,
280 De la mensonge fait le voir.
281 C’est l’art qui fait torchier Fauvel,
282 Du vieil [fait] neuf et de neuf vieil,
283 L’art qui fait rire le dolent
284 Et faire feste sans talent.
285 C’est l’art qui fait seigneurs garsons
286 Et garchons monter es archons.
287 C’est l’art qui fait les belles dames
288 Souvente foiz lever les games :
289 Aux mauvais fait porter honneur
290 Et les bons met a deshonneur.
291 C’est dont le ciecle[16] est plains,
292 Et religïeux et mondains.
293 Tout le monde cel art aprent
294 Dont en la fin pour fol se prent.
295 Mais n’est ars qu’homs ne puist apprendre
296 Et sur lequel il ne puist prendre
297 Mal et bien, si comme il vouldra,
298 Mais cil[17] est fol qui mal prendra.
299 En droit de moy je ne diz mie,
300 [Ne n’esperanche n’i est mie,][18]
301 Mais sache bien cil qui l’emprent,
302 Car fol est cil[19] qui l’art aprent,
303 Quant viendra au fin de sa vie
304 Il tiendra cel ars[20] a folie.
305 Que sur l’art que je si maintiengne
306 Qu’a mal et foleur nul en viengne,
307 Que ja en mal se introduient
308 Combien que cellui [tres]tout suient.
309 A brief parler, tous les sept ars
310 Sont tous enclins a celle[s] pars,
311 Ne nul des sept ars, s’il y touce,
312 N’est si fondé que il ne loche,
[3b]
313 Car sans lui doibvent bien lochier.
314 Certes si font ilz tous clochier,
315 Car sans lui sont tout d’homme[21] monde
316 Selon la chevance du monde.
317 Et qui est cil qui n’a bëance
318 De scïence avoir et chevance ?
319 Combien que des ars assez sache,
320 Tant q’un chascun peut s’i atache.
321 Se tout aprent et tout detient,
322 Se de cellui art ne retient,
323 (Si me gard Dieu d’avoir la fievre !)
324 Adont sera tenu pour chievre :
325 On dira a jung qu’il est yvres,
326 Ou que c’est un sacq plain de livres.
327 Sache loix ou dïalecticque,
328 Riens ne scet, s’il ne scet praticque.
329 Mais s’il scet de ceste maistrie
330 De[22] Renard qui tous ars maistrie,
331 Aprengne tant comme il vouldra.
332 Sans cel[23] art, petit lui vauldra.
333 De cel art dont je cy vous compte
334 Doibvent apprendre roy et conte,
335 Empereür et apostole,
336 Ceulx qui doivent lire a l’escole.
337 Si font[24] ilz voir, chascun en prent,
338 Chascun en droit lui en aprent.
339 De povres gens n’en peut chaloir,
340 Se de l’apprendre n’ont voloir.
341 Si en sont ilz escolier<t> tuit,
342 Chascun son cuer, sa langue y duit,
343 Car a l’acroire sont piteux
344 Et au payer sont despiteux.
345 Quant ilz acroient, ilz sont riches,
346 Quant ilz payent, povres et siches.
347 Aussi le petit enfanchon
348 Lisent tresbien ceste lechon.
349 S’on leur met en la main, ilz rient,
[3c]
350 Et s’on leur veult oster, ilz crient.
351 Et puis que chascun l’art recorde,
352 En droit de moy je m’y accorde,
353 Car Jacopin et Cordelier
354 Tirent trestous a cest colier.
355 Et quant ils en veullent ouvrer,
356 Dont y doy je bien regarder.
357 Si sont[25] certes tout penëant,
358 Combien qu’ilz n’en dient nëant.
359 Aussi coquins et demandeurs
360 Sont tous mensongniers et flateurs,
361 Vont plourant, disant povres sont.
362 M<auv>aises robes, mais souliers ont[26].
363 Mais qui tresbien les cercheroit,
364 Plus de deniers y trouveroit
365 Qu’il ne feroit es bien vestus.
366 Combien qu’ilz soyent salez et nuz.
367 Puis que[27] homme a truander s’adonne.
368 Je croy pechié fait qui lui donne,
369 Car cil droit larron estre veult
370 Qui prent et bien souffrir s’en peult.
371 Briefment, nul n’est a l’art donné
372 Que ceulx qui sont de femme né.
373 Et puis qu’ainsi est que je sçay
374 Ceste sïence et que je ay
375 Tamps et espace de vous dire,
376 Je ne m’en doy mie escondire
377 Que ne soit dicte a tous oyans.
378 Or y soit aucuns cler voyans :
379 L’an mil trois cens et dix e[t] neuf
380 Fust commencié cest livre neuf
381 Qui fu le premier livre fais
382 Qu’on dit Renard le Contrefais.
383 Au sanblant bien le trouverés,
384 Quant vous la matiere lyrés
385 Et trouverez nouveaux sentiers
386 Et des mesiaux et des Templiers,
[3d]
387 Si com vous en orez la vye.
388 S’il sceüssent bien renardye
389 Et la scïence proprement.
390 Encoire[28] fust il d’eulx autrement.
391 Maintes, dient ilz, ne [le] porent ;[29]
392 Mais je tesmoigne qu’ilz ne sorent,
393 Car se l’art eussent bien sceü,
394 Encoires[30] ne fussent pas sceü.
395 Mais tel s’en fait un grant ouvrier
396 Qui en est simple[31] escolier.
397 Enguerran de Margny cuidoit
398 En estre maistre, <mais> non estoit.
399 Toute sa vie le maintint.
400 Mais en la fin mal le retint.
401 S’il eust esté coys et souffrans,
402 Long tamps eust esté acquerant[32].
403 Cha avant en diray la vie.
404 Mais tamps est que[33] autre chose die,
405 Que Oyseuse ne me lait taire
406 Et me commande un livre a faire.
407 En oyseuseté longuement
408 Fut le clerc qui fist cest romant :
409 Pour ce pluiseurs livres cercha
410 Et pluiseurs secrez reversa
411 Et pluiseurs anciennes histoires
412 Plaines de tresbonnes memoires.
413 Or commenceray je mon dit,
414 Car dame Oyseuse le m’a dit.
L’ACTEUR
415 Se dist l’istoire es premier[s] vers
416 Que ja estoit passé yvers,
417 Et estoit une Pentecouste,
418 Une feste en l’an qui moult couste,
419 Que le roi Lÿon fist venir
420 Sa gent pour sa feste tenir,
421 Ses loyaux barons asambler
422 Comme roy, et roy veult sambler,
[4a]
423 Et dist en son cœur coiement :
424 « Roy qui se tient si seulement
425 Sans ses barons a lui attraire,
426 Envis peut a bonne fin traire,
427 Car s’il<z> les sieut, ilz le sieuront,
428 Et s’il les fuit, ilz le fuyront. »
429 Pour ce qu’il voult ce amender,
430 Fist il tous ses barons mander
431 Tout en samblant de charité,
432 En demonstrant humilité,
433 Et pensa : « Roy qui n’est amés
434 Bien doit estre chetif clamés. »
435 Noble le Lïon qui fut roys,
436 Sires et empereres droys
437 Dessus toute beste sauvaige
438 Qui toutes lui doivent homaige,
439 Mande, ensongne ne les en tiengne.
440 Pour ce n’y a nul qui n’y viengne
441 Pour porter service et honneur
442 Tant a eulx comme a leur seigneur,
443 Tant pour sa grace desservir,
444 Comme pour le bon jour servir.
445 N’y font deffault n’alongement.
446 Tout et toutes viennent briefment.
447 Chascun saigement se maintint.
448 Renard premierement y vint,
449 Qui saige fut, mal n’y eust ja,
450 Qui le sien nom puis ne changa,
451 Et ses noms, s’œuvre, decheu n’est.
452 Tant plus vit homs et plus en est,
453 Renard son nom ne remua,
454 S’œuvre ne son cuer ne mua.
455 Pour Renard qui gelines tue,
456 Qui a la rousse peau vestue,
457 Qui a grand queue et quatre piés,
458 N’est pas ce livre commenciez,
459 Mais pour cellui qui a deux mains,
[4b]
460 Dont il sont en cest ciecle mains,
461 Qui ont la chappe faulx samblant,
462 Qui va les cœurs des gens emblant.
463 N’est nulz homs tant saige sceüs
464 Qui monlt bien n’y fut decheüs,
465 Tant fut de la vie[34] certains.
466 De larrechin fut ly estrains[35],
467 Comté[36] de barat et de guille.
468 Il n’a[37] homme en ceste ville,
469 Tant soit saiges et advisés,
470 Qui bien n’y fut desavisés,
471 Ne paintre qui le paintesist,
472 Ne escripvain qui l’escripsist,
473 Et fut Argus et Euclidés,
474 Qui descaptures[38] sceut adés,
475 Comme d’eux cœur[t] la renommee,
476 Nommee[39] certes Tholomee
477 Qui fut si tresbon escripvain.
478 Ses engiens y seroit cy vain
479 Qu’envis s’i porroi<en>t traveillier.
480 Pignalïon qui de taillier
481 Estoit maistre[40] et de pourtraire,
482 Ne saroit pas tel robe faire.
483 Peroclités, Vircés, Euxis[41]
484 Ains y seroient trop pensis,
485 Ainçois que compassé l’eüssent
486 Ne que pourtraire le sceüssent,
487 Filer, ou[r]dir[42], taillier ne traire
488 La robe que Renard sceut faire,
489 Que eust vestue quant a court vint.
490 Selon son art il se maintint,
491 De samblant, de parole et d’œuvre
492 Son sen monstre[43] et son sens coeuvre.
493 Comme coys et joyeux se tint,
494 Avecques les meilleurs se tint.
495 Sa parole a nul ne refuse.
496 Monlt treshumblement son tamps use.
[4c]
497 Des plus saiges trait a sa part.
498 De ses parolles leur depart
499 En argumens, en questïons,
500 <Et> En pluiseurs inhibicïons.
501 Peu en un argument se tient,
502 L’un denÿe, l’autre soustient
503 Gracïeusement et actrait.
504 Et par ce pluiseurs en atrait.
505 Selon chascun il se contient.
506 Par quoy chascun payé se tient.
507 Abstinence sceut bien constraindre
508 En rire, en jurer et en plaindre,
509 En offrant a tel son hostel
510 De qui voulsist avoir le pel.
511 Et disoit : « Tout me pouez prendre. »
512 A tel qu’il voulsist voir entendre.
513 Par ce fist de ses ennemis
514 Les pluiseurs devenir amis,
515 Fors que Ysengrin seulement
516 Qui le hëoit trop durement.
517 Et pour ce [le][44] hëoit ly Loups
518 Que il estoit de lui jaloux
519 Et en son coeur coux se tenoit.
520 Et pour ce s’aucun bien disoit
521 De Renard, et que Renard yere
522 De simple et[45] saige maniere,
523 Bien parlans et bien arrestés,
524 Le Loup respondoit : « Vous mentés !
525 Ains est Renard tout au contraire,
526 Car on ne peult de lui bien traire. »
527 Ainsi le Loup le diffamoit,
528 Renard, que guaires il n’amoit.
529 Thiebert y vint ly empalez
530 Et le Rat, le <rat> meseau, Pelez.
531 Mais pour povoir que tous euïssent,
532 Ne pour bien dire qu’ilz peuïssent,
533 Ne pour Conflant[46], ne pour Robert
[4d]
534 Ne peut amer Pelés Thiebert.
535 Bauchans y vint et Espinars,
536 Et Grinbert, le cousin Renars,
537 Bruniaud le Tor et Brichemer,
538 Et le bon Cheval et Chimer[47],
539 Bernard l’Asne[48] et Tierselin,
540 Et le Mouton, sire Belin,
541 Petit Porrus, Robert[49] Roussiaulx,
542 Gourris et Bauchans ly Pourceaux,
543 Dame Hersent et Fauve y vindrent.
544 Ainsi les barons se contindrent,
545 Et Chantecler et dame Pinte
546 Vint a la court du roy, soy quinte.
547 Mais ains Renard ne vault amer
548 Ne amy ne cousin clamer,
549 Tant y ot, mais ne sçay le nom,
550 Nul ne s’en peut se louer nom
551 Qui vaulsist de raison user.
552 Cy ne quiers longuement muser
553 A dire quelz mos, quelz paroles
554 Ne aucunes parolles frivolles.
555 Mais viendray a m’[50]intencïon,
556 Encoire[51] reviendray au Lÿon.
557 Quant la feste fust departie,
558 Si appella sa baronnie :
559 « Seigneurs, dist il, or entendez,
560 Vous qui haux grans honneurs tendez,
561 Qui vëez[52] bien a soustenir,
562 Amer vous doy et chier tenir
563 Et en vos franchises garder,
564 Vous moy servir et honnourer.
565 Et ceste chose bien sçavés :
566 Service et honneur me devés,
567 Si comme[53] vous m’avés en convent,
568 Et si devez trestout avant
569 Garder mon paÿs, mon honneur
570 Aussi, le grant et le mineur.
[5a]
571 Vous [estes][54], si comme il me samble,
572 Le meilleur de ma gent ensamble.
573 Je vaulsisse, ains c’om se partist
574 Ne que le conseil departist,
575 Que le conseil tout assamblast,
576 Que l’en feïst et ordonnast
577 Constitucïon et bon fait
578 Qui jamais jour ne fust deffait
579 Et qui tousjours mais se tenist,
580 Ne ja nulz contre ne venist. »
581 Lors respondent communement :
582 « Par cellui Seigneur qui ne ment,
583 Vous avez dit un grant savoir,
584 Et nous ferons vostre vouloir. »
585 A un conseil trestous s’en vont
586 Les barons qui plus saige sont.
587 En pluiseurs sentences se mirent,
588 Divers diverses choses dirent.
589 Renard n’y fust pas oublïés.
590 Bien les a a sa part lÿés.
591 Par lui fust trestout concheü
592 Tout ce qu’ilz ont dit et sceü.
593 Au fort a lui sont accordé.
594 Mais pluiseurs jurent le corps Dé
595 Que a cest conseil ne seront
596 Ne ja ne s’i accorderont,
597 Et hucheront en hault : « Aÿ !
598 Renard, par toy sommes trahy.
599 Ja en lieu que tu puisses estre,
600 Povre n’avra ne lieu ne estre,
601 Certes ce est un mauvais sors. »
602 Lors les fist Renard bouter hors,
603 Et un tresgrant serment jura
604 Que cest accord si se tendra :
605 « [Les] dyables font telz povre gent
606 Parler ainsi, ny aultrement.
607 Je ne les puis<t> vëoir nommer[55].
[5b]
608 Que or fussent ilz em my la mer !
609 Ja de leur conseil ne seray
610 Et envis bien je leur feray,
611 Ce se n’est pour honte cachier,
612 Ou se n’est pour Fauvel torchier,
613 Et pour aucun renom avoir,
614[Ou pour aquester de l’avoir.][56]
615 Alons nostre accord recorder
616 Au roy sans plus desaccorder. »
617 Les riches dient : « C’est bien dist. »
618 Au roy vont pour dire leur dit :
LE ROI LION TIENT COURT
619 « Sire Noble, vers vous venons
620 Affin que nous vous recordons
621 Ce que par nous fait a esté
622 Et qui des grans est recordé.
623 Mais se ce ne volez tenir,
624 Honte pour nous en peut venir. »
625 Dy[t] le roy : « Et je m’y accord !
626 Or me recordés vostre accord.
REGNART VIENT A LA COURT
627 ― Sire, nous avons accordé.
628 Combien qu’aucuns l’ayent discordé
629 (Mais <ne> leur discord ne vault nëant,
630 Pour ce que ilz[57] sont povres gent),
631 Que les povres foulés seront,
632 Bon tamps, bien ne honneur n’avront,
633 Fain et froit tousjours sera leur
634 Et renommee de malheur.
635 Et encoir le conseil est telz
636 Que on leur toille leur chatelz,
637 <Ne> Ja ne croit en ce que tesmongne [58],
638 Et s’ilz n’aiment une besongne[59]
<Ainsi ferai qui an grongne>[60]
639 Ja ne sera bonne tenue,
640 Mais pour folle[61] et simple et nue.
641 S’il blasme aucun de sa folie,
[5c]
642 Nous sommes tous d’amour qu’on die
643 Que envie lui fait blasmer,
644 Car povre ne peut nul amer.
645 Et s’il veult vendre aucune rien,
646 Que ont lui desprise ce bien.
647 Se il dist bien, c’est adventure.
648 Se il dist mal, c’est sa nature.
649 S’il pleure, qu’il soit lendengiés.
650 S’il chante, qu’il est enragiés.
651 Que il soient mal et honteux,
652 Sans compaignie voisent seulz.
653 Et tout adez iront chargiés,
654 Mal peüz et souvent tenchiés,
655 Et seront les derrains ouÿs,
656 Et souvent nulz et esbahys.
657 Chier tamps, neisge, froit et gellee
658 Leur cherra tout sur l’eschinee.
659 En ost, en guerre mis devant,
660 En festez boutez laidement :
661 Mal vendront, mal employeront,
662 Toutes gens les vituper<e>ront
663 Quant en la terrïenne vie.
664 De l’autre ne jugons nous mie.
665 Dieu, le souverain debonnaire,
666 Scet bien de ce qu’il a afaire.
667 Les riches[62] au contraire seront,
668 Pris et honneur tousjours aront.
669 Se ilz sont folz, par leur avoir
670 Seront tesmoingné de savoir.
671 Leurs choses seront bien gardees
672 Et leurs maisnies deportees.
673 Vins avront, vïandes, chevaulx.
674 Tout sera leur, et mons et vaulx.
675 Tout seront leur les biens du monde,
676 Combien qu’aucuns soient de biens monde.
677 Adez de hault parler aront,
678 Gentilz et nobles se diront,
679 Combien que au[63] naistre et au morir
[5d]
680 Voit on la noblesse averir.
681 A ces deux poins, morir et naistre,
682 Voit on bien qui gentilz doit estre.
683 De la fin ne parlons nous point,
684 Chascun doit bien garder ce point.
685 Ad ce s’accordent les barons.
LYON
686 ― Et par sainct Pierre de Chalons !
687 Ce dit Noble[64], ainsi en voit,
688 Combien qu’aucun grevés en soyt !
689 Ja pour ce je ne le lairay,
690 Tost et briefment le sceleray,
691 Puis que de vous est accordé.
692 Mais, par cellui qui m’a formé,
693 Les ungs en ont trop le meilleur.
694 Or gardent bien ce qui est leur
695 Jusques droit leur veuille amender.
696 Faicte[65] escripre et commander
697 Que la sentence si se tiengne,
698 Et que nulz encontre ne viengne.
699 Soit tenu bien et fermement
700 Sans dire pour quoy ne comment. »
701 Lors fist le roy scelleer[66] la lettre
702 Et trestout les p[l]oms y fist mectre,
703 Les riches en prindrent copie.
704 Ja nul ne le fraigne en sa vie.[67]
705 Mais les povres n’en prindrent point,
706 Pour ce qu’ilz ne l’accordent point.
707 Par ce point furent povre gent
708 Ostez de bel estat et gent
709 Et de la joye terrïenne.
710 La sentence en est anchïenne
711 Qui fut ainsi faicte et escripte
712 Et par Renard jugie et dicte.
713 Renard le premier en parla,
714 Renard premier povre foula.
715 Par Renard sont povres foulés
[6a]
716 Et maint bon preudhomme boulés.
717 Tousjours fust Renard en saison,
718 Se ce ne fust dame Raison.
719 Mais quant Raison veult assaillir
720 Renard, bien tost le fait faillir :
721 Devant Raison durer ne peut.
722 Pour ce Renard amer ne veult,
723 Car trop tost le fait trebuchier
724 Par terre, fouir, noyer, cachier.
725 Aux Templiers prendre le devez :
726 Quant Renard les ot eslevez
727 Et mis jusqu’a seigneurs de terre,
728 On ne sçavoit nulz plus[68] grans querre.
729 Tant furent grans et tant pooient
730 Que tout le monde surmontoient.
731 Tout par son engin et son art,
732 Raison qui ains n’ama Renard,
733 Quant ilz furent ou hault clochier,
734 Les fist tout aval trebuchier.
735 En plus petit estat les mist
736 Que Renard avant ne les prist.
737 Jus les rüa sans relever.
738 Il n’apartient pas a celer
739 Enguerrant et Jourdain de Lille
740 Qui tant furent grant et habille,
741 Qui tant estoient surmonté
742 Que nullui n’avoient doubté.
743 Raison en despit de Renard
744 Les amena jusqu’a le bart.
745 Pour ce Renard point Raison n’aime :
746 De lui se deult, de lui se claime.
747 Quant Renard en a un levé,
748 Raison l’a tantost devalé.
749 Pour ce est fol qu’en[69] Renard se fie.
750 Les povres ne l’aimeront mie,
751 Quant ceste chartre leur donna
752 Que le roy Noble[70] ordonna.
[6b]
753 Quant s’intencïon fut finee,
754 Chascun tend a faire s’alee,
755 Chascune a grant fain de partir
756 Et de en sa maison venir.
757 Chascun s’en va en son paÿs
758 Pour vëoir femme[71] et amys.
759 Le roy, la roÿne au corps gent
760 Demourerent a pou de gent.
761 Plus du roy ne vous compteray.
762 A ma matere reviendray
763 Dont j’ay prins le commencement,
764 De Renard especïaulment
765 Qui tant peut povreté haïr
766 Et diffamer et envahir.
767 A lui ne se peut alïer.
768 Son art ne peut multiplïer :
769 Pour ce ne peut son art couvrir,
770 Et il pert assez a l’ouvrir.
771 Car quant povre plus l’art savra,
772 De la gent mains creüt sera.
773 Tant plus l’œuvre, plus est blasmés,
774 Et adont l’art plus diffamés
775 Qu’envis du bien ja loué n’yert.
776 Dont est fol, se tel art acquiert.
777 Le riche tresbien cest art treuve,
778 Ja n’en savra ouvrer que l’œuvre :
779 Tant passe Raison, ny s’adonne,
780 Qu’elle ne soit tenue a bonne.
781 Bien a de quoy son fait payer
782 Et maises langues appaisier,
783 De quoy faire taire ennemis
784 Et de quoy concquerir amis,
785 De quoy couvrir une folie.
786 Et de tout ce n’a povre mie.
787 Le riche fait de bourde voir
788 Et de grant folie savoir.
[6c]
YSENGRIN
789 Izengrin tant Renard haÿ
790 Et par tant de fois l’envaÿ
791 Pour lui nuyre et grever, s’il peust.
792 Mais oncques pour sens qu’il eüst
793 Ne se polt bien apercevoir
794 De haÿne ou d’amour avoir.
795 Ysengrin cognoistre ne peut.
796 Si en [fist][72] il du mieulx qu’il sceut.
797 Mais tant le seut bien repaier
798 De dit et de samblant paier,
799 Que il s’en tenoit a payés.
800 Oncques ne fust si esmayés.
801 Au printamps, la doulce saison,
802 Ysengrin fust en sa maison
803 Avec dame Hersem[73], sa femme,
804 Qui monlt le villone[74] et diffame,
805 Comme celle qui monlt noble yere.
806 Sote de corps et de maniere.
807 Et savoit bien par cuer l’affaire
808 Que toutes femmes scevent faire,
809 Et bien la verité sçavoit
810 Pour quoy, de quoy son con servoit,
811 Et elle vëoit son mary
812 Vieil, jaloux, malade et marry :
813 Long tamps a ce ne fust meü.
814 Monlt en eust le cuer esmeü
815 Comme[75] tristre et a malaise
816 Qu’elle n’ose faire son aise
817 De ce que Nature clamoit.
818 Dedens son cœur monlt s’en blasmoit,
819 Et disoit : « Lasse ! que feray ?
820 Que diray je, et ou iray ?
821 Nature me tourmente cy
822 Le cœur et les membres aussi,
823 N’ay membre dessoubz ma chemise
824 Qui ne me tramble[76] et fremise.
825 Une heure suis en marrisons,
[6d]
826 Aultre[77] heure [ai] les mengisons.
827 Une heure tramble, aultre[78] fremie.
828 Quel mal est ce ? Ne le sçay mie :
829 Ne sçay s’il est doulx ou amer.
830 Ne voy plus : il desire amer
831 Et beaulx embrachiers et baisiers,
832 Avecques les autres aysiers
833 Lesquelz je n’oze[79] pour honte faire,
834 Pour l’ort vilain qu’on puist deffaire !
835 Pour celluy qui[80] mort puist porter,
836 N’oze mes membrez deporter
837 Qui sont si bel et si deffait.
838 Pour quoy furent ilz oncques fait,
839 Mes membres qui tant sont honny ?
840 Sont ilz doncques d’amer banny ?
841 Mon ventre qui est blancz et cras,
842 Ma blanche gorge et mes blans bras,
843 Mes cuisses qui tant me font paine.
844 Qui sont sans oz, sans nerfz, sans vaine ?
845 Ne me doit il forment peser,
846 Quant mon doulx amy adeser
847 Ne les peut ? Mais prochainement
848 Les tiendra, se j’ay aisement.
849 Et se ne le trouvoie point,
850 Ung aultre tiendroit bien ce point.
851 Ja mon amy ne le sçaroit,
852 Ne ja pour ce moins n’y aroit.
853 Pour quoy sont donc mes membres fait ?
854 Certes je sçay bien qu’on en fait.
855 Ne s’en voisent ja debatant
856 Ceulx qui par tout vont cons batant,
857 Cordelier, Jacopin et aultre,
858 Qui bien font un et dient autre.
859 Et combien de ce me remembre,
860 De quoy serviroient mes membre ?
861 Nature[81] a tout ordonné
862 Le fait a quoy ilz sont donné :
[7a]
863 Ordonnés a Nature sont,
864 Ceulx sachent tresbien qu’il les ont,
865 Car cœur et corps me servira.
866 Ja Raison ne l’asservira. »
867 Lors fiert du poing sur son boudry
868 Et a juré par saint Landry
869 Que elle tel chose fera
870 Que le vilain coux en ara :
871 « Je lui feray anuy et honte,
872 Au vilain, dont je ne tiengs compte,
873 Qui ne peut mais faire bonne euvre. »
874 Atant s’en suert et sa huche euvre,
875 Car ire et couroulx le surprent.
876 Sa quenoille et fusee prent,
877 Son desvuidoir et son ramon,
878 Et le met dedens son gyron,
879 Et lui dist : « Commere, tenez,
880 Puis que a[82] l’hostel tant demourez
881 Et qu’il vous y plaist a tenir,
882 Et femme voulez devenir,
883 Ceste quenoille [me][83] fillés
884 Et si desvuidiez mes filez :
885 Bien estes or ad ce seans[84],
886 Quant estes [i]cy demourant,
887 Vous fillerez jusqu’as estoilles
888 Tant que nous avons quatre toilles
889 Qui bien seront entour nous mises.
890 Et si taillerez des chemises.
891 Et puis quant avrés cecy fait,
892 Si donnés a l’enfant du lait,
893 Et si le vestez et paissiez.
894 Ne point de deffault n’y laissiez :
895 Faictes le feu et la buee.
896 Gardez ne passez nostre entree,
897 Qu’estranges homs ne s’i esbatte,
898 Se vous ne volez qu’on vous batte.
899 Et vous voz brayez me[85] bailliez,
[7b]
900 Car porter n’estes pas tailliez.
901 S’iray le paÿs concquerir
902 Et des vïandes acquerir.
903 L’un convient il aller en proye.
904 [Or faites tost, c’on vous an proie :][86]
905 Vous arez nom dame[87] Aviz,
906 Qui tost fait mal et bien envis. »
907 Quant Ysengrin olt et entend
908 Les motz que sa femme lui tend,
909 Qui bien lui samblerent nuysans,
910 Folz [et] perilleux et cuisans.
911 « Dame, dist il, or m’entendés.
912 Je voy bien a quoy vous tendés :
913 Je vous empesche voz[88] voloir,
914 Dont monlt vous faiz le cuer doloir.
915 Ce ne convient il ja prouver :
916 Mal vous puissiez vous demener,
917 Car [ja][89] loaulté n’y querrez !
918 Faictes le pys que vous pouez
919 [Et][90] tout ce que au cœur vous monte.
920 ― Par foy, dist elle, c’est grant honte !
921 Ne poons pestre noz faulcons,
[7c]
922 N’oster noz [barbes][91] a noz cons,
923 Que nous ne vous trouvons present !
924 ― Mieuls amissions autre present.
925 ― Sire, se respondi sa femme,
926 Se Jhesus me gard de diffame,
927 Je vouldroie encoire estre a naistre.
928 Et[92] je deüsse un homme estre,
929 Et le cuer que je ay eüsse.
930 Et ja pour ce plus ne sceüsse !
931 Je feroye tant de dyablies,
932 Ains tant ne furent establies.
933 Ne seroit nulle belle femme,
934 Fust honte, couroux ou diffame,
935 Que je ne allaisse assaillir
936 Sans ja avoir peur de faillir,
937 Et que je ne vaulsisse avoir,
938 Qui qu’en deüst rire ou douloir.
939 Je feroie tant de meslees
940 Qu’envis seroient desmellees,
941 Ne feroye fors qu’espïer.
942 Ne doubteroie plour ne crïer :
943 Oncques Michault qui en morut
944 Si volentiers ouvrier n’en fut !
945 Je merroye deduis et chans,
946 Ne seroie pas des meschans
947 Qui es cendres crouppent et sieent :
948[Tieus gens Dieu ne nelui ne sieent.][93]
949 Homs qui tout veult veir et savoir
950 Ne doit ja nom d’amy avoir :
951 Qui crout ou fu et fait les liz,
952 Ains doit avoir nom dame Aliz.[94]
953 Trestout l<u>y dyable vrayement
954 Font femme prendre a celle gent
955 Qui ne peuent [fere][95] <le> mestier,
956 Et si voeullent tousjours guectier,
957 Qui ne peuent faire faire lait,
958 Et grace avra se il s’en taist.
[7d]
959 Nature rendra son devoir,
960 Qui qu’en doye rire ou doloir.
961 Faire estuet ce que il convient
962 Et de ce souvent me souvient :
963 Nature m’en fait souvenir
964 Qui ne me laisse en paix tenir. »
965 Quant Ysengrin oyt la nouvelle,
966 Lors sa douleur lui renouvelle,
967 Car jaloux est de grant piecha,
968 Et ce point ne le despicha,
969 Ains lui enflamne tost et tard.
970 Devant sechoit, mais orez ard,
971 Ne il[96] ne s’en peut plus deporter,
972 Car le meilleur n’en peut porter,
973 Car il cognoist et bien y pense :
974 « Cil[97] est fol qui a femme tenche,
975 Car dommaige il en acquerra,
976 Et de la honte en apperra.
977 Bon fait folle femme eschieuer
978 Pour tous les perilz eviter. »
979 Lors vuida Ysengrin la place
980 Sans que nul desplaisir lui face.
981 Et bien pensa en son advis :
982 « Mieulx vault ainsi que faire piz. »
983 Monlt fut courouchié et plain d’ire.
984 A lui mesmes print [il][98] a dire :
985 « Cil[99] qui a estat de franchise,
986 Sans servitude et sans maistrise,
987 Et il se boute es las de femme,
988 Bien doit avoir honte et diffame :
989 Ce qui est fait n’est pas a faire,
990 Or m’en iray a mon affaire.
991 La cuisanchon soit derriere[100] l’huis,
992 Puis que hors de mon hostel suis !
993 Meschief ay pour ce que j’ai fain.
994 Tout en ay et cuer et corps vain. »
995 Lors s’en entre au boys querant proye,
996 Prïant Dieu qu’a bon port l’avoye.
[8a]
997 Bien les arbres oÿ venter,
998 Mais oncques ne se peult vanter
999 Que nulle autre chose y oït
1000 Que de nulle riens s’esjoïst.
1001 En ceste fut la prayerie,
1002 Et le ville a l’autre partie.
1003 La praierie[101] fut grant et lee.
1004 Illecques fust Barbue alee
1005 Pasturer et prendre sa vie.
1006 Ysengrin qui a grant envie
1007 Que sa vie trouver peüt
1008 (Ne lui chausist qui le sceüt),
1009 Jette ses yeux, choisist Barbue
1010 Qui va paissant par my l’erbue.
1011 Seule fust, a paistre entendy,
1012 Et s’il qui a vivre tendy
1013 Ne vit nulluy fors celle part :
1014 Bien cuide avoir Barbue a part.
1015 Lors n’eust il cure de tenchier.
1016 Forment le print a esleeschier,
1017 Et jure Dieu, terres et champs
1018 Tousjours ne sera pas meschans :
1019 « Foy que doy ma femme putain,
1020 Qui me fait souppes de mon pain
1021 Et qui coux me fait, honte et lait,
1022 Fortune grant honneur me fait
1023 Quant m’envoye cy garnison
1024 Pour conforter ma garison !
1025 Ma femme ja ne le sçaira,
1026 Par mon chief, ne ja n’en ara !
1027 J’escommuny qui porte honneur
1028 Cellui qui lui fait deshonneur.
1029 En grant foulour vit et labeure
1030 Qui sa femme putain honneure !
1031 Quant [elle] ne veult honnourer,
1032 On le doit bien deshonnourer !
1033 Honneur est de telle nature
[8b]
1034 Que qui le sert elle lui dure,
1035 Et qui honneur veult asservir,
1036 Il doit bien a honte servir :
1037 <Or> Tiendray compte de mes amys,
1038 Puis que Dieu a[102] a honneur mys. »
1039 Lors s’en va vers lui faire feste,
1040 Et Barbue leva la teste
1041 Et vit Ysengrin qui dansoit
1042 Et qui a lui mengier pensoit.
1043 Sa contenance a bien veüe,
1044 Dont elle a grant päour eüe.
1045 Mais touteffoiz bien se contint.
1046 Hardie chiere et samblant[103] tint :
1047 Bien pense que se il savoit
1048 La grant päour que elle avoit,
1049 Qu’elle morroit ; pour ce se faint,
1050 Et trestout son voloir constraint,
1051 Combien que grant päour eüst,
1052 Ne voult qu’il s’en appercheüst.
1053 De trop foulour ne se doit plaindre
1054 Qui scet bien son vouloir constraindre.
1055 Car cil[104] qui tant son voloir euvre,
1056 Envis peut achever bon euvre.
1057 Et pour ce entre[105] lye et despite
1058 Lui a ceste parolle dicte :
1059 ― Beaux amys, Barbue lui dist,
1060 Ton samblant, contenance et dit
1061[Sont] sans bien estre et sans savoir !
1062 Oncques saige homme ne vy, voir
1063 Qui vers autrui venist crïant,
1064 A gorge estandue rïant.
1065 Je me vouloie sommeillier.
1066 Mais pour de livre[s] un millier
1067 N’est qui dormir poinst me feïst,
1068 Pour paine que nulz y meïst !
1069 Que veulx ? Que quiers ? Scez que demandes ?
1070 Et se nul riens par toy me mandes,
[8c]
1071 Dis le, sçaray conseil du faire.
1072 Et puis si va en ton repaire.
1073 Ne jamais en nulle maniere
1074 Qui bons ou preux ou saige[106] yere,
1075 Qui si sottement a nul viengne !
1076 De cy t’en va, plus ne t’aviengne,
1077 Car contenances font sçavoir
1078 En chascun se il a sçavoir,
1079 Car on voit a la contenance
1080 Grant partie de la scïence.
1081 Et la sïence sans maniere
1082 E[s]t de pluiseurs tenue peu chiere.
1083 Pour ce, amys, advise toy
1084 Et me diz se tu as de quoy.
YSENGRIN
1085 ― Barbue, ne t’esmaye mie,
1086 Car de ton corps, et croute et mie. »
1087 Dist Ysengrin : « M’estuet mengier.
1088 Je n’en prendroie nul denier,
1089 Mais si grant joye [ay je] eüe
1090 Aussi tost que je t’ay veüe,
1091 Que je ne sçay ou j’ay esté,
1092 Ne s’il estoit n’yver n’esté.
BARBUE
1093 ― Pour quoy liez, diz le moy briefment ?
1094 ― Que honys soit le corps qui ment ! »
1095 Dist Ysengrin : « N’en mentiray,
1096 Et tout par my le voir iray.
1097 Quand[107] fortune ou bons eürs
1098 Me vient, dont je suis peu seürs
1099 (Car a tart vient lez moy a estre),
1100 Nature me fait si liez estre,
1101 Pour ce que peu souvent m’avient,
1102 Que de lëesse foleur vient.
1103 Pluiseurs peschent plus par lëesse
1104 Que ilz ne font par grant tristresse.
1105 Homs trop liez en peril demeure.
[8d]
1106 Ennemis lui coeurt adez seure,
1107 Ja asseürez ne sera.
1108 Tout mal penser en lui ara.
1109 Oncques de trop lÿesse avoir
1110 Ne viz acquerir grant avoir.
1111 Mais en viennent discensïons
1112 Et guerres et occisïons,
1113 Charmeriez et revemens
1114 Et trestout mauvais mouvemens.
1115 Mais a mon œuvre reviendray,
1116 Pour quoy je te tiengs et tiendray
1117 En mon heritaige, es entrees[108],
1118 Mauvaisement prinse prouvees[109].
1119 Trouvee fourfaisant t’y ay :
1120 Sces tu quelle amende en aray ?
1121 De ton corps feray ma vïande.
1122 Aultre amende je n’en demande.
1123 Tout maintenant le mengeray.
1124 Ja aultre chose n’en feray :
1125 Nul te n’en peult estre garans. »
1126 Adonc la voult il prendre aux dans :
1127 Ja lui eust baillyé sa lechon
1128 Quant Barbue getta un son.
1129 Comme dolente et plain[e][110] d’ire,
1130 Dist a Ysengrin : « Laisse[111] moy dire
1131 Mon fait, mon dit et ma raison,
1132 Par quoy tu n’az nulle accoison
1133 De moy grever en nulz endrois :
1134 Mieulx te vauldroit perdre les dois,
1135 Car tu morras de maise mort,
1136 Se tu me griefvez et fay[s][112] tort. »
1137 Quant Ysengrin oÿt Barbue,
1138 N’ot pas sa sïence perdue
1139 Qu’il ne retenist bien le dit,
1140 Ainsi que Barbue l’a dit,
1141 Quant elle dist : « Se me faiz tort,
1142 Tu en morras de malle mort. »
1143 Pour quoy il fut monlt esbahy.
[9a]
1144 Adont la laisse et dit : « Or dy
1145 Qui es, que peus, ne en[113] quel dangier
1146 Suis je, que te laisse a mengier,
1147 Tant soit grant ou plain de savoir
1148 D’amis que tu puisses avoir. »
1149 Ce dit Barbue : « Sans mentir,
1150 Tu ne te doyz pas envahir
1151 Contre raison et verité :
1152 Tu n’en a pas l’auctorité,
1153 N’en toy n’est mie le pooir.
1154 Or scés tu bien se je diz voir ?
YSENGRIN BARBUE
1155 ― Dy oultre. ― Or[114] fay doncques paix !
1156 Je diz : en tout cest pre je paix,
1157 Et si pestray, et ay peü
1158 Toutes les foiz qu’il m’a pleü,
1159 Et tous ceulx qui de moy ystront
1160 En cest pre paiscent, et paistront
1161 Par cest pré et par la forest,
1162 Sans contredit et sans arrest :
1163 Chartres en ay longues et lees,
1164 Bien escriptes et bien scellees,
1165 Et quiconcques les desdira
1166 A mort et a honte en ira. »
YSENGRIN
1167 Dist Ysengrin : « Je ne t’en croy.
BARBUE
1168 ― Doncques je te requiers et proy
1169 Que tu me donnes aucun jour
1170 Au quel je puisse sans sejour
1171 La lettre que j’ay apporter,
1172 Et si y soyez sans fausser.
1173 <Et>[115] C’elle n’est bonne et bien parlant,
1174 Ne soyez de moy si souffrant
[9b]
1175 Que tu n’en faces ton repas.
1176 Je te jure par sainct Thomas
1177 Que ja mal gré ne t’en saray
1178 Et si te jure[116] que je y[117] seray,
1179 Sans point querir dilacïon
1180 Ne signifïer mocïon. »
1181 Le Loup se tint la bouche mue.
1182 Toute la volonté lui mue,
1183 Quant il vit que pour s’envahie
1184 Ne fust point la Chievre esmahye :
1185 « Ne sçay se je dors ou se veille »,
1186 En son cœur dist : « je m’esmerveille !
1187 C’est bien par grant malheureté
1188 Que ceste parle en sceureté.
1189 Il samble bien en son plaidier
1190 Qu’aucun soit prez pour lui aidier.
1191 Sans cause ainsi ne parle mie,
1192 Sans aucun amy ou amye
1193 Qui tost m’aroient honte fait,
1194 Se oncques je cognuz tel fait. »
YSENGRIN
1195 Lors dist comme coyz[118] et plain d’ire :
1196 « Quil[119] te fait elz parolles dire
1197 Ne de qui les peus<t> tu tenir ?
1198 Les veulx tu ainsi maintenir ?
BARBUE
1199 ― Sy vigoureusement [et][120] fort,
1200 Que tu ne me feraz ja tort.
1201 Va trouver autre qui te croye,
1202 Tu n’az pas trouvé cy ta proye. »
YSENGRIN
1203 Quant Ysengrin olt et entend
1204 Les motz que la Chievre lui tent,
1205 Si c’est un poy humilÿé.
1206 Pour ce lui a jour ottroyé :
1207 « Adhuy en huyt jours me raras.
1208 Lors la verité en sçairas. »
[9c]
1209 Ainsi ilz se sont accordés[121]
1210 Ysengrin jura le corps Des[122]
1211 S’elle n’y vient, guarir ne peut.
1212 Celle jure que bien lui veult.
L’ACTEUR
1213 Se[123] Barbue eüst molement
1214 Pallé, monlt li fut[124] malement :
1215 Mengie eüst esté sans doubte.
1216 Pour ce est cellui[125] fol qui trop doubte :
1217 On ne se doit trop esbahyr
1218 Ne de grant bien trop esjoÿr.
1219 Qui son fait maine par mesure,
1220 Raison accorde que il dure.
1221 Ainsi se partent et s’en vont.
1222 Tous deux en grans pensees sont,
1223 Cy d’Issengrin vous laisseray
1224 Et de Barbue vous diray
1225 Qui ne fut point riche d’avoir :
1226 Pour ce ne perdit son savoir,
1227 Pour ce point ne se mesporta,
1228 Mais tout adez se conforta.
1229 Puis qu’avoir ne peust acquerir,
1230 Pourvëance lui fault querir.
1231 Car pourvëance, ne doubt pas,
1232 A fait trespasser maint mal pas.
1233 Cil[126] qui a en lui pourvëance
1234 N’a pas perdue sa scïence.
1235 Envis peut cil[127] avoir a faire
1236 Qui pourvëance veult actraire,
1237 Et cil[128] qui n’en veult acquerir
1238 Est bien en voye de faillir :
1239 Souventeffoiz avient que quiert.
1240 Pourvëance a tous bons affiert,
1241 Et homs qui est sans pourvëance
1242 Souventeffoiz fault a chevance.
1243 On doit prendre exemple[129] aux bestes
1244 Qui de pourveance font festes,
[9d]
1245 Soiris, fremis, oyseaux volans
1246 Et le cuqu qui au printamps
1247 Chante son chant de cœur monlt gay,
1248 Tout le moys d’avril et de may,
1249 Et son cœur est et son voloir
1250 D’aucune pourvëance avoir,
1251 Ble, eaue, tout a amasser,
1252 Comment il puist yver passer.
1253 Car il scet bien a sa nature
1254 Que yver vient, pour ce met cure
1255 A querir et trouver retrait.
1256 La peu a peu son vivre actrait,
1257 Petit a petit met[130] ensamble,
1258 Selon ce que Raison lui samble,
1259 Lors quant il sent yver venir,
1260 Si s’en va en son creux tenir.
1261 Illec a son vivre se tient
1262 Jusques adonc qu’esté revient.
1263 Les soirys de jour et de nuys
1264 Font amas en petit reduys.
1265 Puis quant neisges[131] et gellees[132] viennent,
1266 Delez leur reduys si se tiennent.
1267 Laissent illec yver venir
1268 Et atendent printamps venir.
1269 Pour ce est bonne pourvëance,
1270 Qui veult avoir bonne chevance[133],
1271 Mais pourvëance et desconfort
1272 Ne furent oncques d’un accord.
1273 Dist Barbue : « Ja n’y aray
1274 Desconfort, mais Dieu prieray.
1275 Cathon dist que a nules gens
1276 Nul avoir n’est meilleur de sens,
1277 Car on leur prent bien leur avoir,
1278 Ce ne fait on pas leur sçavoir.
1279 Pour ton paÿs et pour ta terre
1280 Dois tu monlt bien entrer en guerre,
1281 Or veuille donc Dieu que je puisse
[10a]
1282 Vivre a honneur et que je truisse
1283 Ma loyal chevance et ma vye
1284 Sans estre grevee d’envie. »
1285 Barbue s’oroison fina,
1286 Mais de prïer Dieu ne cessa
1287 Pour le fait qu’elle a a tenir.
1288 [Car] Besoing fait maint cœur fremir.
1289 Envis aime Besoing Raison.
1290 Ne ne quiert en nulle saison
1291 Roide vallee ne grant mont,
1292 Perilleux guetz ne mauvés[134] pont,
1293 Haïne ne mort ne tempeste,
1294 Ne päour de copper la teste.
1295 Besoing oncques riens ne doubta,
1296 Raison ne quist ne escouta.
1297 Besoing paradiz ne desire,
1298 N’enfer ne prise un peu de cyre.
1299 Certes cincq piez ou mouton quiert
1300 Qui Besoing de Raison requiert.
1301 Besoing ne quiert honte n’honneur,
1302 Ne supporte grant ne meneur.
1303 Besoin ne scet que est savoir.
1304 Besoing n’amasse nul avoir,
1305 Ne voit ce qu’a Raison affiert,
1306 Mais que il ait ce qu’il requiert.
1307 La Chievre qui besoing avoit,
1308 Comme celle qui bien sçavoit
1309 Que eschapper ne peut de mort
1310 Siques soit droit ou mal ou tort,
1311 De cest pas issir lui convient.
1312 De pluiseurs souvenirs souvient
1313 Cellui qui[135] grant besoing argue.
1314 Adoncques s’avisa Barbue
1315 De deux matins qu’elle nourry
<Lesquelz elle avoit bien nourry>[136]
1316 Suz frere Gombert le Pourry.
1317 Une lysse ot frere Gombaulx
[10b]
1318 Qui avoit [eu] entre deux saulx
1319 Deux matins ; mais quant ilz nasquirent
1320 Par le lisse petit acquirent,
1321 Car le Loup, ains qu’il fust trois jours,
1322 <Ne> Le menga, dont fut grans doulours.
1323 Frere Gembaulx <a> qui[137] elle fu,
1324 Pour l’amour qu’a elle ot eü,
1325 Voult faire aux jones chiens ayeue :
1326 Si les fist nourrir a Barbue.
1327 Tant y mist celle entente grant
1328 Qu’ilz furent fors, rade et poissant.
1329 Lors pensa : « Grans biens je leur fis :
1330 Au besoing voit on ses amis. »
1331 Sans regarder ne hault ne bas,
1332 A eulx s’en va plus que le pas,
1333 Disant : « Par eulx m’estuet saillir.
1334 A eulx ne doy je pas faillir.
1335 Povre, maigre, vieille devien,
1336 A honte et a grant dangier vien. »
1337 Plourant sa vieillesse y aloit
1338 Et son vivre qu’on lui ostoit.
1339 Lors les matins la regarderent.
1340 Tous deux contre lui se leverent.
1341 Pluiseurs bestes cognoissent bien
1342 Ceulx qui leur ont fait aucun bien.
1343 Mais au monde a assez[138] gens
1344 Qui en bien sont si neggligens
1345 Que leurs bienfaicteurs ne ravisent,
1346 Ains les blasment et les desprisent,
1347 Ne ne leur souvient des bienfais
1348 Que les preudhommes leur ont fais :
1349 Bien perdus sont, bien dire l’os.
1350 Or reviendray a mon propos :
1351 Les deux matins le saluerent,
1352 Et promptement lui demanderent :
1353 « Volez vous riens que puissons faire ?
1354 Nous sommes prest a voz[139] affaire.
<N’espargniez point nostre contraire>[140]
[10c]
1355 N’espargnerons traveil ne paine
1356 Pour vous, de ce soyez certaine. »
1357 Quant Barbue la parolle oÿ,
1358 Dedens son cœur s’en esjoÿ
1359 Et dist : « Grant merchys, humblement,
1360 Qui bien sert, bon loyer atent,
1361 Et qui le mauvais servira
1362 Lui mesmes se asservira.
1363 Cil[141] pert son tamps, s’honneur, sa paine
1364 Qui du mauvais servir se paine.
1365 Seigneurs, a moy or entendés,
1366 Vous qui a guerredon tendés.
1367 Unes des grans vertus qui soit
1368 A tout homme qui se cognoit
1369 Ne qu’en cest siecle doye avoir,
1370 C’est de bien cognoistre le voir
1371 De son amy et de ses fais
1372 Qui lui a pourchassés et fais,
1373 C’est qu’il cognoist son bienfaicteur
1374 Et aussi cil qui est nuiseur.
1375 Qui ce cognoist, a bien c’est mis.
1376 Salomon dist : « Loyaulx amis
1377 Si est medecine de vie. »
1378 E[t] Tulles dit (n’en doubtez mie,
1379 Il dist voir et bien l’aperchoy),
1380 Que cil qui ne scet amer soy,
1381 Comment scet il un autre amer,
1382 S’il n’a le cœur fol ny amer ?
1383 Qui scet bien amer loyaulment,
1384 Et se le saige[142] homs ne ment,
1385 Ja le fol amer ne sçaira,
1386 Ne le bon gré d’autruy n’ara.
1387 Et Tulles dist en un dictié
1388 Qui touche la loy d’amistié
1389 Que je truis escript en son livre,
1390 Que il baille a tous et delivre :
[10d]
1391 « Amis, dist il, je te commant,
1392 Aime ton amy tout autant
1393 Comme certainement[143] s’antraiment
1394 Et com de fait amys se claiment. »
1395 Et drois est que je le vous die,
1396 L’un membre n’a de l’autre envie.
1397 Mais l’un l’autre embelir vouldroit
1398 Et donner grace, s’il pooit.
1399 Et chascun membre par esgart
1400 Son service a l’autre depart.
1401 Se l’un des membres l’autre griefve,
1402 Prinse en est la vengance briefve.
1403 Se l’un des membres est irés
1404 Ou par quelque cas empirés,
1405 Tous les autres en ont douleur
1406 Autant ou prez que de la leur.
1407 A tous les membres douleur vient,
1408 Quant li un en douleur se tient.
1409 Et n’ont de santé nul pouoir
1410 Tant comme[144] lui sentent mal avoir,
1411 Bon jour, bon goust ne bonne nuyt,
1412 Tant comme l’un des membres cuyt.
1413 Et quand delit vient a un membre,
1414 A tous les autres en ramembre.
1415 Et ont joye naturelement[145],
1416 Quant l’un en sentent lÿement.
1417 Et se d’aïde il a mestier,
1418 Trestous y vont pour lui aidier.
1419 Chascun y coeurt pour garandir,
1420 On n’en verra nul ressortir.
1421 Estre veuillent mors ou lardés,
1422 Ains que l’autre ne soient[146] gardés.
1423 Ne va pas l’un l’autre esveillant :
1424 Tout a un cop y vont saillant.
1425 Tout ensamble mort rechepvront,
1426 Ou leur compaignon rescourront.
1427 A toute heure et[147] loing et prez.
[1] Raynaud corrige en nouvele.
[2] Raynaud corrige en jusqu’.
[3] Raynaud corrige en l’aneantist.
[4] Ms. prie.
[5] Ms. de bien faire et bien faire.
[6] Raynaud corrige en maintiengnent.
[7] Raynaud corrige en aÿdes.
[8] Raynaud corrige en aÿdes.
[9] Raynaud corrige en com.
[10] Ms. cellui.
[11] Raynaud corrige en mains.
[12] Raynaud corrige en tous (ce qui donne un sens différent au verbe sceü).
[13] Raynaud corrige en œuvres.
[14] Trissyllabe.
[15] Raynaud corrige en Qu’on.
[16] Raynaud corrige en ciecles.
[17] Ms. cellui.
[18] Vers suppléé d’après A.
[19] Ms. cellui.
[20] Raynaud corrige en art.
[21] Raynaud corrige en d’honnour d’après A.
[22] Ms. le (corrigé d’après A).
[23] Ms. cellui (corrigé d’après A).
[24] Ms. sont.
[25] Ms. font.
[26] Raynaud corrige en Mauvaises robes, souliers ont.
[27] Raynaud corrige en puis qu’.
[28] Raynaud corrige en Encoir.
[29] Raynaud ne corrige pas et laisse le vers hypométrique.
[30] Raynaud corrige en encoir.
[31] Raynaud corrige en Qui n’en est que simple.
[32] Raynaud corrige en aquerrans.
[33] Raynaud corrige en qu’.
[34] Raynaud corrige en laine d’après A.
[35] Raynaud corrige en estains d’après A.
[36] Raynaud corrige en Gouté d’après A.
[37] Raynaud corrige en ne a.
[38] Raynaud corrige en descriptures d’après A.
[39] Raynaud corrige en Non mie.
[40] Raynaud corrige en maistres.
[41] Raynaud corrige en Zeuxis d’après A.
[42] Corrigé d’après A.
[43] Raynaud corrige en demonstre d’après A.
[44] Corrigé d’après A.
[45] Raynaud corrige en et de saige.
[46] Raynaud corrige en Constant d’après A.
[47] Raynaud corrige en Thimer.
[48] Raynaud corrige en Et Bernard.
[49] Raynaud corrige en Porchas, Frobert d’après A.
[50] Ms. mon.
[51] Raynaud corrige en Encoir.
[52] Raynaud corrige en bëez d’après A.
[53] Raynaud corrigent en com.
[54] Suppléé d’après A.
[55] Raynaud corrige en n’amer d’après A.
[56] Suppléé d’après A.
[57] Ms. quilz.
[58] Raynaud corrige en Je ne croie ce qu’il tesmoignent d’après A
[59] Raynaud corrige en Ne la besoigne que il moignent d’après A.
[60] Vers excédentaire.
[61] Raynaud corrige en mauvese d’après A.
[62] Raynaud corrige en riche.
[63] Raynaud corrige en qu’au.
[64] Raynaud corrige en Nobles.
[65] Raynaud corrige en Faictes.
[66] Raynaud corrige en sceller.
[67] Raynaud inverse l’ordre des deux derniers vers et édite 704-703.
[68] Ms. plus nulz.
[69] Ms. qui en ; Raynaud garde qui en mais corrige Renard en lui.
[70] Raynaud corrige en Nobles.
[71] Raynaud corrige en et femme.
[72] Suppléé d’après A.
[73] Raynaud corrige en Hersent.
[74] Ms. de vilonnie.
[75] Raynaud corrige en Courecié d’après A.
[76] Raynaud corrige en trestramble.
[77] Raynaud supplée Et.
[78] Ms. lautre.
[79] Raynaud corrige en oz.
[80] Raynaud corrige en cui d’après A.
[81] Raynaud supplée Or.
[82] Raynaud corrige en qu’a.
[83] Suppléé d’après A.
[84] Raynaud corrige en seant.
[85] Ms. ne.
[86] Vers suppléé d’après A.
[87] Raynaud corrige en arez a nom.
[88] Raynaud corrige en vo.
[89] Suppléé d’après A.
[90] Suppléé d’après A.
[91] Suppléé d’après A.
[92] Raynaud supplée que.
[93] Vers suppléé d’après A.
[94] Raynaud inverse l’ordre des deux derniers vers et édite 952-951.
[95] Suppléé d’après A, mais la correction rend le vers hypermétrique, d’où l’effacement de le.
[96] Raynaud corrige en N’il
[97] Ms. Cellui.
[98] Suppléé d’après A.
[99] Ms. Cellui.
[100] Raynaud corrige en derrier.
[101] Raynaud corrige en prairie.
[102] Raynaud corrige en m’a.
[103] Ms. Hardie et chiere samblant.
[104] Ms. cellui.
[105] Raynaud corrige en c’entre.
[106] Raynaud corrige en saiges.
[107] Raynaud corrige en Comme.
[108] Raynaud corrige en a l’entree.
[109] Raynaud corrige en prouvee.
[110] Corrigé d’après A.
[111] Raynaud corrige en Lai d’après A.
[112] Corrigé d’après A.
[113] Raynaud corrige en n’en d’après A.
[114] Raynaud corrige en Ore.
[115] Corrigé d’après A.
[116] Raynaud corrige en jur.
[117] Raynaud corrige en j’y.
[118] Raynaud corrige en courreciez d’après A.
[119] Raynaud corrige en qui.
[120] Suppléé d’après A.
[121] Raynaud corrige en accordé.
[122] Raynaud corrige en Dé.
[123] Ms Le (corrigé d’après A).
[124] Ms fut monlt fut.
[125] Raynaud corrige en cil.
[126] Ms. Cellui.
[127] Ms. cellui.
[128] Ms. cellui.
[129] Raynaud corrige en exemples.
[130] Ms. mes.
[131] Raynaud corrige en neisge.
[132] Raynaud corrige en gellee.
[133] Ms. brance.
[134] Ms. grant corrigé d’après A.
[135] Raynaud corrige en cui.
[136] Vers excédentaire.
[137] Raynaud corrige en cui.
[138] Raynaud corrige en assez de.
[139] Raynaud corrige en vo.
[140] Vers excédentaire
[141] Ms. Cellui.
[142] Raynaud corrige en saiges.
[143] Raynaud corrige en tous noz membrez d’après A.
[144] Raynaud corrigent en com.
[145] Raynaud corrige en naturelment.
[146] Raynaud corrige en soit d’après A.
[147] Raynaud corrige en et de loing.