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1581-Origine de la langue et poesie françoise (Claude Fauchet) (101-150)

101

Quant au vers qui dit, Les oreilles sont voye & dois :

ce mot Dois signifie conduit ou canal, tesmoing

un vers de la premiere chanson de Monseigneur

Gaces Brulez

« Au renouviau de la doucour d’esté,

« Que reclaircit li dois en la fontaine.

Et encores en Normandie on appelle douit un canal.

Il descrit une deconfiture de gens, ainsi qu’il ensuit,

« Et cil qui chassent les destranchent,

« Et lors chevaux lor eboëllent,

« Les vifz desor les morts roëllent,

« Qui s’entrafollent & occient,

« Laidement s’entrecontralient.

J’ay trouvé de bons proverbes & sentences, comme,

« Car se seroit trop vilain jeux,

« De un dommage fere deux. &

« Qu’a venimeux & a felon

« Ne doit on faire se mal non. &,

« Car tiex a pauvre cuer & lache,

« Quant voit un preudhom qui entache

« Desor soi tote une besongne,

« Que maintenant honte & [ver]gongne

« Li cort sus & si jette fors

« Le pauvre cuer qu’il a el cors :

« Et si li donne plainement

« Cuer de preudhomme & hardement.

Au Romans du Chevalier au Lyon qui est de luy

mesme :

« Li autres parloyent d’Amors,

« Des angoisses & des Dolors,

« Et des grans buens que ont souvent,

102

« Les desciple de son convent,

« Qui lors estoit riches & buens,

« Mes or y a petit des 1suens,

« Car bien pres lont tretuit laissié,

« Sen est Amor molt abessié :

« Car cil qui soloient amer,

« Se faisoient cortois clamer,

« Et prou & large & henorables,

« Or est amors torné en fables,

« Porce que cil qui rien n’en sentent

« Dient qu’il aiment, & si mentent :

« Et cil fable & mensonge en font,

« Qui sen vantent & rien n’i ont.

« Mais por parler de celz qui furent,

« Laissons celz qui en fie durent,

« Quencor valt miex, se m’est avis,

« Un cortois morts qu’un vilain vis.

Il me semble que ces quatre vers derniers sont de

bonne invention, & qu’il fault ainsi les interpreter,

Qu’un homme jadis courtois, encores qu’il soit mort,

est ramentu en la bouche de ceux qui l’ont connu,

& peut servir d’exemple aux autres : là où le Vilain

ne vault ne mort ne vif. Encores,

« Il ni a cortoisie ne sen

« En plait doiseuse maintenir

« Tosjours doit li fumier puir,

« Et tahons poindre & 2maloz bruire,

« Envious envier & nuire.

Geoffroy Thori de Bourges au livre sus allegué, dit

avoir veu les œuvres de ces deux bons peres en la

possession de frere René Massé, Religieux de Vandos-

103

me : & que ce Christien a composé un livre intitulé

le Chevalier à l’espee, & un autre nommé Perceval

dedié à Philippes Comte de Flandres, qui est celuy

duquel j’ay parlé cy dessus. Ce qui suit, est du Ro-

man du Chevalier au Lyon,

« Car molt est fox qui se demore

« De son prou fere une sole hore.

& d’une Dame qui se faisoit prier d’espouser un

qu’elle aimoit.

« Et les prieres riens ni grievent,

« Ains li esmoevent & soslievent

« Le cuer a fere son talent.

« Li chevaux qui pas ne va lent,

« S’efforce quant l’on l’esperonne, &c.

Ce peu que j’en ay veu, me fait juger qu’il y avoit

beaucoup de belles & gentilles inventions, & que

Huon de Meri ha bonne cause de le louer.

De GODEFROIS DE LEIGNI. XI.

GOdefrois de Leigni vesquit du temps de Chri-

stien de Troies : un Romans duquel parlant

de Lancelot, & intitulé la charrette, ce de Leigni a-

cheva : par le congé dudit Christien, ainsi qu’il est

clair par ces vers mis à la fin du livre :

« Godefrois de Leigni li clers,

« A parfinee la charrette :

« Mes nus hom blasme ne li mete,

« Se sor Chrestien a duré,

« Car il la fet pour le bon gré

« Chrestien qui le commença,

« Et tant a fet de la en ça

104

« Ou Lancelot fu emmurez,

« Tant com li contes est durez.

Il y a fort belles inventions en ce livre, telles que

celle cy,

« Et Lancelot jusqu’à lentree

« Des iex & du couer la convoie :

« Mes ax iex fu corte la joie,

« Que trop estoit la chambre pres.

« Li oil fussent entré apres

« Mont volentiers se il peust estre :

« Li Cuers qui est sires & mestre

« De grëignor pooir assez

« Est ovec lui outre passez,

« Et li oil sont remez dehors

« Plains de larmes avec le cors.

Il introduit le mesme Lancelot, se reprenant qu’il

s’estoit voulu faire mourir, pour eviter la peine du

mal qu’il enduroit pour sa Dame.

« Mieux voil vivre & sofrir les 1colx

« Que morir por avoir repos. & encores,

« Ge ne scai li quiex plus me het,

« Ou la vie qui me desirre,

« Ou la mort qui me veut occirre :

« Einsi l’uns & l’autre m’occit. & encores,

 « Bien est voir que moult se foloie,

« Qui de fame garder se peine,

« Son travial i pert & sa peine.

« Qu’ains le pert cil qui la garde,

« Que cil qui ne s’en donne garde. & encores,

« Qu’en qu’on dit à fol petit vault

« Que il ne fait que se debatre

105

« Qui de fol veut folie abatre

« Et le bien qu’en enseigne 1acueure

« Ne vaut rien qu’il nel met en œuvre,

« Ains est tos talé & perdu.

Le livre est assez plaisant, car le principal est fait par

Christien, qui à la verité fut plein de belles inventions.

De HEBERS. XII.

HEbers qui prend tiltre de clers, est autheur du

Romans des sept sages, ou de Dolopathos : le-

quel il dit avoir translaté du latin fait par un moine

de l’Abbaie de Haute-selue, nommé dam Jehans,

Ainsi qu’il dit au commencement

« Li bon moinde de bonne vie

« De Haute-selue l’Abbeie

« A l’estoire renouvelee,

« Par bel latin la ordenee

« Hebers la vieut en Romans traire,

« Et del Romans un livre faire

« El nom & en la reverence

« Del Roi fil Phelipe de France

« Loeis qu’en doit tant loer. &c.

Ce Loeis Roy fil Phelipe, me semble estre Louis

pere de saint Louis, lequel du vivant de son pere fut

couronné Roy d’Angleterre : ou bien Louis Hutin,

Roy de Navarre, par sa mere. Car je ne congnoi au-

tre que ces deux qui auent porté tiltre de Roy vivans

leurs peres. Et ne fault raporter cela à Louis le Gros

(lequel à la verité fut couronné du vivant de Phi-

lippe premier) car il me semble que le langage de

ce Roman n’est si ancien. Il est tout plein de contes.

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moraux & plaisans, de proverbes François & belles

sentences. Ce proverbe est de luy,

« On sert le chien pour le seignor,

« Et por l’amor le chevalier,

« Baise la Dame l’Escuier.

Ceste sentence m’a semblé belle entre autres,

« Riens tant ne greve menteor,

« A larron ne à robeor

« N’a mauvez hom quiex qui soit,

« Com’ veritez quand l’apperçoit :

« Et veritez est la maçue

« Qui tot le mont occit & tue.

La deuxiemme nouvelle de la III. journee du Deca-

meron de Bocace peut estre prise de cest autheur.

Car il raconte d’un qui coucha avec la fille d’un Roy,

laquelle l’ayant marqué au front, il en alla faire au-

tant à tous les Chevaliers dormans en ce Palais. La

IIII. Nouvelle de la septieme journee est de cest au-

theur, pour le regard de la pierre jectee dedans le

puis. La VIII. de la VIII. journee peut aussi estre

prise de luy mesme, pour le regard de la revan-

ge du Sienois, qui acoustra la femme de son com-

paignon sus sa teste. Il envoye son livre à l’Evesque

de Meaux, qu’il ne nomme :

« Hebers desine ici son livre,

« A l’Evesque de Meaux le livre,

« Qui diex doint henor en sa gie.

Il semble que la vie de Josaphas (qui est une in-

struction pour les Roys) soit de la mesme veine.

Duquel aussi Bocace peut avoir pris ce qu’il dit

de ce jeune garçon, qui n’ayant jamais veu des

107

femmes, en demanda une à son pere, comme la plus

belle chose qu’il eust jamais veue. Tout le subject

du livre Italien, intitulé Erastus, est pris de ce Do-

lopathos, qui eut les mesmes adventures que ledit

Erastus Italien.

De HUON DE MERI, autheur du Ro-

mans d’Antechirst. XIII.

IL est bien certain que Huon de Meri est autheur du

Roman d’Antechrist, parce que luy-mesme dit,

« I m’aint diex Huon de Meri,

« Qui a grand peine a fet ce livre.

mais je n’ay rien trouvé de sa naissance & qualité. Il

declare au commencement de son œuvre, en quel

temps il l’a composé, puis qu’il dit,

« Il avint apres celle emprise,

« Que li François orent emprise,

« Contre le Conte de Cahmpaigne :

Que li Rois 1Lois de Bretaigne

« Mena son ost sans point d’alo[ine],

« Que mors ert li quens de Boloine

« Dont li François orent fet chief,

« Qui mremes sont à gront meschief,

« Li membre foible & mal 2bailli,

« Quant li chief au membre failli.

« Els s’en traïrent tretuit arriers,

« Fors Malclerc qui tant estoit fiers,

« Qu’a merci ne deigna venir,

« Bien cuida Bretaigne tenir

« Contre le Roy par son desroi

« Com cil qui avoit cuer de Roy,

108

« Et qui estoit plein jusqu’au jour

« De hardement & de valour :

« De cortoisie & de largesse,

« Lors ne me pot tenir paresse,

« D’aller en l’ost du Roy de France,

« Tant fis en cel ost demorance,

« Que de Bretaigne fu partis

« Li Rois de France & fu bastis

« Li accors de la grand discorde

« Que cil Roy si comme l’en recorde,

« Avoit au Conte de Bretaigne.

Par ces vers que j’ay voulu mettre au long, pource

qu’ils servent à l’histoire du temps, il appert que

Huon vivoit au commencement du regne du Roy

S. Louis, à sçavoir l’an M.CCXXVIII. auquel finit

ceste guerre de Bretaigne. Il semble qu’il ait esté re-

ligieux de S. Germain des prez pres de Paris, car il dit

« Religion proi quel mi meine,

« Qui m’a la mené par la main,

« Jusqu’à l’Eglise saint Germain

« Des prez les les murs de Paris.

Je n’ay pas remarqué de grans traits de poesie en

tout son œuvre : que l’on peut mettre entre les saty-

riques, puis que c’est un combat des vertus contre les

vices, & qu’il reprend beaucoup de diverses quali-

tez de gens. Il semble qu’il a pris so nsuject sus ce

que Raoul & Cristien avoyent commencé : princi-

palement sus le fabliau du chemin d’Enfer. car il dit,

« Y 1m’ait diex Huon de Meri

« Qui a grant peine a fait ce livre,

« Il n’ausa pas prendre à delivre,

109

« Li bel François à son talent.

« Car cil qui trouverent avant,

« Prindrent auvant tout à l’eslite,

« Pour ce est ceste œuvre meins eslite.

« Et fu plus 1fort à achever,

« Moult mis grand peine a eschiver

« Les dis Raoyl & Christian.

« Onque bouche de Christian

« Ne dit si bien comme ils disoyent,

« Mes quant qu’ils dirent prenoient

« Li bel François trestot a plain,

« Si com il leur venoit à main,

« Si qu’apres eux n’ont rien guerpi.

« Se j’ay trouvé aucun espi

« Apres la main as 2mestiviers

« Je l’ay glané molt volontiers ;

Quant à ce qu’il dit, Et fu plus fort à achever : il se

peut entendre qu’il ne poursuivit pas l’œuvre com-

mencé par lesdits Raoul & Chris[ti]an [:] mais qu’il

avoit eu grand’ peine ne voulant repeter ce qu’ils

avoyent ja fit. A la fin il nomm son livre,

« Par son droit nom apeau cet livre

« Qui tresbien s’accorde à l’escrit

« Le tournoiement d’Antichrist.

Il appelle en une endroit les espees acerines, qui est

une epithete assez bon.

« As grans espees acerines

« Fierent com feuvres sus enclume.

De HUON DE VILLENEUVE. XIIII.

JE croy que les Romans de Regnaut de Montauban,

Doon de Nantueil, Garnier de Nantueil, & Aie

110

d’Avignon, Guiot de Nantueil, &Garnier son fils,

sont tous ‘un mesme poete. Premierement parce

que c’est une suitte de cote cote, & que je les ay veus cou-

sus l’un apres l’autre. Car il fault confesser que le livre

ne vint jamais entier en mes mains : & encores le

fueillet des commencemens de chacun livre (pour

ce que les lettres estoyent dorees & enluminees) a-

voyent esté deschirez. Toutefois en l’un qui estoit

demi rompu, je trouvay le nom du Trouverre,

« Seignor, soiez en pes tuit a ….

« Que la vertus del ciel soit en vos demoree,

« Gardez qu’il n’i ait noise ne tabor ne criee :

« Il est ensinc coustume en la vostre contree,

« Quant uns Chanterres vient entre gent henoree

« Et il a endroit soi sa vielle atrempee

« Ja tant n’avra mantel ne cotte desramee

« Que sa premiere 1laisse ne soit bien escoutee,

« Puis font chanter avant se de riens lor agree,

« Ou tost sans vilenie puet recoillir 2s’estree.

« Je vos en dirai d’une qui molt est henoree,

« El Royaume de France n’a nulle si loee,

« Huon de ville noeuve l’a molt estroit gardee,

« N’en vol prendre cheval ne la mule 3afeltree,

« Peliçon vair ne gris mantel chape forree,

« Ne buens 4paresis une grant 5henepee,

« Or en ait il mausgrez qu’ele li est emblee,

« Une molt riche piece vos en ai aportee.

J’ai voulu mettre ces vers, & pour monstrer l’entree

de ces Chanterres avant que faire leurs recits, &

aussi les recompenses qu’ils tiroyent des seigneurs,

en chevaux, habits, & deniers. Le 13. vers me fait

111

soupçonner qu’un Chanterre desroba ce Romans à

Huon de Ville-neuve, qui est estoit le Trouverre,

& inventeur. Il s’y trouve d’assez bonnes sentences

& descriptions. & entre autres celles-ci,

« Qui une fois a bien n’a mie tousjours mal. &,

« La chose qu’on ne puet amender ne drecier

« Nus preudhom ne la doit elever n’esaucier. &,

« Force n’est mie drois pieça l’ai oi dire. &,

« Que au besoing peut on son ami eprouver. &,

« Tosjors attent li fox que la tempeste dure. &,

« Que ja nul 1avers hom ne puet en pris monter. &,

« Hé France (ce dit il) for totes la meillor,

« Eins ne fustes encore un jour sans trahitor.

par tout il donne à la France l’epithete de douce

France.

Du Romans de Doon.

De morts & de navrez & jonchier & couvrir. &,

« Tosjors l’ai oi dire souvent est reprouvé

« Cil venge mal son dueil qui marli la doblé. &,

« Aincois en i morront dix mille ferarmé. &,

« Nul chevaux ne hénis ne nul mul ne 2recaigne. &

« Ainsi com a celee s’abaisse li Faucon

« Quand la faim le justise en la froide saison,

« Brochent François ensemble contre valle sablon. &

« De sang & de cervel la place colorit. &,

« En el fons de la sale les un marbrin piller.

& par tout Peliçon hermin, lance fresnine, cendal

pourprin, & autres mots de telle façon, dont lon peut

user encores aujoudhuy ? J’avois oublié ce vers,

« Justice & seigneurie fait mainte chose faire.

tant y a que lon peu s’en aider.

112

Du Romans d’Aïe d’Avignon, & Garnier

Je ne sçay si Aufanions l’a faitct, tant y a que je

trouve ces vers,

« Aufanions lor chante d’une chevalerie

« Comme d’Otrante prist Flandrine s’amie.

possible que c’estoit le Jongleur du livre.

« Que tost mesadvient l’hom quant il moins s’en

prent garde, &,

« Trestot l’a pourfendu desci qu’a la 1coree,

« Li cors s’est estendus l’ame s’en est volee,

« Et li chevaux s’en fuit la regne abandonnee. &,

« Quant Sanses ce regarde vit cheoir Beranger,

« Les esperons a or tornez devers le ciel,

« Et l’hiaume d’Arabe en el sablon fichier

« La selle trestourner & fuir le destrier. &,

« De avoir a mestier le preudhom ou qui soit, &,

« La joie de cel siecle n’est pas tosjors durant,

« Or & argent & pailles sachiez tot est noyant. &,

« Ce fu apres la pasque que ver vet à declin,

« Que florissent cil pré & cil gaut sont foilli,

« Que chantent cil oisel haut & cler & seri,

« Lors change folle dame l’amor de son mari. &,

« Que parole d’enfans ne doit on mettre en pris. &

« Plus que Faucon ne vol quant a faim de mangier,

« Point li Dus le cheval des esperons dormier. &,

« Rois qui fet trahison ne ne doit estre esgardé,

« Ne tenir le Royaume ne couronne porter.

Le mot de pailles signifie un riche drap de soye. Et

en Italie Correre il paglio est courre pour gaigner des

pieces de drap d’or, de veloux, soye, ou escarlate,

que les seigneurs & republiques donnent à certains

113

jours de l’annee pour se resjouir le peuple à voir cou-

rir les chevaux de barbarie. Quant au mot Faut, il

signifis bois, tesmoins ces vers du Romans de Re-

gnaut de Montauban,

« Eins charpentier en bos ne sot si charpenter,

« Ne mena telle noise en parfont Gaut ramé.

& Goi en Breton signifie bois : Esperons d’ormier si-

gnifie de fer doré. Encores à Paris lon appelle sellier

l’ormier celuy qui peut faire des selles garnies de

boucles & ferrures necessaires. Et l’ormerie en ce

mestier, s’appelle toute ferrure qui appartient au

harnois d’un cheval, jors le mors.

Du Romans de Guiot de Nantueil.

« Deables soit avoir la malfez le comment

« Que tant fort le convoitent li petit & li grant,

« Encore en trahira li pere son enfant. &,

« Li vespres est venus li jor s’est abessiez. &,

« Li jor vet a declin li vespres est venus. &,

« Une pierre reonde ha a ses piez trouvee,

« Par devise d’un pré fu illec apportee,

« Il fu fors & membrus si la amont lever.1 &.

« Autresi com oiseil s’enfuit devant faucon,

« 2Guenchissent entor lui les parens Ganelon.

& parlant d’un assault,

« Quant 3Challe or veu sus gens qui el fossé gisoient

« Sanglans mors & navres. &c. &,

« A bons espiez tranchans ont la presse rompue,

« La peussiez voir un estour commencier

« Tant fort escu trouer tante lance brisier,

« L’un mot par-dessus l’autre chëoir & trebichier

« De sang & de cervel va la terre couvrant. &,

114

« Le jours s’est 1esbaudis belle est la matinee,

« Li Colaux est levez qui abat la rousee,

« Li oisel chantent cler en la selue ramee. &,

« A l’abessier des lances ils les ont bien receus,

« Ils lor mettent el cors & les fers & les fus. &,

« Tu fais ainsi com cil qui debat le buisson,

« Puis vient 2l’Ostoir apres qui mange l’oisillon ? &,

« Sor la lance fresnine le Lion atacher. &,

« Ce fu el mois de mai que le temps 3s’aloigna.

Quant au mot Malfez c’est à dire Diable, &

esprit infernal, tesmoing Villon,

« Car où sont li saints 4apostoilles,

« D’aubes vestus, d’amits coëfez,

« Qui ne sont ceints fors que d’estoles,

« Dont par le col prend li maufez.

c’est à dire malfaits. Aussi les peintres font les dia-

bles horribles & contrefaits, comme s’ils avoyent

perdu ceste beauté qui fit monter Luciabel en si

grand orgueil. Ces quatreRomans ont esté com-

posez depuis le commencement du regne de Phi-

lippes Auguste. Car en celuy de Regnaut de Mont-

auban, il nomme les Contes de Rames, Galerans

de Saiete, Gefrois de Nazaret, tous Barons d’outre

mer : qui furent en pris environ l’an M. CC. & du

temps que Saladin prist Jerusalemn.

Par celuy de Doon de Nantueil il dit,

« Par la foy qye je doy la couronne & li clou

« Que dans Challe li 5chaux aporta a Charrou.

Cela mesme se trouve autre part, & que ce Roy fut

fondateur de ladite Abbaie. Mais nous tenons à Pa-

ris, que ce fut saint Louis, qui achepta la couronne

115

d’espines : de sorte qu’on peut deviner, que ce Ro-

mans precede le temps dudit Roy saint Louis.

Du Romans de Siperis de Vincaux.

Encores que je ne sçache point le nom de l’au-

theur de ce Romans, pource que je ne le vey ja-

mais entier : Je puis dire qu’il est composé depuis la

closture du bois de Vincennes : que nous trouvons

avoir esté ceint de murailles par le commandement

du Roy Philippes Auguste, environ l’an M.CC. Les

bons traits qui se trouvent dedans me l’ont fait icy

mettre : & craignant aussi que ce que j’en ay veu il

y a plus de xx. ans soit perdu : car le livre n’estoit

pas mien. Il dit donc,

« On a bien maintefois par amors engendré

« Enfans qui depuis ont grant honor conquesté,

« Tel cuide bien avoir de sa chair engendré

« Des enfans en sa femme qui ne luy sont un dé,

« Pis vaut peché couvert ce disent li letré

« Que ce que chacun scait qu’on n’a mie celé.

« Et cil est bien bastardz qui n’a cuer ne pensé

« Fors de mauvaistié fere laidure & fauceté. &,

« Et tielz est mal vestus qui au corps bon cuer a.

« Le cuer n’est mie es armes mais est ou dieu mis la.

& Mauvais puet bien regner au mauvaistié faisant,

« Mais à la fin ou voit on le voit apparent,

« De tel fin tel loyer dieu le va commendant. &,

« On porte plus d’honor à un Baron meublé

« Qu’on ne fait à preudhom vivant en pauvreté. &,

« Ce qui doit avenir on ne puet nullement

116

« Destourner qu’il n’avienne ce dit on bien souvent.

& Car entre faire & dire, & vouloir & pensee,

« Y a grand difference c’est chose bien prouvve. &,

« Souvent fait on grant joye encontre son tourment. &

« Plus n’a vaillant li hom’ au monde entierement

« Que bone renommee de tous communement. &,

« Car plus pert on d’amis moins a douter fet on. &,

« Car Dieu & leur bon droit & bonne volonté,

« Laboure en bon ouvrage sans penser fauceté

« Et il t’aidera bien se tu las appellé. &c

« Hardement ne vient mie de noble 1garnement

« Ains vient de gentil cuer ou proesse se prend.

Je devine que l’autheur fut Picard, parce qu’il prend

son principal suject d’un seigneur de Boulenois, &

aussi que ce vers luy est eschapé.

« Dont sonnerent le cloque qui bondi hautement.

Toutesfois je n’ose rien asseurer, car ainsi que j’ay

d’it, je ne vey jamais que deux copies de ce livre, en-

cores rompues au commencement, au milieu, &

 à la fin.

De THIEBAULT, Roy de Navarre. XV.

ENtre plusieurs livres excellents en toutes lan-

gues, dont la librairie de messire Henry de Mes-

mes, chevalier, seigneur de Roissy, Conseiller d’estat,

est aussi bien garnie que pas une qui se puisse trou-

ver : Il y en a un de vieilles chansons, le plus entier

& cureisement recueilli d’entre celles des meilleurs

maistres, que j’aye veu pour ce regard. Car il nom-

me 64 autheurs de chansons tous louables, & les-

quels je veux icy mettre selon l’ordre du livre. D’au-

tant que je ne puis asseur en quel temps plusieurs

117

d’eux ont vescu : & qu’il y a apparence que celuy

qui a fait ce recueil, les a mis selon l’aage qu’ils ont

flori : pource qu’il escrit devant, aussi tost les Chan-

sons d’un Menestrel, que d’un Duc, Conte, ou Che-

valier. Le commencement du livre est perdu : mais

la premiere chanson est cottee à la marge, Roy de

Navarre : que lon tient pour certain avoir esté Hie-

bault vii. Conte de Champagne, & Roy de Navarre

1. du nom. Ce prince estant Conte de Champaigne

lors que saint Louis vint à la couronne (c’est à dire

l’an M.CCXXVI) fit alliance avec les Barons Fran-

çois, contre Blanche de Castille mere du Roy : que

lesdits seigneurs prentendoyen avoir entrepris la

Regence du Royaume & gouvernement de son

fils (âgé seulement de xi. à xii. ans) sous umbre d’un

testament du feu Roy son mary : par lequel elle di-

soit ceste regence luy avoit esté laissee. Le principal

autheur de la ligue, estoit Philippe Conte de Bou-

longne oncle du Roy : & les plus puissans, ce

Thiebault Conte de Champagne, & Pierre sur-

nommé Maucler, Conte de Bretagne. Mais Blanche

qui estoit belle, jeune, & encore Espagnole, sceut

si bien mener Thiebault, qu’il abandonna les autres

Braons : & qui plus est descouvrit l’entreprise faitte

pour prendre le Roy, revenant d’Orleans à Paris.

Or les amours du Conte de Champagne desplaisans

depuis à aucuns seigneurs : il advint (ainsi que dit

une bonne Chronique que j’ay escrite à la main) que

Thiebault un jour entrant en la salle où estoit la

Roine Blanche, Robert Conte d’Artois, frere du

Roy, lui fit jetter au visage un fromage mol, dont

118

le Champenois eut honte : & prist de là occasion de

se retirer de la Cour, à fin d’eviter plus grand scan-

dale. Toutesfois la grand Chronique de France dit

que le Conte ayant derechef pris les armes contre

le Roy, & sçachant le grand appareil qu’on faisoit

Pour luy courre sus, il envoya des plus sages hommes

de son conseil requerir paix : laquelle luy fut accor-

dee. Mais d’autant que le Roy avoit fait grande

despense, il fut contraint quitter Montereau fault-

Yonne, & Bray sur Seine, avec leurs dependences.

A celle besongne estoit (ce sont les mots de la grand

« Chronique) la Roine Blanche, laquelle dit au Conte,

« qu’il ne devoit souvenir qu’il l’estoit allé secourir

« jusques en sa terre, quand les Barons le vindrent guer-

« royer. Le Comte regarda la Royne qui tant estoit belle

« & sage, de sorte que tout esbahi de sa grande beau-

« té, il luy respondit : Par ma foy ma dame, mon cœur,

« mon corps, & toute ma terre, est à vostre comman)

« dement, ne n’est riens qui vous peust plaire que ne

« fisse volontiers : jamais si Dieu plaist, contre vous ne

« les vostre je n’iray. D’illec se parti tout pensif, & luy

« venoit souvent en remenbrance le doux regard de la

« Roine, & sa belle contenance. Lors si entroit en son

« cœur la douceur amoureuse : mais quand il luy sou-

venoit qu’elle estoit si haulte dame & de si bonne

« renommee, & de sa bonne vie & nette, qu’il n’en

« pourroit ja jouir, si muoit sa douce pensee amou-

« reuse en grande tristesse. Et pource que profondes

« pensees engendrent melancolies, il luy fut dit d’au-

« cuns sages hommes, qu’il s’estudiast en beaux sons,

119

& doux chants d’instrumens : & si fit il. Car il fit les « 

plus belles chançons, & les plus delitables & melo- « 

dieuses, qui onques fussent oyes en chançons ne en « 

instrumens, & les fit escrire en sa salle à Provins, & « 

en celle de Troyes. Et sont appellees les chançons « 

au Roy de Navarre. Voila le tesmoignage que por-

tent de ses amours & estude poetique, les grandes

Chroniques de France. Quant au Royaume de Na-

varre il escheut audit Thiebault l’an M.CCXXXV.

par la mort de Sance v. Roy de Navarre son oncle,

frere de Blanche sa mere. Plusieurs des chansons de

ce Roy, se trouvent aujourdhuy notees à une voix.

Et s’en voit encores quelque reste peint au chasteau

de Provins, à l’endroit de la prison. La premiere de

celles du livre du seigneur de Roissi commence,

« Quand fine amour me prie que je chant

« Chanter mestuet, &c.

laquelle ne doit estre la premiere en nombre, pour-

ce que le livre n’est entier : & toutefois il y en a jus-

ques à dix, toutes portans à costé le nom de Roy

de Navarre. Les Italiens ont jadis estimé ces chan-

sons, & d’autres François de ce temps-la, si bon-

nes, qu’ils en ont pris des exemples, ainsi que mon-

stre Dante. Lequel en son livre de Vulgari elo-

quentia, allegue ce Roy comme un excellent mai-

stre en poesie : aucuns traits duquel j’ay voulu icy

representer. Il demande (puis que tout son mal vient

d’aimer) qu’amours face tant envers sa dame, par

priere & par commandement, qu’il soit aimé d’elle. Car

si bien aimer y sert, il aura joye de son gent corps.

En la II. qui est belle, il se plaint par le troisiesme

120

couplet de l’inconstance de sa dame, disant,

« Je scay de voir que ma dame aime cente

« Et plus assez c’est pour moy empirier.

Ce dernier ocuplet est assez bon,

« Je ne di pas que nus aim’ follement :

« (Que li plus fox en fet miex à prisier)

« Mes grant ëur y a mestier souvent,

« Plus que net sens, ne raison ne plaidier.

« De bien amer ne puet nus enseignier,

« Fors que li cuers qui done le talent.

« Qui bien ame de fin cuer loyaument,

« Cil en sçait plus & moins s’en peut aidier.

En la III. il dit que si lon meurt de joye, il vou-

droit bien mourir entre les bras de sa dame. Mais

s’il mouroit pour l’amour d’elle, ceseroit bien rai-

son qu’elle en eut le cueur dolent. Toutesfois pour-

ce qu’il craint de la courroucer, il ne voudroit estre

en Paradis s’elle n’y estoit. Aussi n’a elle occasion de

dire qu’il la veuille tromper, car il l’aime de tout son

cœur. En la IIII. il dit qu’il l’aime & la hait. car

« Moult me sceut bien esprendre & alumer,

« En biau parler & acointement rire.

« Nus ne l’orroit si doucement parler,

« Qui ne cuidast de s’amour estre Sire.

« Par dieu amours ce vous ose bien dire,

« On vous doit bien servir & honorer,

« Mais on si peut bien d’ung pou trop fier.

En la v. il dit encores,

« Kar nulle rien ne fait tant cuer felon,

« Com’ grant pooir qui en veult mal user.

« Que tant de gens li vont tuit environ,

121

« Je say de voir qu’ c’est pour moy grever.

« Adez dient dame on vous veut guiller :

« Mais ils mentent li traïtor felon.

« Ja faucement n’amera nus preudhom.

« Car qui plus a, doit miex amours garder.

& encores, K’assez y a d’autres que je ne sui,

« Qui la prient de fin cuer bandement ?

« 1Ebandisse fait gaaigner souvent.

mais il ne s’en peut aider, quand il est devant elle.

L’esperance luy sert de refuge, comme l’oiselet qui

va ferir en la glus,

« Quant il ne sçait trouver autre garent.

La VI. est tresbelle, pleine de similitudes & transla-

tions. Aussi est-ce celle que Dante allegue comme

pour exemple, ainsi que j’ay dit cy dessus. Elle com-

mence,

« De bonne amour vient 2seance & beauté.

La VII. declare evidemment le nom de l’autheur : di-

sant,

« Nus ne doit amours trahir

« Fors que garçon & ribault.

« Ce ce n’est pour son plaisir,

« Je ne voy ne bas ne hault.

« Ains veuil qu’el’ me 3truit bault

« Sans guiller & sans faillir.

« Et si je pui consuivir

« Le Cerf qui si fait fuir,

« Nus n’est joyans come Thiebault.

En la viii. il se plaint d’estre mis en nonchaloir : &

qu’en dormant il tient s’amie : & en veillant il la perd.

Mieux vousist en dormant la tenir toute sa vie.

122

« Pource bien le deut 1bestourner amours cel de-

« vant derriere

« &, Li dormirs fut en oubly

« Et g’eusse en veillant ly :

« Lors eroit la joye entiere.

En la IX. il dit. Bonne adventure aviene a fol espoir,

« Qui les amans fet vivre & rejouir :

« Desesperance fet languir & douloir,

« Et mes fox cuer pense a dez a guerir

« S’il fut sages, il me fesist mourir :

« Porce fet bon de la folie avoir.

« Qu’en trop grant sens peut il bien mescheoir.

A la fin de la X. il prend congé d’Amour, puis qu’il

plaist à sa dame le luy donner : disant,

« Amour le veult & ma dame m’en prie,

« Que je m’en part : & je moult l’en merci,

« Quand par le gré ma dame m’en chasti.

« Meilleur raison ni voy à ma partie.

J’ay esté un peu long à l’extrait de cet autheur, à fin

de monstrer davantage de ses traits.

De monseigneur GACES BRULEZ. XVI.

Monseigneur Gaces Brulez fut un Chevalier

fort aimé de Thiebault Roy de Navarre, qui

(ainsi que disent nos grans Chroniques) le prist pour

compagnon, à fin de l’aider en ses chansons & com-

plaintes amoureuses : à cause qu’il estoit tresbon

Poete, comme il monstre par XLIX, chansons, que

j’ay veues de luy : dont la premiere commence,

« Au renouviau de la douçour d’Esté.

par laquelle il prie sa dame qu’elle luy face la semai-

ne un doux semblant. Car il en attendra plus vo-

123

lontiers les biens d’amours, malgré les medisans,

qui tant luy nuisent. Par la II, il dit : que cil qui le

veult chastier d’aimer,

« Onc n’ama en sa vie ?

« Si fait trop nice folie,

« Qui s’entremet du mestier

« Dont il ne se sait aider.

Quand il dit,

« He Blanche clere & vermeille

« Por vos sont mi grief soupir.

Je pense que ceste chanson est faite pour Thiebault

Roy de Navarre, amoureux de la Royne Blanche,

ainsi que j’ay dit. En la III. il se plaint,

« Ma dame s’il ne vous fut griez,

« Feissiez moy autel semblant,

« Comme vos fere mi soliez.

La V. est excellente, & dit,

« D’amours me plain & dis pourquoy,

« Car ceux qui la trahissent voy

« Souvent à leur joye venir ?

« Et gi fail par ma bone foy :

« Q’amors pour esaucier sa loy

« Veut ses ennemis retenir.

« De sens li vient si com je croy,

« Q’as siens ne puet elle faillir.

En la VIII. il est plus joyeux, & se contente d’amour :

disant,

« J’ay oublié poine & travaux,

« Say de fine joye chanté.

« Desor ne suy-je mes de 1caux,

« Kip or noyant ayent amé.

124

En la XXIIII. il se plaint que s’amie est trop commu-

ne, & dit,

« Si diex plut que je feusse

« De ma dame le plus haus :

« Certes bon gré l’en seusse,

« Mes trop parest communaux.

« Mout ja de caux,

« Qui deslient aulmoniere :

« Sen font l’or aniaux,

« Et g’en sui bouté arriere.

La XLIIII. est escrite par dialogue, & adressee à Gui

de Ponciaux : elle est bonne, comme aussi tout. Car a

la verité Gaces Brulez fut bon poete. Et est reconnu

par messire Gauthier d’Argies, grand maistre en A-

mours

Le Chastelain de Coucy. XVII.

APres les chansons de monseigneur Gaces Bru-

lez, suivoyent les chansons du Chastelain de

Couci : duquel une bonne bhronique que j’ay,

« porte ce tesmoignage. Ou temps que le Roy Phi-

« lippes regnoit, & le Roy Richart d’Angleterre vi-

« voit, il y avoit en Vermandois un autre moult gen-

« til, gaillard, & preux chevalier en armes, qui s’ap-

« peloit Regnault de Couci, & estoit Chastelain de

« Couci. Ce Chevalier fut moult amoureux d’une

« dame du pais, qui estoit femme de seigneur de Fa-

« iel. Moult orent de poine & travail pour leurs a-

« mours, ce Chastelain de COuci, & la dame de Fa-

« iel : si comme l’histoire le r[a]conte qui parle de leur

« vie : don[t] il y a Romans propre. Or advint que quand

« les voyages d’outre mer se firent, dont il est parlé

125

cy dessus, que les Roys de France & d’Angleterre y « 

furent, ce Chastelain de Couci y fut, pource qu’il « 

exercitoit volontiers les armes. La dame de Faiel « 

quand elle sceut qu’il s’en devoit aller, fist un laqs de « 

soye moult bel & bien fait, & y avoit de ses cheveux « 

ouvrez parmu la soye : dont l’eouvre sembloit moult « 

belle & riche, dont il lioit un bourrelet moult riche « 

par-dessus son heaume : & avoit longs pendans par « 

derriere, à gros boutons de perles. Le Chastelain « 

alla outre mer, à grant regret de laisser sa dame par « 

deça. Quand il fut outre mer il fit moult de cheva- « 

leries : car il estoit vaillant Chevalier, & avoit grant « 

joye que on rapportast par deça nouvelles de ses « 

faits, à fin que sa dame y prist plaisir. Si advint qu’à « 

un siege, que les Chrestiens tenoyent devant Sarra- « 

sins oultre mer, ce Chastelain fut feru d’un quarel « 

au costé bien avant : duquel coup il uy convint mou- « 

rir. Si avoit à sa mort mout grant regret à sa Dame : « 

é pource appella un sien Escuyer, & luy dit, Je te « 

prie que quand je seray mort, que tu prennes mon « 

cœur, & le mete en tel maniere, que tu le puisse por- « 

ter en France à ma dame de Faiel, & l’envelope de « 

ces longes icy : & luy bailla le las que la dame avoit « 

fait de ses cheveux, & un petit escriniet où il avoit « 

plusieurs anelez & diamans, que la dame luy avoit « 

donnez : qu’il portoit tousjours avant luy, pour « 

l’amour et souvenance d’elle. Quand le Chevalier « 

fut mort, ainsi le fit l’escuyer : & prist l’escriniet, & « 

luy ouvrit le corps, & prist le cœur, & sala & confit « 

bien en bonnes espices, & mit en l’escriniet avec le « 

las de ses cheveux, & plusieurs anelez & diamans « 

126

« que la dame luy avoi donnez, & avecques une le-

« tres moult piteuses, que le Chastelain avoit escri-

tes à sa mort & signees de sa main. Quanf l’Escuyer

« fut retourné en France, il vint vers le lieu où ma da-

« me demouroit : & se bouta en un bois pres de ce

« lieu : & luy mesadvint tellement, qu’il fut veu du

« seigneur de Faiel, qui bien le cogneut. Si vint le

« seigneur de Faiel à tout deux ses privez en ce

« bois, & trouva cest escuyer : auquel il voult courir

« sus en despit de son maistre, qu’il hayoit plus que

« nul homme du monde. L’escuyer luy cria merci :

« & le Chevalier luy dit, Ou je te occiray, ou tu me di-

« ras où est le Chastelain. L’escuier luy dit, qu’il estoit

« trespassé : & pource qu’il ne l’en vouloit croire,

« & avoit cest escuyer paour de mourir, il luy mon-

« stra l’escrinier & donna congé à l’escuyer.

« Ce seigneur vint à son queux, & luy dit qu’il mit

« ce cœur en si bonne maniere, & l’apareillasse en

« telle confiture, que on en peut bien manger. Le

« queux le fit : & fit d’autre viande toute pareille,

« & mit en bonne charpente en un plat : & en fut

« la dame servie au disner : & le seigneur mangeoit

« d’une autre viande qui luy ressembloit : & ainsi

« mangea la dame le cœur du Chastelain son ami.

« Quand elle ot mangié, le seigneur luy demanda,

« Dame avez vous mangé bonne viande ? & elle luy

« respondit, qu’elle l’avoit mangee bonne : il luy

« dit, Pour cela vous l’ay-je fait apareillier, car c’est

« une viande que vous avez moult aimee. La dame

« qui jamais ne pensast que ce fut, n’en dit plus rien.

127

Et le seigneur luy dit de rechef : Sçavez que vous « 

avez mangé ? & elle respondi, que non : & il luy dit « 

adonc, Or sachier que vous avez mangé le cœur « 

du Chastelain de Coucy. Quant elle ot ce, si fut en « 

grand pensee pour la souvenance qu’elle eu de son « 

ami : mais encores ne peut elle croire ceste chose, « 

jusques à ce que le seigneur lui bailla l’escrinier, & « 

les lettres. Et quant elle vit les choses qui estoyent de- « 

dans l’escrin, elle les cogneut si commença lire lres let- « 

tres, quant elle congneut son signe manuel & les en- « 

seignes. Adonc commença fort à changer, & avoir « 

couleur : & puis commença formentà penser. Quand « 

elle ot pensé, elle dit à son seigneur : il est vray que « 

ceste viande ay-je moult aimee : & croy qu’il soit « 

mort, dont est domage comme du plus loyal Cheva- « 

lier du monde. Vous m’avez fait manger son cœur, « 

& est la derniere viande que je mangeray onques : ne « 

onques je ne mangé point de si noble, ne de si gentil. « 

Si n’est pas raison que apres si gentil viande, je en « 

doiye metre autre desus : & vous jure par ma foy que « 

jamais je n’en mangerau d’autre apres ceste cy. La « 

dame leva du disner, & s’en alla en sa chambre, faisant « 

moult grant douleur : & plus avoit de douleur qu’el- « 

le n’en monstroit la chere. Et en celle douleur, a « 

grands regrets & complaintes de la mort de son « 

ami, fina sa vie & mourut. De ceste chose fut le sei- « 

gneur de Faiel courroucé, mais il n’y peu mettre « 

remede, ne homme ne femme du monde. Cette « 

chose fut sceue par tout le pais, & en ot grant guerre « 

le seigneur de Faiel, aux amis de sa femme : tant qu’il « 

convint que la chose fut rapaisee du Roy & des « 

128

Barons du pais. Ainsi finerent les amours du Cha-

stelain de Couci, & de la dame de Faiel. J’eusse peu

mettre la mesme histoire, en autre langage : mais

j’ay pensé que pour plus grande authorité, il falloit

seulement copier ce que j’avois trouvé de ces a-

mours estranges & merveilleuses. Jehan de Nostre-

dame qui a escrit des poetes Provençaux, fait ce mes-

me conte de Tricline Carbonnelle, femme de Rai-

mond de Silhans seigneur de Roussillon, amie de

Guillem de Cabestan poete Provençal. Et Bocace

en dit presque autant, de la femme du Conte de

Roussillon, en la IX, nouvelle de la IIII, journee de

son livre appelé Decameron. Toutefois je vous puis

asseurer, que ceste histoire est dans une bonne chro-

nique qui m’appartient, escrite avant CC. ans. Tant

y a que les amours du Chastelain de Couci, sont re-

marquees anciennement, pour grandes & penibles :

ainsi que dit l’autheur incertain d’une chanson com-

mençant,

« Le Chastelain de Couci ama tant

« Qu’ains por amer nus riens ot dolor 1graindre,

« Porce ferai ma complainte en son chant.

& Eustaces li Peintres, se plaignant à sa dame, dit

que Tristan, le Chastelain, & Blondiaux, n’aime-

rent onques de telle maniere. De sorteque par ces

tesmoignages, on peut estimer ma Chronique ve-

ritable en cest endroit. Maistre François de l’Alouete

qui a bien curieusement escrit l’histoire des sei-

gneurs de Couci, ne fait en son livre des nobles, au-

cune mention de ce Regnaut, de ses amours, ne de

l’estude poetic d’aucun seigneur de Couci : Et dit

129

seulement que Raoul I. du nom, seigneur de Cou-

ci, mourut bien âgé outre mer : ayant esté tué à la

prise d’Ascalon, l’an M. CXCI. Et son corps apporté

pour enterrer en l’abbaie de Foisni. Que Enguer-

ran fils de ce Raoul mourut l’an M.CCXL. en la

cité de Sur, âgé de LXX. ans : & ayant demouré dix

en Surie, son fils fit apporter son corps en France

enterrer en l’abbaie de Long-pont. Que Raoul II.

accompagna outre mer saint Louis, & fut tué à la

Massourre, avec Robet Comte d’Artois, frere dudit

Roy, l’an M. CCXLIX. Et son corps à la poursuitte

d’Enguerran son frere & heritier, apporté enter-

rer en l’abbaie de saint Martin de Laon. J’ay autre-

fois estimé que cestui-cy fut l’autheur des chansons,

que j’ay veues escrites avec celles du Roy de Navar-

re, apres celles de Gaces Brulez, comme ayant

vescu en mesme temps. Mais ma Chronique semble

monstrer que ce Regnaut dont elle parle, fut Raoul

I. seigneur de Couci : le sang duquel eschauffé d’a-

mour, ne le garda d’avoir en sa vieillesse les passions

d’un jeune home. La I. de ses chansons commençant,

« Ahi amours com dure de partie.

descouvre son voyage : disant,

« Se mes corps va servir nostre seigneur,

« Mes cuers 1remaint du tout en sa baillie.

« Por li m’en vois soupirant en Surie.

La IIII. couple de la I. chanson, monstre qu’il a vescu

depuis la prise de Guy Roy de Jerusalem, & de la

croix : c’est à dire, depuis l’an M. CLXXXVII. car il

dit parlant de Jesus Christ, Quand il fu mors en la « 

croix que Turc ont. C’est chose notable que les « 

130

Sarrazins fussent ja communément pris pour Turcs,

Contre ce que plusieurs ont opinion : disans, que le

nom des Turcs commença quant & la seigneurie

des Othomans. Ce qui est faux : car plus de CCC.

ans devant, les Turcs estoyent en pris.

Par la II. chanson, le Chastelain se plaint qu’il n’oze

declarer son amour, à cause de la gent mauparliere :

« Mais bone dame doit savoir

« Connoissance & mervi avoir.

Par la III. il la souhaitte avoir nue entre ses bras, a-

avant qu’aller outre mer. Par la IIII. il dit,

« Cet don n’est pas courtois, qu’ont trop delaie :

« Si s’en esmaie & plaint cil qui attend.

« Un petit bien vault miex si diex me voie,

« Qu’a un ami len fait courtoisement :

« Que cent greigneur qu’on fait 1enviaument.

« Car qui le sien donne 2recroiaument,

« Son gré en pert & si couste 3ensement,

« Comme fet cil qui bonnement employe.

Il y a apparence que sa dame ne luy fut tousjours

cruelle : car il dit en la XV. chanson,

« Par dieu amours grief m’est à consuivrier

« Le grant soulas & la grant compaignie,

« Et le deduit que me souloit monstrer

« Celle qui 4miert & ma dame & m’amie.

De BLONDIAUX DE NESLE. XVIII.

BLondiaux de Nesle fut excellent Poete, com-

me nous trouvons par une douzaine de chan-

sons qui se voyent de luy, pleines de beaux traits,

tels que ceux cy, pris de la III. chanson,

« Se loyautez voloit mielx que trahir,

131

« Et amours veult les bons à droit partir :

« Oncor pourroy-je à grant joye venir.

« Mais pitiez est en li si endormie,

« Qu’el ne me veult occire ne guarir.

Il confesse en la VI. J’aim par coustume & par us,

« La ou nus ne peut ateindre.

Mais la VIII, monstre qu’en fin il obtint l’amour de

sa dame : puis qu’il dit,

« Car la belle que long temps ay aimee,

« Qui de s’amour me souloit deffier,

« Nouvellement s’est à moy acordee.

Il se nomm Blondiaux en la IX. chanson : & ce cou-

plet de la X, me semble gaillard.

Se savoyent mon tourment Qui mieulx s’en deüst re- « 

Et auques mon afaire : traire. « 

Cil qui demand’ comment Mes pour ce chant seule- « 

Je puis tant chansons fere : ment, « 

Il diroyent voyrement Que j’en muir plus dou- « 

Que nus a chanter n’entent cement. « 

Les amours de Blondiaux sont (comme j’ay dit) re-

marquees pour bien grandes, par Eustace li peintres.

Lequel (je croy) entend parler de cestuy cy, plus tost

que du Menestrel, qui descouvrit la prison où e-

stoit detenu Richard Roy d’Angleterre : dont j’ay

parlé cy devant.

PERRIN D’ANGECORT. XIX.

PErrin d’Angecort semble par sa premiere chan-

son, dire que s’amie fut de Paris : où il seijournoit

pour l’amour d’elle, ainsi que monstre sa 4. Il faisoit

des chansons pour autruy. car en la 6. il introduit

une dame, qui dit ne se vouloir marier, ains aimer

132

toute sa vie. Les XI, & XXVII, adressees au Conte

d’Anjou, decouvrent le temps qu’il a vescu. Car je

tiens pour certain, que ce fut Charles frere de S.

Louis, depuis Roy de Naples. Par la XV, il prie un

Philippe demourant à Paris, & l’adjure,

« S’onques ama loyaument,

« Pour Dieu qu’il n’en recroye mie :

« Mes tousjours aim que que l’en die,

« Car amors fait valoir la gent.

La XVII. est adressee à un Mignot. La X. monste qu’il

n’estoit guieres loyal à s’amie : & se fourroit où il

pouvoit. C’est pourquoy je ne puis croire ce qu’il

dit en la XXII.

« Souffrir loial penitence Qu’il conquiere par plaidier.

« Me semble plus bon, Tel joie ne m’a mestier,

« Qu’avoir par decevance Du pourchassier, n’ai ja

« Ne par trahison, pouvoir.

« Amie : fauce 1druerie J’aim mieux languir que fau-

« Sans savor, ont li tricheor, ce joye avoir.

La IIII. le nomme par son nom : & par la xxII. il sem-

ble que son habitation fut en Provence : possible

comme serviteur dudit Conte d’Anjou, qui en espou-

sa l’heritiere. Toutefois ce mot d’Angecort, me fait

soupçonner qu’il fut Champenois : pource que le

dialecte de ce pais, est de dire cort pour court. An-

gecort pour Angecourt.

De messire THIERRY DE SOISSONS. XX.

MEssireThierri de Soissons, me semble estre

celuy qui accompaigna S. Louis au voyage

d’outre mer : & duquel parle le seigneur de Jonville

en son histoire. S’il est ainsi, ce fut un tresnoble sei-

133

gneur de la maison de Soissons. La II. chanson ad-

dressee au Conte d’Anjou (que je tiens estre ledit

Charles) monstre en quel temps il a vescu & de son

voyage en Syrie : quand il dit,

« Bien m’a amours esprouvé en Surie,

« Et en Egypte où je fuy mené pris :

« Qu’adez y fui en poor de ma vie,

« Et chacun jor cuidai bien estre occis.

« N’onques pource mon cuer ne fu partis,

« Ne 1desevrez de ma douce ennemie,

« Ne en France por ma grant maladie,

« Quant je cuidai de ma goute morir :

« Ne se pouvoit mon cuer de li partir.

En la III. il dit, Ha tant m’est doux li veillers,

« Quant recort sa douce chiere :

« Qu’alors puis de deux echequiers

« Doubler les poincts tous entiers,

« De fine beauté pleniere.

Par la V. il semble que sa dame mourut avant qu’il

en eut joye car il dit,

« Quant de celle me fet mort dessevrer,

« Por qui je fay chanson en remembrance :

« Que por li voil chant & joye finer.

La IX. parle encore d’autres voyages.

« Si j’ai esté long tems en Romenie,

« Et outre mer fait mon pelerinage.

elle est tresbonne chanson : & fut addresse au Roy

de Navarre, Sire de Vertu : que je pense estre Thie-

bault, duquel nous avons parlé.

De monseigneur THIEBAULT DE

BLAZON. XXI.

134

MOseigneur Thiebault de Blason, a fait cinq

chansons, dont la premiere est belle.

De messire GAUTHIER D’ARGIES.

XXII.

Messire Gauthier d’Argies, ou de Dargies, fait

mention de Gaces (je croy Brulez) comme

d’un grand maistre en amours. Car en la VI. de ses

chansons il dit, Mes messire Gace aprent :

« Qui s’umilie franchement

« Plus s’essauce & 1monteplie.

Il se trouve VIII. chansons de sa façon : il fut ami d’un

maistre Richard (je croy de Semilli ou Fournival)

auquel il addresse une chanson, commençant,

« Ami Richard je eusse bien mestier

« Que mi mechef d’amour fussent celé.

Par laquelle il demande ce qu’il doit faire, quand sa

dame luy a donné congé à jamais, pour en choisir

un pire. La VIII. chanson du jeu parti (qui est de

maistre Richard) dit de ce Gauthier,

« A vous messire Gauthier

« De Dargies, conseil quier.

« Qui plus avez esprouvé

« D’amour, qu’hom qui ait esté.

Il y a apparence qu’il a vescu du temps de S. Louis.

De JEHAN MONIOT D’ARRAS.

XXIII.

MOniot d’Arras semble par sa III. chanson de-

clarer que son nom de baptesme, fut Jehan.

En la IIII. il dit que nul n’a paix & soulas sans bonne

amour : & pource il prie Dieu qu’il le soit tousjours.

Ce neantmoins il aime tant l’honneur, qu’il n’oze

135

aller voir s’amie, par crainte de jalousie : qui ne

bouge de la maison à la garder.

La VI. me semble bonne, & est telle.

« Amors n’est pas que qu’on die

« Sages ne bien euros

« Cuer qui ne se rent à vos,

« Il li convient sa folie,

« Sa 1guille & sa vilennie,

« Ses medis & ses maux tos

« Guerpir, puis que sans 2boisdie

« Se met en vostre baillie.

« Sages, cortois, larges, pros

« Devient par ostre maistrie.

« Amours ui vostre sens 3guie,

« Doit estre semples & 4dols,

« A tous com fins amoros,

« Qui mieulx vault plus s’humilie.

« As bons porte compaignie :

« Bien se part des envios.

« Por une dont a envie,

« Monstre a tos sa compaignie.

« De biau servir est jalos,

« Por avoir tos en 5aie.

« Qui aime sans tricherie

« Ne pense n’a trois n’a 6dos.

« Dune seulle est desiroz,

« Cil que loyaux amors lie

« Ne voudroit d’autre avoir mie

« Ses voloir tot à estros.

« Car nus solas n’a sa vie

« Cuer d’ami s’il n’a amie.

136

« Celui tient à savoros,

« Qu’il conquiet par druerie.

« Cil qui a guiller s’avoir,

« S’en vait autres acointant.

« A chacune fait semblant

« Que per li morir se doie.

« Et s’aucune li otroie

« S’amour, lors li quiert itant,

« Qu’elle li doint l’autre joye.

« Li n’en chaut s’elle folloie :

« Fors que son bon li 1creant,

« S’elle s’amour mal emploie.

« A dame 2lo qu’elle ne croie

« Ceux, qui trop se vont hastant

« D’avoir, ce qu’en atendant

« Conquier cil qui de cuer proie.

« Et li desirier monteploie

« Bonne amour & fet plus grant.

« Mes faux drus quant on li 3noie

« Son vouloir, tantost s’effroie

« Et vet autres acointant,

« A qui faucement 4dognoie.

GUILLEBERT DE BERNEVILLE

XXIIII.

GUillebert de Berneville monstre par sa II. chan-

son, que sa dame demouroit à Courtrai. Car

par l’envoy il dit.

« Chanson va t’en à Courtrai droitement :

« Car la dois tu premierement aller.

« Ma dame di, de par son chanteor

« Se il li plaist, que te face chanter.

137

« Quand t’aura ouye :

« Va sans arrester,

« Etat saluer,

« Qui Valerie crie. c’est à dire seigneur de Valeri.

Par la V. il se plaint qu’il est hors d’amours, pour a-

voir esté loyal : & que

Nus ne se puet avencer Et qui miex s’en fait aidier, « 

En amors, fors par mentir. Plus tost en a son plaisir. « 

Que sa dame luy octroya s’amour, mais puis l’en

gaba : & que Dieu luy en face la vengence. La III. est

fait pour une dame, qui dit qu’elle aimera en des-

pit des mesdisans. Il se trouve de luy une chanson

de Jeu parti, addressee à la dame de Gosnai.

« Dame de Gosnai gardez,

« Que soyez bien conseillie.

« A Robert Bosquet parlez,

« Tant qu’il soit de vostre aie.

« 1Je vous part : Seigneur arez :

« Sa vo vouloir le prenez,

« C’iert sans le gré vos amis :

« Ensi est le jeu partis.

« Ou vous l’aurez par l’or gré,

« Maugré costre volenté.

l’envoy est à Hue d’Arras. Il vesquit environ l’an

M. CCLX : & fut aimé de Henry Duc de Braban :

pere de la II. femme de Philippe III. Roy de France.

Lequel Henry, adresse audit Gillebert, une chan-

son commençant : Beau Gillebert. La VII. monstre

qu’il fut marié : mais que cela ne le garda d’aimer la

belle Bietrix. Et la derniere couple de ceste chan-

son, fait mention du Conte d’Anjou susdit. La

138

VIII. Chanson est excellente : comme aussi tout ce

qu’il a fait. La X. est adressee à un monseigneur Eu-

stace : en laquelle il crie merci, de ce qu’il avoit dit,

« Qu’amours n’avoit valour ne seigneurie.

le dernier couplet de l’onzieme chanson est beau,

« Chanson tu t’en iras la, En sa merci m’a,

« Où j’ay tout mon cuer Amours la jugié :

« donné. Et l’ay otrié,

« La damme du mont t’aura, Quan que li plaira.

« Qui plus am’ en verité Mais qu’il n’i ait ja

« Foy & loyauté Parlé de congié.

Et qui plus en a.

Ceste Bietrix estoit d’Audenarde, ainsi que mon-

stre la XIII. chanson.

Maistre RICHART DE SEMILLI. XXV.

MAistre Richart de Semilli, prie sa dame qu’el-

l luy soit sourtoise, & se souviennene que s’elle

vit quelque temps vieillesse l’accueillira : & lors elle

se plaindra de navoir point aimé. Par la IIII. il la

remercie de ce qu’elle daigna un soir parler à luy, la

priant l’excuser s’il se retira bie ntost : pensant que

le demourer plus longuement, ne luy fut agreable.

Si deux ou trois de ses chansons racontent histoire,

il prenoit pasture où il en pouvoit trouver. Le re-

cueil des jeux partis luy donne la IX. chanson par la

VIII. couple de laquelle, il dit qu’il ne fit onc chan-

sont qu’en general.

« Mi chant s’en vont le grant chemin plenier.

« Et mon cuer tourn’ à un estroi sentier.

« Ainsi doit on les guetes desvoyer.

En une autre dudit Jeu parti : il demande à messire

139

Gauthier d’Argies, comme il se doit gouverner en

amours pour y avoir du bien.

Le VIDAME DE CHARTRES. XXVI.

JE ne sçay pas le nom de ce seigneur, ne s’il estoit

fu om de Vendosme. Je n’ay veu de luy que IIII.

chansons : dont les deux premiers couples de la II.

sont transcrites au Romans de Guillaume de Dole

comme bonnes.

« Quand li dous temps & sa sesons s’asseure

« Que bieaux estez se raferme & esclaire,

« Que toute riens a sa douce nature,

« Vient & retrait se trop n’est de male aire. &c.

mais le dernier couplet de sa III. merite bien d’estre

recité. Douce dolor est la 1moie.

« Car tant en ai le mal chier,

« Que tout le mont n’en prendroie

« S’el me convenoit changier.

« Diex qu’ay dit : Je ne porroie,

« Ne ja volenté n’en quier.

« Et ne pour quant toute voie,

« Me fet penser & veiller.

« Mais ne me puis esloigner,

« De li se morir devoie.

ROBERT DE BLOIS. XXVII.

RObert de Blois dit en sa II. chanson, que par

trop celer son courage, il ne peut à joye manter.

Et neantmoins il tient que c’est outrage de trop ge-

hir (c’est à dire descouvrir & confesser, mot qui vient

de gehenne) son penser. Aussi ne peut on estimer

sage homme, qui trpo sçait celer. Mais celuy-la fait

bien son affaire, qui se couvre sagement. Il fut de

140

Blois ainsi qu’on peut voir par sa premier chan-

son : & je n’en trouve que quatre.

RAOUL DE FERRIERES. XXVIII.

Raoul de Ferrieres dit qu’il n’ose descouvrir son

amour, craignant s’il prie sa dame, qu’il aye pis.

La II. monstre qu’une nouvelle amour avoit chas-

see la premiere, disant,

« Ses doux regars me 1pramet garison :

« Mais je sui en doutance

« Se mon pensé luy oseroy gehir.

« Assez aim miex esprouver que faillir.

Il se trouve de luy IIII. chansons, qui monstrent

qu’il fut bon maistre.

ROBERT DE REIMS. XXIX.

RObert de Reims fut Poete : en sa III. il fait

des antitheses d’amour. disant,

« Qui bien veut amour descrire :

« Amours est & male & bonne.

« Le plus 2mesurable enyvre,

« Et le plus sage 3embriconne.

« Les emprisonnez delivre,

« Lesdelivrez emprisonne.

« Chacun fet mourir & vivre,

« Et à chacun toult & done.

« E fole & sage est amors.

« Vie & mort, joye & dolors.

« Amours est large & avere,

« S’est qui le voir en retraie.

« Amours est douce & amere

« A celi qui bien l’essaye.

« Amours est marastre & mere :

141

« Primes bat & puis rapaie.

« Et cil qui plus le ocmpere,

« C’est cil qui meins s’en esmaye.

« Amours va par aventure :

« Chacun y pert & gaagne.

« Par outrage & par mesure,

« 1Sans chascun & 2mehagne.

« Eürs & mesadventure,

« Sont tosjors en sa compaigne.

« Pour c’est raisons & droiture,

« Que chacuns s’en lot & plaigne.

« Souvent rit & souvent pleure,

« Qui bien aime en son courage.

« Bien & mal li queurent seure,

« Son preu quiert & son damage.

« Et se li biens li demeure,

« De tant a il advantaige :

« Que li biens d’uneseule heure,

« Les maux d’un an 3assoage.

« La Chievre dit sans faintise,

« D’amors est la dessinaille,

« De ce que il en devise,

« Quensi le treuve on sans faille.

« Car cil qui amours 4justifie,

« Et qui pour li se travaille :

« Ne porroit en nulle guise,

« Le grain coeuillir sans paille.

JEHAN MONIOT de Paris. XXX.

Jehan Moniot (je croy que c’est à dire, petit moine)

fut de Paris : par sa VI. chanson il instruit les amou-

reux. Il eut l’esprit gentil & inventif. La VIII. mon-

142

stre qu’il se nommoit Jehan (car le livre ne l’appelle

que Moniot de Paris) & qu’il chageoit souvent ses

amours : ou faisoit des chansons pour autruy. Il dit

par la seconde qu’elle est faitte en vadurie. je croy

« pource que le regrain dit, Vadu vadu vadu va : bel-

« le je vous aime pieça. Il en a fait IX. assez bonnes. Il se

trouve un petit ouvrage sous le nom de Moniot, inti-

tulé Le ditelet de fortune, assez bien fait, & commençant,

« Seignor or escoutez li grant & li menor,

« Et li joene & li viel.

mais je ne sçai si c’est Moniot d’Arras. car à la fin di-

sant, Or veut ci Moniot son ditelet finer.

il laisse incertain lequel c’est des deux.

ODE DE LA COURROIERIE. XXXI.

ODe de la Courroierie faisoit assez bie: il adres-

se une de ses chansons au Marinier d’amours :

qui peut bien estre Hue le Maronniers : dont je parle-

rai tantost. Il se trouve V. chansons de cestuy Ode.

JEHAN ERARS. XXXII.

JEhan Erars en prenoit où il pouvoit : & ses amours

quoy qu’il die, ne furent fermes : ou il faisoit des

chasons pour autruy.

DE RAOUL DE BIAUVAIS. XXXIII.

Raoul de Biauvais fut assez bon poete, dit que,

Remembrance de bonne amour,

« Et li doux temps 1Avrilleux,

« Mont jeté de la grant doulour,

« Là où m’ont mis les envieux.

« S’en chanteray par douçour,

« Car il m’est de mes maux mieux.

143

GAULTHIER D’ESPINOIS. XXXIIII.

GAuthier d’Espinois addresse le dernier cou-

plet de sa I. chanson, au seigneur de Bar. Il est

hault : & de la I. est pleine de belles comparaisons.

« Tout autresi comme l’aimant deçoit

« L’aiguillette, par force de vertu :

« A madame tot le mont retenu,

« Qui sa biauté connoist & aperçoit.

& encores. Si com li arbre qui encontre le froit

« Se tient de foeuille & de la for tout nu,

« Ai-je mon sens oublié & perdu,

« Vers madame quant plus mestier n’auroit.

La V. chanson est tresbelle, & poetique. il dit en la

II. couple. Si com’ Echo qui sert de recorder

« Se qu’autre dit : & par sa sorcuidance

« Ne la deigna Narcissus regarder :

« Ains secha toute* de ardeure,

« Fors de la voix qui encores li dure.

« Aussi perdrai tout fors merci crier,

« Et secherai de dueil & de pesance. &c.

En la III. il ise encores de ceste comparaison.

« Mais l’amour qui Narcissus fit mirer,

« Quant pour Echo en voult prendre veniance :

« Sensi por moy le fesist a amer

« Tel qui de li n’eut cure.

« Mis auroit à sa droiture,

« Le grant orgueil qui la fet relever :

« Si en vendroit plustost à repentance.

JAQUES D’ESPINOIS. XXXV.

JE ne sçai si Jaques d’Espinois fut frere ou cousin

de Gauthier : & je ne trouve qu’une chanson de

144

cestui-cy : laquelle monstre qu’il fut assez bon in-

venteu. Il dit qu’il vit en espoir : & luy est avis qui

à droit veult juger que nul ne doit d’amour se de-

partir, pource qu’en peu d’heure il rend tel loyer

qu’on ne le peut deservir.

De messire JAQUES DE CHISON. XXXVI.

Messire Jaques de Chison fut excellent Poe-

te : comme monstrent ses chansons : & entre

autres la III. où il dit que celuy qui vit de mercy sans

don, ne peut croire qu’il luy vienne d’amours sinon

douleur : mais l’attente du guerdon le maistrise. dit,

« Len devroit amours nommer,

« Pensee de cuer joli.

« En li n’a rien fors penser,

« Adez attendre merci.

« Et qui pourroit esprouver

« Les biens qui viennent de li :

« Vers li ne se peut tencer,

« Tant l’a doucement saisi :

« Qu’il li convient endurer,

« Au 1main & à la vespree,

« Joie de dueil destrempee :

« C’est li doux aux fins ami.

De GAULTIER DE SOIGNIES, ou

DE SAGUIES. XXXVII.

GAultier de Soignies, se plaint qu’il demoure en

un pais malgré luy : & qu’il n’aura joye en son

cœur, s’en France ne luy est donnee. Autre part il se

plaint que sa dame fait courtoise chere à tous, fors

qu’à luy : mais rien ne changera sa nature : car s’elle

est toute telle que monstre sa contenance, ja lon-

145

guement ne luy sera si dure. J’ay leu au Romans de la « 

Roze de Guillaume de Dole, ces vers,

« Des bons vers Gauthier de Saguies

« Resovint I. bon bachelier

« Si les commença à chanter. &c.

« Trop vilainement foloie,

« Qui ce qu’il aime ne crient,

« Et qui d’amors se cointoie

« Sachez qu’il aime nient.

« Amors doit estre si coie

« La où ele va & vient,

« Que nus n’en ait duel ne joie,

« Ce cil non qui la maintient.

Ces couples tirees d’une chanson commençant, Lors « 

que florit la bruiere, &c. ne se trouvent parmi les

chansons de Gautier de Soignies escriptes au livre

du sieur de Roissi, de sorte qu’il peut estre que Gau-

tier de Saguies, nommé au Romans de Guillaume de

Dole, fut un autre.

SIMONS D’ANTHIE. XXXVIII.

SImons d’Anthie ou Antie, est assez passable. Il a

fait deux chansons, & fut amy de Gilles le Vini-

ers, ainsi que monstre le Jeu parti.

Maistre RICHART DE FOURNIVAL.

XXXIX

MAistre Richart de Fournival ou Fornivaux,

fut Chancelier d’Amiens : & a composé plusi-

eurs livres en prose, le premier que j’ay veu, est inti

tulé Li comment ou commandemens d’amours. Dans

lequel il a mis une assez bonne chanson. Le II. se nom-

me puissance d’amour. Le III. Bestiaire d’amours. En

146

tous lesquels il traitte d’amour, par raisons & de-

monstrations naturelles : & exemples pris des bestes.

En ses chansons, il introduit une vieille dame, qui

se vante que le Barrois a ploré pour elle. Que je

pense estre le Barrois des Barres, vaillant & tresbeau

chevalier, fort estimé du temps de Philippe Auguste.

Ce Fournival fut homme de sçavoir.

VIELLARS DE CORBIE. XL.

VIellars de Corbie se paint d’avoir baisé sa da-

me contre le gré d’elle.

OUDART DE LACENIE. XLI.

OUdart de Lacenie fut bon Poete. Il dit qu’il ai-

meroit mieux avoir l’amour de sa dame qu’e-

stre Roy de Paradis.

BAUDE DE LA CARRIERE. XLII.

BAude de la carriere, a fait un beau dialogue, de

l’amant, de ses yeux, & son cœur. Il conclud par-

lant aux yeux, Mau message a en vous trouvé

« Li cuers qui la vous envoya :

« Dont il a tel dolor ëu.

THRESORIER DE L’ISLE. XLIII.

LE Therosier de l’Isle n’est autrement nommé.

Il dit que prometre sans donner, est pis que

mort à fins amans.

GILLES DE VIEZ-MAISONS.

LXIIII.

GIlles de Viez-maisons dit,

Je ne voy point comment on puet 1baer,

« Ne atendre a plus hault 2musardie,

« Que de querir le bien là où n’est mie :

« Bien ne amour ne pourroit on trouver,

147

« Là où seul point y eut de villonie :

« Vilonnie ne puet amours amer.

En la II. qui est tresbien faite & tres-belle, il dit que

c’est mauvais signe qu’en chantant il se desconforte.

Aussi n’est digne aucun de chanter, s’il ne chante

par plaisir : mais à la fin il dit de luy,

« Quand plus je me reconforte,

« De la doulour que je porte :

« Das tout ainsi que li Cignes,

« Qui chante devant sa mort.

aussi que ceux qui vivent d’amours, chantent joy-

eusement, mais luy qui n’en vit pas, chantera tout

autrement. Puis il adjouste,

« On dit qu’amours ont doux nom,

« Mais plus est amers que suie.

« Qu’en amer, n’a s’amer non.

BRUNIAUX DE TOURS. XLV.

BRuniaux de Tours fut bon Poete, dit que ses

soupirs luy apportent nuit & jour salut & amitié.

« D’un biau desir qui vient de ma folour.

COLIN MUSET. XLVI.

Colin Muset fut un joueur de violle, qui alloit

par les cours des Princes, ainsi que declare sa I.

chanson. Par la II. il donne à connoistre que sa vielle

n’estoit pas pareille à celle dont jouent communé-

ment les aveugles du jourd’huy. car il dit,

« J’alay a li el parelet :

« O tot la vielle & l’archet.

« Si li ai chanté le muset.

La figure d’un Jougleor tenant ceste forme de vielle

ou violle se voit en bosse au costé dextre du portail

148

de l’Eglise de S. Julian des Menestriers, assis à Paris,

en la rue S. martin, representant un instrument com-

munément appelé Rebec.

JAQUES DE HEDINC. XLVII.

JAques de Hedinc, dit qu’il ne fault pas s’entre-

mettre d’aimer femme, qui n’a de l’argent : & qui

toute jour ne demoure pres d’elle : car elle est varia-

ble. La II. chanson est bonne.

Le Duc de Braban. XLVIII.

LE duc de Braban, duquel entend parler celuy

qui a ramassé les chansons, doit (à mon advis)

estre Henri maistre d’Adenez menestrel, nommé

cy apres. Ce duc aima la poesie, & fut pere de Ma-

rie Roine de France II. femme de Philippe fils de

saint Louis. Sa I. chanson est un dialogue addressé à

Guillebert (qui est celuy de Berneville) qu’il inter-

roge, s’il doit quiter l’amour d’une qui l’a laissé : l’au-

tre monstre qu’il n’estoit pas fort loyal en amours :

& en prenoit où il pouvoit. Le Roy Adenez dit,

que Henri Duc de Brabn son maistre, avant mou-

rir commanda ouvrir sa chambre, à tous ceux qui

le coudroyent venir voir, pauvres, & riches. Ayant

fait mettre grande quantité d’or & d’argent pres de

soy, je croy pour donner. Il mourut environ l’an 1260.

COLARS LI BOUTEILLERS. XLIX.

COlars li Bouteillers (je ne sçay si c’est pour ce

qu’il fut de la maison de Bouteiller, tresnoble

& ancienne en France) addresse sa chanson à Phli-

pot Verdiere, qu’il prie de la chanter : protestant

jamais n’en faire, si elle n’est bien receue de sa dame,

qu’il a servie loyaument. De cestui cy fait mention

149

la VI. chanson, du recueil des jeux partis : & l’ad-

dresse à maistre Guillaume le Viniers. Auquel il

demande : s’il estoit fins amis d’une dame jolie, &

elle sans tricherie l’aimast, que personne ne le sceut :

lequel doit plus douter, ou luy de la prier d’A-

mours, ou elle de luy octroyer.

JEHAN LORGUENIEUR. L.

JEhan Lorgueneur (je croy l’organiste) dit qu’un

doux regard tous maux cure, se fins cuers li veult « 

aider.

Messire GILLES LE VINIERS. LI.

MEssire Gilles le Viniers, dit à sa dame qu’allant

en Surie, & luy laissant son cœur, il ne pense

pas y faire grand-chose : mais s’elle luy vouloit don-

ner le sien, il feroit de belles chevaleries. Au jeu par-

ti il demande à Simon d’Antie : lequel vault mieux

que vieil homme aye jeune amie, ou vieille amie

soit à un jouvencel.

Messire PIERRE DE CREON. LII.

MEssire Pierre de Creon (je croy de Craon) dit

qu’il aime par heritage, & que les siens ont

tousjours loyaument aimé. Ceste maison de Creon ou

Craon, a depuis esté fort estimee, pour les grans biens

qu’on tenu les chefs d’icelle : & pour leur vaillance.

Le Chanoine de saint Quentin. LIII.

LE chanoine de S. Quentin n’est autrement nom-

mé : sa chanson est belle, & dit qu’amour le fait

endurer. Seul pour itant qu’elle se puit vanter,

« Qu’aucuns amans soit mors ne son servise.

« Mes ce n’est pas loyautez ne franchise,

« De son serjant qui loyal la grever :

150

« S’amours vousist ouvrer selon droiture.

mais amour n’a cure de garder loyauté : au contraire,

« Qui plus vous sert, plus est en aventure

« De guerredon envers vous recouvrer.

« Mas je aim’ miex en loiaument ouvrer

« Perte & ennuy que gaain en faintise.

« Oncor soit or ma joie arriere mise,

« Vaincre porrai par loiaument aimer.

BAUDOUIN DES AUTIEX. LIIII.

BAudouin des Autiex ou Autels, prie sa dame

qu’elle ne preste l’oreille à mesdisans & traistres

en amours.

CHARDON. LV.

CHardon dit qu’allant à la guerre pour servir

nostre Seigneur, il laisse son coeur à sa dame : la

priant ne le vouloir oublier.

SAUVAGE D’ARRAS. LVI.

SAuvage d’Arras, dit que les oiseaux ont repos en

hiver sans chanter & crier : mais quant à luy il

ne cesse d’avoir dueil.

Messire ROBERT DE MARBE-

ROLLES. LVII.

MEssire Robert de Marberolles, dit qu’il chan-

te par usage & pour soy mesme resjouir, puis

qu’on l’a trompé. Aussi toutes femmes jouent à bourser.

&, Morte est mors, mors sont cil qui amoient

« Li faux amans l’ont fait du tout faillir

« Par leur barat, & par leur tricherie :

« Par leur faux plaindre & par leur faux soupir.

ceste chanson est tresbelle.

PHILIPPES PA. LVIII.

1581-Origine de la langue et poesie françoise (Claude Fauchet) (151-200)

151

PHilippes Pa, se tenoit fort contant d’amour, car

luy & sa dame disent fi aux lozangiers : & pou

prisent lor dangiers.

Messire HUGUES DE BRESI, OU

BERSI. LIX

MEssire Hugues de Bresi ou Bersi fut tresbon

poete, ainsi que deux chansons le tesmoi-

gnent. Il dit que quand il sera mort, sa dame con-

noistra quelle perte elle aura faitte : & combien qu’il

n’accomplit jamais son vouloir d’elle, il est deliberé

mourir sous l’escu, plustost que se confesser vain-

cu : encores qu’elle luy aye deux ou trois fois men-

ti, & qu’il se doute qu’elle aye autre ami, si a-til tant

chassé qu’il deut bien achever. Toutefois sa destinee

est qu’il n’aura jamais bien d’aimer, puis qu’il ne

peut plus voir sa dame, ne trouve occasion d’aller

en son païs. Encores fera-til une chanson perdue,

puisqu’à perdre sont tournez tous ses chants. Mais

possible que celle cy aura telle vertu, qu’elle luy fe-

ra droiture des autres. Maistre Estiene Pasquier elo-

quent advocat en la Cour de Parlement, m’a presté

un livre qui apres ces deux vers de la Bible Guiot,

« Lors veuil que il itene sa voie,

« Si loing que jamais ne le voie.

en adjouste bien VI. ou VII. cens, tous Satyriques :

dont les premiers commencent :

« Moult ai allé, moult ai venu :

« Moult m’a ma volenté batu.

& puis à la fin il dit,

« Cil qui plus voit plus doit sçavoir.

« Hugues de Bersi qui tant a,

152

« Cherchié le monde ça & la,

« Qu’il a veu qu’il ne vault rien :

« Presche ores de faire bien.

‘Et si sai bien que li plusour,

« Tendront mes sermons à folour :

« Que ils ont veu que je amoie,

« Plus que nus biaux solas & joie

qui pourroit bien estre le mesme Hugues de Berssi,

que les escrivains ont changé en Bresi, ou Bersil,

comme dit un livre qui est en la bibliotheque du

Roy. Lequel aussi appelle ledit opuscule, commen-

« çant Moult ai allé moult ai venu. &c. La bible du

seigneur de Berzé Chastelain. Il semble que ce de

Bersi apres avoir longuement demené l’amour, se

soit rendu moine, ou pour le moins retiré des joy)

euses compaignies.

ROGER DE CAMBRAI. LX.

ROgers de Cambrai, dit qu’il faisoit sonner bien

souvent sa vielle pour s’amie, qu’il aimot co-

raument, c’est à dire cordinallement.

JEHAN DE MAISONS. LXI.

JEhans de Maisons, prie sa dame ne croire un, en

qui jafis il s’est fié comme son bien vueillant : &

lequel il prouveroit traistre s’il le vouloit attendre

en champ.

QUENS DE BRETAIGNE. LXII.

JE ne fay doute que ce Quens de Bretaigne, ne

soit Pierre surnomme Mauclerc. Il demande à

Bernard de la Ferté, lequel vault mieux de proesse,

ou de largesse. Bernard respond, que proesse sans

largesse, est foible. Et pource que le Conte de Bretai-

153

gne n’en est d’accord, ils s’en raportent au Conte

d’Anjou,

« Qu’en tous biens a mis son pensé.

lequel je ne fai doute estre Charles frere de saint

Louis. De ce Conte de Bretaigne fait mention le

jeu parti, en la VII. chanson : & le fait parler avec

Gaces Brulez : lui demandant si ayant loyaument

aimé une dame, & il s’appercoive qu’elle vueille le

trahir : s’il doit attendre, ou la guerpir.

ROBERT DU CASTEL. LXIII.

RObert du Castel, dit que ceux la mentent qui

disent qu’amours leur fait mort recevoir.

« Car bonne amour est perdurable vie.

« N’est pas amant qui trop quiert à s’amie ;

« Ne tous ses bons veult à li achever.

à la fin il dit,

« Car j’aim miex par souffrance,

« Et par son gré avoir mon desirier :

« Qu’estre à mon bel o li par souhaidier.

Ses deux chansons sont cottees en marge, Coronee.

Je croy pour avoir avec icelles gaigné quelque

prix : estant jugees bonnes, comme à la verité elles

sont. Il dit encores, que nul ne doit avoir honneur,

s’il n’a mis sa puissance en bonne amour honorer.

Car les maux d’amour, sont legers. Que si son chant

luy peut plaire : il sera tout gueri de ses maux. Le re-

cueil des jeux partis, monstre par la LV. chanson, que

Robert de Castel fut marié : & a vescu du temps de

Bretel, duquel nous parlerons tantost, c’est à dire,

environ l’an 1260.

LAMBERT FERRIS. LXIIII.

154

LAmbert Ferris dit, que tant qu’il aura dedans le

corps la vie, il aimera sans boisdie. De luy parle

le recueil des jeux partis : & le fait interroger par

Jehan Bretel ou Bretiaux. Et semble par la XLV. chan-

son dudit recueil, qu’il eut amie à Abeville. Luy

mesme a fait aussi des jeux partis : car il demande à

Bretel : lequel vault mieux estre loyaument escon-

duit, qu’estre tenu en faulse pitié. Plus si l’amant

se mariant à s’amie, prend l’envie qu’il souloit avoir

de chanter. Demande encores à maistre Jehan de

Marli : de deux amans l’un est jaloux, & l’autre non :

lequel ayme le plus coraument. Il a vescu environ

ledit an 1260.

JEHAN LI CUNELIERS. LXV.

JEhan li Cuneliers, dit qu’amours luy a emblé son

cœur, pour le mettre en la puissance de sa dame. Et

puis qu’il est en son dangier, il ne l’en doit retirer.

Car esperance luy dit, qu’encor aura recouvrier à

la joye. De cestui-cy fait encores mention le jeu par-

ti en la XIIII. chanson : & le fait ami de Jehan Bretel,

de sorte qu’on le peut mettre de son temps.

EUSTACE LI PEINTRES. LXVI.

EUstace li Peintres, fut tresbon poete. Dit que

ceux qui chantent de flor & de verdure, sont a-

moureux ainsi que d’aventure, quant ils veulent ils

ont allegement. Mais quant à luy, il trouve sa dame

tant dure qu’ c’est merveille comme son cœur l’en-

dure. Que les Ours & Lions se gardent quelquefois

de mal faire : & sa dame tous les jours fait son pou-

voir de le grever. Onques Tristan, li Chastelains (je

croy qu’il entend celuy de Couci) ne Blondiax,

155

n’aimerent de telle façon. La [i]i. chanson est belle, &

toutes aussi : mais ce trait de la V. me semble digne

d’estre renouvellé.

« Dame où tous biens crest & naist & esclaire :

« A qui biauté nulle autre ne se prend.

« Dont sans mentir ne pourroit on retraire,

« Fors grant valeur & bon enseignement :

« Qu’il n’y fault rien, fors merci seulement.

« Bien sont vos fais à vos doux ris contraire :

« Cuer sans merci, & semblant debonnaire :

« He diex pourquoy ensemble les consent.

MAHIEUX DE GANT. LXVII.

MAhieux de Gant, a fait ses chanson en dialo-

gue : & par la II. il demande, si l’on peut chan-

ger s’amie pour une plus belle.

Messire ROBERT DE MAUVOISINS. LXVIII.

MEssire Robert de Mauvoisins, dit à sa dame,

que si aucun pour bien aimer a de ses amours

alleiance : qu’elle se devroit souvenir de luy.

THOMAS ERARS. LXIX.

THomas Erars, dit avoir entendu que vrai a-

mant sont sauvez s’ils meurent en desirant : la pre-

miere de ses chansons est cottee en marge, coronee.

CAR AUSAUX D’ARRAS. LXX.

CAr Ausaux d’Arras, dit que si bien sa poine est

perdue, que s’amour n’en est decrue.

AUBINS DE SEZANE. LXXI.

AUbins de Sezane parle comme un fol deseperé.

disant, A tous sains le dit,

« Se je pers m’amie, Ne sien ne sui mie, « 

« Qu’en dieu ne me fi : Ainsi je l’affi. « 

156

JEHAN FRUMIAUX, fut de l’Isle (je croy en Flandres)

dit que sa dame le perdant seroit desheritee d’un

serf : & pource seroit moins redoutee. sa chanson

est cottee en marge, coronee.

Messire GUILLAUME VIAUX. LXXIII.

MEssire Guillaume Viaux, dit qu’il a amé tout

son vivant. Qu’à sa dame rien ne plaist de ce

qu’il dit : & troutefois il aime mieux la servir & mou-

rir en aimant, que de toutes autres jouir.

CAR AUSAUX. LXXIIII.

CAr Ausaux, je ne sçay si c’est celuy d’Arras. nom-

me sa dame Bone : & se plaint qu’il est ami sans

amie. toutefois il se fie en Amours.

THOMAS ERIERS. LXXV.

THomas Eriers se plaint, que li felon l’ont fait mes-

ler (c’est à dire tancer ou debattre) avec sa dame.

Le QUENS d’Anjou. LXXVI.

JE ne fait doute que ce Quens d’Anjou, ne soit Char-

les frere du Roy saint Louis, depuis Roy deSicile :

prince gaillard en sa jeunesse, & volontaire, ainsi

qu’on peut voir en l’histoire du seigneur de Jonville.

Ce Conte d’Anjou, dit combien qu’il n’eut jamais

pensee de servir autre que sa dame, elle l’a mis en

nonchaloir : encores qu’il ne l’aye pas deservi. Si at-

tendra-il son vouloir comme loyal ami.

ROGERIN D’ANDELI. LXXVII.

ROgerin d’Andeli dit qu’il ne cessera de chanter,

encores qu’il se deuille d’Amours : & soit taillé

de mourir en ses tourmens, se merci ne vainc sa da-

me. Il se plaint de ses yeux qui l’ont trahi.

157

Le QUENS DE LA MARCHE. LXXVIII.

JE n’ose assuerer le nom de ce Comte de la Marche,

mais il est aisé à juger, qu’il a vescu du temps des de-

susdits. Il dit que la premiere fois qu’il fit sa dame,

il oublia de la s[alu]er. Et ne fut merveille s’il se trou-

va lors esbahi. car il ne se conseilla pas à son cœur,

qu’elle avoit ja pris : & onques puis ne le recouvra.

Il nomme s’amie Biaux doux Rubis. Car tout ainsi

(dit-il) que c’est la meilleure pierre precieuse : aussi

est elle le mirouer des autres dames. Il se plaint que

les mesdisans l’ont esloigné de s’amie. Que Lance-

lot n’aima tant sa Genevre. Qu’il est comme le vais-

seau cinglant en mer ne sachant où arriver. Et com-

bien qu’il n’aye jamais maudit amours, il n’aura ja

fiance en sa dame qui l’a trahi. Que son mal luy

double, pource qu’il luy convient aller en estrange

contree. En la x. il dit que sa dame passe toutes au-

tres, comme un beau nouton de roses espanouies.

Il l’appelle encores Biaux doux Rubi. Sa derniere

chanson est belle. Le livre du seigneur de Roissi,

ne nomme plus aucun apres les chansons de ce

Conte : encores qu’il y en ait plus de ceux cens au-

tres : sinon qu’au 177. fueillet il fait mention d’un

Jolivet de Paris, Qui d’amours a grant renom. Je pou- « 

vois extraire d’avantage de belles manieres de par-

ler, tant de ceux qui sont nommez, que des autres sans

nom : mais tout ainsi que je me suis lassé de lire, aussi

croy-je bien, lecteur, que tu ne le seras pas moins.

Monseigneur RENAULT DE SABUEIL. LXXIX.

MOnseigneur Renault de Sabueil est fort esti-

mé par l’autheur du Romans Guillaume de

158

Dole, qui parle de luy ainsi :

« Des bons vers celui de Sabueil

« Monseignor Renault lui souvient.

Il se trouve de lui une chanson, commençant,

« Ja de chanter en ma vie

« Ne quier mes avoir courage :

« Ains voil miex qu’amors m’occie,

« Por fere son grant domage.

« Car jamais si finement

« N’ert aimee en servie :

« Por c’en chasti tote gent,

« Quel ma mort & li traie.

« Las j’ai dit par ma folie,

« Ce sçai de voir grant outrage :

« Mes à mon cuer prist envie

« D’estre legier & volage.

« Ga dame si m’en repent,

« Mes cil à tart merci crie,

« Qui atent tant qu’on le pent :

« Por c’ai la mort deservie.

Guiot en sa bible, nomme Robert de Sabueil en-

tre les princes & seigneurs ses bien-faiteurs,

« Qui refu Robers de Sabueil.

DOETE DE TROIES. LXXX.

DOete de Troies chanteresse & Trouverre,

ainsi que je croy, est fort estimee par ledit au-

auther : qui la nomme entre les Menestrels qui se

trouverent à la court que l’Empereur Conrad tint

à Maience comme il feint : il dit d’elle,

« Li Menestrel de meinte terre

« Qui ere venus por aquerre,

159

« De Troie la belle Doete

« I chantoit cette chansonete.

« Quand revient la seson

« Que l’herbe reverdoie.

JONGLET. LXXXI.

JOnglet fut un menestrier bien appris, fort renom-

mé & estimé par le mesme autheur, comme prin-

cipal en ce mestier pres ledit Empereur Conrad,

« Un sien vielor qu’il a,

« Qu’on apelle a cort Jonglet,

« Fit apeler par un varlet.

« Il ert sage & grant apris,

« Et s’avoit oi & apris

« Mainte chanson & maint biau conte.

Il se trouve un fabliau de la moquerie que luy fit

une espousee : au mari de laquelle (qui estoit un ri-

che villageois, si niais que ce Jonglet ne luy avoit

jamais sceu oster son ramage) il avoit persuadé que

pour se tenir plus honnestement, il ne devoit le jour

de ses nopces descharger son ventre. De maniere

que le pauvre sot endurant une extreme douleur

de tranchees, pour avoir trop mangé de poires

crues, ne peut la premiere nuict accoler sa femme.

Jusques à ce qu’[el]le advertie du fait, l’eut pressé de

se lever : luy persuadant aller perfumer Jonglet cou-

ché en une chambre voisine. Ce qu’il fit, enduisant

les chausses, pourpoint, & estuy du menestrel, qui

n’eut occasion de s’en moquer.

HUES DE BRAIE-SELVE. LXXXII.

HUes de Braieselve pres Oignon, fut un menestrel

fort estimé par le mesme auteur du Romans de

160  

Guillaume de Dole qui dit de luy :

« De Braieselve vers Oignon

« I vint Hues à cele cort.

« L’empereres le tin molt cort,

« Que li apreist une dance,

« Que firent pucelles de France,

« A l’ormel devant Tremilli

« Ou len a meint bon plet basti.

« C’est vers de belle Marguerite,

« Qui si bel se paie & aquite

« De la chansonnete nouvelle,

« Celle d’Oisseri,

« Ne met en oubli

« Que n’aille au 1cembel,

« Tant a bien en li,

« Que moilt embeli

« Le gieu souz l’ormel.

Ces plaids & gieux ou jeux souz l’ormel, estoyent

une assemblee de dames & gentilshommes, où se te-

noit comme un parlement de courtoisie & gentillesse

pour y vuyder plusieurs differens. Il y en avoit d’au-

tres en autres provinces, selon qu’il se trouvoit des

seigneurs & dames de gentil esprit. Le mesme au-

theur nomme un Cupelin menestrel.

RUTEBEUF. LXXXIII.

RUtebeuf fut un Menestrel, duquel on trouve

plusieurs fabliaux (c’est à dire, contes de plaisir

et nouvelles) mis en ryme : & encores des plaintes

de la terre sainte, adressees au Roy S. Louis, le Comte

de Poitiers & la noblesse de France : pour secourir

messire Geoffroy de Sargines vaillant Chevalier, qui

161

la defendoit à son pouvoir. La plainte d’Anceua de

l’Isle est aussi dudit Rutebeuf, de laquelle ce couplet

semble bon :

« Tousjours deut un preudhome vivre :

« Se mort eüt sans ne savoir.

« S’il fut mors, il deüt revivre :

« I ce doit bien chacun savoir.

« Mes mors est plus fiere que 1Huivre

« Et si plaine de mon savoir,

« Que des bons le siegle delivre,

« Et au mauvais laist vie avoir.

Il a fait en vers la vie de S. Elizabet de Turinge, qu’il

presenta à Isabel Royne de Navarre. Il semble qu’il

a aussi faict le dit des ordres de Paris auquel parlant

ainsi des aveugles que nous appellons Quinze

vingts, il me fait soupçonner que ceux que S. Louis

premierement y amassa, ne furent Chevaliers, com-

me l’on pense : ains quelques pauvres gens. Car ce-

stuy-cy les fait mendians, disant d’eux :

« Li Roix a mis en un repaire,

« Mais je ne sai pas por quoi faire,

« Trois cens aveugles rote à rote.

« Parmi Paris en va III. paire,

« Tote jor ne finent de braire,

« As trois cens qui ne voient gote.

« Li uns sache, li autre bote,

« Se se donnent mainte secosse,

« Qu’il n’i a nul qui lor eclaire :

« Si feux y prent, ce n’est pas dote,

« L’ordre sera brulee tote,

« Saura li Roix plus à refere.

162

Par le mesme opuscule il monstre que ceux du val des

escoliers souloyent mendier : & que les Guillemins

(ce sont les Blancmanteaux) furent premierement

reclus. C’est luy (à mo nadvis) qui a fait le fabliau du

Clerc : lequel ne pouvant persuader à une dame,

qui n’estoit des plus sages, qu’elle ne pourroit vo-

ler sans ailes & plumes : la baisant pour luy faire le

bec, & maniant nue pour faire sortir les plumes, luy

attacha si avant sa queue qu’elle germa (disoit la da-

me) dedans son ventre, l’empeschant tellement de

voler, qu’à peine pouvoit elle voir ses pieds, tant le

ventre luy estoit creu. Je ne fay doute, que ce ba-

ble n’ait donné occasion à Bocace de faire la X. nou-

velle de la iX. Journee de son Decameron. Il en a

fait encores une autre de la femme d’un escuyer :

laquelle ayant donné assignation à son Curé, de

l’aller trouver en un petit bois voisin : son mary

estant venu contre son esperance, elle l’envoya cou-

cher de bonne heure, disant vouloir veiller tard,

pour achever sa toile. Puis le sentant endormi, elle

vint trouver son Curé, avec lequel demourant trop

longuement, & le mary ne la sentant point couchee

pres de soy, demanda où elle estoit. La chambriere

luy dit, qu’elle veilloit chez sa voisine. Le mary

courroucé se leve, & la vient chercher chez ses voi-

sines : mais oyant dire qu’elle n’y avoit point esté, il

s’en retourne tou furieux. La dame qui l’avoit sen-

ty passer le long du vois, & la menacer avec le pre-

stre, s’en retourna en sa maison. Là où estant ac-

cueillie d’injures par son maru, qui l’appelloit pu-

tain, & qu’elle venoit d’avec le Curé : elle ne luy re-

163

spondit mot. Ce qu’ayant mis le mary en plus grand

colere, comme si en se taisant elle confessast ce qu’il

disoit, voulant luy couper les cheveux, elle luy dit :

Qu’estant grosse on l’avoit conseillee d’aller sur la

mi-nuict faitre trois tours à l’entour du Monstier,

en disant trois patenostres : puis sans mot dire faire

avec le talon une fosse, laquelle se trouvant ouver-

te au out de trois jours, ce seroit un fils : & s’elle

estoit clause, une fille : eschappant par ce moyen la

colere de son mary. Rutebeuf se plaisoit fort en

equivoques. Et pource au dit d’Hypocrisie, il veut

que son om vienne de Rude & de Bœuf. Il fut ma-

rié par deux fois : & combien qu’il eust peu de

biens, il prist (dit-il) femme qui n’estoit ne gente ne

belle. Aussi Dieu l’avoit fait compagnon de Job,

luy ayant osté tout à coup ce qu’il avoit, avec l’œil

dectre dont il voyoit le mieux. Il addresse sa com-

plainte au Comte de Poitiers & de Thoulouze (ce

fut Alphons frere de S. Louys) qui luy donnoit vo-

lontiers. Rutebeuf a vescu longuement : & le plus

souz le regne de S. Louys. Toutefois par un de ses

œuvres il semble qu’il soit venu jusques à l’an 1310.

MARIE DE France. LXXXIIII.

MArie de France, ne porte ce surnom pour ce

qu’elle fust du sang des Rois : mais pource

qu’elle estoit natifve de France. car elle dit,

« Au finement de cet escrit,

« Me nommerai par remembrance,

« Marie ai nom, si sui de France.

Elle amis en vers François les fables d’Esope mo-

ralisees, qu’elle dit avoir translatees d’Anglois en

164

François. Pour l’amour au Conte Guilleaume,

« Le plus vaillant de ce Roiaume.

JEHAN DU PIN. LXXXV.

JEhan du Pin, ou Pain, fut moine de Vaucelles, &

a fait un opuscule, intitulé l’Evangile des fem-

mes ; assez bien fait & plaisant, composé en ryme

Alexandrine qui commence,

« L’evangile des femmes vous veuil ci recorder.

à la fin il dit,

« Ces vers Jehans du Pain un moine de Vaucelles,

« A fet moult soutilment, &c.

COURTE BARBE. LXXXVI.

COurte Barbe fut un Menestrel, qui a fait le ba-

bliau des trois aveugles de Compiegne, assez

plaisant. Trois aveugles (dit-il) sortans de Com-

piegne, recontrent un esoclier de nature gaye : le-

quel voulant itrer du passetemps d’eux, quand ils

luy demanderent l’aumosne, leur dit : Tenez, je

vous donne ce Besant (c’estoit une piece d’or va-

lant environ un angelot) chacun des aveugles les pen-

sant qu’il l’eut donné à son compagnon, l’en remer-

cierent grandement. Et ayans cheminé quelque

peu d’espace, le plus ancien d’eux commence à di-

re aux autres : que passé long temps ils n’avoyent

fait bonne chere, & falloit retourner à Compie-

gne se resjouir : à quoy les autres s’acccorderent.

Estans donc arrivez en la ville, & oyans crier,

Ceans a de bon vin : ils prient l’hoste de les loger

en une bonne salle peinte, les bien traitter, & n’a-

voir esgard à leur estat : car il se contenteroyent

bien. Le Clerc qui avoit mis pied à terre, depuis

165

ce don imaginaire, & les suivoit pour entendre

leurs propos : vint semblablement loger en la mes-

me hostellerie, où les aveugles se firent bien

traitter de chair, de poisson, & toutes sortes de

vines : puis apres avoir bien beu ils s’en allerent

coucher, dormans si haute matinee, que l’ho-

ste les vint esveiller, & demander leurs escots. Les

aveugles respondirent que c’estoit raison, qu’ils

avoyent un besant sus lequel il se payast. Ca donc

(dit l’hoste) & un des aveugles parlant à son com-

pagnon, Robert Baillez-le luy, car ce fut à vous

qui alliez le premier qu’on le donna. Par dieu vous

avez menti, dit Robet, mais ce fut à vous qui ve-

niez le dernier. Cestui-cy jurant que non, Tu l’as

donc, disent les deux au troisiesme : Non au, respon-

doit il, mais vous. Cependant l’hoste courroucé pen-

sant qu’ils se moquassent de luy, commençoit à

frapper dessus les aveugles, quand le clerc qui avoit

tout ouy, dit à l’hoste, qu’il ne se faschast, ains mit

l’escot des aveugles sus le sien, car il payeroit tout,

dont l’hoste le remercia : & louant sa liberalité laissa

sortir les aveugles. Le crec vestu, & oyant sonner

la messe, demanda à l’hoste s’il vouloit pas prendre

son Curé pour pleige des XV. sols, que luy & les a-

veugles devoyent pour leurs escots : lequel respon-

dit, que non seulement pour cela, mais qu’il luy

presteroit jusques à trente livres. Faites donc (dit le

clerc) que je sois quitte quand on m’amenera mon

pallefroy, & l’hoste dit qu’aussi feroit-il. Ce pen-

dant le clerc commanda à son valet tirer son cheval

de l’estable, & le luy amener. Ce fait il s’achemine

166

vers l’eglise : là où estant vneu ; il prend son hoste

par le doigt, & le mene vers l’autel : où trouvant le

prestre vestu de son aube, & prest de dire la messe,

il tire de sa bourse douze deniers, & luy dit bas, que

l’homme qu’il tenoit estoit frenetique, mais pour le

present il se portoit assez bien de sa personne : qu’il luy

pleust toutefois apres la messe, dire sus sa teste une

evangile. Le prestre se torunant devers l’hoste, luy

dit, Mon ami, je le feray apres la messe. Le clerc ains

quitté, sort de l’eglise, prend congé de son hoste &

monte à cheval. Or pource qu’il estoit dimanche,

l’hoste retourne pour ouir messe, laquelle achevee

il s’approche de l’autel : & le Curé ayant encores l’-

stole au col, luy fait signe qu’il s’approche & sage-

nouille : mais l’hoste qui n’estoit en devotion, luy

dit, qu’il ne venoit pour cela, ains pour recevoir

quinze sols qu’il luy avoit promis au nom du clerc.

L’hoste ne voulant s’agenouiller, & au contraire

se courrouçant : le Curé appelle ceux qui estoyent

demourez, & les prie de tenir cest homme, qui

n’estoit pas bien sage : mais l’hostem onté de plus en

plus en colere, & fasché outre mesure, commence

à blasphemer. Ce qui fut cause que le Curé parlant

plus hault, assembla des gens, craint qu’il estoit

fol : de maniere qu’il fut lié, & l’evangile dicte sus

sa ateste. L’oraison achevee, quand il demanda ses

XV. sols, il est renvoyé comme insensé, & encores

moqué de ceux à qui il conta son affaire. Les deux

vers derniers declarent l’autheur.

« Corte-barbe dit ci endroit,

« Qu’on fait à tort maint homme honte.

167

Le CLERC DE VAUDOY. LXXXVII

LE Clerc de Vaudoy fut assez bon Trouverre : il a

fait les fabliaux, intitulez, Niserole, qui commence,

« Seignor j’ay follement mes deniers despendus :

Corbeigni, & Trambloy, que je n’ay veus : ensemble

celuy des Droits qu’il fit âgé de quarante à cinquante

ans. C’est une satyre contre les Jacobins & Cordeliers ;

Il fit encores un fabliau du Dieu d’Amours, d’Esté,

& de May : dont je n’ay veu que les XX. premiers vers.

JEHAN LE GALOIS. LXXXVIII.

JEhan le Galois fut natif d’Aubepierre, & a fait le

fabliau de la Bourse pleine de sens, qui est moral.

Un riche marchant de Desise nomméRenier, marié

à une honeste dame, qu’il caressoit assez, aymoit

toutesfois une putain. Ceste femme s’appercevant

qu’il portoit hors la maison, ce qui luy apparte-

noit, & neantmoins le cognoissant pour homme

assez grossier, un jour qu’il deliberoit aller à la foyre

de Troyes (lors fort estimee) le pria luy apporter

une bourse de la valeur d’un denier, pleine de sens :

ce qu’il meit en son mémoire. Apres allant visiter

Mabille sa garce, elle luy demanda une robbe. Le

temps de la foire approchant, Renier partit de sa

maison : & venu à Troyes feit tresgrant profit de sa

marchandise, laquelle il remploya en autres espe-

ces. Puis se souvenant de sa garce, il luy va achepter

une belle robbe : & encores ne voulant oublier sa

femme, il s’enquist où l’on vendoit des bourses plei-

nes de sens. Celuy auquel il s’adressa, qui n’estoit

pas plus habile homme que luy, le renvoya à un Sa-

voyart espicier, ou vendeur de drogues : & cestuy-

168

ci non plus sage que l’autre, l’addressa à un vieil hom-

me Espagnol : lequel sceut si bien interroger Re-

nier, qu’il luy confessa estre marié à une honeste da-

me, qu’il l’avoit prié luy apporter ceste bourse, & sa

putain une robe. L’Espagnol luy remonstra la faute

qu’il commettoit de paillarder, ayant espousé une

si sage femme : toutefois s’il se vouloit asseurer de

l’amitié de l’une & de l’autre, ensemble cognoistre

celle qui luy portoit plus vraye affection, qu’il de-

vançast ses chariots d’un jour ou deux : & se vestant

de meschans habillemens, fist courir le bruit qu’il

avoit tout perdu. Apres cela qu’il vint voir sa garce,

puis sa femme : & selon la reception qu’elles luy fe-

royent, il jugeast de leur amitié. Le sage advertisse-

ment de l’Espagnol, ayant ouvert à Renier les yeux

de son entendement, il commande à ses gens arri-

ver à Dezise, à certain jour q’uil leur dit, & non

plus tost. Ce pendant il les devance : & avant qu’en-

trer en la ville, ayant osté ses vestements accoustu-

mez, comme s’il fust eschapé de brigans, il vient

qu’il estoit la nuit, heurter en la maison de Mabille,

laquelle luy ouvrit l’huis : mais le voyant en si pau-

vre estat, luy demanda qui il estoit. Renier, respondit

qu’il avoit tout perdu, & se venoit cacher, ne vou-

lant que ses creanciers le trouvassent : car il n’avoi

moyen de leur satisfaire, pource qu’il devoit beau-

coup plus qu’il n’avoit vaillant. La garce luy dit, qu’il

allast donc autre part : & nonobstant que Renier luy

ramenteust les biens que jadis il luy avoit faits, sus

l’heure mesme elle le chassa hors sa maison. De là il

vient à la sienne, qu’il estoit nuict toute noire : &

169

huchant sa femme, elle qui entendit sa voix descen-

dit incontinent, & luy vint ouvrir la porte. Renier

entré & joyeusement receu, ne fut pas si tost monté

en sa chambre, que sa femme luy demanda la cause

pourquoy il estoit en si pauvre estat : à quoy il re-

spondit en peu de mots, M’amie j’ay tout perdu ma

marchandise, & qui pis est je doy beaucoup plus

qu’il ne me reste de vaillant, se monstrant fort cour-

roucé. La dame luy dit qu’il ne se faschast, qu’elle

avoit encores bien vaillant dix mille livres de son

patrimoine, lequel elle luy abandonnoit pour

payer ses debtes. Ce pendant qu’il despoullast ceste

meschante robe, qu’il en prist une meilleure, & fist

bonne chere. Puis l’ayant fait manger, ils s’en vont

coucher. Le lendemain la nouvelle de la perte de

Renier, fut sceue par toute la ville dés le poinct du

jour : car la garce l’avoit publiee. De sorte que sa

maison se veit incontinent pleine de ses creanciers

ou cautions : ausquels Renier faisant bien du piteux,

remonstre comme il avoit tout perdu : les priant a-

voir patience aussi bien que luy, ce qui en estonna

plusieurs : maus sur ce poinct voyci arriver son var-

let, avec son pallefroy, estant suivi des chariots qui

portoyent sa marchandise. Lors ayant conté en

preence de la compaignie, l’occasion de sa feinte

perte : sa femme luy dit, qu’il luy avoit apporté la

bourse qu’elle demandoit : & Renier asseuré de sa

fidelité, par la preuve qu’il en avoit trouvee, luy

donna la robe promise à la garce : ayant par la sa-

gesse d’autruy appris à cognoistre la difference d’u-

ne vraye & feinte amitié.

170

Sire JEHAN CHAPELAIN. LXXXIX.

SIre Jehan Chapelain, a fait un fabliau du Secre-

tain de Cluni, fort plaisant & bien meslé d’ad-

ventures diverses : lequel commence,

« Usages est en Normandie,

« Que qui herbefiez est, qu’il dit

« Fable ou chanson die à l’hoste.

« Ceste coustume pas n’en oste,

« Sire Jehan li Chapelain

« Vourra conter du Coucretain.

Et le reste en ryme que j’ay mis en prose le plus

pres du sens de l’autheur, retenant beaucoup de ses

propres mots pour d’avantage descouvrir le temps.

Jadis il y eut à Cluni une bien sage & belle dame

mariee à un bourgois de la ville, nommé Hue. La-

quelle ayant coustume d’ouir tous les jours le ser-

vice, que les moynes y souloyent faire en belles ce-

remonies : il advint que celuy qui avoit charge de

l’Eglise, qu’on appelle Secretain, en devint si fort

amoureux, que la voyant un matin pres un pilier,

il s’enhardist de l’approcher, & prenant sa main luy

dire : Madame dieu vous gard : & me doint vostre

amour. Il y a ja long temps que je vous aime : voire

dés que j’estoy petit clargeon, & que vous demou-

riez chez vostre pere. Ce mal qui me tenoit comme

enfant, ne m’a laissé à ceste heure que je suis homme,

pour le vous monstrer plus certainement. Je vous

prie donc m’octroyer vostre amour : vous advi-

sant que j’ay le maniment du thresor de ceans, le-

quel est tout à vostre commandement pour vous fai-

re riche, & si jolie de robes & joyaux, qu’il n’y a fem-

171

me à Cluni, qui le soit davantage. La dame nou-

velle mariee, & qui ne l’avoit pas agreable, luy re-

spondit : Sire Secretain, vous vous travaillez pour-

neant : jamais je ne feroy ceste faute à mon mary.

Et si vous en mettez d’avantage en peine, j’en ad-

vertiray vostre Abbé. Le moine tout confus, ne luy

sceut dire autre chose, sinon, Madame à ce que je

voy, il me convient mourir par vostre rigueur. Là

dessus il s’en va bien marry, sans plus luy en faire in-

stance. Un assez long temps apres, ce Hue ayant

par son mauvais gouvernement, vendu vigne, ter-

res, & meubles, devint si pauvre qu’il fu contraint

dire à sa femme l’extreme necessité en laquelle ils

estoyent : & luy remonstrer qu’ils ne pouvoyent

demourer au pais, n’ayans plus que la maison où

ils habitoyent : & laquelle encores ils ne pouvoyent

vendre, ne sçachant lieu auquel ils peussent mieux

celer leur pauvreté. Mais sa femme plus asseuree, le

reconfortant luy respondit, qu’elle avoit des pa-

rens en France, devers lequels ils pourroyent se re-

tirer : toutefois à fin que pas un des voisins ne s’ap-

perceust de leur partement, quand ils orroyent son-

ner matines il falloit aller en l’eglise, prier Dieu les

vouloir conduire. Le dimanche venu, ils se levent

de bonne heure, & oyans matines sonner, ils s’a-

cheminent à l’eglise : là où comme l’un serré contre

un pilier, & l’autre en quelque coing, estoyent fort

tristes, & ententifs à leurs prieres : d’avanture le Se-

cretain pour le devoir de son estat, allant par l’egli-

se une bougie au point, trouvant s’amie à une heure

non accoustumee, l’occasion propre de parler à

172

elle ayant soudain esveillé son amour, seulement

endormi, il s’approcha & luy dit, Mal dehait aye ce-

luy qui ne se soucie de vostre ennuy, & Dieu vous

envoye joye : laquelle aussi vous pourriez avoir si

vouliez croire mon conseil, ayant moyen de vous

faire la plus heureuse de la ville. La dame luy respon-

dit, Sire je m’esmerveille de vos propos : il y a dix ans

passez que me requistes d’amour, & oncques puis

ne m’en parlastes, que la premiere annee que je fu

mariee. Il est vray, ce dit le Moine : mais encores si

me vouliez octroyer vostre amour, & seulement

un baiser pour le present, je vous donneroy cent

sols que j’ay sus moy : & avant qu’il soit midi, plus

or & argent que n’a pas un homme de ceste ville. il

sembla à la dame, que sa necessité l’admonnestoit

de ne laisser passer l’occasion qui se presentoit. De

sorte, que pressee d’avantage du Secretain, elle le

pria luy donner tempsd’y penser : promettant se

trouver à l’heure de prime au lieu mesme, pour

adviser à leur affaire. Lors le Secretain tirant de sa

bourse cent sols, les luy donna en la baisant : & la

dame levee de sa place, vint trouver Hue : auquel

monstrant l’argent, elle luy raconte la priere du

moine, & comme il la devoir venir trouver chargé

d’or & d’argent : que s’il avoit le courage si bon, de

luy garder son honneur, & retenir ce qu’il appor-

teroit, elle continuroit l’assignation. Hue prenant

conseil sus le champ, dit qu’il estoit contant, & l’as-

seura que le moine ne sortiroit de ses mains quit-

te. Là dessus ils s’en vont joyeux en leur maison,

attendre l’heure de prime : laquelle sonnee, Hue

173

donne congé à sa femme d’aller à l’Eglise arrester le

jour. Le Secretain qui estoit au chœur, la voyant ve-

nir courut au devant luy dire, qu’elle estoit femme

de promesse. A quoy elle respondit, que de sa part

il se tint prest pour la nuict du mardy prochain,

que Hue seroit allé à la foire, & ne faillist d’appor-

ter ce qu’il avoit promis. Dame (dit-il) par celle

Messe que j’ay chantee, vous l’aurez & plus. Le mar-

ché conclu, ils se departirent d’ensemble : & la da-

me vint advertir Hue de leur conclusion. Lequel

dés le lundi faisant semblant d’aller à un lointain

marché, retourne secrettement se cacher en une

chambre de sa maison. D’autre costé le Secretain

qui ne craignoit ne Dieu, ne les hommes, va au

thresor, où il prend les calices d’or & d’argent, qu’il

met en un sac, lequel ne luy semblant pas assez plein,

il rompt encores un Crucefix, emplissant le sac jus-

ques au goulet. Puis la nuict venue, i lsort tout

joyeux par une poterne, & s’en vint à la maison de

s’amie heurter à lhuis de derriere, om elle l’atten-

doit. Il n’eut pas si tost frappé que la porte estant

ouverte, il se fourre dedans, & jettant le sac à ses

pieds il monstre à sa dame la richesse qui estoit de-

dans. Mais comme il eut aussi mis les bras à son col

pour la baiser, Hue qui n’estoit pas loin de là, luy

descharge sur les oreilles un coup de masse, assené si

dextrement & en tel endroit, qu’il cheut mort sans

crier. Ce fait, il dit à sa femme toute esperdue, m’A-

mie il ne reste plus que nous desfaire de ce diable :

mais elle tremblant luy commença à dire, Helas

que ferons-nous, quand au lieu de nous mettre

174

hors de pauvreté, vous nous avez conduits à la

mort ! car je sçay bien que gens viendront inco-

tinent nous prendre pour nous mener en prison.

Taisez-vous (dit Hue) laissez moy faire, serrez seu-

lement cest argent, & puis vous allez coucher. Lors

Hue qui estoit grand & fort, charge le moyne sus

son col : & sçachant le chemin qu’il estoit venu,

porta son corps sus un anneau des latrines com-

munes de l’abbaye, où il s’assit, luy mettant en la

main un torchon tel qu’il faut en ce lieu. Puis re-

tourne en sa maison dire à sa femme, comme il s’-

stoir depesché du moyne. Ce pendant le temps

de sonner matines approchant, le compagnon du

Secretain s’esveille, & luy semblant que l’heure se

passoit, appelle le Secretain : lequel ne trouvant

point en son lict, tout courroucé il s’en va aux la-

trines : là où voyant le corps du Secretain, & pen-

sant qu’il fust endormi, il luy dit : Dam Secretain,

vous beuvez tant tous les soirs, qu’il ne vous sou-

vient de ceux qui attendent apres vous. Et pource

qu’il ne luy respondoit, il le tire par le chaperon si

rudement, qu’il le fit cheoir la face contre terre.

Mais voyant qu’il ne remuoit point, & craignant l’a-

voir tué, il commença soy plaindre de sa male ad-

venture. En fin reprenant ses esprits, & se souve-

nant des amours du defunct, il charge le corps à

son col, & sortant par la porterne, il le vint appuyer

contre l’huis de derriere de la maison de Hue : di-

sant que facilement on croiroit qu’il l’eust tué par

jalousie. Quelque peu apres, la femme de Hue

pressee de descharger son ventre, & voulant sortir

175

dehors, comme elle eut ouvert l’huis, le corps du

Secretain luy chet sus le front & l’abat contre terre.

Dequoy toute estonnee, elle s’escrie : Helas, Hue,

le Secretain est retourné ! les deux marcs d’or que

nous avons serrez, pour le mettre en ce poinct,

n’empescheront que demain ne soyons ou pendus,

ou bruslez ! Taisez-vous, fait Hue (qui s’estoit in-

continent jetté hors du lict) que les voisins ne vous

entendent : c’est la raison que je porte le mal, puis

que je l’ay faict, & telle que je l’ay brassee, je la voi-

ve. Puis s’estant vestu, il dit à sa femme, Fermez vo-

stre porte, & vous allez coucher. Lors il recharge

le corps du moyne sus son col, & s’en va le long de

la rue : par laquelle il n’eut pas longuement chemi-

né, qu’il entendit du bruit de gens, dont il eut si

grande crainte (considerant le danger auquel il estoit,

qui l’eust trouvé avec ce corps mort) que rencon-

trant une ruelle assez profonde, il s’escarte dedans,

tout tremblant de frayeur. Ce pendant, des lar-

rons qui avoyent desrobé chez un boulanger nom-

mé Thomas, deux fleches de lard (lors appelez ba-

cons, dont vient le mot de Baconer pour saller)

passans le longu du lieu où il s’estoit caché, il ouit que

l’un dit : Je ne suis pas d’advis que nous portions

chez le tavernier nostre prise, jusques à ce que nous

oyons son cri (car en ce temps les taverniers fai-

soyent crier devant leurs huis, Cy a bon vin, de tel

& tel lieu) mais nous le cacherons dans ce fumier

avec le sac : l’autre trouvant son advis bon, il cou-

vrent les bacons de fiens, puis s’en vont le chemin

de la taverne. Hue qui avoit tout entendu, les sen-

176

tant esloignez, pensa que Dieu luy eust envoyé une

bonne occasion de se delivrer de son moyne. par-

quoy tout joyeux, il vient aufumier descouvrir le

sac, duquel tirant le lard, il y fourre son moyne d-

dans : accoustrant le fumier comme il l’avoit trou-

vé. Ce fait il s’achemine vers sa maison : où d’ennuy

& de crainte, sa femme ne s’estoit peu tenir. Laquel-

le voyant Hue revenir chargé, disoit en soymesme :

Helas nous sommes morts, je croy que cest homme

est enragé de rapporter ce moyne : mon dieu que

ferons nous ! Quand voyci Hue, qui en riant luy

dit, M’amie nostre bien va en croissant, j’ay changé

le moyne à tant de lard, que nous ne le sçaurions

manger d’ici à la saint Denus : serrons-le, & puis al-

lons dormir. L’angoisse de la dame changee en joye

soudaine, ils s’en retournent en leur lict plus contens

que devant. Durant cela les larrons venus à la taverne,

s’estans fait tirer à boire dirent à l’hoste, que s’il vou-

loit achepter du lard, il pourroit assez gaigner avec

eux. Le tarvernier respond, qu’il n’avoit pas accou-

stumé d’achepter chat en poche : qu’ils l’allassent

querre, & puis ils asseureroyent leur marché. Les lar-

rons dirent que c’estoit raison : & retournans au

fumier, ils prennent le sac & l’emportent à la taverne.

Mais comme ils l’eussent deslié, l’hoste n’eut pas si

tost apperceu la teste du moyne, qu’il le cogneut : &

criant apres eux, qu’ils l’avoyent tué, & falloit aller

querir ses parens : ils le prient se taire, disans qu’ils

sçavoyent bien où ils l’avoyent pris, & ne falloit

que le reporter au lieu mesme, sans en faire plus

grand buit. Allez, dit l’hoste, à tous les diables, avec

177

vostre moyne. Ainsi donc les larrons bienestonnez,

reprennent leur sac se plaignans de leur fortune :

& disans l’un à l’autre, Compaignon te sembloit-il

advis, que ce fust lard ou moyne que nous prismes ?

Par Dieu il n’y a homme qui voyant la gresse, n’eust

jugé que ce fust un pourceau. Comment donc s’est

il changé ? En disant cela, & s’esmerveillans d’une si

estrange mutation, ils arrivent chez le boulanger :

là où remontans au pignon, par lequel ils estoyent

entrez, ils rependent le moyne au lieu du lard. D’au-

tre part, Thomas approchant le jour appelle Robin

son garçon, & crie qu’il se leve pour porter son bled

au moulin : luy reprochantque c’estoit grand’

honte de dormir si tard. Robin esveillé en sursaut,

dit qu’il n’ira ja dehors, qu’il n’aye à desjeuner. Pren

(dit la femme du boulanger) du pain plus que tu

n’as encores faict. Par Dieu (dit-il) je n’iray ja, si je

n’ay une charbonnee du pourceau. Et comment

en prendras-tu à ceste heure ? respond la femme : je

t’en donnerois volontiers, si on la pouvoit lever

sans gaster & empirer la vente. Laissez moy faire

(dit Robin) j’en prendray si bien qu’il ne perra que

couteau y aye touché. La dame voyant qu’il ne se

pouvoit appaiser, luy donne congé de prendre ce

qu’il voudra : & Robin va querir une eschelle, qu’il

appuie contre le sac : puis montant amont avec son

couteau au poing, en voulant prendre de l’autre

main le sac mal accroché, Robin, le sac & l’eschelle

tomberent tous ensemble, avec si grand bruit que

le boulanger & sa femme pensans qu’il se fust blessé,

crierent, Robin qu’est-ce la ? t’es tu fait mal ? Non mai-

178

stre, repsondit-il : car je suis tombé sus le lard : mal-

encontre ait celuy qui l’attacha. Ce pendant la bou-

langere ayant allumé de la chandelle, & son mary

s’estan[t au]ssi levé, voyent la teste du moyne passant

hors le sac : pour autant que la corde qui le tenoit

lié, s’estoit rompue en tombant. De quoy tous eston-

nez, & la femme pleurant de crainte : Thomas plus

asseuré, dit qu’il falloit trouver moyen de l’oster de

là : & commande à Robin aller querir son poulain

farouche. Auquel ayant mis le frein & une selle

sus le dos, il lie le moyne dessus si bien qu’il ne pou-

voit cheoir. Puis luy ayant aussi attaché une lance

soubs l’aisselle, & mis des esperons aux talons, il con-

duit le poulain en la rue. Lequel se sentant piquer

aux flancs, prend le galop : & trouvant la grand’

porte de l’Abbaye ouverte, se jetta dedans. D’aven)

ture il y avoit quelques moyenes en la cour : lesquels

voyans ce cheval chargé du corps du Secretain,

equipé comme le boulanger avoit voulu, pensans

que ce fust quelque malin esprit qui le tint, s’enfui-

rent fermans leurs portes en grand’haste. Et le pou-

lain courant tousjours, vint rompre contre u

mur la lance attachee soubs l’aisselle du moyne.

Or l’Abbé desirant faire un puis au millieu de la

cour, avoit fait fouiller un trou si profond, que

desesperant d’y trouver de l’eau, il estoit resolu de

faire cesser l’ouvrage : duquel le poulain en gam-

badant approcha si pres, que la terre luy faillant

soubs les pieds, il trebuscha dedans avec sa char-

ge, en la presence d’aucuns moynes. Lesquels en

grande joye, firent sonner les cloches, pour re-

179

mercier Dieu, de ce qu’il les avoit delivrez de l’en-

nemi. Et commanderent par le bourg que chacun

vint aider à remplir le trou du puis : oublians la per-

te de leur frere & de leurs biens, pour la grande

frayeur qu’ils avoyent euë, pensans que ce fust l’a-

me du Secretain.

RENAULT D’AUDON. XC.

REnault d’Audon a faict une Sature contre tous estats.

GUIART. XCI.

GUiart a faict un art d’amours, auquel il instruit

un homme comme il se doit porter pour par-

venir à ses atteintes, & puis d’en desfaire. Entre au-

tres choses il a pris ces deux vers d’Ovide de Reme-

dio Amoris,

« Au matin va la voir ains qu’elle soit levee,

« Ne que de son fardet soit oingte ne fardee.

Car ce n’est pas d’aujourdhuy qu’elles s’en aident

en France.

GARIN. XCII.

GArin a faict un fabliau, intitulé le Chevalier

qui faisoit parles les devans & derrieres des

femmes. Il dit,

« Fabliaux sont or moult en corse :

« Maint deniers en ont en borse,

« Cil qui les content & les portent.

« Car grant confortement enportent,

« As 1envoisiez & as oiseux :

« Quant il n’i a gens trop noiseux.

« 2Neis à ceux qui sont plains d’ire,

« Quant ils oient bons fabliaux lire,

180

« Si lor fait moult grand alleiance,

« Et oublier deuil & pesence,

« Et mauvaistié & pensement,

« Ce ditGarin qui pas ne ment.

C’est un conte de lourde mensonge, & dont je fay

mention seulement pour monstrer à quoy de ce

temps-la on prenoit plaisir, & quelles iventions

estoyent estimees, & plus agreables.

ROIX DE CAMBRAY. XCIII.

ROix de Cambray, je pense que ce nom monstre qu’il

fut un Roy d’armes, ou Herault. Il a fait une sa-

tyre contre les ordres Monastiques, commençant,

« Se li Roix de Cambray vëist

« Le siegle si bon comme il fist.

Il a aussi un opuscule intitulé A.B.C. par tiltre,

commençant

« Je vous dy bien en parchemin. & à la fin,

« Cil qui a nom Roix de Cambray

« De tel sens & de si verai

« Com il puet en son cuer trouver,

« I voult son enfin esprouver.

GIRARDINS D’AMIENS. XCIIII.

GIrardins d’Amiens a fait un Romans, intitulé

Meliadius, qu’il ryma au recit d’une grand’ da-

me : laquelle luy donna le subject. Il dit de soy,

« Girardins d’Amiens qui plus n’a

« Oi de cet conte retraire,

« Ni voët pas mensonges atraire,

« Ne chose dont il fu repris.

« Ainsi com a la conte apris,

« L’a rymé au mieux qu’il avoit.

181

HUES PIANCELLES. XCV.

HUes Piancelles a fait le fabel de sire Hains &

dame Avieuse sa femme : qui se combatirent

à qui porteroit les braies. mais la dame fut contrain-

te les quicter, non par faulte de courage : ains pour-

ce qu’au combat en reculant elle tomba dans un

tonneau à gueule bee, la teste la premiere, ayant

les jambes en hault : de sorte qu’elle ne se peut rele-

ver. Estant par ceste infortune contrainte de se ren-

dre & confesser vaincue. L’autheur dit de soy,

« Hues Piancelles qui trova

« Cil fabel, par raison prova

« Que cil qui a femme 1rubeste

« Est garnis de mauvaise beste.

JEHAN BODEL. XCVI.

JEhans Bodel fut d’Arras, & a fait un petit œu-

vre en forme d’Adieux, auquel il nomme plusieurs

bourgeois & autres de ceste ville.

JEHAN DU CHASTELET. XCVII.

JEhan du Chastelet a mis les dits moraux de Caton

en vers assez bons. Il dit au commencement,

« Seignor vous qui mettez vos cures

« En fables & en adventures. &c.

« Ce dit Jehans du Chastelet

« Qui nous commence cest Romans

« De Caton & de ses commens.

HUES DE CAMBRAY. XCVIII.

HUes de Cambray a fait le fabliau, intitulé La ma-

le honte : qui est une moquerie faitte contre

Henry Roy d’Angleterre : & dit de son ouvrage,

« Hue de Cambray conte & dit

184

fait plus pour luy que luy pour elle, d’ainsi l’accor-

der. En la II. il demande au moyne d’Arras (ce peut

estre Moniot d’Arras nommé ci dessus) Si apres

avoir couché avec s’amie, on est moins surpris d’a-

mour que devant.

ADAM DE GUIENCI. CV.

ADam de Guienci demande à maistre Guil-

leaume le Viniers : Lequel vaut mieux avoir

joye qui doive bien tost faillir, ou haut espoir sans

jouissance. Ce jeu est renvoyé à Pierre de Corbie :

qui pourroit estre le viellars (c’est à dire le veil-

leur) de Corbie, nommé ci devant.

ANDRIEU. CVI.

ANdrieu fait une telledemande : Un faux amant

faulsement prie : une qui faulsement octroye :

lequel doit estre plus blasmé, ou il, ou elle.

Sire JEHAN BRETEL OU BRETIAUX.

CVII.

SIre Jehan Bretel, ou Bretiaux, fut grand maistre

de jeux partis : c’est à dire de damandes, lesquel-

les il est loysible de disputer probablement pour &

contre. Car encores disons nous communément,

Je vous fay ce parti. Ces demandes joyeuses ser-

voyent à faire passer le temps aux compaignies hon-

nestes : & je trouve que tel esbat a esté longuement

pratiqué en France. Car Raoul de Houdanc en fait

mention au Romans de Meraugis de Portesguez.

« Un gieu vous part que volez faire

« Se volez miex trancer que taire,

« Vez moy tot prest de tencier.

Ce Bretel a vescu du temps de S. Louis : & se trouvent

185

de luy plus de cnahsons en jeux partis, que de nul

autre que je sçache.

Par sa I. il demande à Vreivilier, S’il advenoit qu’il

fust en lieu secret avec s’amie à son gré, lequel luy

conviendroit mieux, d’aller vers elle & la baiser à

son gré une fois sans plus : ou bien qu’elle vint à luy,

les bras tendus pour le baiser, mais avantqu’elle

peust le joindre, il fallust qu’elle s’enfuist de là.

Par la II. il demande à Lambert Ferris : Lequel

vault mieux, planté de joye à son aise, dix fois l’an

seulement sans peine & sans ahan : ou en peril à

grand’peine, trois fois la sepmaine.

Par la III. il demande au mesme Ferris : Une dame

est bien aimee, & aime bien aussi : mais leur amour

en est venue là, qu’il faut que l’amant prenne fem-

me autre que s’amie : ou s’en voise en Pouille, à la

croisage preschee contre Manfroy : & de ces deux

partis, s’amie a le choix. Ce seul trait suffit pour

cognoistre non seulement le temps qu’a vescu

Bretel, mais encores tous ceux à qui il escrit, & fait

des demandes. Or Manfroy fut combatu & tué par

Charles duc d’Anjou frere de saint Louis, l’an

1264.

Par la IIII. il demande à un Gadifer : S’il avoit

mis son cœur à une jolie damoiselle, & il l’aimast

bien : lequel il voudroit mieux, qu’elle fust mariee,

ou trespassee.

Par la V. il demande à Cuveliers, S’il advenoit

qu’il aimast une dame belle & sage, & un autre l’ai-

mast autant que luy : lequel il voudroit, que tous

deux faillissent à son amour sans espoir de recou-

186

vrer : ou que l’un & l’autre en eust ce qu’il desireroit.

Par la VI. il propose ceste question à Ferris : Ils

snt deux loyaux amans, dont l’un jouit de sa dame,

& l’autre n’a aucun bien de la sienne. Or les dames

se son si mal portees, que l’une & l’autre s’est aban-

donnee à autruy. Lequel des deux amans, se doit le

plus plaindre : & des dames laquelle a le plus failli.

Par la VII. il demande à Ferris, S’il aimoit une da-

moyselle, & fust asseuré que jamais il ne jouiroit

d’elle : auroit il bien volonté qu’un de ses com-

paignons en jouist : & qu’elle se tint à cestuy-la.

Par la VIII. il demande à Greivillier, Laquelle est

miex asseuree, pour avoir le cœur joyeux, celle

qui a un ami hardi en amours : ou celle duquel l’ami

est loyal, mais douteux & craintif. Lequel vaut

mieux.

Par la IX. il demande au mesme : Deux dames ont

donné assignation à leurs amis, dont l’un est nou-

veau en amours & puceau : l’autre sçait assez du sie-

cle (c’est à dire du monde) lequel des deux amans

doit avoir plus grand’joye.

Par la X. il demande à Audrfroy, Si quelcun pou-

voit par droit raison conquester l’amour de s’a-

mie : s’il feroit bien ou mal, sens ou folie.

Par la XI. il demande au mesme : Il aime loyau-

ment, aussi est-il aimé de mesme : toutesfois il ne

peut trouver moyen de baiser, au faire d’avan-

taige, s’il ne se eut mesfaire. S’il passera outre.

Par la XII. il demande à Cuvelliers : Lequel doit

mieux avoir joye, ou celuy qui aime en bon e-

spoir, & tousjours prie d’avoir mercy, mais il est ni-

187

ce & peu celant : ou le sage peu parlant, & qui veut

que sa dame croye qu’il l’aime, parce qu’il est bien

celant. Il fait juges Gillot le Petit, & Baudescot li

Marchans.

Par la XIII. il demande au mesme, Lequel il ai-

meroit mieux, s’il avoit belle dame & sage, & il eust

conquise s’amour de son sens, sans autre pour-

voyance, à grand’ peine au bout d’un an : ou au

bout d’un mois.

Par la XIIII. il demande à Adam le Bossu : il mar-

chanda tant une dame, qu’à la fin elle luy octroya

qu’elle l’aimeroit : mais il n’y a en elle foy ne loyau-

té, pource que chacun la gaigne à son tour. Sçavoir

s’il a perdu ou gaigné.

Par la XV. il demande au Thresorier de l’Isle & à

Cuvelliers (qu’il dit estre de mesme mestier, que

luy & Lambert Ferris) Lequel a plus de jalousie &

drüerie en son cœur : ou dame qui son mary voit

aimer autre qu’elle : ou homme qui voit sa femme

accointer autre que luy. Il fait juges de ceste de-

mande Robert le Clerc & Pierre Wion.

Par la XVI. il demande à Greivillier : Lequel il vou-

droit mieux, estre aimé d’une dame sage & sei-

gneuriale : ou de deux sages & seigneuriales.

Par la XVII. il demande au mesme : Quand est-ce

que l’amant a plus de seigneurie (je croy contente-

ment) ou quand il se souvient du plaisir qu’il a eu,

ou à ce poinct qu’il prend son deduit.

Par la XVIII. il demande à Gadifer : S’il estoit bien

aimé, & aimast bien aussi, lequel il voudroit mieux

ouir dire du bien de s’amie, & lequel il n’y trouve-

188

roit mie : ou du mal qui n’y seroit pas.

Par la XIX. il demande à Greivillier : Lequel des

deux maris a plus de tourment, ou celuy qui pense

que sa femme aime, & ne sçait rien qu’elle soit ai-

mee : ou cil qui sçait que sa femme a aimé, mais son

ami apres en avoir faict sa volonté la forjuree : & est

seur que jamais n’y reviendra.

Par la xx. il demande 0 Cuveliers : Lequel fait plus à

priser : Celuy qui jamais n’aima par amours, ou cil

qui aime par tricherie, & tousjours a aimé sans foy

& sans loyauté. Il en fait juge la damoiselle Orude.

Par la XXI. adressee au mesme, il luy demande : Un

autre homme a prié d’amours sa damme, mais elle l’a

esconduit, & s’en defend bien : lequel fait elle mieux,

de celer cestre priere, ou la descouvrir à son ami.

Par la XXII. il demande au mesme : Pourquoy on

refuse en amour ceux qui ont de l’aage, & les jeu-

nes garçons sont aimez & conjouis des dames.

« Si que li bon, li sage, li celant,

« Sont mis arrier, & li novice avant.

Par la XXIII. il demande au mesme : Deux da-

mes avoyent un homme de foy : l’une, apres longue

priere luy octroya sa requeste, & l’autre aussi : mais

sans ennuy. Laquelle doit-il mieux servir.

Par la XXIIII. il demande au mesme : Lequel fait

plus à blasmer, ou celuy que lon oit vanter qu’il a

jouy de sa dame : ou le vanteur qui a failli à avoir

joye.

Par la XXV. il demande au mesme : S’il aimoit

loyaument, & on l’aimast aussi : lequel il voudroit

mieux que sa fame fust belle suffisamment & tres-

189

sage : ou belle desmesurément & sage raisonna-

blement.

Par la XXVI. illuy demande encores : S’il avoit

espousee femme qu’il aimast bien, & elle luy : s’il

voudroit encor avoir amie, de laquelle il fust bien

asseuré d’estre semblablement bien aimé.

Par la XXVII. il demande à Lambert Ferris : S’il

aimeroit mieux que s’amie (qu’il a à Abeville) fust

morte ou perie : ou qu’elle eust fait la folie avec une

vaillant homme, & elle s’en repentis.

Par la XXVIII. damande à Greivillier : Lequel a

plus d’advantage, celuy qui jouit de sa dame par

grandeur, dont tout le monde s’apperçoit : ou ce-

luy qui n’a que le devis, sans qu’on s’en apperçoive.

Par la XXIX. demande à Perrot de Nesle : S’il ai-

moit une dame, & elle le priast qu’il souffrist qu’el-

le peust aimer un autre l’espace d’un an, & luy jurast

que l’an passé il seroit aimé : s’il le souffriroit.

Par la XXX. demande à Greivillier : Deux Dames

sont d’une sens, d’une valleur, & beauté : l’une aime,

est aimee, & a aimé : l’autre n’a point d’amour : Ou a

plus belles 1maistrie, ou à conquerre celle qui bien

aime, & a ami : ou l’autre qui oncq ne sceut aimer.

Par la XXXI. demande à Jehan Simon : Lequel

fit mieux, celuy qui dés l’aage de quinze ans aima

jusques à cinquante, puis se lassa saint & haitiez : ou

celuy en ayant quarante & plus sans avoir aimé, ai-

ma tant qu’il peut.

Par la XXXII. demande à Greivillier : Lequel vaut

mieux qu’un ami pour eviter noise & bataille faille

 à sa joye, de peur qu’on s’apperçoive de la jouis-

190

sance de ses amours : ou qu’il jouisse, & que lon s’en

apperçoive, tant que sa dame en aye mechef.

Par la XXXIII. demande au mesme : Une dame

a esté si cruelle, qu’elle a tousjours esconduit son

amy. Et on tellement perseveré l’un à prier, & l’au-

tre refuser, que tous deux sont hors le temps de leur

jeunesse, & que nature leur defend d’aimer. Tou-

tefois la dame aimeroit bien maintenant, si l’amant

vouloit. Sçavoir s’il doit y entendre.

Par la XXXIIII. il demande à Robert du Castel,

à ceste heure qu’il est marié, lequel vaut mieux, Gran-

de planté d’amie (c’est à dire, jouir à toutes heures

comme peut faire le mary de sa femme) ou poi de

deduit avoir.

Par la XXXV. il demande à Ferris, Lequel doit a-

voir volonté de faire plus grand 1vasselage : ou celuy

qui sert en espoir d’avoir le souverain advantage

d’amour : ou celuy qui jouit.

Par la XXXVI. demande à Greivillier : Deux amans

prient souvent une dame : mais l’un est tousjours

esconduit sus l’heure : & à l’autre elle ne l’esconduit

ne luy octroye : mais quand ils reviennent, elle fait

meilleur visage à celuy qu’elle esconduit soudaint :

lequel doit avoir meilleure esperance.

Par la XXXVII. il demande au mesme : Deux da-

mes font semblant d’aimer deux amans : l’un veut

sans delay aller jouster à Gant, & sa dame luy defend.

L’autre prie le sien d’y aller : & combien qu’il n’en

aye volonté, toutefois il y va : lequel aime le plus

cordialement.

191

NAPOLIS. CVIII.

NApolis fut aussi un maistre de jeux partis : il de-

mande à Greivillier : Lequel il aimeroit mieux

jouir de s’amie en dormant, qu’un jour seul en sa

vie la tenir à son commandement. Il fait juge un

nommé Bercelains.

GOMARS DE VILLIERS. CIX.

GOmars, Gamars de Villiers, dit à Cuveliers

qu’il aime la femme à un Chevalier, & elle luy :

toutefois il est tellement son ami, qu’il ne voudroit

le fascher. S’il doit perdre l’amitié du Chevalier. Il

fait juge la dame de Foulenchamp, avec Guillart.

« De cui mesgnie estoit Gamart.

GREIVILLIER. CX.

GReivillier fut grand ami de Bretel, & fort son

familier : ainsi que nous avons veu par tant de

demandes qu’il luy a addressees. Cela me fait juger

qu’il s’en mesloit aussi, pour le moins avons nous

de luy cinq chansons de jeu party.

Par la I. il demande à Bretel : S’il tenoit sa dame en

lieu secret à sa jouissance : qui le grieveroit plus s’il

la voyoit triste, de ce qu’elle l’aimast tant : ou de ce

qu’elle regretast un ami qu’elle auroit autrefois eu.

Il fait juge Dragons & Audefroy.

Par la II. encores à luy addressee, il demande :

Quand est-ce que l’amant a plus de contentement : ou

au souvenir de son plaisir, ou durant le plaisir mesme.

Par la III. il luy demande : De deux amans l’un

est jaloux sans cause, & l’autre est deceu par sa da-

me : car pensant estre aimé, s’amie le trompe. Le-

quel aime le mieux.

192

Par la IIII. il demande au mesme : Il a aimé une

dame qui jamais ne tint compte de luy, mainte-

nant une autre le prie d’estre s’amie : s’il la doit pren-

dre, ou attendre que l’autre aye pitié de luy.

Par la V. & derniere addressee au mesme Bretel, il

luy demande : Lequel estat rend les amans plus gais

& jolis, ou quand il sont poursuyvans en esperan-

ce de jouir, ou quand ils jouissent.

ROBINS DE COMPIEGNE. CXI.

RObins de Compiegne, demande à Bretel : S’il

doit aimer une dame, que son compagnon

(qui est allé dehors) luy a baillee en garde : & s’il

doit souffrir le mal qu’il en endure, par faute de

luy decrouvrir.

PERROT DE NEESLE. CXII.

PErrot de Neesle demande à Bretel, lequel il ai-

meroit mieux, accomplir son desir de sa da-

me vestue d’une robe de drap d’or : ou estre dans

un lict avec elle nud à nud, couverts de deux sacs.

Damoiselle SAINTE DES PREZ. CXIII.

DAmoyselle Sainte des Prez, demande à la da-

me de la Chaucie : lequel pour son plus grand

honneur elle doit faire, ou esconduire celuy qui

la prie avant qu’il parle : ou le laisser dire tout ce

qu’il voudra.

GIRARD DE BOULOIGNE. CXIIII.

GIrard de Bouloigne demande à Bretel : Une da-

me que vous aimez bien, est en tel parti qu’il

luy convient mourir, ou partir de vous pour ai-

mer un autre : si vous l’endureriez, ou la lairriez

mourir.

193

HUE LI MARONNIERS. CXV.

HUe li Maronniers (qui peut estre celuy qu’on

appeloit le marinier d’Amours) demande à

Simon d’Athies, lequel employe mieux son temps,

celuy qui aime une belle & sage dame sans guer)

don, mais en espoir de l’avoir : ou celuy qui aime

une dame pauvre & nie, mais de laquelle il jouit.

Par la II. il demande au mesme d’Athies : Lequel

il aimeroit mieux, que sa femme sceust qu’il la fist

wihote, & elle en fust jalouse : ou elle le fist wihot,

& il n’en sceust rien. Ce mot de wihot duquel u-

sent encores les haults Picards, pour signifier Co-

cu : me fait penser que la plus part de ces au-

theurs de jeux partis, furent de ces quartiers,

ou voisins. Tant y a que tous ceux que j’ay nom-

mez depuis Thiebault Roy de Navarre, semblent

avoir eu la vogue depuis l’an M. CCXXX. jusques

en l’an M. CCLX. & quelque peu d’avantage. Car

les Chansons, les Fabliaux, & les Jeux partis d’A-

mours, font mention des seigneurs vivans de ce

temps-la. Et la III. demande de Bretel, parlant

de la Croisafe, preschee contre Manfroy (usurpa-

teur de Sicile, tué comme j’ay dit, l’an M. CCLXIIII)

monstre le temps que luy, Greivillier, Ferris, Cu-

veliers, Perrot de Neesle, Robert du Castel, & au-

tres cy dessus nommez, ont vescu. Mais il est bien

plus aisé de dire le temps de ceux qui suivent.

Li ROIX ADENEZ. CXXI.

LI Roix Adenez vesquit du temps de Philippes

III. Roy de France, fils de S. Louis. Car il dit

qu’il fut menestrel de Henry Duc de Braban, qui

194

mourut environ 1260. Lequel prince (ainsi que con-

fesse ledit Adenez) luy fit apprendre son mestier (je

croy de sonner des instruments) & rymer, auquel

il profita : mettant en ryme plusieurs faits & gestes

d’anciens chevaliers, renommez pour leur vaillance.

Car au commencement du Romans de Cleomadez, il dit :

« Je qui fis d’Ogier le Danois,

« Et de Berrain qui fut 1u bois,

« Et de Buenon de Commarchis,

« Ai un autre livre raemplis

« Moult merveilleux & moult divers.

Ce Romans de Cleomadez est bien poursuivi en

son recit : & se voit plein de belles comparaisons.

Aussi luy fut il compté ou dicté (ainsi qu’il dit) par

Marie Royne de France, fille dudit duc de Braban :

& femme en secondes nopces du dessusdit Roy Phi-

lippe, qui l’espousa l’an M. CCLXXII. Estant ceste

Royne aidee à dicter ce Romans, par une autre

grande dame nommee Blanche. Lesquelles Adenez

prtestant ne vouloir point nommer, descouvre

assez grossierement en un endroit où les lettres ca-

pitales de certains vers, sont celles de leurs noms.

On peult dire de luy, qu’il fut facile rymeur, au-

tant qu’autre de son temps : mais il est fascheux en

repetitions. Je n’ay veu de luy que le Romans de

Cleomadez, & la moitié de celuy de Bertain,

qui n’est tel queCleomadez ; Je croy que le nom

de Roy luy a esté donné, ou pource qu’il fut chef

de Menestriez, ou que possible il faut Heraut & Roy

d’armes, du duc son maistre. A la fin du Romans de

Cleomadez, il addresse & presente son livre au Conte

195

d’Artois, que je pense estre Robert tué à Courtray

l’an 1302. fils de celuy qui fut aussi tué à la Massourre

en Egypte.

GUILLAUME DE LA VILLENUEVE. CXVII.

GUillaume de la Villenueuve a faict les cris qui

de son temps se crioyent par les rues de Paris,

en bien plus petit nombre qu’aujourdhuy, & di-

vers : entre autres il dit, veez ci cresson orlenois, &c.

que lon appelle communément Alenois. Il monstre

qu’il y avoit plus d’ordres de mendians, car il dit :

« Du pain aus sacs, pain au Barrez,

« Aus pauvresprisons enserrez,

« A cels du val des scoliers,

« Les filles dieu sevent bien dire

« Dup ain por Dieu nostre sire.

Il se plaint de sa pauvreté, disant :

 « Un nouviau dit ici nos treuve

« Guilleaume de la Villenueve,

« Puis que pauvretez le justice. c’est à dire, me-

straye.

HUON LE ROY. CXVIII.

HUon le Roy a faict le Lai du vair pallefroy, qui

amena à un gentilhomme de Champagne nom

Guillaume s’amie fiancee à un autre contre son vouloir.

« En ce lai du vair pallefroi

« Oirrez le sens Huon le Roi,

« Il veut de ses dis desploier, &c. commence,

« Pour remembrer & por retrere

« Les biens qu’en puet de fame trere,

« Et la douçor & la franchise

196

« Est cete œuvre en escrit mise.

RICHART DE L’ISLE. CXIX.

RIchart de l’Isle a faict le fabel de Honte & de

Puterie, lesquelles ayans eu debat, & Honte ne

voulant suivre Puterie fut jettee par elle du grand

point de Paris (c’est celuy des Changeurs) en la rivie-

re de Seine, & noyee. L’autheur donc se plaint, à

Paris Que honte est & morte & noyee,

« Et puterie ert essauciee.

Il commence assez bien :

« Li cuers qui se veut consentir

« Par semblant de 1voir à mentir,

« Convient qu’il ait sens & matire

« A sa mensonge & à sa guille,

« Mes tant vos dit Richart de l’Isle, &c.

Maistre JEHAN DE BOUES. CXX.

MAistre Jehan de Bouës fut estimé bon trou-

veur de fabliaux, car au fabel des deux che-

vaux l’autheur le nomme comme grand maistre,

« D’un aure fabel s’entremet

« Qu’il ne cuida ja entreprendre,

« Ne por mestre Jehan reprendre

« De Bouës qui dit bien & bel.

ADAM LE BOÇU. CXXI.

ADam le Boçu fut d’Arras, & a composé un pe-

tit œuvre, intitulé le Jeu. Il semble qu’ayant

aimé les femmes, & se trouvant deveu d’une il se fit

clerc, car il dit :

« Seignor savez porquoy j’ai mon habit changié,

« J’ai esté ovoec fame, or revois au clergié.

Je croy qu’il se retira à Vaucelles. C’est à luy a qui

197

Jehan Bretel adresse la 14. chanson du Jeuparti. Il

dit en son Jeu comme par dialogue :

« Onques d’Arras bon clerc n’issi. Puis il respond :

« N’est mie Riquiers d’Amiens,

« Bon clers & soutiex en son livre.

GAULTIER DE BELLEPERCHE. CXXII.

GAultier de Belleperche Arbalstrier, ou Gaul-

tier Arbalestrier de Belleperche, commença

le Romans de Judas Machabee, qu’il poursuivit

jusques à sa mort.

PIEROS DU RIEZ. CXIII.

PIerre du Riez le continua jusques à la fin. car

il dit :

« Cit Romans que nos fit Gautiers

« De Belle perche arbalestriers.

« Que ce nos livres fin,

« Gautier ne le parfina. &c.

« Que se Gautier le commencha,

« Pieros du Riez des lors en cha,

« Remit au parfaire son us. &c.

« Mil deux cens & quatre vingts,

« De ce me face dtois devins,

« Fu lors pratrouvez cis Romans,

« Temoin les ekevins dormans.

Tous ces mots sentent leur Picard : toutesfois je

n’ose rien asseurer, n’ayant autres tesmoignages

que les escrits de ces autheurs.

JAQUEMARS GIELEE. CXXIIII.

JAquemars Gielee fut habitant de l’isle en Flan-

dres, & composa le Romans du nouveau Re-

gnard, qui est une satyre contre toutes sortes de

198

gens : Rois, Princes, & d’autres vocations : principal-

lement escclesiastiques. Il se nomme à la fin de son

livre, & dit,

« Jamais n’en y ert Renars mis jus :

« Se diex nel fet, qui 1maint la sus.

« Ce nos dit Jaquemars Gielee.

le temps de la composition du livre est apres escrit.

« La figure est fin de no livre :

« Veoir la poez à delivre,

« Plus n’en feray o mention.

« En lan de l’incarnation

« Mi & dos cens & quatre vings

« Et dix, du ci faite la fins

« De ceste branche, en une ville,

« Qu’on appelle en Flandres l’Isle,

« Et parfaite le jour saint Denis.

Ceste figure derniere : est une grande roue maniee

par Fortune. Sus le haut de laquelle siet maistre

Renard : adextré d’O[r]g[u]eil : & a senestre de dame

Guille : qui l’asseurent que jamais ne cherra, auant

pour conseillers deux sortes de gens de religion,

lors fort haïs & mal voulus, pour les entreprises

qu’ils faisoyent sus toutes sortes d’estats.

Maistre GUILLEAUME DE LORRIS. CXXV.

MAistre Guilleaume de Lorris eut peu estre mis

avant sept ou huit de ces derniers, n’eust

esté qu’il se trouve joint de composition, avec

maistre Jehan de Maung. Ce Guilleaume de Lorris

fut tresbon poete : & lequel amoureux d’une dame,

composa le livre intitulé le Romans de la Rose, con-

tenant en somme les commandemens d’Amour,

199

pour parvenir à jouissance : imitant Ovide (ainsi

que je croy) en l’art d’aimer : & duquel ces deux, ont

pris la plus part de leur matiere : y meslant de la Phi-

losophie morale. Il nomma son livre Romans de

la Rose : ainsi qu’il dit par ces vers,

« Et se nul ou nule demande,

« Comme je veuil que ce Romans

« Soit apellé que je commens :

« Ce est le Romans de la Rose,

« Où l’art d’amours est toute enclose.

Quant à sa dame, il ne la nomme point : ne le lieu

de sa nativité : mais il est croyable, qu’il la sur nom-

mee Rose : ainsi que luy mesme tesmoigne disant,

« C’est celle qui a tant de pris,

« Et tant est digne d’este amee :

« Qu’el doit estre Rose clamee.

Il fut du temps de saint Louis : & vesquit jusques

environ l’an M. CCLX. peu plus, ou moins : ainsi que

je monstrerau tantost. Et mourut laissant son livre

imparfait : comme il se peut clairement compren-

dre par ces vers de la harangue qu’Amour fait à ses

Barons : disant, Car pour ma grace deservir,

« Doit il commencer le Romans,

« Où seront mis tuit mi commens.

« Et jusques la le fournira,

« Où il à Belacoeuil dira. &c.

« Moult sui durement esmaiez,

« Que entroublié ne m’aiez :

« Si en ai deuil & deconfort

« Jamais n’iert rien qui me confort

« Si je pers vostre bien veillance

200

« Que je n’ay mes ailleurs fiance.

On ne peult à la verité, asseurer en quel temps il

nasquit ou mourut : & encores moins dire, de quel

estat il estoit. Sinon qu’il est croyable, qu’il fut estu-

diant en Droit, pour ce qu’en un endroit il a laissé

ses vers.

« Ainsi nos dit Justiniens

« Qui fit nos livres anciens.

Maistre JEHAN CLOPINEL dict DE
MEUNG. CXXVI.

IL est bien plus aisé à descouvrir le temps de mai-

stre Jeha, Clopinel (c’est à dire boiteux, & dont

vient esclopé, celuy qui en allant traine sa jambe)

dit de Meung, à cause qu’il nasquit en ceste villette

assize sus la riviere de Loire, quatre lieues sous Or-

leans. Au commencement du livre de la Consola-

tion, fait en Latin par Boece, & par luy mis en Fran-

« çois, il dit le temps qu’il a vescu : A ta Royale mage-

« sté, tresnoble Prince, par la grace de Dieu Roy des

« François, Philippes le quart, je Jehan de Meung, qui

« jadis au Romans de la Roze, puis que Jalousie ot

« mis en prison Belaccueil, enseigné la maniere du

« Chastel prendre, & de la Rose cueillir : & translaté

« De latin en François, le livre de Vegece de Cheva-

« lerie : & le livre des merveilles de Hirlande : & le

« livre des epistres de Pierre Abeillard & Helois sa

« femme : & le livre de Aelred, de spirituelle ami-

« tié : envoye ores Boece de Consolation, que j’ay

« translaté en François : jaçoit ce que entendez bien

« Latin. Ce qui monstre en partie, & le temps auquel

de Meung a vescu, & comme nos Rois on est écu-

1581-Origine de la langue et poesie françoise (Claude Fauchet) (201-211)

201

rieux de sçavoir la langue Latine. Je ne puis dire au

vray, son estat, combien qu’il me souvienne avoir

leu en la Chronique d’Aquitaine, qu’il fut docteur

en Theologie : ce que je ne puis croyre. Tant y a

qu’il fut homme d’honneur, fort estimé & ayant

quelques moyens honnestes de vivre. Car au livre

intitulé le Songe duPrieur de Saloin, dedié à Va-

lentine Duchesse d’Orléans : & à elle presenté avant

la mort de Louis son mary : il est fait mention d’un

jardin appartenant audit de Meung. Je m’en allois « 

(dit l’autheur) en le jardin de la tournelle hors de « 

Pa[r]is , qui faut jadis maistre Jehan de Meung. Et puis « 

au commencement de sondit livre, parlant du mes-

me jardin : il dit encores,

« Je sui maistre Jehan deMeung,

« Qui par maints vers sans nulle prose,

« Fis cy le Romans de la Roze.

« Et cet hostel qu’ici voyez,

« Prins pour accomplir mes souhaits :

« S’en achevé une partie,

« Apres mort me toli la vie.

Ce mesme Prieur de saloin, reprensente ledit de

Meung, bien vestu d’une robe ou chappe fourree

de menu vair : comme quelque homme d’honneur.

Il continua le Romans de la Roze XL. ans apres la

mort de Guilleaume de Lorris : & comme je pen-

seroy bien, au commencement du regne de Philip-

le Bel : ou pour le plus tard, l’an M. CCC. car il dit,

« Et puis viendra Jehan Clopinel

« Au cuer jolis, au cuer isnel,

« Qui naistra sus Loire à Meung.

202

& peu apres encores,

« Il aura le Romans si chier,

« Qu’i le voudra par tout noncier.

« Et quant Guilleaume cessera,

« Jehan le continuera,

« Apres sa mort que je ne mente,

« Ans trespassez plus de quarente.

Ce qui (pour le moins) revient au temps que j’ay dit.

Les premiers vers de Clopinel, commencent apres

ces derniers de Guilleaume de Lorris :

« Jamais n’iert riens qui me confort

« Si je perds vostre bien veillance :

« Que je n’ay mes ailleurs fiance.

Puis Jehan de Meung continue, disant :

« Et si l’ay je perdue espoir,

« A poi que ne m’en deespoir.

continuant jusques à la fin, où il dit :

« Et sus ce point je me reveille.

Car il y a grande apparence, que les trente ou qua-

rante vers qui se trouvent pares, en aucuns exem-

plaires,

« Et puis que je sui esveillé,

« Et du long sommeil travaillé.

ne sont pas de luy. J’oseroy bien asseurer, que le

Romans de la Roze a esté composé avant l’an

M. CCCX. pource qu’au Romans de Fauvel (qui con-

fesse avoir esté fait ceste annee) je trouve ces vers,

« Faux semblant se siet pres de luy,

« Mais de ceste ne de celuy

« Ne vous veuil faire graigneur prose :

« Car en eu nul bien ne repose.

203

« Et de ce au tiexte sans glose,

« Parle le Romans de la Roze.

Jehan le Maire de Belges, a non seulement opinion

que de Meung aye vescu du temps de Dante poe-

te Florentin, mais qu’il a encores esté son ami &

compagnon d’estude Car au temps de Venus il

dit : Et puis (comme autresfois j’ay ouy dire) le bon « 

maistre Jehan de Meung estoit contemporain, c’est « 

à dire du mesme temps & faculté que Dante, qui « 

preceda Petrarque & Boccace. Et l’un estoit emu- « 

lateur, & nonobstant ami des estudes de l’autre. « 

Or les Italiens sont d’accod, que Dante nasquit

l’an 1265. & en vesquit 56. revenans à l’an 1321. qui

est le premier du regne de Charles le Bel, dernier

enfant de Philippes le Bel. Ce qui rapporte à ce que

dit la Chronique d’Aquitaine, à sçavoir, que Jehan

de Meung floirssoit souz ce Roy. L’on a publié un

livre intitulé Dodecaedron, qui est un jeu de passe-

temps, pour sçavoir son adventure par le sort des

dez. Mais je ne puis croire, qu’il l’aye presenté au

Roy Charles 5. lequel commença son regne l’an

1364. ou il faudroit qu’il eust vescu bien longue-

ment. Car quand il auroit composé le Romans de

la Rose, en l’aage de 25. ans, & faict l’an 1300. encore

le presentant au Roy Charles 5. le premier an de

son regne, il faudroit qu’il eus testé aagé de 89. ans.

Et toutesfois il semble bien, que le Romans de la

Rose (veu les traits de doctrine semez parmi) ne

soit pas un ouvrage de jeune homme : comme

aussi le Dodeacedron, celuy d’un vieillard usé : puis

qu’il estoit question d’estre subtil en Arithmeti-

204

que, pour si bien asseoir les renvois & responses, à

fin de se rapporter aux poincts des dez. Au reste,

Jehan de Meung cuida estre payé de la mesme mon-

noye qu’Ovide son maistre : pource qu’une partie

des dames de court mal renommees, moynes, hy-

pocrites, & autres gens vicieux qu’il avoit taxez en

ses livres, luy susciterent beaucoup d’ennemis. Mes-

mes les dames faschees de ces vers trop piquans :

« Toutes estes, serez, ou fustes,

« De faict, ou de volonté, putes.

delivererent un jour de l’en chastier. Duquel dan-

ger il se sauva gentiment en ceste maniere. Maistre

Jehan de Meung estant venu à la Court pour quel-

que occasion, fut par les dames arresté en une des

champbres du logis du Roy, estant environné de

plusieurs seigneurs : lesquels pour avoir leur bonne

grace, avoyent promis le representer, & n’empes-

cher la punition qu’elles en voudroyent faire. Mais

Jehan de Meung les voyant tenir des verges, & pres-

ser les gentilshommes de le faire despouiller, il les

requi luy vouloir octroyer un don : jurant qu’il ne

demanderoit pas remission de la punition qu’elles

attendoyent prendre de luy (qui ne l’avoit me-

ritee) ains au contraire l’advancement. Ce qui luy

fut accordé à grand’ peine, & à l’estante priere des

seigneurs. Alors maistre Jehan commença à dire :

Mes dames, puis qu’il faut que je reçoive chasti-

men, ce doit estre de celles que j’ay offesees. Or

n’ay-je parlé que desmeschantes, & non pas de

vous qui estes icy toutes belles, sages, & vertueu-

ses : partant celle d’entre vous qui se sentira la plus

205

offensee, commence à me frapper, comme la plus

forte putain de toutes celles que j’ay blasmees. Il

ne se trouva pas une d’elles qui voulust avoir cest

honneur de commencer, craignant d’emporter ce

tiltre infame. Et maistre Jehan eschappa, laissant

aux dames une vergongne : & donnant aux sei-

gneurs là presens, assez grande occasion de rire : car

il s’en trouva aucuns d’eux, à qui il sembloit que

telle ou telle devoit commencer, mais les mieux

appris rompirent ce jugement, pour eviter au de-

bat qui en fust suivi. Le Romans de la Rose a (ce

neantmoins) esté rece par les librairies des sei-

gneurs, comme livre plaisant & rempli de beaux

traits de doctrine, malgré les prescheurs & Theo-

logiens : marris de ce qu’il estoit trop manié &

appris de toutes sortes de gens : tellement que

plusieurs crierent contre. Et entre autres maistre

Martin Franc, natif en la conté d’Aumale en Nor-

mandie, Prevost & Chanoine de Lauzane en Sa-

voye, fit un livre contre le Romans de la Rose, in-

titulé Le Champion des dames : comme si Jehan de

meung eust escrit contre elles, mais ce fut longue-

ment apres la mort de maistre Jehan de Meung,

pource que ce Champion est addressé à Philippes

deuxieme, Duc de Bourgongne, surnommé le

Bon. Il se trouve en la Chronique d’Aquitaine,

un traict de risee que le bon maistre Jehan de

Meung fit aux freres prescheurs ou Jacobins de

Paris, mesmes en son testament. Par lequel ayant

ordonné estre enterré en leur Eglise, il leur laissa

un coffre avec tout ce qui estoit dedans : com-

206

mandant ne l’ouvrir qu’il ne fust mis en terre. Mai-

stre Jehan trespassé, & son service mortuaire fait,

suivant ce qu’il avoit ordonné : les freres viennent en

grande haste pour enlever ce coffre, lequel se trou-

vant plein de pieces d’adoise, sus lesquelles possi-

ble il tiroit des figures d’Arithmetique ou de Geo-

metrie, les moines indignez, & pensans qu’il

se fust moqué d’eux vif ou mort, deterrerent son

corps. Mais la Cour de Parlement advertie de telle

inhumanité, le fit remettre en sepulture honorable,

dans le cloistre du convent. Cela me fait croire, s’il

eus testé docteur en Theologie (comme a voulu

dire l’autheur de la Chronique d’Aquitaine, ou

celuy duquel il l’a pris) qu’il n’eust usé de telle risee

en mourant. Si vous ne dittes qu’en ce temps-la,

les estudians en l’université de Paris, estoyent en-

nemis des Mendians, pour l’entreprise que faisoyent

ces freres sus les gens d’Eglise, & maistre de l’Uni-

versité : se fourrans par les cours, pour estre con-

fesseurs des Rois & princes : entreprenans aussi les

lectures publiques, sus les maistres Regens des U-

nivesitez. Dont maistre Jehan se vange tant qu’il

peut, representant les vices d’aucuns d’eux, sous

la personne de Faux semblant, tant au Romans de

La Rose, qu’en une Satyre faitte contre tous vices,

appellee Testament, & Codicille : mais par une

copie quej ‘ay (escrite avant deux cens ans) Status

mundi, siue doctrina gentium. J’ay mis toutes ces rai-

sons, à fin que toy (lecteur) en juges ce qu’il te plai-

ra. Il y a XXV. ans passez, que voulant escrire la

vie de ce poete & autres, & ramassant à ceste fin

207

tout ce qui pouvoit estre dict d’eux : j’allay au mo-

nastere des Jacobins, où je ne peu trouver aucune

marque de sa sepulture, pource qu’on rebastissoit

le cloistre, par la liberalité de Nicolas Hennequin,

quand il vioit estimé le plus riche de nos bour-

geois de Paris. Et voila tout ce que je puis dire

quant à present, de maistre Guillaume de Lorris,

& Jehan Clopinel : les plus renommez de tous nos

poetes anciens.

PIERRE GENTIEN. CXXVII.

PIerre Gentien fut natif de Paris : lequel estant

amoureux d’une dame de ceste ville, composa

un livre auquel il nomme quarante ou cinquante

des plus belles dames de son temps. Prenant occa-

sion sus un Tournoy, qu’il feint avoir esté entre-

pris par ces dames, pour esprouver comme elles se

porteroyent au voyage d’outre mer, où elles deli-

veroyent aller. il y a grande apparence qu’il ves-

quit du temps de Philippes le Bel : & au plus tard

sous Philippe de Valois. Au commencement du

regne duquel, ce Roy fit semblant d’entrepren-

dre la guerre pour le recouvrement de la terre sain-

te : & onc puis il ne se fit croysade pour le pais de

Surie. Il sen omme à la fin de son livre,

« J’ay à nom Pierre Gentien,

« Qui sui loié de tel lien,

« Dont nus ne me puet deloyer.

Il n’y a doute qu’il ne fust de la maison des Gentiens,

tresancienne à Paris. car il blasonne ses armes, telles

que ceux de ceste famille portoyent lors : à sçavoir

« D’enciens guelles & d’argent,

208

« Qui contre le Soleil resplent,

« Une bende y ot ouvree

« De fin azur, d’or fleuretee. & puis apres :

« Joenes hom » non pas antien,

« Que on appelle Gentien,

« Portoit tiex armes ce disoyent.

Ce Pierre peut bien estre venu de l’un des deux freres

qui furent tuez aidans à monter Philippes le Bel, sur-

pris par les Flamens, en la bataille donnee l’an 1304.

à Mont de Pirenes en Flandres. Dequels la grand

« Cronique dit : Et fut le Roy de si pres pris, qu’a pei-

« ne peut il estre armé à poinct. Et ainçois qu’il peut

« estre monté à cheval, peut il voir occir devant luy

« messire Hue de Bouille, chevalier : & deux bour-

« geois de Paris Pierre, & Jaques Gentiens freres. Les-

« quels pour le bien & fidelité qui estoyent en eux,

« estoyent tousjours pres le Roy. Et cest autheur mes-

me ne cele pas en ce livre, que Pierre Gentien ne

fust vaillant de sa personne : car il l’appelle

« Le plus vaillans de cist royaume.

Ce tournoy peut estre leu pour la mémoire d’au-

cunes familles de Paris plus que pour excellence du

stil. Or je confesse qu’il se trouve assez d’autres Ro-

mans, precedens ceux que j’ay nommez, desquels

je n’ay voulu parler : pour ce que je ne sçavoy le

nom, ne le temps de ceux qui les ont composez. Et

que mon intention n’estoit de mettre en ce livre,

que ceux qui ont vescu avant l’an M. CCC. ayant reser-

vé ceux qui depuis sont venus, pour un autre vo-

lume. Il suffira donc pour ceste heure, d’avoir mon-

stré la route à d’autres, qui cingleront plus libre-

209

ment par ce golfe jadis incogneu : leur donnant

moyen de nous communiquer des livres, jusques

ici mesprisez : lesquels possible fussent perdus, qui

n’eust adverti les possesseurs, qu’on en peut tirer

quelque congnoissance de l’antiquité Françoise.

Mais aussi je les supplie (en recompense) m’en vou-

loir aider, puis qu’en partie j’ay esté cause de les con-

server, à la honte de ceux qui les ont pensé indignes

d’estre estimez : combien qu’il n’y aye si pauvre au-

theur qui ne puisse quelque fois servir, aumoins

pour le tesmoignange de son temps. Ce qui (à mon

advis) a fait dire à Pline, que toute histoire telle-

ment quellement escrite plaist. Et à ce propos j’ose

bien asseurer, que des Journaux de simples gens,

m’ont tellement aidé en aucuns endroits d’histoi-

re, que je ne puis appeler gaste-papiers, ceux qui

fidellement recueillent les choses de marque :

quelque mauvais ordre ou lanage dont ils usent.

Ce qui me donne esperance que ce recueil, tout

lourd qu’il est, sera bien receu de ceux qui desirent

s’informer de l’ancienne Poesie, ryme & Romans

François.

FIN.

210

Ommissions en la Copie, & faultes reveues.

Pag. 81, 4. Ce livre estant presque achevé d’imprimer, j’ay trouvé dans la

vie de S. Christine, composee environ l’an 1300. les vers qui ensuivent.

«  Seigneurs, qui en vos livres par maistrie metez

« Quivocations & lénometez,

« Se je tel ne puis faire, ne deprisiez mon livre.

« Car qui à trouver n’a soubtil cuer & delivre,

« Et leonimeté veult par tout aconsuivre,

« Moult souvent entrelest ce qu’il devroit ensuivre.

De sorte que Ryme Leonime est celle qui a dix, vingt, & trente vers

d’une lisiere. Car ceux de ceste vie sont croisez deux contre deux par

tout, fors en ces quatre derniers : & neantmoins la lisiere est de ryme

tresriche. Voyla ce que, &c.

Page 15. ligne 14. lisez, nation des François. 18, 1. polir. Car Chil-

peric entre autres voulut. 25, 9. Françoise Thioise, 28, 2. que Louis fit

34, 21. pour le lang. Ib. 30. qu’à d’autres, 10, 26. encores CC. ans 41,

29. ils tiroyent 43, 18. langue quant & quant leur religion : 59, 19. car

il est joint 61, 7. mé l’espece 69, 4. Enzina, 83, 3. Mille cent 84, 22.

mauvez est 95, 8. qu’il avoit au 97, 14. com se je fusse 112, 6. livre. Ce-

cy est dudit Romans : 121, 10. comme à l’oiselet Ib. 17. & beauté. 124,

9. lor aviaux, 143, 14. m’auroit. 154, 9. perd l’envie 184, 27. Porles-

guez : 191, 1, 2. Mapolis 200, 6. ces vers :

211

Extrait du privilege.

Par privilege du Roy donné à Paris le 17. de Juin 1581. signé GOHO-

RI, & seellé sur simple queue en cire jaune : Il est permis à monsieur

Fauchet Conseiller du Roy & President en sa Cour des monnoyes,

de faire imprimer par tel Libraire & Imprimeur que bon luy semble-

ra, un Recueil de l’origine de la langue & poesie Françoise, Ryme &

Romans : & aussi des poetes François, qui ont vescu avant l’an 1300.

Avec defenses à tous Libraires & imprimeurs, autre que celuy qui se-

ra choisi par ledit sieur Fauchet, de non imprimer ou faire imprimer

ledit Recueil, durant le temps & terme de cinq ans. Sur peine de con-

fiscation desdits livres, despens, dommages & interests, & d’amende

arbitraire.

1630-L'honneste-homme (Nicolas Faret) (i-xiv)

L’HONNESTE-HOMME OU, L’ART DE PLAIRE A LA COURT.

PAR LE SIEUR FARET

A PARIS, Chez Toussaincts du Bray, ruë sainct Jacques, aux Epics meurs.

M. DC. XXX.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[i]

A MONSEIGNEUR FRERE UNIQUE DUY ROY. MONSEIGNEUR,

Si la gloire des Grands Princes pouvoit souffrir quelque comparaison, je dirois que je vous offre une image de ces excellentes qualitez que l’on voit ordinairement reluire avec plus d’éclat

[ii]

en ceux qui sont destinez, comme VOSTRE ALTESSE, à commander aux autres hommes. Toutesfois, MONSEIGNEUR, lors que je considere que LE FEU ROY VOSTRE PERE, aprés avoir justement merité tous les tîtres les plus augustes que la flatterie des Anciens souloit donner aux Maistres de la terre, trouvoit le comble de ses loüanges à estre estimé le plus HONNESTE-HOMME de son Royaume ; Je prens un peu plus hardiment la liberté de dire qu’en vous presentant ce Li-

[iii]

vre, je vous presente comme un pourtrait de vous mesme. C’est la premiere recognoissance que je vous rends, MONSEIGNEUR, de tant de favorables accueils dont vous avez daigné m’obliger toutes les fois que j’ay eu l’honneur de me presenter devant VOSTRE ALTESSE. Vous estes élevé à un si haut point de Grandeur, que vous voyez presque tout le Monde au dessous de vous,  & n’y en a gueres sur qui vous vouliez seulement baisser les yeux pour les regarder, qui ne ressentent que cette faveur

[iv]

ajouste une glorieuse marque à leur condition. Cependant, MONSEIGNEUR, nous sçavez user de cet avantage avec tant de moderation, qu’il n’y a point d’esprit si rude, que la oduceur du vostre ne surmonte. Cette agreable & familiere communication qui rend vos moindres actions charmantes, semble vouloir disputer de l’Empore du monde avec vostre naissance. Si bien que partageants ensemble cet avantage, l’une estend son authorité sur la moins noble partie dont les hommes sont composes, &

[v]

l’autre se reserve le pouvoir de triompher des ames, & faire fléchir devant soy les volontes les plus rebelles, & les plus indontables. Et certainement il faut que cette bonté extraordinaire avec laquelle vous gaignez tant de cœurs vous soit extrémement naturelle, puis que VOSTRE ALTESSE l’a bien voulu laisser descendre jusques à moy, qui n’ay de nom ny de merite que par la seule  gloire que j’ose m’attribuer de ne luy estre pas tout a fait inconneu. Je sçay bien que les plus grands efforts que sçauroient faire les per-

[vi]

sonnes de si peu de consideration que moy, pour témoigner leur ressentiment à ceux qui comme vous, MONSEIGNEUR, sont nays pour le salut & la prosperité des peuples, ne sont que de visibles preuves de leur foiblesse. Aussi est-ce la plus éclatante marque de divinité que l’on voye reluire aux Puissances Souveraines, que cette humble reconnoissance avec laquelle tout le monde confesse ne pouvoir jamais assez dignement reverer leurs graces & leurs bien-faits. En effet, nous n’avons que les vœux

[vii]

& les soumissions libres pour reparer en quelque façon le defaut de nostre pauvreté ; & comme la magnificence de vostre fortune ne souffre point de revanche, la misere de nostre condition nous excuse, en nous en ostant les moyens. Pour moy, MONSEIGNEUR, tout ce que je puis pour ne demeurer pas tout à fait ingrat, c’est de témoigner que le FILS & le FRERE des deux plus Illustres Monarques qui jamais ayent porté Couronne, est plus digne de l’amour & des respects de toutes les Nations, que pas

[viii]

un de ceux dont le genre humain a fait autresfois ses delices. J’ajouterois bien à cette verité le denombrement de tant de Vertus qui vous font admirer de toute la terre ; mais elles sont trop relevées, & en trop grand nombre, pour pouvoir estre contenuës dans ce petit espace, où la tyrannie des reigles a mis des bornes si étroittes. Que si je suis contraint d’en supprimer icy les loüanges, pour le moins elles ne mourront jamais dans ma bouche, non pus que dans mon ame le ressentiment d vos faveurs, qui me seroient d’eter-

[ix]

nelles reproches d’ingratitude, si je n’estois toute ma vie,

MONSEIGNEUR, DE VOSTRE ALTESSE,

Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidelle serviteur,

FARET.

[x]

A MONSIEUR DE PUYLORENS.

MONSIEUR,

Le respect que l’on doit aux grands Princes est une chose si sacrée, que la hardiesse de le violer ne trouve point d’excuse parmy les Nations mesmes les moins capables de disciplines & de civilité. Leur presence fait naistre des soumissions dans les ames les plus farouches, leurs regards humilient les superbes, & leur abord fait trembler ces Sages qui s’estiment estre au dessus de la tyrannie des

[xi]

passions & des outrages de la Fortune. Aussi jamais la crainte n’est de si bonne grace, que devant ces personnes en qui Dieu semble avoir imprimé certains caracteres de sa gloire & de sa puissance. Ce n’est pas qu’ils ne rendent leur accez facile, & qu’ils ne soient bien aises de descendre quelquesfois de leurs throsnes, pour se mesler avec les autres hommes : Mais la modestie de ceux qui osent s’en approcher doit estre d’autant plus exacte, que la bonté de ceux qui sont élevez à ces conditions éminentes se daigne rendre communicable à leur bassesse. Et à parler raisonnablement, on peut dire que comme on ne faisoit point autresfois de sacrifices aux Dieux dont les victimes n’eussent receu quelque sorte d’expiation devant que de leur estre immolées : On devroit de mesme estre si religieux aux presents que l’on fait à ceux qui representent en terre la grandeur & le pouvoir du Ciel, que de ne leur en offrir jamais qui n’eussent esté en quelque façon purifiez, en passant par les

[xii]

mains des personnes qui leur sont agreables. Je ne considere toutes ces choses, MONSIEUR, qu’afin de ne faire rien d’indigne du tître de cet ouvrage, au dessein que j’ay de luy procurer par vostre moyen un accez favorable auprés de MONSEIGNEUR. Vostre recommandation en fera, s’il vous plaist, supporter les defauts ; & vous seul me pouvez faire trouver auprés de SON ALTESSE l’art de plaire que j’entreprens d’enseigner aux autres. C’en sont icy quelques preceptes generaux, qui peut-estre ne seroient pas tout à fait inutiles à d’autres moins sages que vous, MONSIEUR, de qui on peut dire hardiment qu’en un âge où l’on commence à peine de n’est plus si sujet aux imprudences de la jeunesse, vous pouvez servir d’exemple à ceux qui ont vieilly dans l’estude & l’experience des choses du monde. Je sçay bien que le seul avantage d’estre aimé des grands Princes, rend dignes de quelque sorte d’ad-

[xiii]

miration ceux qui le possedent, quand mesme ce ne seroit que par hazard, & par quelque favorable rencontre de la Fortune. Mais lors que la Vertu s’en mesle, & se rend maistresse de la conduitte de ce bon-heur, comme elle fait en vous, Monsieur, j’avoüe qu’il n’y a gueres de loüanges qui ne soient bien au dessous d’une si éminente gloire. Aussi toutes celles que je vous sçaurois donner sont comprises en cette seule verité ; & ne me reste plus que les vœux & les prieres que j’adresse au Ciel, pour vous témoigner mon affection. Puissiez vous donc, MONSIEUR, jouïr durant le cours d’une longue & heureuse vie des honneurs & des biens dont cette Vertu qui vous sert de guide tasche de vous recompenser ; & de ceux qu’elle vous prepare à l’avenir : Que vostre courage vous éleve au plus sublime rang des grandeurs de l’Estat, & que vostre sagesse vous comble de prosperitez. Après tout cela, je sçay bien qu’encore n’en aurez-vous jamais qui surpassent

[xiv]

vostre merite, ny qui puissent égaler les contentements que vous souhaitte,

MONSIEUR,

Vostre tres-obeïssant & tres-fidelle serviteur.

FARET

1630-L’honneste-homme (Nicolas Faret) (1-50)

[1]

L’HONNESTE-HOMME OU, L’ART DE PLAIRE A LA COUR.

SI ce n’est l’ambition qui compose entierement les Cours des Princes, on peut dire du moins que c’est elle qui les enfle jusqu’à cette démesurée grandeur, qui fait bien souvent haïr aux Souverains leur propre gloire, & leur

[2]

rend quelquesfois insupportable la pompe dont ils sont environnez. Le desir naturel qu’ont tous les hommes d’acquerir des honneurs & des richesses les engage insensiblement dans cette belle confusion, & s’en treuve peu qui soient assez sages pour s’empescher d’estre surpris de cette agreable maladie parmy tant d’objects qui la communiquent. Les pRinces & les Grands sont autour du Roy comme de beaux Astres qui reçoivent de luy toute leur splendeur, mais qui confondent tout leur éclat dans cette grande lumiere ; Et combien que leur clarté ne paroisse qu’à mesure qu’ils en sont esloi-

[3]

gnez, si est-ce qu’elle n’est jamais ny vive ny pleine de lustre qu’entant que cette premiere source de gloire se respand sur eux, & leur distribuë comme de certains rayons de sa magnificence. La pluspart des autres se bruslent aurpes de ce feu plutost qu’ils n’en sont échauffez, & la Fortune qui prend plaisir à estaler sur ce theatre les traits les plus remarquables de sa malice & de sa legereté, se joüe de la ruine de mille ambitieux, pour en eslever un seul au faiste du precipice qu’elle prepare presque à tous ceux qui se laissent aveugler de ses faveurs. L’Envie, l’Avarice, & l’Ambition qui la

[4]

suivent par tout, regnent particulierement avec elle auprés des Roys,  où elles attirent de tous costez un nobmre infiny de ces esprits mercenaires, à qui le déreiglement d’une convoitise insatiable ne permet pas de se contenir dans une vie pleine de douceur & de tranquilité, pour les jetter dans le tumultes dont les grandes Cours comme de grandes mers sont continuellement agitées. C’est là que ces Furies sement la haine & la discorde parmy les plus proches, ourdissent des trahisons de toutes parts, & font germer des semences de bassesse & de lascheté dans les ames mesmes qui naturellement n’a-

[5]

voient que des impressions de generosité ; Ce sont elles qui inspirent tant de desseins ruyneux, qui arment tant d’hommes les uns contre les autres, qui desolent de si fleurissantes Monarchies, & enfin qui troublent tout l’ordre de la societé, & violent les plus sainctes loix qui s’observent dans le monde. Parmy de si pernicieux dangers qu’elles font naistre, il me semble que ceux qui les suivant ne sçauroient avoir trop de conseils pour se garantir des malheurs qui les accompagnent ; & qu’il n’y a point d’homme en une assiete si bien affermie, que l’authorité des plus puissants, ou l’envie de ses é-

[6]

gaux, ou la malice de ceux qui sont au dessous de luy, ne puissent faire tomber au poinct mesme de ses plus hautres prosperitez.

Certes c’est bien mon dessein de representer icy comme dans un petit tableau les qualitez les plus necessaires, soit de l’esprit, soit du corps, que doit posseder celuy qui se veut rendre agreable dans la Cour. Mais de s’aller figurer que mes avis le puissent mettre au dessus de la roüe de Fortune, sans que les autres qui ont de mesmes projects que luy le puissent arrester en montant, ou l’en arracher apres qu’il y sera monté, c’est une proposition trop ridicule

[7]

pour tomber[1] en un sens raisonnable. Les preceptes ne servent que de guide, & n’executent rien d’eux[2]-mesmes ; ils facilitent le commencement & le progrez des choses que nous entreprenons, mais ils n’ont pas la force de rien achever ; & n’y a que les heureuses naissances, qui avez ces aydes estrangeres s’eslevent jusques au comble de la perfection dont nous n’avons qu’une grossiere idée.

Cependant pour ne troubler pas l’ordre que je me suis proposé, d’abreger autant qu’il me sera possible le nombre infiny des choses qui se peuvent escrire sur ce sujet ; Je diray premierement qu’il me semble tres-

[8]

necessaire que celuy qui veut entrer dans ce grand commerce du monde soit nay Gentilhomme, é d’une maison qui ait quelque bonne marque. Ce n’est pas que j’en vueille bannir ceux à qui la nature a denié ce bon-heur. La vertu n’a point de  condition affectée, & les exemples sont assez communs de ceux qui d’une basse naissance se sont eslevez à des actions heroïques, & à des grandeurs illustres. Neantmoins il faut avoüer que ceux qui sont de bon lieu ont d’ordinaire les bonnes inclinations, que les autres n’ont que rarement, & semble qu’elles arrivent à ceux-cy naturellement, & ne se ren-

[9]

contrent aux autres que par hazard. Il se coule avec le sang de certaines semences de bien & de mal, qui germent avec le temps dans nos ames, & font naistre en nous les bonnes & les mauvaises qualités qui nous font aymer ; ou nous rendent odieux à tout le monde. Ceux de qui les Anvestres se sont rendu signalez par de memorables exploits, se treuvent en quelque façon engagez à suivre le chemin qui leur est ouvert : Et la Noblesse qui comme une belle lumiere esclaire toutes leurs actions, les excite à la vertu par ces exemples domestiques, ou les retire du vice par la crainte de l’infamie. Et

[10]

certes, comme ceux qui sont nez dans le peuple, ne pensent pas estre obligez de passer plus avant que ceux de qui ils sont sortis ; de mesme une personne de bonne maison croiroit estre digne de blasme, si du moins elle ne pouvoit parvenir au mesme degré d’estime ou ses Predecesseurs sont montez. Jadjouste à cela l’opinion d’un excellent Maistre en cette science, qui dit que c’est un charme tres-puissant pour gaigner d’abord la bonne opinon de ceux à qui nous voulons plaire, que la bonne naissance : Et n’y a nulle doute que de deux hommes également bien faicts, qui se presenteroient dans une com-

[11]

pagnie, sans avoir encore donné aucune impression d’eux, qui fist conoistre ce qu’ils pourroient valoir ; lorsque l’on viendroit à sçavoir que l’un est Gentilhomme, & que l’autre ne l’est pas, il faudroit que ce dernier mist beaucoup de temps, devant que de donner de soy la bonnne opinion que le Gentilhomme auroit acquise en un moment, par la seule connoissance que l’on auroit euë de son extraction. Outre ces raisons, je dis encore apres tout, que les préeminences qui sont attachées à la Noblesse sont si grandes, qu’un personne de bon sens & de bon cœur qui se trouveroit embarquée avec

[12]

un vent favorable dans la Cour sans savoir cét advatantage, pourroit tomber tous les jours en mille occasions de rougier & de baisser les yeux. Il est bien vray qu’en toutes sortes de conditions il s’en rencontre, qui par une secrette faveur du Ciel ont le bon-heur de naistre accompagnez de tant de dons de l’ame & du corps, qu’il semble que la nature mesme ait pris plaisir à les former de ses propres mains, & à les enrichir de toutes les graces les plus charmantes & les plus capables de gaigner les volontez. De mesme qu’il s’en trouve aussi de si malheureux qu’on diroit qu’ils soient jettez comme par force

[13]

dans le monde, où qu’ils ne soient faicts que pour servir d’objects de risée aux autres hommes. Comme ceux-cy avec tous leurs soins & toute leur diligence ont beaucoup de peine à faire en sorte que pour le moins on les puisse souffrir : Les autres au contraire ont une facilité si grande a faire le bien, qu’avec un mediocre travail, & presque sans y penser ils deviennent excellents en tout ce qu’ils entreprennent & se rendent agreables à quiconque a des yeux pour les regarder. Entre ces deux extremitez, il se trouve encore un milieu de ceux qui n’ont pas reçeu d’extraordinai-

[14]

res faveurs de la nature, mais aussi qui n’ont point de remarquables imperfections ; Et ceux la peuvent avec l’ayde des preceptes, & par des soins assidus corriger leurs defauts, & meriter à la fin l’estime de ceux qui la donnent. De cette estime naist aussi tost cette bonne volonté que nous voulons que nostre Honeste homme sçache gaigner par tout où il se rencontrera : Mais pour parvenir à ce point, je trouve que le plus asseuré moyen est de prevenir les opinions de ceux de qui nous desirons estre aymez ; C’est icy l’un des plus hauts misteres de nostre Art, & qui se descouvrira en son lieu, apres

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que j’auray representé les principales qualitez que doit avoir celuy qui pretend passer pour honeste-homme devant tant d’yeux dont l’on est éclairé à la Cour, & parmy un si grand nombre d’esprits delicats, à qui les defauts les plus cachez ne le sçauroient estre long-temps.

Il me semble donq que comme la bonne naissance ne suffit pas si elle n’est heureuse, ny l’une, ny l’autre ne profiteront de gueres si elles ne sont soigneusement cultivées. Or comme il n’y a point d’hommes qui ne choisissent une profession pour s’employer, il me semble qu’il n’y en a point de plus honeste, ny de plus essentielle à un Gen-

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til-homme que celle des armes. Il y doit estre adroit & ardent & s’y attacher comme à une chose de laquelle il doit faire son ordinaire exercice. La plus part des autres choses qui luy sont requises, ne sont estimées necessaires qu’entant qu’elles servent d’ornement à celle-cy, & qu’elles luy peuvent donner quelque lustre, pour la faire reluire avecques plus d’esclat. C’est par les armes principalement que la Noblesse s’acquiert, c’est par les armes aussi qu’elle se doit conserver, & s’ouvrir le chemin à la grande reputation, & de là aux grands honneurs. Il me semble donc que la plus fort ambition que doive avoir

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celuy qui porte une espée, est d’est estimé homme de cœur & hardy, & en suitte d’estre creu homme de conduitte & homme de bien. Et de faict ceux qui joignent la malice à la valeur, sont ordinairement redoutez & hays comme des bestes farouches, pource qu’ayant le pouvoir de faire du mal ils en ont aussi la volonté : Mais ceux de qui le bon courage est accompagné de bonnes intentions, sont aymez de tout le monde, & considerez comme des Anges tutelaires, que Dieu tient parmy nous pour les opposer aux oppressions des meschants.

Cependant comme il n’y a

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personne qui ne soit jamoux de sa reputation, sur tout aux choses de sa profession, à combien plus forte raison un Gentilhomme se doit-il picquer de celle de ses armes, qui sont les veritables marques de sa Noblesse ? C’est là qu’il doit estre exact sans estre pointilleux : car comme l’honnesteté d’une Dame ayant une fois esté soüillée de quelque tache, ne peut jamais retourner à sa premiere pureté : De mesme il est comme impossible que l’estime d’un Soldat, apres avoir esté ternie de quelque lascheté, se puisse si bien remettre qu’il ne reste tousjours quelque chose à luy reprocher :

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Aussi aux[3] ocasions d’honneur comme aux grandes conduites de la guerre il n’est pas permis de faillir deux fois. Mais ce point est si chatoüilleux, que la pluspart des jeunes gens, ou à faute d’experience, ou par trop d’ardeur ; & les autres, ou à faute de bon sens, ou par caprice se perdent par cette malheureuse voye. Par là nous voyons tous les jours que les loix divines sont prophanées, que l’authorité des Ordonnances est violée, & que la Clemence de nostre victorieux Monarque est quelquesfois contrainte de ceder à sa Justice. Le plus salutaire remede que je sçache à ce mal, que

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l’on pourra nommer incurable à l’avenir, si cette guerison n’est mise au nombre des miracles du Roy, c’est à mon avis d’apprendre de bonne heure l’intelligence des querelles, dont on a fait comme une espece de science à force de les rafiner. La pluspart de ceux qui se precipitent dans cette fureur brutale, le font ordinairement de peur de n’en faire pas assez, dans l’ignorance & l’incertitude où ils se treuvent s’ils sont obligez d’en venir à cette extrémité, ou non : Ainsi pour n’entendre pas quels sont les degrez d’offence qui meritent ces sanglantes satisfactions, on ne voit qu’e-

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xemples d’extravagance, & de bijarrerie dans les querelles, & pas un seul rayon de ce vray honneur, qui est le plus precieux tresor de la Noblesse. C’est l’un des plus insupportables abus qui se soient coulez dans nostre siecle, de c’estre figure, comme on a fait, que la pure & heroïque valeur ne consiste seulement qu’à se battre ; comme si cette vertu n’avoitson exercice qu’en la destruction du genre humain : Elle a des effects bien plus relevez, & l’on peut dire qu’elle s’estend presque sur toutes les plus glorieuses actions de la vie. J’estallerois bien volontiers cette matiere

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mais mon sujet me rappelle.

Je diray donc qu’aupres de cette excellente partie, il se rencontre ordinairement un vice qu’on diroit estre inseparable d’avec les qualitez eminentes, & qui pres que tousjours gaste tout le bon fruict qu’elles produisent. C’est cette folle vanité dont la pluspart des hommes se laissent enyvrer, jusques à perdre l’usage de la raison. Ce deffaut est odieux, & rend digne de mespris ceux qui d’ailleurs meriteroient de grandes loüanges, s’ils avoient la patience d’attendre qu’on les leur donnast volontairement, sans les arracher, ou les vouloir obtenir

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par force, comme ils font presque tousjours. Plusieurs de nos Vaillants s’imagineroient ne l’estre point, s’ils ne faisoient mille grimaces, & mille contenances farouches & ridicules pour espouvanter tout le monde, de qui ces pauvres gens se figurent estre regardez avec crainte & admiration. Tous leurs discours sont d’éclaircissements, de procedez, & de combats, & qui retrancheroit de leur entretien les termes d’assaut & d’escrime, je croy qu’ils seroient reduits, pour leur plus sublime science, aux complements de la langue Françoise. Leur Fanfaronnerie est mesme montée jusqu’à ce de-

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gré de brutalité, que des mespriser la conversation des Femmes, qui est l’un des plus doux et des plus honestes amusements de la vie. La Danse, la Musique, & les autres exercices de galanterie leursemblent une espece de molesse, & à moins que de faire joüer un petard ou une mine, ils ne croyent pas s’occuper assez dignement. Cette humeur, & ensemble toutes paroles qui ont quelque teinture d’orgueil & de suffisance doivent estre évitées comme les plus dangereux écueils où la bonne estime des hommes puisse faire naufrage.

Avec tous ces avantages de

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la bonne naissance, & du bon courage qui sont requis à toute personne qui se veut jetter dans la Cour ; Je treuve encore tres-necessaire un bon corps, de belle taille, plustost mediocre que trop grand, plustost gresle que trop gros, de membres bien formez, forts, souples, desnoüez, & faciles à s’accommoder à toutes sortes d’exercices de guerre & de plaisir. Ayant tous ces dons de nature, il est important de les employer, & de bien apprendre, non seulement tout ce qui s’enseigne dans les Academies, mais encore toutes les galanteries d’adresse qui sont en usage, & convenables à un

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Gentilhomme. De n’estre pas bien à cheval, & de ne sçavoir pas faire des armes, ce luy est non seulement un otable desadvantage, mais encre une ignorance honteuse, puis que c’est ignorer les principes essentiels de son mestier. Les autres exercices, quoy que moins necessaires, ne laissent pas de tomber en usage en mille occasions, & de gaigner l’estime, & en suitte l’inclination de ceux de qui nous desrions estre aymez. Je n’exige donc pas seulement qu’il entende toute sorte de maneige, qu’il sçache voltiger, rompre en lice, courre la bague, & tous les combats de barriere, de jouste

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& de tournois : Ce sont actions trop éclatantes, & qui ont trop de bien-seance dans le monde, pour estre ignorées de celuy qui s’y veut faire regarder avec aprobation, & meriter de la gloire & des loüanges. Je veux encore, s’il se peut, qu’il sçache jouër du Luth & de la Guiterre, puis que nos Maistres & nos Maistresses s’y plaisent, qu’il entende la chasse, & qu’il soit adroit à la danse, à la paulme, à la lutte, à sauter, à nager, à tirer juste, & à tous ces autres passe-temps, qui ne sont pas si simplement honnestes, qu’ils ne deviennent bien souvent utiles. La plus grande partie de ces choses

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estant divisées, sont veritablement petites ; mais toutes ensemble elles rendent un homme accomply, & font qu’on ne le voit qu’avec quelque espece d’admiration : lors prncipalement qu’elles sont éclairées des qualitez de l’ame, qui leur donnent les derniers traits de perfection. Je desirerois mesmes qu’il n’ignorast aucun des jeux de hazard qui ont cours parmy les Grands, à cause que par là quelquefois il se peut mesler familierement dans leur compagnie ; pourveu neantmoins que ce soit sans estre joüeur.

Il faut anoüer que de tous les vices que l’on pardonne

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aux honnestes gens, je n’en voy point de plus pernicieux que  cette ardeur indomptable de joüer. Ceux qui ne sont que riches, ne sont pas sages s’ils se laissent transporter de cette passion : Il n’y a que les grands Princes, de qui la condition ne sçauroit jamais estre miserable, qui s’y puissent hardiment abandonner, quoy que d’ordinaire avec perte, encore qu’ils soient les Maistres de la Fortune. Parmy les autres on ne voit gueres que les avares, les faineants, & les desesperez qui osent se picquer de cette folie. Ceux qui bruslent de desir apres l’argent, & qui ne se soucient pas d’employer

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toutes sortes de moyens pour en avoir, ne s’en figurent point de plus facile que celuy-cy. Ces ames voluptueuses & molles, qui ne sçavent a quoy s’occuper, ne s’imaginent ordinairement aucune chose plus divertissante que de s’amuser à ce lesche exercice. Et ceux que la Fortune a reduits à telle extremité, qu’ils vivent aujourd’huy comme s’ils devoient mourir demain, croyent avoir raison de chercher dans le hazard ce qu’ils n’osent esperer de leur industrie. Pour ne m’estendre point plus avant que je ne me le suis permis en mon projet, il suffit de dire que cette frenaisie n’a-

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tire pas seulement une ruyne presque infaillible des biens de fortune, elle va jusques à la ruyne de l’esprit. L’inquietude & le chagrin eternel qui accompagnent ceux qui se laissent tomber dans ce precipice, sont-ce pas de raisons assez fortes pour en retirer toute personne à qui il reste quelque lumiere de bon sens ? Et tout le temps & tous les soins d’un homme, qui veulent estre employez à ce malheureux traffic, ne doivent-ils pas estre mis au nombre des plus grandes pertes que sçauroient jamais faire ceux qui sont nays pour gaigner les cœurs des Roys & des Princes ?

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Toutes les bonnes parties que nous avons alleguées sont tres-considerables en un Gentilhomme ; mais le comble de ces choses consiste en une certaine grace naturelle, qui en tous ses exercices, & jusques à ses moindres actions doit reluire comme un petit rayon de Divinité, qui se voit en tous ceux qui sont nays pour plaire dans lem onde. Ce point est si haut qu’il est au dessus des preceptes de l’Art, & ne se sçauroit bonnement enseigner : Tout le conseil qui se peut donner en cela, c’est que ceux qui ont un bon jugement pour reigle de leur conduitte, s’ils ne se sentent doüez de cesu-

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blime don de nature, taschent du moins à reparer ce manquement par l’imitation des plus parfaits exemples, & de ceux qui auront l’aprobation generale. La bonne ducation y sert encore de beaucoup : Car comme il s’est veu quelquesfois de jeunes Lyons quitter leur instinct farouche, & se rendre familiers parmy les hommes ; de mesme il arrive assez souvent que des personnes d’une naissance ingratte, ont sceu si bein vaincre leurs deffauts avecques des soins extraordinaires, qu’ils font toutes choses par un effort de raison, aussi agreablement que les autres par la

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seule bonté de leur naturel. Mais que ceux là sont heureux qui n’ont que faire d’enseignements pour plaire ; é qui ont esté comme arrousez du Ciel de cette grace qui ravit les yeux & les cœurs de tout le monde ! Cependant pour rendre un peu plus claire une chose de si grande importance, il me semble qu’on peut dire que comme cette grace dont nous parlons, s’estend universellement sur toutes les actions, & se mesle jusques dans les moindres discours ; il y a de mesme une reigle generale qui sert sinon à lacquerir, du moins à ne s’en esloigner jamais. C’est de fuyr

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comme un precipice mortel cette malheureuse & importune Affection, qui ternit & foüille les plus belles choses ; & d’user par tout d’une certaine negligence qui cache l’artifice, & tesmoigne que l’on ne fait rien que comme sans y penser, & sans aucune sorte de peine ; C’est icy à mon avis la plus pure source de la bonne grace : Car chacun sçachant la difficulté qui se trouve à bien faire les choses excellentes, on admire ceux à qui elles reüssissent facilement : comme au contraire, les plus grandes & les plus rares perdent leur prix lors que l’on y voit paraistre de la contrainte.

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En effect, la plus noire malice dont l’envie se sert pour ruyner l’stime de ceux qui l’ont bien establie[4], c’est de dire que toutes leurs actions sont faites avec dessein, & que tous leurs discours sont estudiez. Et c’est pourquoy les Orateurs n’ont point d’artifice plus subtil qu’à couvrir celuy de leurs harangues, lequel n’est pas si-tost reconnu qu’ils perdent tout credit, & n’ont plus déloquence qui soit assez forte pour persuader les ames mesmes les plus simples & les plus credules. Il faut encore considerer sur ce sujet, que la Negligence affectée & ce mespris trop evident dont l’on use jus-

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ques aux moindres gestes & au moindre clein d’œil, sont des vices encores plus grands que le trop de soin, dont tout le defaut est de faire bien outre mesure, & de passer au-delà des limites ordinaires. Et à la verité, comme l’on a reproché autresfois à de certains Peintres que leurs ouvrages estoient trop achevez, & qu’ils vouloient paraistre plus sçavans que la Natue : On pourroit dire de mesme à plusieurs, qu’à force de vouloir exceller ils se jettent au-delà de la perfection, & ne prennent que l’ombre du bien qu’ils poursuivent avec trop d’ardeur. Les Femmes mesmes ne per-

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dent-elles pas tous les jours par là ce qu’elles cherchent avec tant de passion ? Il ne s’en voit gueres qui ne desirent estre belles, ou du moins de le paraistre. C’est pourquoy lors que la nature leur a manqué en ce point, elles font venir l’artifice au secours : Et de là leur naissent tant de soins ridicules de s’unir le teint, pour sembler jeunes ; de composer leurs regards, pour s’adoucir les yeux ; de s’ajancer les cheveux, pour s’esgaler le front, de s’arracher les sourcils, pour se rendre l’air du visage moins rude ; & en fin de se refaire si elles pouvoient jusques aux traicts & aux lineaments qui

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leur sont empraints de la main de Dieu, comme des caracteres que l’on ne sçauroit effacer. Ainsi l’on voit que cette trop visible affectation, & cette envie  desreiglée qu’elles ont de paraistre belles, font que mesmes nos yeux souffrent en les regardant, & montrent clairement que cette grace qu’elles estudient, est une leçon qui ne se peut apprendre que de celles qui semblent la vouloir ignorer. Aussi ne peut-on nier qu’une Dame, qui apres s’estre parée, l’a sçeu faire si dextrement, que ceux qui la considerent sont en doute si seulement elle a songé à s’juster, ne soit plus agrea-

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ble qu’une autre, qui non contente de se sentir accablée sous la pompe de ses habits, ose bien encore se monstrer si plastree, qu’il semble qu’elle n’ait qu’un masque au lieu d’un visage, & qu’elle n’ose rire de peur  d’en faire paraistre deux. Voilà quels sont les defauts de l’Affectation, & par là l’on peut facilement connoistre combien elle est contraire à cette agreable simplicité, qui doit reluire en toutes les actions du Corps & de l’Esprit.

Pour celles de l’Esprit elles sont presque infinies & sont tousjours excellentes, lors qu’elles ont pour guide la Vertu, qui comme la lumiere

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du Soleil rend plus beaux & plus éclattans tous les objets à qui elle se communique. Certes il est bien vray que la Vertu mesme a des attraits plus doux & plus puissants, lors qu’elle se rencontre en une personne de bonne mine & de qualité, qu’en une autre malfaite & de basse condition. Mais aussi faut-il avoüer que quand ce seroit le plus illustre & le plus beau Prince du monde, s’il se trouvoit qu’il fust vicieux & de mauvaise mœurs, la grandeur de sa naissance ne serviroit qu’à le faire davantage hayr de toute la terre. Ceux donc qui veulent aspirer à la conqueste des cœurs,

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& gaigner la bonne volonté de la meilleure & plus saine partie des hommes, doivent acquerir premierement ce tresor inestimable, qui de tout temps a esté jugé le vray bien des Sages. Aussi peut-on dire avec verité, qu’entre les choses que nous possedons, il n’y a que celle-là qui ne soit point sujette à l’empire de la Fortune. Tout le reste releve de sa tyrannie : Tantost elle prend plaisir à renverser des throsnes, & à fouler aux pieds des Sceptres & des Couronnes : Tantost elle se joüe à ternir l’éclat des Beautez les plus florissantes, à ruyner des riches, & à tromper les mieux avisez

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par des accidents inoüys. La seule Vertu est au dessus de tous ses outrages, & le comble de son excellence est qu’elle donne de l’admiration au Vise mesme, & imprime du respect jusques dans l’ame des meschants. En toutes sortes de conditions de vie que l’on se sçauroit figurer, la Vertu certes doit bien estre le premier object que l’on se propose ; mais elle est si essentiellement le but de tous ceux qui se veulent faire considerer dans la Cour, qu’encore qu’elle ne s’y voye qu’avec des desguisements & des soüilleures, si est-ce que châcun veut faire croire qu’il la possede toute

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pure, & sans artifice. Les moyens principaux qui servent à l’acquerir sont à mon avis la bonne education, la diligence & le travail, les bonnes habitudes, la frequentation des gens de bien, le desir de la gloire, l’exemple de ses predecesseurs, & les bonnes lettres.

A parler avec verité, la Doctrine est un grand ornement, & d’un prix inestimable à quiconque en sçait bien user. Cependant je ne sçau parquel malheur il semble que nostre Noblesse ne puisse jamais se descharger du blasme que luy donnent les Nations estrangeres depuis tant de sie-

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cles, de mespriser une chose si rare & si convenable à sa profession. Il est certain que le nombre n’est pas petit dans la Cour de ces esprits malfaits, qui par un sentiment de stupidité brutale, ne peuvent se figurer qu’un Gentilhomme puisse estre sçavant & soldat tout ensemble. Ce n’est pas que je vueille nier qui la Science ne se rencontre souvent avec la sottise& l’extravagance. Il ne se voit que trop de ceux à qui le Grec & le latin n’ont servy de rien qu’à les rendre plus impertinents & plus opiniastres, & qui au lieu de rapporter de leur estude une ame pleine de sagesse

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& de docilité, ne l’en raportent qu’enflée de Chimeres & d’orgueil. Neantmoins il faut confesser que quand cette connoissance tombe en[5] un sens exquis, elle produit des effects si merveuilleux, qu’on diroit que ceux qui la possedent ayent quelque chose au dessus de l’homme, & soient eslevez à une condition aprochante de la divine. Sur tout elle est de bonne grace & tres-utile à ceux qui sont nays à de grandes fortunes, & semble que son propre usage soit d’estre employée à gouverner des peuples, à conduire des armées, à pratiquer l’amitié d’un Prince ou d’une Na-

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tion estrangere, à faire des Traittez entre les Roys, & à toutes ces autres actions éclatantes, qui asseurent l’auctorité des Souverains, &font fleurir les Estats. Qui ne voit au contraire, qu’elle perd tout son prix en des mains communaes, & qu’estant, comme elle est, d’une essence noble & relevée, c’est un exercice honteux pour elle de traisner, comme elle fait ajourd’huy, dans les écoles de l’Université, entre les procés & les rumeurs du Palais, & parmy les contestations où les Medecins s’exercent sur la vie des hommes. Ce n’est pas que j’exige ce parfait enchaisnement[6] de sciences,

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que les Anciens nommoient Enciclopedie, & que certains esprits malades de trop de curiosité, ont follement admiré comme le souverain bien de la vie. J’estime les livres à cause du profit qu’en peuvent retirer tous les hommes, & les ayme comme l’un des plus doux & des plus innocens plaisirs qu’une personne vertueuse sçauroit choisir : Mais je ne leur defere pas tant que de croire que leurs enseignements puissent nous rendre heureux ou malheureux, ny que nostre contentement depende des opinions qu’on eu des personnes qui ne resvoient pas tousjours plus raisonnablement

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que l’on faict aujourd’huy. Quoy que l’on en croye, j’estime que sans qu’il soit necessaire de s’aller embroüiller dans toutes les querelles de la Philosophie, qui consommeroient peut-estre inutilement l’âge entier d’un homme, qui profiteroit mieux d’estudier dans le grand livre du monde, que dans Aristote, c’est assez qu’il ait une mediocre teinture des plus agreables questions qui s’agitent quelques fois dans les bonnes compagnies. Je l’ayme mieux passablement imbu de plusieurs sciences, que solidement profond en une seule ; puisqu’il est vray que nostre vie est trop courte pour par-

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venir à la perfection des moindres de toutes celles que l’on nous propose ; & que qui ne peut parler que d’une chose, est obligé de se taire trop souvent. Pourveau qu’il ait des Mathematiques, ce qui sert à un Capitaine ; comme de fortifier regulierement, & de tirer des plans ; d’adjouster, soustraire, multiplier & diviser pour se rendre facile l’exercice de former des bataillons ; qu’il ait apris la Sphere superieure & inferieure ; & rendu son oreille capable de juger de la dilicatesse des tons de musique ; Il est fort peu important qu’il ait penetré dans les secrets de la Geometrie, & dans les subti-

 

[1] Les deux derniers mots soudés.

[2] deux.

[3] Ces deux derniers mots soudés.

[4] estabile

[5] tomb een

[6] Les deux derniers mots soudés.

1630-L’honneste-homme (Nicolas Faret) (51-100)

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litez de l’Algebre, ny qu’il se soit laissé ravir dans les merveilles de l’Astrologie, & de la Cromatique ; Quant à l’Oeconomie elle s’aprend plutost par l’usage que par la lecture ; & si la Cour fournit tous les jours mille exemples de profusion, elle n’en fournit pas moins de bon mesnage. La politique & la Morale sont ses vrayes sciences, & l’Histoire qui de tout temps a esté nommée l’estude des Roys, n’est gueres moins necessaire à ceux qui les suivent. C’est là sans doute la plus pure source de la Sagesse civille : Toute la difficulté n’est qu’à sçavoir choisir les bons Autheurs, dont le

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nombre n’est pas infiny. Je ne feray nulle difficulté de m’estendre un peu lecentieusement à nommer les meilleurs, pource que j sçay que a pluspart de nos Gentilshommes ne s’y attachent pas, à faute de connoistre ceux dont la lecture leur peut estre utile. Voicy le jugement qu’un assez habille Critique fait de quelques uns, auquel il n’ajouste que les choses qu’il ne devoit pas, ce me semble, avoir oubliées. Entre les Grecs, Herodote, Thucidide, Xenophon, & Polibe sont les plus estimez. Le premier a des graces si charmantes en son langage, qu’il donne mesme aux Fables

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l’aucorité de l’Histoire. Le second est grave, abondant en sentences, pressé en son stile, eloquent en ses harangues, & sain en ses jugements. Le troisiesme est agreable & fidelle, & dans es ouvrages les peuples peuvent apprendre à obeyr, & les Princes à regner. Et pour le dernier les bons Juges tiennent qu’il n’est pas si exact que Thucidide, mais qu’il n’est pas moins profitable. Ses maximes reviennent mieux aux nostres, par tout il est habile, & lors mesme qu’il semble s’esgarer, ce n’est que pour instruire & rendre plus adroits ceux qui le lisent. Plutarque n’a pas pro-

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prement escrit l’Histoire, mais des parties d’histoire : Il est digne toutesfois de servir d’ordinaire entretien à ceux qui desirent entretenir les Grands. Son jugement est si net, qu’il jette de tous costez des lumieres capables d’éclairer les plus grossiers entendemens, & par tout il ouvre un chemin aisé pour guider à la Prudence & à la Vertu. Parmy les Latins, Tacite, selon l’opinion de tous les Politiques, tient le premier rang, & l’un de ses admirateurs le prefere mesme à Tite-Live, sinon pour l’eloquence, du moins pour les enseignements, qui sont la partie que nous considerons

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maintenant. Qui peut mieux que luy en si peu de paroles comprendre tant de choses, & parmy les épines de la narration, faire fleurir tant de grace & de majesté ? Qui a-t’il dans les mœurs qu’il ne reprenne, dans les conseils qu’il ne revele, & dans les causes qu’il n’enseigne ? Certainement il est admirable en une chose à laquelle on diroit qu’il ne pensoit pas, & fait excellemment ce qu’il semble n’avoir point voulu faire ; Car sans troubler jamais l’ordre & la suitte des veritez qu’il raconte, il ne laisse pas d’y mesler des preceptes, avec une mesme dexterité que ceux qui sçavent agreable-

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ment confondre avec l’or & la soye, les perles & les diamants. De sorte que son livre n’est pas seulement une histoire, mais un champ fertil de conseils, & une parfaitte leçon de sagesse. Il est vray que comme il est aigu, penetrant, & serré, il faut aussi à ceux qui le lisent une intelligence vive & subtile, pour n’y treuver pas cette obscurité dont quelques-uns l’ont repris. Saluste sans doute luy arracheroit cette eminente gloire, si nous avions tout ce qu’il a escrit, mais par le peu qui nous reste de luy, tout ce que l’on peut faire c’est de juger qu’il a un mesme genie que Thucidide.

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Tite-Live pour la grandeur & la majesté de l’histoire, pour la pureté & l’estenduë des narrations, & pour la pleine éloquence des harangues, est bien le premier detous : Mais il est plus sterile en sentences, & instruit plutost par la multitude des exemples, que par l’abondance des jugements. Il suffit de dire de Cesar & de Quinte-Curse, qu’ils doivent estre les familiers amis de tous les bons Capitaines. L’un a des paroles dignes de ces memorables exploits, qui ont faict trembler toute la terre, & mis sous le joug la plus orgueilleuse, & plus indomptable liberté, qui jamais ait regné

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dans les Republiques. Et l’autre pourroit, en quelque façon, consoler Alexandre de n’avoir pas vescu du temps d’Homere, puis qu’il fait si avantageusement revivre sa gloire dans ses escrits. Apres ceux-cy il en reste encore plusieurs autres, qui ont paru de siecle en siecle, & que l’on peut dire estre fort bons : Mais on peut dire aussi qu’ils ervent plutost à contenter la curiosité de ceux, qui ayment la diversité des Histoires, qu’à enseigner la sagesse, & à cultiver la prudence. Je trouve sur tout utile & de bonne grace de n’ignorer pas les choses principales qui se sont passées chez nous &

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chez nos voisins, de nostre temps, & s’il se peut, de sçavoir encore l’origine & la suitte de tant de Royaumes, d’Estats & de Gouvernements differents, qui se sont eslevez  sur les ruynes d’un seul Empire.

Ce n’est pas que je croye que la connoissance de toutes ces choses soit un moyen asseuré pour parvenir à la Sagesse ; Elles ne servent que de lumiere à ceux qui la cherchent : Son siege est dans l’entendement, & non pas dans la mémoire, & l’Experience mesme, de qui l’on dit qu’elle est fille, luy sert bien quelques fois de marastre & la precipite plustost qu’elle ne la conduit.

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Elle aporte bien de la facilité à executer promptement, mais en des evenements douteux, où les exemples luy manquent, elle demeure confuse sans l’apuy de cette partie demoinante de l’ame, à qui seule est reservée la gloire de deliberer. Le nombre des occurrences qui peuvent se presenter en la vie des hommes est infiny, chaque jour en fait naistre une multitude, & en la suitte de tant de siecles passez il ne s’est gueres veu d’évenements si conformes les uns ou autres, que l’on n’y ait peu remarquer quelque notable difference. Outre qu’il se rencontre rarement que plusieurs personnes

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qui sont pervenuës à un mesme but, y soient allées par un mesme chemin : Comme aussi tous ceux qui se servent des mesmes moyens n’arrivent pas à une mesme fin. La longueur & les remises ont quelquefois fait emporter de grandes victoires, & n’ont pas aussi moins fait perdre de fameuses batailles. Quiconque n’est pas naturellement capable de discerner les temps, & de considerer les circonstances semblables & diverses des occasions qui s’offrent, ne tirera gueres de fruict de son experience, ny de l’histoire : Et les Loix mesmes nous enseignent que pour bien juger des occurrences,

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l’exemple ne suffit pas sans la reigle. J’avoüe bien qu’il est tres-utile d’avoir veu & pratiqué plusieurs choses, & de sçavoir plsuieurs accidents du passé : Non pas qu’ils servent à bien disposer du present ; mais parce que dans les differents succez sont dispercez les éguillons de l’intelligence, qui excitent & font germer dans les esprits subtils & penetrans de certaines semences de sagesse que la Nture y avoit cachées : De sorte que de la multitude de ces exemples, on voit à la fin sortir cette reigle, par le moyen de laquelle l’entendement se rend habille à bien juger.

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Outre les sciences & l’histoire, il est tellement necessaire de se former un stile à bien escrire, soit de matieres serieuses, soit de compliments, soit d’amour, ou de tant d’autres sujets, dont les occasions naissent tous les jours dans la Cour, que ceux qui n’ont pas cette facilité ne peuvent jamais esperer de grands emplois, ou les ayant n’en doivent attendre que de malheureux succez. Pour faire des Vers, c’est un exercice plus agreable que necessaire, & qui par la malice des ignorans est tombé dans un mespris, qui devroit couvrir de confusion nostre siecle. En effect c’est

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une chose honteuse de voir que cét admirable langage, dont les Sages de l’Antiquité ont creu que leurs Dieux se servoient dans le Ciel, soit devenu sans raison aussi peu recommandable, que leurs Autels sont justement peu reverez. La principale origine de cet abus vient de tant de malheureux faiseurs de vers, qui profanent la Poësie, & entre les mains desquels elle perd tout son prix & toute sa gloire. Le nombre est si petit de ceux qui peuvent dignement toucher à des mysteres si relevez, que les meilleurs siecles ont eu peine d’en produire deux ou trois excellents en ce divin 

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mestier qui ne souffre rien de mediocre. La Peinture & la Musique luy sont si inseprablement attachées, que l’une passe pour une poësie muette, & l’autre pour l’ame de la Poësie. Pour finir ce long denombrement d’Arts & de Sciences, je dis que l’une des plus particulieres estudes d’un homme de la Cour doit estre l’intelligence des langues : Et s’il trouve les mortes trops difficiles, & les vivantes en trop grand nombre, que pour le moins il entende & parle l’Italienne & l’Espagnolle, pource qu’outre qu’elles reviennent mieux à la nostre, elles ont plus de cours que pas une des autres dans

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l’Europe, & mesme parmy les Infidelles.

Avec ces avantages du Corps & de l’Esprit, dont jusques icy nous avons discouru, je veux qu’il soit doüé des vrays ornements de l’Ame, c’est à dire des Vertus Chrestiennes, qui comprennent toutes les Morales. Le fondement de toutes est la Religion, qui n’est à mon advis qu’un pur sentiment que nous avons de Dieu, & une ferme creance des mysteres de nostre fou. Sans ce principe il n’y a point de probité, & sans probité personne ne sçauroit estre agreable, non pas mesme aux meschants. Croyons

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donc que Dieu est, & qu’il est une Sagesse eternelle, une Bonté infinie, & une Vertu incomprehensible, de qui la definition est de n’en avoir point qui n’a ny commencement ny fin, & de qui la plus parfaitte congnoissance que nous en sçaurions avoir, est d’advoüer qu’on ne le sçauroit assez cognoistre. Il est bien vray que c’est une hardiesse perilleuse d’en dire mesme des veritez : Mais combien abominable est la foiblesse de cette nouvelle & orgueilleuse secte d’Esprits-forts, qui n’ayant pas assez de soumission & de reverence pour faire flechir leur petit & aveugle en-

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tendement devant cette frande & immortelle Lumiere, & ne trouvant aucune proportion entre leur grossier & ridicule raisonnement, & les merveilles de cette saincte & premiere Essence, osent bien porter leur impieté jusques à nier une chose que les Oyseaux publient, que les Animaux recognoissent, que les choses les plus insensibles prouvent, que toute la Nature confesse, & devant qui les Anges tremblent, & les Demons ployent les genoux ?

Sur ce grand & ferme appuy de la Religion se doivent fonder toutes les autres vertus, qui apres nous avoir ren-

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dus agreables à Dieu, nous font plaire aux hommes, & nous donnent à nous mesmes une certaine  satisfaction secrette, qui nous fait jouyr d’un repos solide au milieu des inquietudes de la Cour. Aussi est-ce la crainte de Dieu qui est le commencement de cette vraye Sagesse, qui comprend tous les preceptes que la Philosophie nous a donnez pour bien vivre : C’est cette crainte qui nous rend hardis dans les dangers, qui fortifie nos esperances, qui conduit nos desseins, qui reigle nos mœurs, & nous fait cherir des gens de bien, & redouter des meschans. Par elle nous paroissons bons sans

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hypocrisie, devots sans superstition, prudents sans malice, modestes & humbles sans lascheté, & genereux sans arrogance ; Quiconque se sent muny de ce tresor, & des qualitez que nous avons representées, & d’ailleurs appuyé d’un bon sens naturel pour asseurer sa conduite, peut assez hardiment s’exposer dans la Cour, & pretendre d’y estre consideré avec estime & approbation

Il est bien vray qu’il y a un nombre infiny de raisons qui en pourroient destourner toute personne qui en cognoist les malheurs, & qu’à plusieurs il auroit mieux valu n’avoir

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eu qu’une vertu incogneuë, qu’une vie si pleine d’éclat & de peril. Chacun voit que la corruption y est presque generale, & que le bien ne s’y fait que sans dessein, & le mal comme par profession. La servitude y est tellement necessaire, qu’il semble que la liberté qu’on y reserve, soit une usurpation que l’on fait sur l’authorité du Souverain, qui a pour son plus noble objet la gloire d’estendre son empire sur les volontez, aussi vien que sur les vies, & les fortunes de ses sujets. Or qui a-t’il de plus indigne de la condition du Sage, que de soumettre sa raison à celle d’un autre, qui l’aura

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peut-estre esbloüie de la splendeur de sa gloire, & de sa magnificence ? A cette fascheuse condition sont attachées mille peines & mille fatigues, qui naissent de cette ardeur insensée que l’on a de tesmoigner de l’affection aux Grands, & de leur donner des preuves d’une parfaitte servitude : De sorte que ceux-là s’estiment les plus malheureux de qui on espargne les sueurs, & dont on ne trouble point le repos. Si au travail du corps l’on n’adjoustoit encores celuy de l’esprit, la meilleure partie manqueroit pour accomplir la misere de celuy qui s’est engagé en cette sorte de vie. L’ambi-

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tion qui le brusle, & le desir insatiable des biens & des honneurs qui le bourrelle, luy font concevoir mille projects au dessus de ses forces. Le cops à la fin vaincu de foiblesse & de lassitude succombe, l’esprit seul, a son dommage, est infatigable, & pendant que les membres se reposent, il se ronge & s’afflige soy-mesme de mille soucis qui le[1] devorent : La crainte l’attaque & le fait tomber ; l’esperance le soustient & le releve, pour le redonner en proye à cette premiere crainte ; & dans cette guerre intestine se resveillent toutes les autres passions qui nourrissent dans les cœurs un secret Enfer,

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dont les tourments ne se peuvent exprimer. Tout en un temps il faut songer aux moyens de conserver ce que nous possedons, d’acquerir ce qui nous manque, de rendre vains les efforts de ceux qui nous contrarient, de surmonter la haine, & l’envie, de reculer ceux qui vont devant nous, d’arrester ceux qui nous suivent, & le salut d’un chacun ne consiste pas tant, ce semble, à se garder soy-mesme, qu’à ruiner les autres. Combien plus douce & plus tranquille est la vie des Sages, qui ont premierement la paix avec eux-mesmes, & la sçavent entretenir avec tout le monde . Ceux-là,

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dit Aristote, sont des Dieux entre les hommes ; & s’il est permis aux parolles d’avoir de la hardiesse, on peut dire que Dieu est un Sage eternel, & que le Sage est un Dieu pour un temps. Cependant malgré toutes ces raisons & toutes ces difficultez, le Sage peut au milieu des vices & de la corruption conserver sa vertu tout pure & sans tache Il ne s’agit que d’avoir de justes desseins, & quoy que l’Enfer des damnez ne soit plein que de bonnes intentions, si est-ce que celuy de la Cour estant accompagné de pensées legitimes & raisonnables, n’aura point de douleurs qui ne

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soient faciles à supporter. De tous les aveuglements de l’ame il n’y en a point e si perilleux que celuy qui ne voit pas le but qui luy est proposé : Et l’on voit ordinairement que de la vraye cognoissance, & de la sage eslection d’une bonne fin, depend la conduitte & le succés des choses qui nous entreprenons. C’est pourquoy la plus utile science de ceux qui veulent vivre à la Cour Est de bien entendre quel doit estre le plus digne object d’un si dangereux commerce.

Lors que les hommes unissent leurs desirs & leurs volontez à quelque chose, il y a beaucoup d’apparence qu’ils

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en esperent du support, & de l’advantage, & les choses qu’ils desirent par cette commune deliberation sont ordinairement celles qu’ils croyent les plus nobles, les plus parfaites, & les plus utiles. Le consentement qu’ils apportent à obeyr à un seul, est une marque qu’ils estiment cette sorte de gouvernement la plus excellente de toutes : Comme en effect la vraye & legitime puissance des Souverains n’est qu’un nœud d’authorité & de justice pour la conservation du bien public. En suitte de cela, tous ceux qui se sont soumis à cette puissance, souhaittent de s’en approcher, & taschent de la

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maintenir au peril de leurs vies & de leurs fortunes. C’est pourquoy le bien du Prince ne se separe point de celuy de l’Estat, dont il est l’ame & le cœur, aussi bien que la teste : Et le bien des particuliers n’est considerable au general, qu’entant qu’il est utile à la personne du Prince, de qui seul on attend tout le bien & tout le mal qui se respand dans le corps de la Monarchie. Cela estant veritable, & estant vray aussi que châque chose tend à une fin comme au comble de la perfection, quel plus digne object peut avoir le sage Courtisan, que la gloire de bien servir son Prince, &

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d’aymer ses interest plus que les siens propres. C’est là le seul but qu’il se doit proposer : Tous les autres sont faux & trompeurs, & degenerent, ou en bassesse, ou en malice ; Et apres tout quelque autre fin que l’on sçauroit choisir ne sera pas seulement incertaine, mais encore pleine de chagrins, & de mille desplaisirs, dont les occasions naissent à tous moments & en foule dans cette grande confusion de personnes qui aspirent toutes à une mesme chose ; qui est la faveur du Maistre ; La voye de la nature & de la justice est facile, seure, & innocente, & tout project

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qui[2] s’esloigne des reigles de la raison a l’erreur qui le guide, & la punition qui le suit. Quiconque cherche du bien contre son devoir, merite de rencontrer un mal certain, ou un bien dangereux : Mais la faute n’en est qu’à celuy qui en supporte la peine, & ce n’est pas tant la condition ny la nature de la Cour, qui attire apres soy ces malheurs, comme c’est un juste chastiment de faire mal la Cour. Je sçay bien que les Avares & les Ambitieux treuveront cette maxime rigoureuse, mais quelle loy peut estre juste, & leur estre agreable toute[3] ensemble ? Qu’ils considrent seulement s’il leur

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reste quelque rayon de vertu & de bon sens qu’ils démentent leur profession, & trahissent le desir du Prince, qui ne veut autre chose d’eux, sinon qu’ils ayment le bien de l’Estat plus que leur propre advantage ; & qu’en faisant le contraire, ils renversent tout l’ordre de la raison, qui exige que l’interest des particuliers cede à celuy du public. Qu’ils considerent encore que la justice & la nature veulent que la conservation de la teste & du cœur soit preferée à celle de toutes les autres parties, & que le Prince mesme est obligé à cette loy qu’ils treuvent si dure, puisque le salut

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de son peuple luy doit estre plus cher que celuy de sa personne. De cette sorte lors que les honneurs & les bienfaits leur seront presentez, ils les treuveront d’autant plus doux qu’ils les auront cherchez & acquis par des voyes legitimes : Et si le malheur de s’en voir privez leur arrive, ils le supporteront sans en murmurer, & se consoleront de sçavoir que les ayant meritez, il n’a tenu qu’à la Fortune qu’ils n’en ayent eu la possession.

Tous ces sublimes avantages de l’esprit & du corps, que jusques icy nous avons representés, sont veritablement d’une difficile acquisition, & d’un

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penible exercice : Mais dans le cours de la vie, la cognoissance des choses, quelque parfaite qu’elle soit, n’est qu’un tresor inutile, si elle n’est accompagnée de l’action & de la pratique. Un Gentilhomme qui seroit doüé de tous les dons capables de plaire & de se faire estimer, se rendroit indigne de les possseder, si au lieu de les exposer à cette grande lumiere de la Cour, il les alloit cacher dans son village, & ne les estalloit qu’à des esprits rudes & farouches. La seule action distingue la puissance de l’impuissance, & l’on ne peut remarquer la difference qui se trouve entre un grand Ministre

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d’Estat & un malheureux artisan, pendant que l’un & l’autre dorment. Le repos des grands hommes est un crime, & l’oisiveté égale la valeur des bons Capitaines, & la sagesse des Philosophes à la lascheté des poltrons, & à la folie des ignorants. Si la vertu estoit un bien sterile & sans fruict, elle auroit raison de chercher les tenebres & la solitude : Mais puis qu’elle se porte naturellement à engendrer dans les autres esprits une disposition pareille à la sienne propre, & que son plus digne exercice est de se communiquer & se respandre, qui peut sans injustice en estouffer les semences en des lieux sau-

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vages & retirez de la compagnie des hommes ? Pour rendre encore cette verité plus claire, ne voyons-nous pas que les corps, qui approchent le plus du siege de la Divinité, sont ceux qui sont le moins en repos ? Les Cieux, comme plus voisins de la source de toute perfection, se meuvent avec une rapidité infatigable : La Terre au contraire, comme une masse lourde & pesante, & qui participe moins à cette vigueur celeste, demeure immobile & presque sans aucune action. Tout ce que châque chose a de bon ne se discerne qu’en agissant, & cette molle & lasche oysiveté qui s’y re-

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marque n’est qu’une necessité d’une nature defectueuse. Cela estant ainsi, toute personne de qui la condition semble l’inviter aupres des Grands, & qui se sent l’ame pleine de bonnes intentions, n’est-elle pas obligée d’y aller remplir une place qui peut-estre seroit occupée par un meschant, dont les conseils seroient sans doute pernicieux à tout l’Estat, s’il avoit le moyen de les porter jusques à l’oreille du Prince ? C’est là qu’un honnestre-homme, que je ne distingue point de l’homme de bien, doit tascher d’estre utile à sa Patrie, & que se rendant agreable à tout le monde, il est obligé de ne profiter pas seulement

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à soy-mesme, mais encore au public, & particulierement à ses amis, qui seront tous les vertueux.

C’est par l’acquisition de semblables Amys que je desire que ceux qui se veulent rendre agreables, fassent leur entrée à la Cour. Lors uqe l’on y arrive tout neuf & incogneu, je treuve qu’il est tres-utile de demeurer quelque temps à considerer l’estat d’une mer si orageuse devant que de s’embarquer dessus, afin que l’on ait le loisir de prendre ses mesures & de faire ses projects avec prudence & dexterité. La plus espineuse difficulté qui se rencontre à cét

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abord, est de sçavoir choisir un amy fidelle, judicieux & experimenté, qui nous donne les bonnes adresses, & nous face voir un tableau des coustumes qui s’observent, des puissances qui regnent, des cabales & des partis qui sont en credit, des hommes qui sont estimez, des femmes qui sont honorées, des mœurs & des modes qui ont cours, & generalement de toutes les choses qui ne se peuvent apprendre que sur les lieux. Ces instructions sont d’autant plus necessaires que les fautes qui se commettent au commencement sont comme irreparables, & laissent une opinion de

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nous qui ne s’efface bien souvent que lors que nous sommes sur le point de nous retirer de la Cour & du monde. Or la premiere & la plus utile leçon que l’on doit pratiquer, c’est de gaigner d’abord l’opinion des Grands & honnestes gens, & de tâcher à meriter les bonnes graces des femmes, qui ont la reputation de donner le prix aux hommes, & de les faire passer  pour tels que bon leur semble, comme il s’en trouve quelques unes qui se sont acquis cette authorité. Le solide fondement de cette opinion est bien la vertu & le merite, mais si ce n’est par un bon-heur fort approchant du

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miracle, on auroit souvent le loisir de dvenir vieux devant que de faire cognoistre ce que l’on vaut, si l’on n’estoit secouru de l’estime de ceux qui nous ayment, & qui sont eux-mesmes estimez. C’est pourquoy l’assistance d ce premier & digelle amy, dont nous avons parlé, nous peut facilement procurer la bienveillance de plusieurs autres[4] : L’amitié estant, comme elle est, un bien qui prend plaisir à se communiquer entre les personnes vertueuses, & qui comme un flambeau alumé, en alume autant que l’on veut. Si bien que dans cette multitude de jugements differents, & d’es-

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prits empeschez de tant de divers objects, qui ne se donnent gueres la peine d’examiner bien avant le merite de ceux qui se presentent, on peut dire que ce sont les autres qui nous donnent l’estime, & que nous navons qu’à la conserver. Mais puis que ces Amis sont un bien si necessaire dans le monde, il est à propos de sçavoir par quel moyen ils se peuvent acquerir. Sans m’arrester au nombre infiny d’éloges, que tous les Sagges ont donnez à cette noble passion, par laquelle nos volontez & nos interests s’unissent, & sans s’amuser à tant d’agreables questions qui

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s’agissent sur ce suject, je diray en un mot, que pour se rendre digne d’estre aymé, il faut sçavoir aymer. C’est icy le combre & l’abregé de tous les preceptes, & comme cette science ne tombe point dans les ames vulgaires, il n’appartient aussi qu’à celles qui sont pleines d’une generosité heorïque d’en produire des effects, & de s’en former une parfaitte idée. L’extréme franchise, la juste complaisance, la solide fidelité, la veritable confiance, la facilité à obliger, & la crainte de desplaire en sont des marques assez evidentes : Mais le mouvement du cœur en est le vray juge

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et le souverain arbitre. Tost ou tard on void que ceux qui trompent sous ces apparences ; ceux qui n’ont que leur vanité pour object des bons offices qu’ils rendent, & qui esbloPuissent les credules de ces illusions d’amitié & de fausses caresses, se descrient eux-mesmes, & attirent sur eux la haine publique. Au contraire ceux qui ayment sans artifice, sont ordinairement aymez de la mesme sorte, & comme c’est un effect de la Vertu de se reproduire soy-mesme, ce tresor d’amitié se pultiple aussi jusques à l’infiny, lors qu’il est en sa pureté.

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Toute nostre vie s’employe & se consomme en Actions & en Paroles, que nos amys ayent tousjours les meilleures ; aux indifferents les communes suffisant Mais sur cette division, il est necessaire de fonder le discours de ce qui reste à faire à celuy qui nous supposons n’avoir plus besoin que de conserver l’estime où l’ont mis ceux qui l’ont loüé dans la Cour. Nous viendrons aux paroles lors que nous aurons discouru des effects. Entre les actions les plus éclatantes qui rendent glorieuse la vie d’un Gentil-homme, celles de la Valeur sont sans doute les plus illustres & les plus recom-

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mandables ; Cette vertu tient le premier rang en l’opinion de nostre Noblesse : Aussi comme elle est naturellement guerriere, & l’exercice des armes estant sa vraye & essentielle profession, elle luy a imposé un nom si relevé, qu’il comprend eminemment toutes les autres vertus. Il y faut bien sans doute un cœur hardy, & une ferme resolution de mourir plustost mille fois que de consentir à une lascheté : Mais si ce fondement n’est soustenu de la conduitte & de la dexterité, difficilement par là pourra-t’on s’acquerir cette estime, par le moyen de laquelle se gaigne l’inclination de

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ceux qui sçavent donner le prix au merite. Celuy qui se trouve aux occasions, oud’une bataille, ou d’un assaut, ou d’une escarmouche, ou en d’autres semblables rencontres, doit subtilement tascher de se separer de la foule, & faire en la moindre ocmpagnie qui’l pourra les grands & hardis exploits, dont il desire signaler son courage ; Qu’il recherche sur tout de bien faireà  la veuë des principaux de l’Armée, & sil se peut aux yeux mesme du Roy. Cmbien d’actions heroïques & dignes de mémoire ont esté estouffées dans la presse & la multitude des simples soldats, & com-

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bien malheureuse est la valeur de ceux, qui n’ont pour spectateurs que des mercenaires, qui combattent moins pour l’honneur que pour la proye. Le comble de cette vertu est la modestie à parler discretement de ses faits, & la franchise, à loüer hautement ceux qdes autres qui s’en sont rendu dignes. C’est par là que l’on fait mourir l’envie de ceux qui s’eslevent contre nostre gloire ; outre que cette façon de proceder est genereuse, les loüanges que l’on donne à autruy ont encore cét avantage, qu’elles nous acquietrent les acclamations & les loüanges de ceux que les no-

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stres ont obligez. Obligeons donc autant de personnes que nous pourrons par de bonnes parolles, & par de solides effects. C’est icy la seconde partie des actions qui nous font estimer & cherir de tout le monde. Ceux qui sont officeux ne sçauroient manquer d’Amis, &ceux qui ne manquent point d’Amis ne sçauroient manquer de fortune. On ne les considere que comme des personnes nées pour le bien, & ceux-là trouvent quelque chose à redire en leur condition, qui n’ont pas le bonheur d’en estre conneaus. Que c’est une douce satisfaction a une ame bien-faitte que de

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n’avoir jamais manqué à servir quand elle l’a deu faire,  & que ceux-là sont heureux qui en ayant la volonté, en ont aussi le pouvoir ! Secourir les miserables, prendre part à la douleur d’un affligé, ayder à la foiblesse de ceux qui sont oprimez d’une puissance injuste, prevenir par nos services les prieres de ceux qui ont besoin de nostre assistance, proteger les innocens, seconder les desseins des gens de bien, accorder les querelles, pacifier les differents, estouffer les mauvaises affaire des opiniastres & des imbecilles, & enfin employer tout son esprit, son authorité & son industrie à ne

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faire que du bien, sont ce pas des actions, sinon divines, du moins plus qu’humaines ; & sut tout en un siecle où l’humanité semble estre bannie du monde ? Quiconque a l’inclination portée à ces choses, l’a encore infailliblement portée à la LIberalité. Cette vertu tient un grand rang entre les principales actions de la vie, & ceux qui la peuvent & la sçavent exercer ne sçauroient manquer de plaire ; puis qu’il n’y a gueres d’ames si farouches qu’elle n’apprivoise & qu’elle ne gaigne. Il faut qu’elle ait la prudence pour guide ; car autrement elle degenere en profusion, & à ce defaut

 

[1] Les deux derniers mots soudés.

[2] La page porte le n° 52 en titre courant.

[3] E biffé.

[4] Les deux derniers mots soudés.

1630-L’honneste-homme (Nicolas Faret) (101-150)

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qu’elle se ruine soy-mesme, & consomme la matiere qui la doit entretenir. Elle veut bien estre sans artifice & sans vanité ; mais sans conduitte elle ne sçauroit longuement subsister. Elle doit cognoistre ses forces, & se contenir dans une mediocrité si pure, que ny l’Avarice, nu la Prodigalité ne la soüillent jamais : Car comme la Valeur tempere cette ardeur de courage qui nous fait voir le peril moindre qu’il n’est, & dissipe aussi la crainte qui nous le figure plus grand qu’il ne doit paraistre. De mesme la liberalité aporte de la moderation entre l’insatiable desir d’acquerir, & l’aveugle contentement

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de donner. L’Avare se plaist à ensevelir son or dans ses coffres, jusques à le cacher au Coleil mesme qui l’a produit, son ardeur démesurée d’assembler des richesses ne sçauroit s’assouvir, & ressemble au feu, qui plus il rencontre de matiere plus il en devore. Le Prodigue au contraire espanche inutilement son bien en de folles despenses, & n’en fait partqu’aux personnes les plus vicieuses & les plus abandonnées : Si bien que le plus subtil des Stoïciens avoit raison de comparer ses richesses à ces fruicts qui croissent ddans les precipices, & semblent n’estre là que pour l’usage des oyseaux

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de proye, & des bestes farouches. Mais celuy qui est veritablement Liberal sçait donner sans perdre ce qu’il donne, & comme ces belles & vives sources, qui sans tarir jamais, fournissent aux fleurs & aux herbes autant d’eau qu’il en faut pour les entretenir fresches & en vigueur ; luy de mesme sçait répandre ses biens sur les honnestes gens, sanstoutesfois espuiser le fonds de sa liberalité ; Il entend si bien l’art de faire ses presens de bonne grace, & de les accompagner de jugement, que rien ne paraist petit de ce qu’il donne. Et certes la rareté y est souvent plus considerable que

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la magnificence : En hyver un bouquet de roses bien conservées, est d’un prix xinestimable à une Dame curieuse ; & au commencement du printemps un abricot meur est digne d’estre servy sur la table des Reynes. C’est pourquoy il faut remarquer les choses qui peuvent plaire à celuy que nous desirons obliger ; & puisqu’il està nostre choix de donner ce que bon nous semble, ayons soin que ce que nous desirons qu’on reçoive de nous dire long-temps, afin que nostre present soit en quelque façon immortel. De cette sorte les ingrats mesmes, sont contraints de ne les oublier pas,

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pource que leur mémoire ne sçauroit s’empescher d’estre touchée des objects que les yeux luy representent. Sur tout il faut bien prendre garde de n’offrir rien à personne qui luy soit inutile, ou messeant : Comme de presenter des monstres à une femme grosse, des miroüers à une laide, des gants à un Religieux, des livres à un ignorant, & des armes à un Philosophe qui n’ayme que ses livres. En fin pour ne faillir point en cette practique, il est tousjours important de considerer le rang, l’âge, la reputation, les moyens & la naissance de ceux envers qui nous voulons exer-

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cer nostre liberalité.

Mais pour ne m’arrester pas davantage à examiner toutes sortes d’actions, il suffit de dire seulement sur ce sujet, qu’il est tres-necessaire, que celuy qui aspire à se faire gouster dans les cabinets du Louvre, & dans les bonnes assemblées, accompagne toutes ses actions d’une grande prudence. Il faut qu’il soit avisé & adroit en tout ce qu’il fera, & qu’il ne mette pas seulement des soings à s’acquerir toutes les bonnes conditions que je luy ay representées, mais que la suitte & l’ordre de sa vie soit reiglé avec une telledisposition, que le tout responde à châque partie.

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Qu’il soit tousjours esgal en toutes choses, & que sans se contrarier jamais soy-mesme, il forme un corps solide & parfaict de toutes ces belles qualitez, de sorte que ses moindres actions soient comme animées d’un esprit de sagesse & de vertu. Qu’il soit prompt sans estre estourdy, qu’il soit vigilant sans estre inquiet, qu’il soit hardy sans estre insolent, qu’il soit modeste sans estre melancholique, qu’il soit respectueux sans estre timide, qu’il soit complaisant sans estre flatteur, qu’il soit habille sans estre intrigueur, & sur tout qu’il soit adroit sans estre fourbe.

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Apres les actions viennent les paroles, qui font la seconde partie de nostre division, & sont le plus grand & plus ordinaire commerce de la vie des hommes. C’est icy particulierement leregne de la mémoire, pource qu’outre que c’est d’elle que dépend cette agreable facilité de s’exprimer, que l’on remarque en plusieurs personnes, & que nous admirons aux femmes en qui principalement elle abonde ; elle fournit encore sur le champ cette grande multitude de choses qui servent d’aliment à l’entretien. Il est impossible de donner des reigles certaines de la façon, avec la-

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quelle il faut user des paroles, à cause de l’infinie diversité de rencontres qui se font dans le monde, où l’on peut à peine trouver deux esprits qui soient entierement semblables. C’est pourquoy celuy qui veut s’accommoder à la conversation de plusieurs, doitse servir de son propre jugement pour guide, afin que connoissant la differance des uns & des autres, il change à tous moments de langage, & de maximes, selon l’humeur de ceux avec qui le hazard ou ses desseins l’engageront.

Le plus glorieux & plus utile object qu’il puisse choisir pour employer dignement son

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entretien, est sans doute envers le Souverain. La premiere chose qui luy est necessaire pour parvenir à cet honneur, C’est bien d’en estre conneu ; mais je voudrois que ce fust de la meilleure sorte. Je ne voy rien de si plat ny de si froid que ces reverences seiches, que tant d’éfrontez ont la hardiesse de faire au Roy mesme, sans qu’ils ayent rien à luy dire, & sans que l’on ait rien à luy dire d’eux. Un galant homme ne sera point touché de cette vanité, si sa reputation n’a passé devant luy, pour luy rendre l’accés facile : Ou si celuy qui le presente n’a une longue matiere d’entrete-

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nir le Prince des signalez services que ce nouveau produit luy a rendus, ou luy peut rendre à l’advenir, des occasions d’honneur où il s’est rencontré, des bonnes qualitez qu’il possede ; & enfin s’il n’a en luy dequoy donner un agreable suject de faire sa Cour à celuy qui en l’introduisant, luy sera obligé de l’avoir choisi pour luy rendre cét office. Estant estably de cette sorte dans l’esprit de son Maistre, je veux qu’il occupe toutes ses pensées, & qu’il employe toutes les forces de son ame à luy faire connoistre ce qu’il vaut : Qu’il ayme pour le moins autant sa personne que sa digni-

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[1], & que toutes ses actions, ses volontez[2] & ses paroles soient portées à luy complaire sans flatterie. C’est là qu’en profitant à un seul, il se rend utile en mesme temps à toute une Monarchie, & que sa science & sa sagesse, comme de nobles & vigoureuses semences, produisent dans l’ame des Princes des fleurs, dont les fruicts se communiquent à tous leurs sujets. Si bien que celuy qui aymera sa Patrie, sera vivement pressé du desir d’estre aymé des grandes puissances, & aymera ceux qui sont assis dans le throsne pour veiller au bien public. l s’efforcera de jetter dans leurs

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esprits de vives lumieres de vertu : Il sera prompt à leur obeïr, & sçaura sagement considerer le temps, le lieu, & les autres circonstances.  Son silence mesme, aussi bien que son discours, dependra du mouvement, & de la volonté de son maistre, & sera tousjours si ajusté en parlant à luy, que jamais il ne passera pour iimportun, nu pour indiscret. Ce qui est dict à propos est tousjours bon, comme aussi les choses à contre-temps ne sont jamais agreables. La cause de ce vice, de vouloir faire l’éloquent à tout propos, vient d’une vanité folle & ridicule d’estre estimé habile, qui d’ordi-

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naire n’a que la honte de n’estre pas escouté, outre le blâme de legereté & d’extravagance qui l’accompagne. Ceux qui ont le bon-heur d’avoir un accés facile auprés des Roys, & qui peuvent porter leurs paroles avec quelque confiance jusques à leurs oreilles, estudireont premierement l’humeur de celuy qu’ils servent, & tascheront de se conformer à la meilleure & plus forte de ses inclinations. S’il ayme la guerre, ils ne l’entretiendront que de hardis desseins, des moyens de faire subsister de grandes armées, du bon ordre, & de la discipline qui s’y doit observer, de la connoissance qu’il

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doit avoir de ses troupes, de la science de leur bien commander, des marques d’un bon soldat, des qualitez d’un excellent Capitaine, & generalement de tous les secrets de la prudence militaire ; Si au contraire il est pacifique, ils ne luy proposeront que des moyens de faire egner la Justive, & de maintenir la tranquilité publique, d’affermir son authorité, de soulager ses sujets, de bien mesnager ses finances, de faire fleurir le commerce, de conserver l’amitié de ses voisins, de se faire aymer des siens, & craindre des estrangers, & enfin de se rendre Arbitre des differents de

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tous les Princes de la terre. S’il prend plaisir aux lettres, que celuy qui luy veut plaire regarde à quelle science il a le plus d’inclination, & qu’il y adonne particulierement son estude : Et s’il ayme les honestes plaisirs, qu’il se rende assidu à l’y servir, & à le suivre en tous ses exercices. Mais sur tout qu’il se garde bien de tesmoigner jamais du chagrin, & de faire voir qu’il se donne la gesne & souffre une grande contrainte, en faisant ce à quoy il croit n’estre obligé que par sa propre volonté. Il n’y a rien qui chocque si rudement les esprits des Grands que cette obeyssance forcée, qu’ils re-

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marquent quelquefois au service de veux qui les assiegent plustost qu’ils ne les suivent. Il s’en voit de si mal-advisez que de ne se presenter jamais devant eux qu’avec un visage si triste, & si mal content, qu’ils semblent tousjours leur faire quelques reproches. D’autres pour faire les bons soldates, ne s’y tiennent jamais qu’en posture de Fanfarons, & rendent leurs regards & leurs gestes tellement farouches, qu’on diroit qu’ils ne viennent là qu pour quereller leur maistre. Il y en a encore d’autres qui sont si privez, dés leur premiere entrée à la Cour, que d’aborder le Roy mesme avec une visage

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riant & familier, comme s’ils vouloient caresser un égal, ou faire quelque faveur à une personne inferieure. Ces gens-là seroient plus sages d’alleur cacher leurs impertinences dans le village, que de venir consommer leur bien dans la Cour, pour n’y servir que d’objects de risée & de mespris. Il est donc tres-important en toutes les parties de l’entretien, d’estre tousjours modeste & respectueux, soit aux gestes exterieurs, soit aux paroles ; & ceux-là ne sçauroient durer longtemps qui croyent de se mettre en credit auprés des Grands par l’effronterie. Cette voye ne laisse pas de reüssir à quel-

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ques-unes, mais elle en ruyne incomparablement plus qu’elle n’en esleve. Certainement il faut confesser que c’est un des plus dangereux honneurs dont on s’enyvre à la Cour que cette familiere hantise avec le Souverain : Et s’il n’est d’un naturel excellent, il est bien difficile de se mesler de l’entretenir souvent, sans qu’il eschappe quelque chose qui ne luy plaira pas. Car si une fois il se persuafe qu’il est plus habile que celuy qui le conseille, ou qui l’entretient, dés là sans doute il le mesprisera, & s’il s’apperçoit aussi qu’il le soit moins il aura peine à le souffrir. Naturellement tous les

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hommes ont dépit[3] de ne valoir pas tant que ceux qui leur obeissent, mais sur tout ceux qui y sont obligez par la grandeur de leur condition ; puis qu’il n’y a rien en quoy l’on cede moins volontiers qu’à se recognoistre de moindre sens qu’un autre. C’est pourquoy les plus subtiles Politiques conseillent tous de ne faire jmais trop le sage avec son maistre, & enseignent de ne luy donner jmais que des conseils timides & douteux : C'est-à-dire de parler à luy d’un accent plein de soumission, & qui semble plutost proposer son avis, que de l’aprouver ; afin qu’il connoisse au moins par là que l’on faict

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fleschir son opinion devant son jugement. Quiconque en use ainsi destourne de soy la haine & les plaintes dont sont suivis les sinistres evenements, qui sont si durs à supporter aux grands pPrinces ; à cause qu’ils s’imaginent que la fortune leur doive obeyr aussi bien que les hommes. L’on remarque en effet qu’ils ont presque tous cette foiblesse d’imputer les malheurs qui leur arrivent à la mauvaise conduite de ceux qui sont auprés d’eux. Et de là vient ce precepte si commun entre les deliez Courtisans, qu’il faut que le conseil que l’on donne aux Roys soit lent & consideré, &

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que le service qu’on leur rend soit prompt & actif. Sur tout ils tiennent pour maxime de ne leur contredire jamais : Car l’extreme puissance est d’ordinaire accompagnée d’un sentiment si delicat, que la moindre parole qui luy resiste la blesse, & semble qu’elle vueille que ses opinions fassent une partie de son authorité. Ce n’est pas pour cela qu’il faille devenir flatteur : Ce vice est trop lasche pour tomber en la pensée d’un honeste-homme, outre qu’il n’est pas si tost descouvert qu’il ruine le credit & la reputation de celuy qui penser eslever sa fortune sur un si mauvais fonde-

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ment. O qu’un Prince est malheureux, qui au lieu de fidelles serviteurs se trouve environné de ces pestes publiques, qui infectent leurs esprits de mille imaginations vaines & folles, dont leurs peuples ressentent apres de si funestes effects. Ce malheur est d’autant plus à craindre pour eux, qu’il est comme inévitable à leur condition ; pource qu’estant contraints comme ils sont, d’escouter tout le monde & de se servir de plusieurs personnes ; & la flatterie se servant du masque de la fidelité & de la veritable amour avec eux, comme elle faict, il est comme impossible qu’ils s’empes-

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chent d’en estre trompez. Que l’homme de bien fuye donc le reproche d’une si pernicieuse malice, comme celuy d’une notable infamie, & qu’il ne die aucune chose qui en puisse faire naistre seulement le moindre soupçon. Je veux bien qu’il soit accort & souple, mais je ne luy sçaurois souffrir une complaisance servile, & indigne d’un homme d’honneur. Qu’il ne desapprouve jamais l’opinion de son Maistre avec audace, mais avec une modeste hardiesse, & qu’il propose ses sentimens comme voulant chercher le meilleur, & non pas comme croyant l’avoir trouvé. Lors qu’il luy voudra de

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demander quelque bien-fait, ou quelque faveur pour luy ou pour un autre, qu’il la luy represente si pleine de justice, que ce ne soit pas comme par force, & à regret qu’il l’obtienne ; pource qu’une semblable grace est pire qu’un absolu refus. Qu’il ne le presse aussi jamais tellement, que s’il arrivoit qu’il fust refusé, on ne creust pas l’avoir desobligé : Dautant que l’on voit souvent que quand les Princes n’ont pas accordé quelque grace à un poursuivant, ils jugent que celuy qui l’a demandee avec beaucoup d’instance, l’a desirée avec beaucoup d’ardeur : Si bien que ne l’ayant peu obte-

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nir, il semble qu’il doive concevoir quelque secrette haine contre celuy de qui il l’avoit esperee. Alors sur cette imagination le Prince comence aussi de son costé à les haïr eux-mesmes, jusques à n’en pouvoir souvent supporter la presence. Il faut encore soigneusement eviter de ne se rencontrer jamais dans les plaisirs particuliers des[4] Souverains sans avoir l’honneur d’y estre appellé : Pource qu’il y a des temps & des lieux ou ils sont bien aises de se trouver en liberté de dire & de faire tout ce qui leur vient en fantaisie, & ne veulent estre veus ny ouys de personne qui les puis-

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se juger & les tenir dans la contrainte. Que si par hazard il s’y treuve surpris & embarrassé, qu’il tasche à s’en demesler le plus adroictement & le plustost qu’il luy sera possible. Et c’est enquoy l’on peut bien juger que l’heure & l’endroit nese doivent pas moins considerer que la personne en cette penible sorte de conversation.

Celle des Inferieurs & des Egaux, ou de ceux qui n’ont au dessus de nous que quelque dignité dependante de cette premiere puissance, n’est pas si tenduë, ny si difficile que celle du Maistre. Mais il est aussi bien plus dangereux de s’y relascher, & d’y faire des fautes,

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qu’en cette autre, ou l’esprit est tousjours devant soy, & present aux choses dont il entreprend de discourir. Cecy se remarque principalement entre nos amis particuliers, ou nostre ame se sentant deschargee de cette contrainte qui luy donne la gesne dans les autres compagnies, laisse aller tous ses mouvemens naturels au dehors, avec une nonchalance qui nous rend souvent presque tout a fait dissemblables de ce que nous paraisson en public. Neantmoins cette liberté ne doit jamais estre si negligée, qu’elle ne demeure dans les reigles d’un doux & honnestre respect, qui sans jamais faire de 

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violence à l’esprit, luy laisse tirer les plaisirs de cette agreable sorte d’entrtien dans leur pureté, & sans aucun meslange d’amertume. Ce temperament pourtant est plus difficile qu’il ne semble, & plusieurs se font admirer dans le Louvre, & les celebres assemblees, qui ne peuvent apprendre l’art de vivre comme il faut avec ceux qui leur sont les plus confidents, & les plus familiers. La cause de cecy ne procede que de ce qu’ils n’ayment pas bien ceux de qui ils sont aymez, & de la vanité qu’ils ont de croire qu’estant assez honnestes gens pour ne perdre aucuns de ceux qu’ils ont une fois ac-

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quis, ils ne daignent travaillier que laschement à les conserver. Aussi n’est-ce qu’aux lieux où ils esperent estendre leurs conquestes, qu’ils debitent leur bonne humeur, & se reservent à jouër sur de grands theatres les meilleurs personnages qu’ils ayent apris. Cependant quelle[5] injustice est ce faire à ceux qui nous ayment, de ne leur aporter que les defauts de nostre esprit, & donner à ceux de qui nous ne sommes pas encore conneus, tout ce qu’il a de plus excellent pour plaire ? C’est bien ignorer ce precepte de sagesse qui nous enseigne que le prix de l’ame ne consiste pas à s’eslever haut,

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mais à marcher reiglément & esgalement. Et certes sa vraye grandeur ne se remarque pas tant aux choses grandes, & extraordinaires, comme elle s’exerce aux mediocres, & communes. Que ceux-la donc qui veulent parvenir à une solide estime taschent à une solide estime tasche à se garder d’estre surpris de cette humeur, qui eest proprement celle des fourbes, dont le décry est si general dans la Cour. C’est par là que se sont perdus plusieurs qui apres s’estre longtemps desguisez, ont trouvé à la fin, ayant esté descouverts, que ce qu’ils avançoient d’un costé se destuisoit de l’autre, & que les ruines de leurs pre-

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mieres amitiés attiroient apres elles la cheutte de toutes les autres qu’ils avoient basties sur de si mauvais fondements. Et de fait il ne faut presque rien pour descrier un homme en de semblables choses, & le faire passer pour infidelle, pour mauvais amy, & pour toute chose encore pire. Pource que ces vices estant attachez à l’ame qui nous est cachée, nous sommes bien aises, parmy une si grande multitude de personnes qui tiennent bonne mine dans la Cour, que l’on nous aprenne lesquels ce sont qui ont bon & mauvais jeu : Et lors qu’une fois nostre imagination est gagnée, il nous faut des

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preuves du contraire bien claires, & en grand nombre pour la faire revenir ; outre que rarement adivnet-il que nous nous mettions en peine de nous desabuser. Cependant les bruits de ces choses se multipliants à l’infiny, comme c’est l’ordinaire de caux qui ne sont pas bons, ces subtils & rafinez Courtisans sentent que petit à petit chacun se retire de leur commerce, & qu’ils se sont tout à fait ruinez d’estime, pour ‘lavoir voulu acquerir plustost grande que bien solide. C’est pourquoy tous nos soins doivent estre employez à gagner de bonne heure & par de bonnes voyes l’opinion des honne-

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stes gens ; puisque tout le monde sçait combien elle est importante à nous accourcir le chemin qui nous peut conduire à la haute reputation. Un homme seul dans une grande Cour comme la nostre ne sçauroit tout fair luy-mesme, & s’il n’est aydé de plusieurs, il se sentira souvent accablé de viellesse devant que d’estre seulement conneu de ses égaux. Ce n’est pas tout que d’avoir du merite, il le faut sçavoir debiter & le faire valoir. L’industrie ayde beaucoup à faire esclater la vertu, & c’est une chose estrange que ceux sur tout qui sont les plus judicieux ont le plus besoin de ce se-

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cours. Pource que les effects du jugement sont si lents au pris de ceux qui naissent de la vivacité de l’imagination, & de la promptitude de la mémoire, que si les bons Juges ne prenoient encore la peine de plaider la cause de cette sorte d’esprits, aussi bien que de la juger, ils seroient bien souvent en danger de la perdre. Je voudrois donc pour cette raison principalement que toutes les fois que nostre Honneste-homme fera sa premiere entrée dans quelque grande maison, ou qu’il devra se rencontrer en quelque assemblée, où tous les visages luy seront inconneus aussi bien que les humeurs des

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personnes qui s’y treuveront, il y eust fait semer une bonne opinion de son esprit, devant que d’y produire sa personnne. Et ne faut pas craindre en ce point ce[6] que se voit en plusieurs autres, où il arrive bien souvent qu’à force d’ouyr beaucoup louër l’excellence de quelque chose, on s’en forme en l’imagination une idée si parfaicte, & la conçoit-on si admirable, que lors que l’on vient à la mesure avec l’original, quelque grand & rare qu’il se trouve, si est-ce qu’à comparaison de ce que l’on s’estoit figuré, elle ne laisse pas de paroistre peite & defectueuse. Icy il faut considerer que les

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choses qui se destruisent ainsi par leur propre reputation sont celles dont l’œil peut juger d’abord : Comme ceux qui n’ont jamais esté à Paris, & qui en entendent dire tant de merveilles, peuvent bien se l’imaginer encore plus grand & plus peuplé qu’ils ne le trouvent lors qu’ils le voyent. Mais aux bonnes qualitez que les hommes possedent, il n’en est demesme, car on ne voitd’eux que la moindre partie au dehors : Si bien que le premier jour que l’on commence d’entrer en conversation avec une personne, quand mesme l’on n’y auroit treuvé rien d’aprochant de ce que l’on en

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avoit attendu ; on ne se despoüille pas pour cela de la bonne opinion que l’on en a conceuë ; mais on attend de descouvrir de jour en jour quelque vertu cachée ; retenant tousjours feme cette premiere impression qui s’est formée en nostre esprit par le tesmoignage de plusieurs habiles gens. Or ces premiers impressions sont si puissantes, ou plustost si tyranniques, qu’encore qu’elles n’ayent point de plus solide fondement que les bruits communs, elles ne laissent pas d’usurper sur la raison l’authorité de juger, & aveuglent si fort l’entendement, qu’il ne peut plus discer-

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ner le vray d’avec le faux, ny le bon d’avec le mauvais. Les Italiens font un certain conte, qui ne prouve pas mal cette force de l’opinion : Mais pource que depuis peu d’années il a esté renouvellé en France avec les mesmes circonstaces, il vaut mieux le faire tel que nous sçavons qu’il est advenu, que de recourir à des noms estrangers ; C’est d’un Gentilhomme de fort bon lieu, & d’un excellent merite, lequel estoit nay assez heureusement à la Poësie, & monstroit assez d’ardeur de Genie, & de force de jugement pour luy faire esperer l’aprobation de ceux qui n’y regardent pas de si prés, &

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mesme pour luy faire meriter une bonne reputation. Neantmoin comme la Fortune se mesle encore de la distribuer, aussi bien que les richesses & les dignitez ; cestuy-cy fut si malheureux, que rien de tout ce qu’il faisoit ne pouvoit estre agreable aux personnes, à qui principalement il avoit envie de plaire. Il voyoit bien que ce dégoust ne venoit que d’une opinion preoccuptée, & jugeant assez sainement de ses ouvrages, comme il faisoit, pour connoistre que s’ils ne meritoient d’extrémes loüanges, du moins n’estoient-ils dignes d’aucun mespris, il se servit d’une assez plaisante subti-

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lité pour monstrer l’injustice que l’on luy faisoit. Il eu soin premierement de recouvrer une piece de Malherbe, que les curieux avoient long-temps attenduë & dont il eut la premiere copie, laquelle il avoit promis de monstrer à ceux qu’il vouloit surprendre. Aussitost les estant allé treuver pour leur tenir parole & les tromper tout ensemble, comme il fait, au lieu des vers qu’ils attendoient, il leur en supposa d’autres qu’il avoit composez sur le mesme sujet. A dessein il les avoit fait imprimer avec le nom de Malherbe au commencement, afin de donner plus d’authorité à son inven-

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tion. Ces gens que la reverence de ce nom avoit desja tous disposez à l’admiration de ces vers, à la fin de châque Stance se mettoient à faire des exclamations, & à tesmoigner des ravissements si extraordinaires, qu’il sembloit que ce fust quelque ouvrage qui leur fust tombé du Ciel, tant ils y trouvoient de divinité. Apres qu’il leur eut donné le loisir de revenir de cette prodonde extase, où l’admiration sembloit les avoir plongez, il les pria d’en voir encore d’autres escrits à la main qu’il disoit estre de luy, & qui estoient veritablement ceux de Malherbe, & les supplia de juger, si comme

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leur matiere estoit la mesme, la façon de l’employer se treuveroit beaucoup differente. Quel effet de l’imagination ! Presque tous, comme d’un commun consentement, s’arresterent à chocquer d’abord le premier vers de mille reprehensions impertinentes & ridicules : Chasque mot faisoit trois ou quatre fautes, pas un n’estoit françois, ny logé en sa place, ce n’estoit rien que rudesses & transpositions, les virgules mesmes estoient mal mises, & à leur voir faire l’anatomie de ces vers, on eust dit que ç’eust esté du Suisse qu’on leur eust donné au lieu de François. Le second ny le troisiesme ne fu-

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rent pas mieux traittez que le premier, & si la nuict ne les eust surpris sur le quatriesme, sans y penser ils alloient conclure à la fin de la Stance que Malherbe n’avoit pas le sens commun. Je laisse à penser à tout le monde quelle devoit estre la confusion de ces bons Juges, lors qu’ils sçeurent les veritables autheurs de l’une & de l’autre de ces deux pieces. Je m’arreste seulement a considerer les estranges effects de l’opinion, qui tout estourdie & aveulge qu’elle est, faict ainsi ployer l’esprit de l’homme à son gré, & meine sa volonté de tous costez avec un empire aussi absolu que si elle

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avoir la raison pour guide. S’il m’est permis de parler icy de mes interests sans faire une impertinence, on verra bien que ce n’est pas sans sujet que je nomme son pouvoir tyrannique, puis qu’elle peut faire passer dans le monde tous les hommes pour ce qu’elle veut : Un habile pour un sot, un sage pour un extravagant, un homme retenu pour un desbauché, & generalement renverser tout l’ordre que la raison & la verité ont estably dans le monde. Je ne suis gueres d’humeur à me debiter pour autre que je ne suis ; aussi n’ay he garde de me vouloir faire passer pour une personne qui soit

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fort reiglée en sa vie : Et certes le tracas & le desordre dans lequel roulent tous ceux qui sont engagez à la suitte de la Cour, ne leur permet pas d’exercer ces belles vertus, qui requierent ce doux  & paisible estat d vie, apres lequel je soûpire de si bon cœur. Neantmoins je puis dire avec verité, & de cette verité peuvent estre tesmoins tous ceux de qui je suis particulierement conneu, que jamais je n’ay exposé ma raison au hazard d’estre surprise d’aucun excez. Que si l’amour des honnestes gens & de leur conversation m’a fait passer, avec ceux que j’ay conneus, une partie de ma

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vie dans d’honnestes resjouissances & parmy des plaisirs innocents, j’ay sujet de loüer mon bon-heur d’avoir ainsi vescu, plustost que d’avoir regret de m’estre trouvé dans ces compagnies. Cependant je ne sçay comme il s’est rencontré que mon nom, par malheur, ryme si heureusement à Cabaret, que les bons & mauvais Poëtes, mes amis & les inconneus confusément, & avec mesme liberté se sont servis de cette ryme qu’ils trouvoient si commode, & l’ont renduë si publique, que la pluspart de ceux qui ne me connoissent pas bien, s’imaginent que je suis quelque bouchon de ta-

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verne, ou quelque goinfre qui ne desenyvre jamais. De mesme en une des meilleures assemblées de France, où l’on donnoit à chacun un epithete qui exprimoit quelque defaut, ou quelque vertu de celuy à qui il estoit imposé, j’eus celuy de Vieux, parce qu’à ma mine je monstrois avoir dix ans plus que je navaois en effet : Depuis ce temps là mes amis, & plusieurs personnes de qualité se sont tellement accoustumez à m’appeler ainsi, qu’il est arrivé plus d’une fois que l’on a eu de la peine à me faire passer pour moy-mesme à d’aucuns qui ne m’avoient jamais veu, pource que je na-

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vois pas une grande barbe blanche, ny aucune autre marque de vieillard ; Pour ce point de l’âge il m’est tres-indifferent que l’on en die & que l’on en croye ce que l’on voudra, je ne l’allegue seulement que pour prouver ce que peut l’opinion. Mais quant à l’autre exemple qui va aux bonnes mœurs, en quoy tout le monde est obligé de conserver sa reputation, j’avoüe que je serois bien-aise que l’on me creut tel que je suis, & que l’on me conneut plustost par mes actions que par les sornettes qui se chantent aux carrefours. Mais puis que mes actions sont trop communes

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pour avoir de l’esclat, je m’asseure que l’on ne trouvera pas estrange si je me monstre comme je puis, & si je me sers de l’occasion de ce discours pour faire cette declaration.

Il est donc tres-necessaire d’éviter les mauvais bruits, & de faire naistre une bonne opinion de nous dans l’imagination de chacun, s’il se peut, mais particulierement il est important, comme j’ay dict souvent, de prevenir celle des Grands : Pource que l’estime qu’ils font de quelqu’un, donne une certaine autorité à sa reputation, qui dispose si puissamment les esprits de tout le monde à croire de grandes

 

[1] Le titre courant porte le n° 122.

[2] Les deux derniers mots soudés.

[3] d’épit

[4] Les deux derniers mots soudés.

[5] qu’elle

[6] se

1630-L’honneste-homme (Nicolas Faret) (151-200)

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choses de luy, qu’en moins de rien il se trouve au comble de cette estime, où je veux qu’un Honneste-homme se sçache mettre, & se maintenir par l’excellence de ses actions & de sa conduitte. A celuy qui a peu parvenir jusques à ce point, de meriter que les personnes d’éminente condition fassent estat de sa vertu, il est aisé de parvenir encore jusqu’à cette faveur, d’estre receu en leur familier entretien. Je voudrois qu’il commençast a desployer par là les bonnes qualitez de son esprit à bien & agreablement converser ; pource que cela seul, d’estre ainsi meslé parmy de telles gens, le peut

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porter bien haut, & le mettre d’une volée à prétendre aux grandes choses. Il faut dire hautement, que nostre Cour a cet avantage par dessus toutes celles qui sont au monde, qu’un Honeste-homme, quand mesme il seroit nay assez bassement pour n’oser s’approcher des Grands qu’avec des soumissions d’esclave, si est-ce que si une fois il leur peut faire connoistre ce qu’il vaut, il les verra, à l’envy les uns des autres, prendre plaisir à l’eslever jusques à leur familiaire communication. En effect il n’y a gueres de nos Princes mesmes, qui se retiennent si justes dans le poinct sublime de

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leur rang, que si une personne a rendu son nom remarquable par quelque excellente partie, ils ne fassent gloire de le caresser. Leurs accueils pour le moins sont obligeants envers les vertueux, & presque tous tesmoignent estre bien aises d’en estre visitez & entretenus, plustost mille fois que de plusieurs personnes de grande condition, qui n’estans receus dans les bonnes maisons, qu’à cause simplement de la leur, n’y entrent jamais qu’on ne soit en peine de chercher quelque honneste excuse pour faire en sorte de ne les voir point. Lors donc que celuy qui n’a que sa vertu pour guide &

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pour support est arrivé à ce haut comble de gloire, de se trouver comme compagnon de ceux qu’il pourroit avec honneur nommer ses maistres, il doit sçavoir si sagement user d’un si notable avantage, que jamais il ne manque à aucuns des respects que l’on a de coustume de rendre à ces personnes relevées.

Il doit bien aussi se garder de tomber en l’autre extrémité de ceux qui taschent de faire naistre à tous coups des occasions d’exercer leur civilité ; car à la fin à force d’estre honneste, il pourroit devenir importun. Les Grands à la verité veulent bien que l’on rende

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ce que l’on doit à leur condition : mais ils ne craignent rien tant que la rencontre de ces fascheux qui sont tousjours en embuscade pour leur tirer quelque mauvais compliment, ou les incommoder de quelque service inutile. Et à parler sainement, je ne m’estonne pas si ces personnes, pour qui seules il semble que les choses agreables ayent esté faites, treuvent ces honneurs rudes & pesants, puis qu’il n’y a pas un de ceux qui sont au dessous d’eux qui ne les trouve insupportables. Ce defaut est l’un des plus grands de la conversation, & s’en voit peu qui ne s’abandonnassent

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plustost à l’entretien d’un extravagant ou d’un querelleur, qu’à celuy de ces opiniastres faiseurs de compliments. Sur tout à une ame franche, & qui croit que châque parole qu’elle dit par bien-seance oblige sa foy, c’est une gesne bien tyrannique que la rencontre de cette sorte d’esprits embarrassants. Il y a bien à la verité des occasions où il est impossible d’éviter ces espines, mais les honnestes gens sçavent couler par-dessus, sans en estre picquez. Aussi n’y a-il que les nouveaux venus, & ceux qui sont naturellement enclins à la coquetterie qui s’en picquent. Si bien qu’il semble que cette odieuse sorte 

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d’entretien soit aujourd’huy demeurée en partage aux petites soubrettes, & à quelques malheureux suivants, qui croiroyent n’estre pas de la Cour, si jusques aux entretiens les plus communs, ils ne trouvoient quelque matiere propre à estre infectée de leurs impertinentes ceremonies. Que s’il est vray ce que l’on dit, qu’il y ait des esprits si malades que de faire un estude particuliere de cette ridicule science, je m’estonne  certes qu’on ne les chasse des Republiques, & qu’on ne les punit des mesmes peines que les loix ordonnent contre les Perturbateurs du repos de l’Estat ;

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puis qu’il n’y en a point qui troublent tant la société humaine que cette importune sorte de gens. Jamais un Honeste-homme n’abusera ny de ce qu’il peut dire, ny des actions de bien-seance dont il sçaura l’usage, & sur tout en la frequentation des Grands, qui se dégousteroient aussi-tost des ceremonies superfluës, dont il penseroit les obliger.

Mais il est à considerer que lors qu’il reviendra de ce grand monde, il faut qu’il ait une raison assez forte pour se retrouver parmy ses égaux & ses inferieurs, sans tesmoigner d’avoir la teste surprise de ces fumées : Car s’il avoit la foiblesse

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de s’en laisser enyvrer, il deviendroit bien-tost le mespris & le joüet des uns & des autres. Cette égalité à vivre de mesme train avec ses amis & les personnes privées, au sortir de dessous les Daïs & d’entre les Balustres, est un charme nompareil à ravir les cœurs genereux : Pource que comme rien ne leur est plus insuportable que l’insolence de ceux à qui la faveur des Grands renverse le sens : De mesme il n’est rien qui leur plaise tant, ny qui leur soit un plus veritable augure d’une vertu bien solide, que de n’estre point esblouy[1] de l’esclat de tant magnificence. Celuy neantmoins qui joüit

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de ces honneurs doit observer de ne rendre pas sa conversation & son amitié commune à toutes sortes de personnes, depeur qu’à la fin elle ne devinst de mauvaise odeur à ceux qui croiroyent beaucoup ravaler la leur, que de la laisser descendre jusques à luy. Pour mille raisons un habile homme ne doit jamais se mesler dans la canaille, nu establir de commerce avec des personnes descriées. Il faut bien du temps à racommoder un salut familier qu’un celebre Filou, ou une femme abandonnée, ou quelque autre de mauvaise marque luy aura fait en presence de plusieurs per-

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sonnes de qualité : Et si quelqu’un de la compagnie, ou luy-mesme ne peut faire tomber de bonne grace cette cognoissance dans la raillerie, il est bien à craindre qu’il ne reste quelque mauvaise opinion en l’esprit de ceux qui y auront fait une reflexion particuliere. Il est donc important de n’avoir que des habitudes honestes, & dont on ne puisse jamais rougir devant ces personnes, dont les soupçons sont d’autant plus à craindre, qu’elles ne prennent gueres souvent la peine de les éclaircir. Quiconque peut sortir de bonne grace de ces illustres assemblées, peut facile

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ment esperer l’entrée de toutes les autres, & d’y estre desiré, & receu avec joye & applaudissement. L’un des grands biens qui luy revient d’est ainsi conneu, c’est que les meschans craignent de l’attaquer, & les envieux n’osent qu’en tremblant exercer contre luy leur malice ; Ils ne sçavent où verse en seureté leur poison contre sa vie ; pource que comme ils voyent qu’il a par tout des approbateurs de ses actions, ils s’imaginent que ce sont autant de protecteurs de sa vertu. Ainsi ceux mesmes qui haissent sa gloire sont contraints de la publier avec les autres, afin du moins qu’en

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loüant cetuy-cy, ils se reservent l’autorité de mieux noircir quelque autre, sur qui ils treuveroit plus de prise.

Cependant soit avec les Grands ou avec les mediocres, soit avec les familiers, ou avec les estrangers & les inconneus, & generalement avec toutes sortes de conditions differentes il y a des maximes princopales à observer, des fautes à fuyr, & de certaines adresses à pratique, ausquelles si une personne qui pense cingler de bon vent ne prend garde, il est bien difficile qu’elle s’mpesche de faire naufrage. L’une des plus importantes & des plus universelles maximes que

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l’on doive suivre en ce commerce, est de moderer ses passions, & celles sur tout qui s’eschauffent le plus ordinairement dans la conversation, comme la colere, l’emulaiton, l’etemperance au discours, la vanité à tascher de paroistre par-dessus les autres : Et en suitte de celles-cy, l’indiscretion, l’opiniastreté, l’aigeur, le dépit, l’impatience, la precipitation, & mille autres defauts, qui comme de sales ruisseaux coulent de ces vilaines sources. Et certainement lors qu’un esprit est ainsi infecté de ces mortelles semances, quelle apparance y a-t’il qu’il puisse produire que des fruits amers, &

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que ceux qui l’on reconneu ne taschent d’en fuyr l’abord, comme d’une personne surprise de quelque maladie contagieuse ? Soyons donc maistres de nous-mesmes, & sçachons commander à nos propres affections, si nous desirons gaigner celles d’autruy : Car il ne seroit pas juste de pretendre à la conqueste des volonter de tant d’honestes gens qui sont à la Cour, si premierement nous n’avions apris à surmonter nostre volonté propre, & à luy donner des loix capables de l’arrester tousjours dans le centre de la raison.

Un esprit moderé, & qui ne se laisse point emporter le-

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gerement, en tous les desseins qu’i laura, soit pour affaires, soit pour plaire, sçaura prendre son temps, presser & diferer à propos, se ployer & s’accommoder aux occasions, en sorte que rien de ce qui le choquera ne le puisse blesser. S’il veut & si la generosité n’y est point offensée, il sçaura feindre, il sçaura desguiser, & lors qu’un expedient viendra à luy manquer, il se trouvera tousjours d’un esprit assez tranquille & assez ouvert, pour en inventer mille autres capables de terminer ce qu’il poursuit. Un turbulent au contraire, & qui se laisse vaincre aux premiers mouvements qui l’assail-

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lent, embroüille tellement sa conduitte, qu’il devient à charge à tout le monde, & se rend insupportable à soy-mesme. Il ne fait rien que par impetuosité, & comme il n’a ny ordre ny reigle qui luy serve de guide, tous ses conseils & toutes ses entreprises se sentent de la confusion qui regne dans so name. Jamais il ne sçait fleschir à propos, & s’est tellement assujetty à ses humeurs, & à ses opiniastretez, qu’il s’imagine que tout ce qui les contrarie ne peut estre conforme au bon sens. Ces pauvres gens là ont bien à souffrir dans le monde ; aussi un habile homme s’y prend bien d’un autre air, &

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n’a garde de se rendre si fort esclave de ses inclinations, qu’il ne puisse en tout temps les faire ployer sous celles de la personne à qui il aura envie de se rendre agreable. Cette souplesse est l’un des souverains preceptes de nostre Art : Quiconque sçait complaire peut hardiment esperer de plaire : Et veritablement l’une des plus infaillibles marques d’une ame bie née, c’est d’estre ainsi universelle, & susceptible de plusieurs formes, pourveu que ce soit par raison, & non par legereté, ny par foiblesse. Il y a du rustique & du stupide, d’estre tellement pris à ses complexions, qu’on

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ne puisse jamais en relascher un seul point ; Un esprit bien fait s’ajuste à tout ce qu’il recontre, & comme on disoit d’Alcibiade, il est si accommodant, & faict toutes choses d’une certaine sorte, qu’il semble qu’il ait une particuliere inclination à châcune de celles qu’on luy voit faire ; Il n’y a point d’humeurs si extravagantes avec qui il ne puisse vivre sans broüillerie, ny si bijarres avec qui il ne trouve le moyen de compatir. S’il se rencontre avec une personne transportée de colere, il sçaura si dextrement ceder à la premiere violence de cette passion, qui entraisne tout ce qui luy resiste,

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qu’insensiblement il refroidira cette ardeur aveuglée de vengeance, & petit à petit fera tomber les armes des mains de celuy qui un peu auparavant n’avoit que des pensées de sang & de fureur. Lors au contraire qu’il se trouvera avec ces humeurs coudes & froides, qui ne sortent jamais d’une mesme assiette, & qu’aucune injure n’est capable d’esmouvoir, ou plustost, qui n’osent se mettre en colere, de peur de s’engager en quelque obligation de se vanger ; il n’alleguera jamais que des exemples de sagesse & de moderation d’esprit, & sans faire le poltron par ses discours, sçaura

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si bien faire le prudent, qu’il ne chocquera jamais les sntiments de cleuy dont il desirera gaigner l’affection. Avec un Amoureux il aura beau jeu, car ny ayant gueres de galans hommes à la Cour qui n’ayent esté troublez de cette douce folie, il aura apris par sa propre experience toutes les choses qui plaisent à ceux qui en sont malades. Il descouvrira à tous coups des graces & des beautez nouvelles en la personne aymée, dont peut estre l’Amant mesme ne s’estoit jamais aperceu : Elle n’aura point d’attraits dans l’esprit qu’il ne loüe, ny de si petits traits dans le visage qu’il n’examine avec

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admiration. Et pour rendre sa complaisance parfaitte, il pourra en ce poinctseulement pancher un peu du costé de la flatterie, avec quelque sorte de legitime excuse, & sur tout si la fin en est bonne. Elle n’aura point de defaut qu’il ne desguise par quelque terme d’adoucissement : Si elle a le teint noir il dira qu’elle est brune, & que telle estoit la plus grande partie des Beautés que l’Antiquité a admirées : Si elle a les cheveux roux, il approuvera le goust des Italiens & des autres Nations qui les ayment ainsi, & celuy des Poëtes les plus delicats, & les plus amoureux qui ne vantent jamais

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que les cheveux de cette couleur : Si elle est trop maigre, & trop petite, elle en sera d’autant plus adroitte & plus agile ; Le trop de graisse, ne sera qu’embon-poinct : L’excez en grandeur, passera pour une taille de Reyne & d’Amazone : Et en fin il couvrira châque imperfection du nom de la perfection la plus voisine. La principale chose à quoy il prendra garde, c’est qu’il ne paroisse point de dissimulation en son discours, & que son visage ne démante point sa bouche, n’y ne destruise pas en un moment ce que son esprit aura bien eu de la peine à inventer. C’est bien certes une facheuse con-

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trainte à une ame libre d’estre souvent parmy des humeurs su diferantes & si contraires à la sienne, & quelque habile & complaisant que soit un homme, il est bien dificile qu’à la fin il n’engendre du chagrin à se contrefaire ainsi, & se donner si souvent la torture. Mais aussi lors qu’il se trouvera parmy d’honnestes gens, & qui comme luy auront toutes les parties de la generosité, il se recompensera pleinement de ses mauvaises heures. Là il pourra en toute liberté laisser agir son inclination naturelle, & ouvrir son ame jusques au fonds, sans craindre que ses sentiments soient chocquez :

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Pource qu la vertu estant par tout égale, rend conformes les opinions de tous ceux qui la suivent. O quel plaisir ressent un esprit bien-faict d’en rencontrer d’autres qui l’on de mesme trempe que luy ; & combien toutes les autres joyes sont imparfaites au prix de la sienne, qui est d’autant plus pure & plus douce, qu’il connoist plus clairement que personne, le contentement dont il jouyt, estre le souverain bien de la vie ! Mais il faut sortir de la complaisance pour contrarier ceux qui parlent trop. Veritablement ce defaut est l’un des plus grands de la conversation, & des plus perni-

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cieux de la vie ; comme aussi la puissance de se taire en est l’une des plus utiles sciences. Quinconque n’aura pas ce commandement sur suy, se doit bien empescher de hazarder sa fortune à la Cour. Il semble qu’il n’y ait point de vertu plus aisée à acquerir que celle-cy ; & cependant on peut dire qu’il n’y en a point de plus difficile ny de plus rare. Il se trouve beaucoup plus de personnes vaillantes, plus de liberales, plus de chastes, & plus de moderées en leurs plus violentes passions, qu’il ne s’en voit de celles qui sçavent observer le silence comme il faut. Je ne sçache guere de preuve plus

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evidente de nostre foiblesse, & de nostre imprudence que celle-cy ; de dire que tous les Sages & en tous les siecles ont crié que la langue estoit la plus utile & la plus pernicieuse partie qu ifust en l’homme, selon son bon ou mauvais usage : Tous nous ont enseigné qu’elle n’estoit ainsi liée de tant de chaisnes naturelles, ny environnée de tant d’obstacles & de rampars, que pour nous avertir que la parole comme un precieux tresor y est enfermée, de laquelle la conduite est si delicate, qu’elle ne sçauroit s’escouler abondamment sans un notable danger. Et neantmoins nous voyons presque tout le

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monde en abuser tellement, qu’on peut dire, que quiconque a une langue dans la bouche, porte avec soy son plus cruel & plus redoutable ennemy. On peut bien dire aussi avec verité que ceux qui en aucun temps, ny pour aucune consideration que ce soit, ne peuvent arrester ce débordement de paroles, sont bien ennemis des douceurs de la conversation. Quel supplice insuportable est-ce à une personne, sur tout si elle est seule, & pressee de quelque de dessein, de rencontrer de semblables gens, qui pour rien du monde ne sçauroient lascher un homme, qu’ils ne l’ayent assassiné du

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recit de toutes leurs affaires, & de tous les proces de leurs parens & de leurs voisins ? Dans les compagnies où ils se treuvent il n’y a presque jmais qu’eux qui parlent, ou si quelque personne d’autorité & de bon sens entame un propos serieux, ils ont bien l’effronterie de l’interrompre, pour ne dire que des sottises : Car leur esprit n’ayant pas la force de prendre la suitte d’une raisonnement judicieux, ils ont aussitost recours à leur babil, & font comme ces boiteux, qui estant contraints de monter à cheval, osent bien faire gloire de devancer au galop ceux qu’estans à pied, ils ne pou-

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voient suivre au simple pas. Tousjours ils ont, ou la plus plaisante, ou la plus estrange, ou la plus admirable chose du monde à dire ; & toutesfois ils n’ont jamais que les mesmes pieces à joüer, & encores sont-elles si froides & si vieilles que dés le premier mot ils commancent à blesser l’attention des plus patiens. Leurs contes les plus agreables & les plus à la mode, sont ordinairement, ou de leurs beaux faicts, ou de ceux de feu Monsieur de Biron, ou de quelque autre Capitaine de l’autre siecle : Et lors qu’ils se veulent mesler de dire des nouvelles, ils sont si peu judicieux à choisir les bonnes

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& celles dont on pest cueieux, qu’ils s’amuseront plustost à debiter quelque gazette des choses qui se passent au Mexique, ou à Goa, pource qu’il y a bien loin de nous, qu’ils ne prendront le soin de s’informer du siege de Cazal, ou du progrez que les Hollandois font au Pays-bas, pource que cela n’est qu’à nostre porte. En fin tous leurs discours sont tellement à contre-temps, que les bonnes choses deviennent mauvaises en leur bouche, & les agreables y perdent toute leur grace. Aussi n’y a-il que ceux qui sçavent se taire avec jugement, qui sçachent parler de la mesme sorte. Thersite

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qu’Homere a eu dessein de reprensenter comme le plus impertinent & le plus vicieux qui fust dans tout le camp des Grecs au siege de Troye, ne depeint aucun de ses defauts avec tant de soin, que celuy qu’il avoit d’estre un grand & insupportable causeur ; & luy fait bailler, en un endroit, un coup de sceptre sur les oreilles par le Roy Agamemnon, pour apprendre à se taire à ceux qui n’ont pas apris à parler. Or ceux qui sont possedez de ce Demon parler, ne sont pas seulement importuns à lasser les oreilles de tout le monde de leur fables ridicules, on remarque, outre cela, qu’ils sont

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ordinairement vains, blasphemateurs, medisans, insignes menteurs, & demesurément curieux des secrets d’autruy, pour avoir le plaisir d’en entretenir le premier venu qui les veut escouter. Ce dernier vice est un des plus malins & des plus noirs qui soüillent l’ame des meschans. Je parleray des autres que je viens d’alleguer, lors qu’il en sera temps : Maintenant je ne puis m’empescher de me mettre en colere presque universellement contre tous les hommes, qui sont si peu fidelles, qu’à peine s’en trouve-t’il un, qui le soit assez pour si bien conserver le secret d’autruy, qu’il ne se laisse

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emporter à cette pressante tentation, d’en faire part du moins à un intime & discret Amy. L’exemple de Midas, quoy que fabuleux, prouve plaisamment cette verité. Ce pauvre Roy desirant cacher ses longues oreilles d’Asne, qu’un despit d’Apollon luy avoit fait croistre au lieu des siennes, avoit un soin nompareil de les couvrir avec de grandes tyares de pourpre qu’il portoit ordinairement ; mais il ne peut empescher qu’en fin son Barbier ne les les descouvrist. Cet homme n’osant reveler ce servret à personne de peur de se perdre, ny ne pouvant aussi le taire plus long-temps, par

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cette honteuse foiblesse, qui est naturelle presque à tout le monde : A la fin se sentant vivement pressé, & ne pouvant plus retenir sa langue empeschée d’une chose que toutesfois il ne pouvoit dire, sans mettre sa vie en un danger evidant, il se resolut de s’aller descharger bien loin dans les champs de cet importun fardeau qui luy donnoit tant d’inquietude. Là ayant regardé tout autour de soy, & se trouvant bien seul, il se mit à faire un creux assez profond dans terre : Apres s’estre jetté dedans, & courbé tout contre le fonds de la fosse, il se mit à dire le plus bas qu’il luy fut possible.

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Le Roy Midas a des oreilles d’Asne. S’estant ainsi en quelque façon soulagé, il recouvrit cet endroit là de terre, de peur que le secret ne vinst peut-estre à s’aschapper. Neantmois ne l’ayant pas bien remply, il y reseta un petit espace vuide, où l’eau des pluyes ayant long-temps croupy, il se fit un petit marais, dans lequel par succession de temps il crût quantité de roseaux : Ces roseaux avec leur nourriture attirerent encore petit à petit (dit la Fable) les paroles que le Barbier avoit proferées en ce lieu-là, de sorte qu’au moinde vent qui les venoit agiter, ils ne faisoient autre chose que de

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siffler & resonner entre-eux ces mesmes mots. Le Roy Midas a des oreilles d’Asne. Combien tous le jours se trouve-t’il de personnes de mesme humeur que ce Barbier, à qui on n’a pas si  tost laissé tomber un secret en l’oreille, que comme si c’estoit quelque violent poison, il leur fait soulever le cœur jusques à ce qu’ils l’ayent rejetté ? Il semble, disoit un Ancien, qu’ils ayent la langue percée, & qu’elle ne puisse rien retenir : Tout ce que leur pensée conçoit s’escoule par là, & leur parole imprudente & estourdie, comme un traict tiré tout droit ne haut, retombe aussi-tost sur eux-mesmes,

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que sur les autres. Aussi est-ce l’un des plus grans malheurs de ce vice de tant parler, qu’outre qu’il est ridicule, il est encore ordinairement funeste à ceux qui en ont l’ame, & la langue malades.

Veritablement je ne m’estonne pas si ceux qui sont capables de bien connoistre & de bien gouster cette sorte d’hommes, que par un mot d’excellence on nomme aujourd’huy Honnestes-gens, les caressent, les cherissent, & les admirent comme ils font : Puisque ce sont eux seuls, qui parmy la corruption & les ordures des vices que j’ay repris tout le long de ce discours, &

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parmy un nombre infiny d’autres ausquels je n’ose m’arrester, ou pour leur saleté, ou pour leur bassesse, conservent comme une image entre-eux, de ces pures & innocentes mœurs dont l’on dit qu’estoient composées les delices du Paradis de nos premiers Peres. Mais il s’en rencontre[2] si peu, qu’il ne faudroit pas beaucoup multiplier le nombre du Phenix, pour le rendre égal à celuy de ces admirables personnes. Quelle merveille est-ce de les voir parmy tant d’escueils dont la Cour est toute pleine, maintenant esquiver le chox de quelque pointe de roche, tantost resister à la force de

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quelque vent directement contraire, tantost ceder à la violence des vagues ; & aux mesmes lieux que d’autres n’oseroient aborder sans y perir ; eux passer librement, & sans qu’on s’aperçoive qu’ils ayent couru le moindre danger du monde ? Leur conduitte est accompagnée de tant de prudence, qu’il n’y a gueres de tenebres si obscures qui la puissent faire esgarer ; & particulierement celle de leur langue est si certaine, que jamais elle ne se precipite. Leur jugement la fait tousjours demeurer dans la raison, & sçait retenir la rapidité de son mouvement, avec plus de force

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qu’un digue bien ferme & bien appuyée ne peut arrester l’impetuosité d’une riviere, ou les ravages d’un torrent. Ils ont ployé de si bonne heure leurs ames au bien & les ont tellement acoustumées à fuyr les vices qui gastent la conversation, qu’il semble que naturellement ils exercent toutes les vertus, que les Sages mesmes par la force de leur raisonnement ont beaucoup de peine à pratiquer. Sans estude ils sont civils & courtois, non seulement à servir & respecter ceux qui sont au dessus de leur condition, & à honorer leurs égaux, mais encore jusques à deferer plusieurs

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choses à ceux qui leur sont inferieurs : Et ces choses leur reüssissent avec d’autant plus d’aprobation, qu’ils les font sans art & sans aucune contrainte. Leur accez est si facile & si agreable, qu’il n’y a personne qui n’en desire la communication, & lors qu’on les a hantez, on trouve en leur esprit tant de douceur, en leur ame tant de probité, & en leurs discours tant de bon sens, que ceux-là s’estiment heureux qui peuvent consommer leur vie entiere en leur compagnie. Si l’on parle à eux, ils sont attentifs sans jamais interrompre, & lors qu’il est temps de respondre, ils le  font avec ordre

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et jugement. Si les propositions que l’o nfait devant eux sont si peu raisonnables qu’ils ne les doivent pas souffrir, ils en font voir les absurditez avec tant d’adoucissements & de modestie, que l’on se sent plus obligé d’en estre repris, que si l’on avoit l’aprobation de quantité d’autres. Rarement voit-on qu’ils se faschent, ou se sentent seulement chocquez des sottises & des legeretez qui se font en leur presence : Car ils ont acoustume leur goût à ne se rebutter point de tout ce qui ne luy est pas agreable. Aussi connoissans, comme ils font, l’infinie diversité de formes dont l’esprit de

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l’homme est capable, il n’y a point d’opinions si ridicules, ny si contraires à leur sens qui les blessent ; nonplus qu’ils n’en ont aucune qui leur semble assez raisonnable, pour merite qu’ils en dviennent amourux, & qu’ils s’opiniastrent à la soustenir. Ce qu’ils sçavent, ils ne le jettent pas indifferemment en toutes occasions, & s’ils n’ont lieu de parler fort à propos dans les compagnies, il aymeront mieux avoir demeuré toute une journée sans rien dire, que d’avoir dit les plus belles choses du monde à contre-temps. Encore en celles qu’ils disent, quelque solidité qu’ils y sentent, ja-

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mais ils ne les prononcent avec autorité, ny d’un accent qui tesmoigne quelque satisfaction de leur esprit ; mais avec tous les temperamens qui peuvent adoucir[3] ce ton imperieux, é lever tout soupçon de suffisance ; Jamais on ne les entend parler de leurs predecesseurs, ny d’eux-mesmes ; ils sçavent bien que ce sont discours, qui ne plaisent volontiers qu’à ceux qui les font, & qu’il n’y en a gueres de si modestes qui ne semblent avoir quelque teinture de vanité ; Et de faict à qui croiroit-on parlant de soy-mesme dans une saison si gastée, dit un excellent Philosophe des derniers siecles, puis

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qu’il en est si peu à qui l’on puisse croire en parlant d’autruy, où il y a beaucoup moins d’interest à demesler ? Dans leurs jeux mesmes & leurs entreiens les moins serieux, on remarque tousjours des traicts d’esprit, & des effects d’un excellent jugement. Lors qu’ils veulent se mesler de faire des contes, ils n’en font point que de plaisans : Jamais on n’est en peine de chercher où est le mot pour rire, & sont si nouveaux, ou leur sont si particuliers, que jamais ceux qui les entendent nesont en peine d’en voir la fin, pour en avoir des-jà eu les oreilles battuës. Une de leurs vertus que j’ay-

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me & estime le plus, c’est qu’ils sont tousjours veritables en ce qu’ils disent, comme ils sont religieux à tenir ce qu’ils promettent. Le mensonge leur semble un crime aussi noir qu’un assassinat, & n’en estiment point de plus servile ny de plus indigne d’un homme d’honneur que celuy-là : Si ce n’est peut-estre cette espece de parjures, qui apres avoir engagé leur foy de garder le secret d’un amy, ou d’une autre personne, sans considerer qu’ils violent tout droit divin & humain, osent bien le reveler, & quelquefois le vendre, à la ruine entiere de celuy de qui ils l’on receu. Un hardy esprit dit que

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cette sorte de perfidie est en certain sens plus odieuse, & plus execrable que l’Ateisme : Car l’Ateiste qui ne croit point d Dieu, ne luy fait pas tant d’injure, ne concevant point qu’il y en ait, que celuy qui le sçait, le croit & parjure sont sainct Nom par mocquerie. Or c’est bien un moindre mal mescroire Dieu, que de s’en mocquer, & ceux-là s’en mocquent evidemment, qui ne le jurent que pour tromper. Mais l’horreur d ce vice ne sçauroit estre plus honteusement dépainte qu’elle a esté par un Ancien, qui dit, que de violer sa foy, c’est tesmoigner que l’on mesprise Dieu, & que

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l’on craint les hommes : Et se peut-il rien imaginer de plus abominable, que de faire le poltron envers les hommes, & de vouloir monstrer que l’on est hardy contre Dieu. L’inconvenient notable qui vient en suitte de ce premier desreiglement, est que nostre intelligence se conduisant par la seule voye de la parole, celuy qui la fausse trahit la societé publique. C’est le seul moyen par lequel se communiquent nos pensées & nos volontes, s’il vient à nous manquer nous ne tenons plus les uns aux autres, ny ne nous entreconnoissons plus : S’il nous trompe, il trouble tout nostre commerce,

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& dissout toutes les liaisons de nostre police : Et enfin ce n’est plus qu’un infame, & sordide trafic de malice que cette conversation de laquelle nous traittons maintenant. Mais pour continuer d’en traitter, il est temps de passer à cette partie de l’entretien, qui considere la raillerie & les bons mots.

La Raillerie est une espece de discours un peu plus libre que l’ordinaire, & qui a quelque chose de picquant meslé parmy, dont[4] l’usage est commun entre les plus galants, & n’est pas mesme aujourd’huy banny d’entre les plus intimes Amis de la Cour. Si cet usage

 

[1] esbblouy

[2] recontre

[3] Les deux derniers mots soudés.

[4] d’ont

1630-L’honneste-homme (Nicolas Faret) (201-250)

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est raisonnable ou non, c’est une question assez épineuse ce me semble, & assez importante dans nostre subject, pour meriter que je m’arreste un peu à l’examiner. Il est bien vray que la Raillerie, lors qu’elle peut se contenir dans une honneste reigle, est un doux aliment de la conversation ; laquelle deviendroit à la fin bien froide, & mesmes ennuyante, sans ces agreables intermedes de petites contrarietez dont elle la diversifie, qui la resveillent, & la rescchauffent, ce semble, pour luy donner une nouvelle vigueur, & de nouvelles graces. La plus part des esprits cherchent plu-

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stost ce qui les divertit avec quelque sorte d joye, que ce qui les occupe serieusement : Et comme naturellement ce qui provocque à rire plaist, ils se rebutent aisément des compagnies qui n’ont qu’un entretien tousjours égal, pour suivre celles où ils treuvent de ces amusemens. Cecy se remarque particulierement parmy un certain nombre de personnes qui s’endorment dans l’oisiveté de Paris, & parmy la jeunesse de la Cour : Car si cet exercice ne tenoit leurs esprits en haleine, & ne les resveilloit de temps en temps, il y auroit danger qu’ils ne tombassent à la fin dans un assoupissement

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letargique. Aussi est-ce proprement en de semblables compagnies que cette sorte d’entretien est en regne : Si bien qu’il semble que d’honnestes gens venant à se rencontrer parmy eux, s’aquiteroient fort mal de leur devoir, & manqueroient bien de vivacité, s’ils ne l’employaient à s’entrepiccoter de petites railleries, qui ne sont jamais si douces au commencement, qu’à la fin elles ne laissent quelque pointe d’aigreur dans l’ame, qui ne s’en arrache pas tousjours facilement. De tous les Railleurs que j’ay jamais veux, je n’en ay point remarqué de si modestes, qu s’ils sont allez seu-

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lement jusques à la deuxiesme repartie, il ne soit eschappé au tenant ou à l’assaillant quelque parole, qui avoit je ne sçay qyelle teinture de colere ou du moins de dépit. Et quoy qu’ils dissimulent leur ressentiement, il est d’autant plus grand, qu’il n’y a que la vanité qui le suprime : Car il semble que ce soit une loy de ce jeu, afin que la liberté de mordre jusqu’au vif soit plus insolente, que le premier qui se fasche perd la partie. Quoy qu’il en soit, celuy qui a eu la plus froide replique, n’a pas seulement la honte de se voir vaincu en une chose en quoy l’on cede rarement, qui est l’esprit, mais

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outre cela, il luy reste presque tousjours dans l’ame l’amertume des railleries dont son adversaire l’a pressé. Là-dessus je laisse à juger lequel est le plus raisonnable & le plus seur à quiconque veut plaire, de n’en user point du tout, ou de vouloir fairele Railleur, au hazard de perdre à châque fois un amy, ou se faire un ennemy.

Les bons mots ne sont pas si dangereux, pourveu que l’imagination qui les conçoit, consulte le jugement un peu devant que de les laisser sortir : Et ils ont eminemment cela de particulier, qu’ils ne plaisent pas seulement à ceux qui

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les escoutent, comme font toutes les choses bonnes, mais encore font regarder celuy qui les dit avec une extraordinaire admiration. Il semble que ceux qui ont ce don de rencontrer ainsi sur plusieurs sujets, ayent quelque chose de divin, ou quelque genie particulier qui esleve à tos coups leur ame au dessus de la matiere. Et certes quoy qu’il y ait quelquesfois de l’heur, & que la fortune se mesle jusques dans cette sorte de jeu, qu’on diroit estre tout à fait exempte de sa jurisdiction : Si est-ce que presque tousjours on voit ceux qui ont grace à s’en servir, estre ornez en mesme

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temps de plus rares qualitez de l’esprit. Il n’y a gueres de grands personnages dans l’Antiquité dont il ne nous reste aujourd’huy des apophtegmes, & nostre siecle en peut produire quelques-uns, qui outre cette faculté de l’imagination, ont encores les autres parties de l’ame d’un si parfait temperament, qu’on les a juges capables de toutes sortes d’emplois les plus difficiles : Les uns dans les armées, les autres dans les negociations estrangeres, & generalement dans les plus importantes affaires de l’Estat. Or pour se servir agreablement d’une chose si

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rare, comme sont les bons mots, il faut observer des reigles, & se retenir dans plusieurs considerations, sans lesquelles il perdent souvent toute leur grace. Il faut regarder qui nous sommes, quel rang tient celuy que nous voulons picquer, de quelle nature est la chose sur laquelle nous voulons exercer nostre esprit, en quelle occasion c’est, en quelle compagnie, & en fin quelle est la chose que nous voulons dire, & si l’on peut esperer avec aparence qu’elle doive passer pour bon mot. Quelque excellence & quelque beauté que l’on admire en cette sorte de propos, si est-ce

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qu’il n’est pas de l’Honneste-Homme, de faire jmais de contes ny de rencontres sur aucun sujet, tant agreable soit-il, dont la grace ne se puisse exprimer sans grimaces & gestes ridicules. La moindre action où il y a quelque air de bouffonnerie qu’il doit joüer, & comme il faut qu’il ait soin de diversifier son entretien par ces agreables subtilitez, il doit de mesme estre curieux que[1] l’on ne croye pas qu’il les affecte : C’est pourquoy toutes les fois qu’il se sentira de ces traits aigus sur le bout de la langue, il ne les laissera pas tousjours eschapper ; mais ay-

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mera souvent mieux les perdre, que de diminuer quelque chose de son authorité, ou de la bien seance ; Il observera particulierement de n’attaquer jamais de ses brocards les miserables, ny les meschans : Pource que l’inclinatio naturelle qu’ont presque tous les hommes à se laisser toucher de pitié des pressantes calamitez dont ils voyent ces malheureuses gens affligez, empesche que l’on ne puisse rire d’eux ; Et les meschans meritent un chastiment plus rude que celuy des simples paroles. Il n’y a que les glorieux que l’on n’espargne point dans l’estat mesme le plus deplorable

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où ils sçauroient tomber ; tant la presomption est odieuse sous quelque habit qu’elle se cache. Les personnes qu’il faut biensoigneusement espargner, sont celles qui ont la voix publique, & qui sont generalement aymées de tout le monde, à cause qu’il peut arriver telle fois qu’en les pensant chocquer de tquelque mot de raillerie, on trouve moins d’aprobateurs, que de ceux qui par une secrette indignation prennent part au ressentiment de cette picqure. Il faut bien aussi considerer de ne blasser jamais de semblables[2] atteintes les grandes Puissances, qui donnent l’ordre & le mouvement

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à l’Estat ; ny les personnes d’eminente condition : car l’un est capital, & l’autre n’est gueres moins dangereux. Aussi n’y a-il rien qui offense si outrageusement le ressentiment de cette sorte de gens- là, qui ont l’ame delicate & tendre aux moindres injures, comme fait le mespris, dont il semble que les plus modestes railleries ayent quelque meslange. On ne doit pas mesme en leur presence tourner en risée les vices d’un tiers, ausquels eux sont sujects ; d’autant qu’ils s’imaginent aussi-tost que ce sont de sourdes reproches, qui ne sont tirées contre un autre que pour les frapper eux-mes-

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mes. Il ne faut je m’asseure avertir qui que ce soit, de ne faire jamais le plaisant des defauts qu’il a luy-mesme. Quant à nos amis, ils nous doivent estre des personnes trop sacrées pour oser les violer d’aucune, parole mordante : Et faut estre bien rustique, & plus brutal que les Ours, pour ne traitter pas les honnestes femmes avec la mesme reverence, & pour ne s’abstenir pas, non seulement contre elles, mais encore devant elles, de ne lascher aucun mot, ny aucune pensée dont le sens se puisse destourner à quelque sale interpretation. Or l’excellence des bons mots consiste principalement à estre

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courts, aigus, clairs, proferez avec grace, & si à propos qu’ils ne sentent pas l’odeur de l’estude, ny qu’on les ait aportez de la maison : Et c’est la cause pour laquelle ceux qui repliquent sont plus estimez que ceux qui attaquent, car ils sont moins soupçonnez d’avoir esté preparez. Quant aux diverses sortes qu’il y en a, c’est une matiere un peu espineuse, & que je traitteray peut-estre un jour à plein, aussi bien que des lieux d’où ils se peuvent tirer. Mais à cette heure elle est trop l’ongue pour le peu que j’ay pris d’estneduë & de liberté en ce discours. Je n’en allegueray nonplus aucuns exemples,

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pource que les anciens sont communs, & ceux de nostre temps, pour ne perdre rien de leur grace voudroient que l’on nommast presque tousjours des personnes qu’il faut respecter.

Il reste maintenant à considerer la difference des âges, des mœurs, & des conditions de la fortune, qui se treuvent parmy un si grand nombre d’hmmes, en la conversation desquels les diverses rencontres nous jettent : L’on s’entretien autrement avec les jeunes gens, qu’avec les vieillards, & les discours qui sont agreables aux uns, & aux autres ne conviennent gueres à

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ceux en qui l’âge a temperé les vices de ces ceux extremitez : De mesme, on ne vit pas d’un air tout semblable avec les bons, qu’avec les meschans, s’il avient que l’on soit contraint de se treuver parmy eux : Ny avec ceux qui nous sont familiers, comme avec d’autres qui ne nous sont qu’à peines conneus : Ny avec les personnes qui ayment la joye, comme avec celles qui sont melancholiques, & severes : Ny encores avec le glorieux, de mesme sorte qu’avec ceux qui sont civils & honnestes. Parmy cette confusion d’humeurs si contraires les unes aux autres, il faut certes un jugement

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bien net, pour s’en desmesler de bonne grace ; mais il en faut un bien penetrant, pour discerner ceux qui sont interessez, d’avec ceux qui ne le sont point, sans s’y tromper. Ceux qui sont nais Gentilshommes, & avec toutes les qualitez qui doivent accompagner la Noblesse, recherchent principalement les hcoses d’honneur. Et ceux qui n’on rien de plus recommandable que leurs richesses, sont bien aises que l’on admire leur opulence. Les personnes constituées aux grandes charges, veulent d’extraordinaires soumissions, & generalement tous ceux qui sont heureux, sont volontiers

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imperieux, & desirent que l’on flechisse devant leur bonne fortune. Un Honneste-homme, parmy toutes ces sortes de conditions, juge de ce que la sienne luy peut permettre honnestement, & sçait relascher & retenir de sa courtoisie autant qu’il est necessaire, pour ne faire rien d’indigne du personnage qu’il represente. Son jugement est si propre à trouver par tout des temperaments, que sans jmais estre flatteur, & mesme sans abuser de sa complaisance, il ne laisse pas d’observer cette raigle d’Epictete, qui conseille de ceder sans resistance aux opinions & aux volontez des Grands,

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de consentir autant qu’il se peut à celles de nos égaux, & de persuader avec douceur ceux qui sont au dessous de nous. A ces trois macimes j’ajouste pour dernier & general precepte, que jamais il n’entreprenne d’entretenir personne pour luy plaire, qu’il n’ayt premierement bien consideré son humeur, ses inclinations, & de quelle trempe il a l’esprit ; afin de naller point plus bas, ny plus haut qu’il ne faut ; mais de l’accompagner de si prés, que tous ses discours s’ajustent à sa portée. Que s’il se rencontre avec d’aussi habiles gens que je presupose qu’il est, je ne luy recommande-

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qu’une ferme attention à ce qui se dit devant luy, & à ce qu’il dit luy-mesme, afin que non seulement il fasse ses responses à propos, mais encore qu’il les rende agreables, & puisse attacher son imagination à les orner de toues les graces du langage, & de l’action exterieure.

Maintenant apres avoir traité de l’entretien du Prince, & de la conversation des Egaux, il reste à parler de celle des Femmes, de laquelle on peut dire, que comme elle est la plus douce & la plus agreable, elle est aussi la plus difficile & la plus delicate de toutes les autres. Celle des hommes est

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plus vigoureuse & plus libre, & pource qu’elle est ordinairement remplie de matieres plus solides & plus serieuses, ils prennent moins garde aux fautes qui s’y commettent que les femmes, qui ayant l’esprit plus prompt, & ne l’ayant pas chargé de tant de choses qu’eux, s’aperçoivent aussi plustost de ces petits manquements, & sont plus prontes à les relever. Il n’y a point de lieu où cette sorte de conversaton se voye avec tant d’esclat & d’appareil que dans le Louvre ; lors que les Reynes tiennent le Cercle, ou plustost qu’elles estallent comme un abregé de tout ce que l’on a jamais vanté

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de merveilles & de perfections dans le mode. Quiconque a leu dans les Poëtes la magnificence de ces celebres assemblées qui se faisoient dans le Ciel, lors que Junon envoyoit appeler toutes les Deesses, pour assister à la pompe de quelque resjouyssance extraordinaire : Ou bien quiconque a pris plaisir à considerer, dans une Nuict bien sereine, la Lune entre un million d’Estoilles briller d’une splendeur si vive & si nette, & respandre une luëur si claire, qu’il semble que toutes ces Estoilles qui l’accompagnent soyent autant de ses rayons qu’elle va semant, ou plustost ne soient qu’autant

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d’étincelles de son feu qu’elle laisse tomber dans le Ciel : Clluy-là se peut figurer, au moins imparfaitement, l’abord de tant d’illustres & belles Dames devant les REynes, à qui elles viennent comme rendre hommage de tout ce qu’elles ont de plus charmant & de plus admirable. A n’en point mentir, lors que l’on se trouve devant ces grandes lumires, il n’y a guere de cœur si peu hardy, qui ne se sente secrettement tenté du desir de se rendre assez Honneste-homme, pour meriter l’honneur d’en aprocher & d’en estre regard& comme d’Astres favorables, qui font nos inclinations

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& nos fortunes heureuses par la seule bonté de leurs aspects. Tout à l’entour de ce divin Cercle, dans lequel on peut dire que se trouve le vray centre de toutes les perfections de l’esprit & du corps, on voit les autres Dames, comme de moindres clartez, reluire en une sphere inferieure à cette premiere qui donne l’ame & le mouvement à toutes les autres. Non loin de là, comme en un Ciel à part, parait une troupe de jeunes Nymphes, qui comme des feux errants, prennent en liberté telle place que bon leur semble dans ce magnifique pourpris : Et pendant que les Reynes estalent

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leur gloire sur leurs trônes à tous les yeux de la Cour, ces belles Filles, ou plustost ces jeunes Soleils, d’un autre costé, font admirer leur éclat, & soumettent à leur empire jusques aux plus hautes & plus indomptables libertez de la Terre. C’est bien là sans doute le grand Theatre de la conversation des femmes ; mais l’estrange confusion de monde qui s’y voit, sur tout à ces magnifiques heures du soir, est si importune, que les meilleurs entretiens s’en ressentent. Une bonne compagnie n’est pas si-tost formée, qu’incontinent elle ne soit soüillée de l’abord de quelque fascheux, ou que

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la douceur n’en soit troublée par la presence de quelque personne de grande condition, ou tout à fait gesnée par le voisinage de quelques espoins de Cour, qui ont des oreiles mercenaires, & ne s’en servent que comme les Medecins font des sangsuës. Si bien qu’en ce lieu-là c’est plustost par hazard, ou par force, que par choix, que l’on s’engage dans la conversation : & l’on est bien souvent contraint de s’arrester à telle personne, dont hors de là l’on fuyroit la rencontre comme d’un pestiferé. Il faut donc descendre à la ville, & regarder qui sont celles d’entre les Dames de condition

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que l’on estime les plus honnestes Femmes, & chez qui se font les plus belles assemblées, & s’il se peut se mettre dans leur intrigue ; afin qu’elles s’interessent à nous rendre de bons offices aupres des tous ceux qui les visitent. Icy je me suis reservé à parler de quelques menus preceptes, qui en aparence semblent estre plus propres à s’excercer parmy elles, qu’entre les hommes : comme aussi la pluspart de ceux que j’ay cy-devant examinez, entrent en pratique à tous propos parmy les femmes. Aussi faut-il avoüer qu’ils tiennent les uns aux autres de si pres, qu’ils vont presque tousjours

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ensemble, & s’en fait un parfait enchaisnement comme des sciences & des vertus.

Le premier soit que doit avoir celuy qui veut hanter les cabinets & les reduits, & se jettere dans l’entretien des femmes, c’est de rendre sa presence agreable. Car la premiere chose qu’elles considerent en un homme, c’est la mine & l’action exterieure, que Ciceron nomme l’Eloquence du Corps. Il ne la divise qu’en deux parties, le geste, & la voix : Mais au sujet que nous traitons il faut encore ajouster l’habit & la composition du Corps mesme qui doit estre d’une structure bien formée

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& bien proportionnée, ou du moins qui n’ait rien qui d’abord rebute les yeux de ceux qui le regardent. Pour les vestemens, il vaut mieux estre propre que paré, & toutes celles qui ont bon goust, ayment mieux voir ceux qui sont nettement, que ceux qui ne sont que richement couverts. Neantmoins le plus que l’on y peut mettre sans s’incommoder est le meilleur, & c’est une des plus utiles despenses qui se fassent à la Cour. C’est presque la seule sui suit par tout ceux qui sçavent s’en servir, & leur ouvre des portes qui bien souvent sont fermées à la grande condition, & encore plus

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souvent à la vertu. Pour estre bien, il ne faut rien porter de particulier ny d’extravagant, & faut que les habits soient assortis & bien entendus. Quantité de femmes jugent de l’esprit des hommes, par leur façon de s’habiller, & ne peuvent s’imaginer qu’ils soient bijarres en la forme de leur chapeau, ou de leur pourpoint, & qu’ils ne le soient pas en leurs humeurs. L’âge encore se considere en ce poinct : Car un vieillard seroit ridicule dans un manteau de velours nacarat ou grisdelin, & un jjeune homme n’auroit gueres bonne grace d’estre tousjours couvert de noir, ou d’autres

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couleurs obscures. Sour toutes choses il faut estre curieux de la mode : Je n’entens pas celle de quelques estourdis d’entre les Jeunes)gens de la Cour, qui pour faire bien les determinez s’abisment tantost la moitié de la taille dans de grosses bottes, tantost se plongent depuis sous les aisselles jusques aux talons dans leurs haut-de-chausses, & tantost se noyent toute la forme du visage dans des borts de chapeau aussi larges que des parasols d’Italie. Mais j’entends cette mode, qui estant authorisée par les plus aprouvez d’entre les Grands & les Honnestes gens, sert comme de loy à tous les

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autres. Je treuve ceux-là fantasques, qui s’opiniastrent à contrarier les usages receux en quoy que ce soit, mais principalement en une chose si indiferente comme sont les habits. Qu’un Honneste-homme se garde bien de tomber en un tel caprice ; comme aussi de vouloir faire l’original à inventer de nouvelles facons, s’il ne se sent bien capable d’y reüssir. Comme que ce soit, il doit bien s’empescher que l’on ne remarque trop de soin en sa propreté ; & en effect, un homme trop ajusté est plus mal, qu’un autre trop negligé. Cette sorte d’estude n’est bienseante qu’entre les femmes, &

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un homme n’est jamais beau, que los qu’il ne croit point l’estre. Pouveau qu’il soit nettement, il n’importe qu’il soit si pompeux. C’est assez qu’il ait tousjours de beau linge et bien blanc ; qu’il soit bien chaussé ; que ses habits, s’ils ne sont riches, du moins ne soient ny vieux, ny sales ; que son chapeau soit neuf, & de la nouvelle forme ; qu’il ait tousjours la teste deseichée & les cheveux bien-faits comme on les porte, qu’il tienne sa barbe ajustée avec soi, à cause de l’incommodité qu’autrement il en recevroit à parler & à manger : & particulierement qu’il ait tousjours les dents &

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la bouche si nettes, qu jamais il ne puisse incommoder de son haleine cux qu’il entretient. Un art plus estudié sert moins qu’il ne neut, & l’on voit souvent tel paraistre plus agreable aux yeux d’une troupe de Dames, tout halé qu’il est, & tout couvert de sueur & de poussiere au retour de la guerre ou de la chasse, que ces hommes de cire, qui n’osent jamais se monstrer au Soleil, n s’approcher trop pres du feu, de peur de se fondre.

L’action, qui est une partie de la division de cette eloquence du corps dont nous avons parlé, se doit aussi grandement considerer, estant comme elle

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est, l’ame de tous les discours que nous faisons. En effect nos paroles languissent si elles n’en sont secouruës, & l’on voit plusieurs personnes en la bouche de qui les plus belles choses semblent estre mortes, ou du moins sont si froides qu’elles ne touchent point ; & d’autres sçavent animer les moindres de tant de grace, qu’elles delectent tous ceux qui les entendent. Mais afin de vaincre deux sens tout à la fois, & d’assieger également les esprits par les yeux & par les oreilles, il faut prendre garde fort exactement que le ton de la voix n’ayt rien ny de rude, ny d’aigre, ny de confus, ny de trop

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éclatant, ny de trop foible : Au contraire, qu’il soit doux, clair, distinct, plein, & net, en sorte qu’il penetre facilement jusques dans l’ame, sans trouver aucune resistance à l’entrée.

La Contenance est encore une partie de l’action exterieure, par laquelle on se peut rendre agreable. Elle consiste en une juste situation de tout le corps, de laquelle se forme cette bonne mine que les femmes loüent tant aux hommes : Mais elle reçoit toute sa perfection des mouvements du visage, qui doit estre tousjours serain, riant & acceuïllant tout le monde avec douceur & courtoisie. Et certes on peu dire

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que c’est l visage qui domine au maintien exterieur, puis que c’est luy qui prie, qui menace, qui flatte, qui tesmoigne nos joyes & nos tristesses, & dans lequel on lit nos pensées, devant que nostre langue ait eu le temps de les exprimer. Les yeux sur tout font bien cet office de la parole ; & c’est par eux que nostre ame s’escoule bien souvent hors de nous, & qu’elle se monstre toute nuë à ceux qui la veillent pour luy desrober son s ecret. Les mains sont encore forteloquentes ; & c’est elles proprement qui font les gestes dont on se sert pour enflammer l’action, lesquels toutesfois doivent estre

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fort moderez. Les autres parties aydent bien ceux qui parlent ; mais on peut dire en quelque façon des mains qu’elles parlent elles-mesmes. Car c’est par elles, presque qu’aussi souvent qu’avecques la langue, que l’on demande, que l’on promet, que l’on appelle, que l’on renvoye, que l’on interroge, que l’on nie : Et enfin que l’on exprime un si grand nombre de choses differentes, qu’en cette estrange diversité de langages de tant de Nations, dont la terre est habitée, il semble que la nature ait reservé celuy des mains tout seul, pour le rendre commun entre tous les hommes.

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En suitte de tous ces soins que l’on met à rendre l’exterieur agreable, le premier & principal precepte que doit observer celuy qui veut plaire aux femmes, c’est de les honorer avec tous les respects, & toutes les soumissions qui luy sont possibles & convenables. C’est un effect de leur foiblesse d’estre df’une humeur imperieuse comme elles sont, & leur semble qu’en usurpant cette authorité qu’elles prennent sur les hommes, elles reparent en quelque façon le defaut naturel de leur peu de force. C’est pourquoy l’on voit que toutes les actions qui leur tesmoignent de l’obeissan-

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ce, & du respect leur sont si agreables ; & que ceux-là sont ordinairement le mieux en leurs bonnes graces, qui sçavent soumettre devant elles. Qui pourroit, ne devroit jamais aporter en ce trafic que de ces paroles de soye dont on entretient les Roys ; Et tous ceux qui, comme l’on dit, ne sçauroient jamais parler qu’à cheval, devroient passer leur chemin pour aller à la guerre, sans s’arrester aupres des femmes. Ce sexe est trop doux & trop paisible pour pouvoir souffrir des rudesses & des querelles Tout ce qui est tant soit peu farouche l’espouvante, &

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la moindre chose qui le contrarie le rebutte. Les plus habiles mesmes d’entre elles ont l’esprit tendre à se picquer des plus petites contestations qui s’oposent à leurs sentiments, & qui chocquent leur esprit ; Si bien que ceux qui n’ont nulle contrainte à ceder facilement à leurs colontez & à leurs opinions, ne sçauroient jamais estre mal avec elles, ny manque d’en estre estimez. En fin c’est icy que toutes les reigles de la plus delicate complaisance se doivent mettre en pratique, & que les plus humbles soumissions sont de bonne grace à qui que ce soit. Et certes ce n’est pas seulement

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pour les raisons que l’on allegue d’ordinaire, que les femmes sont honorées comme elles sont des honnestes gens : Car si ce n’estoit, comme l’on dict, que pour le plaisir que l’on reçoit avec elles que l’on leur defere tant, les brutaux seroient ceux qui en feroient le plus d’estant. Si ce n’estoit aussi qu’en consideration de ce qu’elles conservent nostre espece, il n’y auroit gueres que les Philosophes, & ceux qui meditent sur les principes, & les causes universelles des choses qui les estimeroient. Ou bien encore si ce n’estoit que pour reconnoistre la peine qu’elles ont de nous porter

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neuf mois dans leur ventre, de nous mettre au jour, de nous nourrir, & de supporter les defauts de nostre enfance, & quelquesfois detous nos âges, il semble que nous ne devrions ces hommages que nous rendons à tout leur sexe, qu’à nos meres particulierement. Mais c’est leur vertu propre que nous respectons ; laquelle a dautant plus de charmes pour se faire admirer, qu’elle est accompagnée des Graces, & comme esclairée des rayons de la Beauté ; En effect elle n’est en rien differente de celle des hommes ; Et Plutarque a raison de s’opiniastrer à soustenir qu’elle est

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toute la mesme ; & de le prouver, comme il fait, par un grand nombre d’exemples, où il semble qu’il vueille mettre en comparaison les plus haites actions des hommes, avec celles des femmes, & conferer leurs vies comme des trableaux copiez d’une mesme main sur un mesme original. Et apres tout, si la magnificence (dit il) de la Reyne Semiramis est aussi éclatante que celle du Roy Sesostris ; Si la prudence de Tanaquille n’est pas moindre que celle du Roy Servius ; Si POrcie esgale la force du courage de Brutus ; Ou si celle de Timoclée en cede point à la magnanimité de Pelopidas ;

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pourquoy ne les reverera-t’on pas de mesme sorte, & ne les recompensera-t’on pas de mesme loüanges ? Que s’il s’y rencontre quelque diference, ce n’est pas en la nature de la Vertu, mais en celle des personnes qui l’exercent, qui n’estans pas de mesme humeur, la pratiquent aussi de diverse façon. Achille estoit vaillant d’une sorte, & ajax d’une autre ; La prudence d’Ulisse n’estoit pas semblable à celle de Nestor, & Caton n’estoit pas juste comme l’estoit Agesilaüs. Irene aussi naymoit pas son mary de la mesme sorte qu’Alcestis aymoit le sien ; Ny Cornelie n’estoit pas genereuse du mesme

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air que l’estoit Olimpie : Cecy ne conclud pas pourtant qu’il y ait ny plusieurs valeurs, ny plusieurs prudences, ny plusieurs justices, ny que chacune de ces vertus se puisse multiplier en diferentes especes : Mais on peut bien tirer de tout ce que nous venons de dire, que la generosité des femmes est la mesme que celle des hommes, & que la diference de leurs seces n’en fait aucun de leurs vertus. A cela il faut ajouster, que sans elles les plus belles Cours du monde demeureroient tristes & languissantes, sans ornement, sans splendeur, sans joye, & sans aucune sorte de galanterie ; Et faut

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avoüer que c’est leurs seule presence qui resveille les esprits, & picque la generosité de tous ceux qui en ont quelques sentiments. Cela estant veritable, comme certainement il est, quels hommes assez stupides pourroient refuser des respects & des honneurs à celles qui leur donnent de la gloire, ou du moins qui leur inspirent le desir d’en acquerir ? Or ces respects consistent en une certaine expression d’humilité, & de reverence par gestes, ou par paroles, qui tesmoignent une extraordinaire estime que nous faisons des personnes envers qui nous en usons. Ils s’expriment encore par les actions,

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& il y a mille petites soins, & mille petites services à rendre aux femmes, qui estans rendus à temps, & souvent reiterez, font à la fin sur leurs esprits de plus fortes impressions, que les plus importants mesmes, dont les occasions ne s’offrent que rarement. Ceux qui sont amoureux n’ont que faire icy de mes preceptes, puis qu’ils n’ont desja que trop de precieux maistres en cest art, & ne sont que trop inventifs d’eux-memes à cultiver leur folie. Mais combien est à plaindre une honneste-femme, de qui la beauté a eu le malheur de faire naistre cette passion dans une ame mal composée, &

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d’indiscretion & de vanité, qui sont aujourd’huy les deux grandes pestes dont la jeunesse de la Cour est infectée. Les yeux des Basilics sont moins mortels & moins à craindre à la vie des hommes, que les regardes des hommes vains ou indiscrets ne sont à redouter à l’honneur des honnestes femmes. Ce que j’y voy de plus perniceieux, c’est que les plus chastes sont celles qui quelques-fois sont le plustost perduës par cette deplorable voye. Car la reputation ne consistant, comme elle faict, qu’en l’opinion, qui se torurne facilement de bonne en mauvaise, & estant le propre des

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esprits vains, de s’attaquer tousjours aux choses les plus relevées : Dés qu’une belle femme & qui est en estime destre vertueuse, a laissé tomber, & peut-estre en resvant, ses yeux sur eux ils s’imaginent qu’il y iroit du leur, de ne faire pas croire à tout le monde qu’ils en reçoivent de bien particulieres faveurs. Ainsi faisant de leurs chimeres une espece de jouyssance ; pour persuader ce qui n’est point, ils employent tant d’artifices, que les moins credules, & les moins susceptibles d’impressions scandaleuses, sont bien souvent comme contraints de concevoir de mauvaises doutes. Ceux

 

[1] Mot dupliqué.

[2] femblables.

1630-L’honneste-homme (Nicolas Faret) (251-280)

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qui sont de cette humeur, à perdre ainsi les femmes, sont bien perdus eux-mesmes auprés d’elles, & ne faut pas qu’ils en esperent jamais que des mespris, quand mesmes d’ailleurs ils auroient toutes les plus aymables qualitez que l’on se sçauroit imaginer. Ils ont plusieurs autres defauts, dont quelques-uns sont veritablement moins malicieux & de moindre consequence que ceux dont nous venons de parler, mais qui ne les esloignent pas moins des bonnes graces de cet agreable sexe. Generalement tous les vices deplaisent à celles qui ayment la Vertu ; mais particuliere-

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ment elles ne sçauroient souffrir ny les mesdisans, ny les blasphemateurs, ny les opinistres, ny les resveurs, ny les suffisants ; ny comme que ce soit aucunede ces imperfections qui tesmoignent de la rudesse d’esprit. Aussi à dire le vray, que doivent-elles attendre des mesdisants, que des calomnies, & un traittement d’autant plus rigoureux que leur vertu sera plus éclatante ? Et quels respects sçauroient-elles esperer de ceux qui mesprisants le Ciel mesme, osent bien à tous propos, par des jurements execrables, violer l’honneur du sacré Nom de Dieu, & profaner la gloire de

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cette sainte, pure & admirable Essence ? Que si elles ayment la douceur de l’entretien &, les humeurs gayes & divertissantes, comme certainement elles font, que peuvent-elles trouver dans les esprits opiniastres & resveurs, que des contrarietez, & de la melancholie, qui leur sont si odieuses & si difficiles à suporter ? Elles ne souffrent pas plus volontiers l’orgueil de ces ames enflées de presomption,& de fausse gloire, qui n’ont jamais la bouche ouverte qu’à leurs propres loüanges, & à publier leurs belles actions. Un Gentilhomme est bien ridicule qui n’a rien de meilleur à dire, & ceux-là sont

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bien à plaindre qui sont contraints de l’escouter souvent. J’approuve bien qu’il fasse valoir ce qu’il sçait, & en quoy il est excellent ; mais il faut que ce soit par les effects, plustost que par les paroles ; & par rencontre s’il se peut, plustost que par dessein. Combien qu’il soit extrémement bon danseur, ce ne sera pas luy qui donnera le plus souvent le bal, ny qui mettra la compagnie en bransle de le desirer : Mais sans s’empresser, & sans aussi se faire prier, il y ira comme les autres, & comme à un passe-temps auquel il ne croit pas avoir plus d’advantage qu’en tout autre où l’on se voudroit di-

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vertir. S’il se fait quelque partie de combattre à la barriere ou de courre la bague, ou qu’il se rencontre quelque autre occasion de faire paraistre combien il est excellent en tous exercices : Quelque beau gendarme qu’il soit, & quelque adroit qu’il se sente, il s’y trouvera tousjours avec cette agreable froideur, & se contentera de bien faire, sans tesmoigner d’estre bien satisfaict de soy-mesme. Le plus habile homme du monde, quand il se vante de l’estre, n’est qu’un sot. Rien de tout ce qu’il dit, & de ce qu’il fait, ne plaist à personne, & le trop de soin qu’il a de donner de l’éclat à ses bonnes

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qualitez & de les vouloir faire paraistre agreables ; ne les obscurcit par seulement, mais encore les rend importunes. Aussi la vanité a cela de commun avec la temerité, qu’outre qu’elle es folle & aveugle, elle est encore mal-heureuse. C’est pourquoy la modestie mes emble la plus necessaire de toutes les vertus qui entrent en usage dans la conversation des femmes : La pluspart des autres ne gaignent que leur estime, mais celle-cy leur gaigne le cœur, & acheve ce que tant de subtiles adresses n’ont que commencé.

Après tant de ramarques diferentes, pour la derniere &

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plus certaine de toutes, il faut dire que le Jugement es le maistre de cet Art ; & que de sa bonne ou mauvaise conduite dépend principalement le succez de la fin que nous avons proposée. Toutes les meilleures maximes tombent en cofusion si elles ne reçoivent l’ordre de luy, & aux choses les plus evidentes il ne faut pas laisser de le consulter, aussi bien qu’aux plus espineuses. Mais sur tout parmy les femmes il est comme impossible, sans son seecours, que nostre estime fasse aucun progrez : Car estans d’un esprit un peu inégal, comme elles sont, si le jugement ne va devant pour

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les reconnoistre, ou si l’on n’aprend d’elles-mesmes les choses qui les faschent, & celles qui leur agréent, il est bien dificile de trouver jamais le secret de leur plaire. Si bien que l’on ne sçauroit donner aucunes reigles certaines sur ce sujet, à cause de la grande diference des rencontres, & de l’infinie diversité des esprits. Il suffit de dire, que les preceptes qui entrent en la structure de cet Art sont bien communs à tout le monde, de la mesme sorte que les places, & les fontaines publiques : Mais que les Sages s’en sçavent servir & les accommoder à leur usage particu-

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lier châcun selon sa portée ; & la profession à laquelle il s’employe. En fin pour terminer ce discours, je conclus apres tout, que pour faire un Honneste-homme accomply, il faut qu’il ayt tant d’eminentes perfections, que les choses les plus dificieles luy soient aisées, & que se rendant en quelque façon admirable à tout le monde, il n’ait luy-mesme aucun sujet d’admirer personne.

VOILA quels sont les sentiments du plus mauvais Courtisan de la terre sur cette subtile & delicate matiere : Et

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certes lors que je considere qui je suis, quelle est mon humeur, ma conduitte, ma profession, & le mespris que je fais de la Cour, j’au peine à concevoir comment l’envie m’est jamais tombée en l’esprit d’escrire sur ce suject. Si j’estois de quelque illustre naissance, & arfent à me produire, pour acquerir quelque sorte d’estime : Si je me laissois tenter de cette folle vanité d’entrer aussi souvent chez les Grands, qu’on me faict l’honneur de m’y ouvrir la porte : Si je prenois plaisir à me mesler dans leurs intrigues, & enfin si j’aimois le tumulte de ce grand monde, & que j’eusse

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dequoy m’y rendre agreable seulement par une partie des vertus dont je veux que les autres ayent une entiere possession, mon dessein treuveroit peut estre quelque aprobateur Mais voyant mes defauts comme je les vois, & connoissant que je n’ay que les moindres qualitez de toutes celles qu j’ay depeintes, je ne sçau de quelles raisons assez aparentes on pourra colorer mon entreprise, pour la faire paraistre raisonnable. J’ayme mieux avoüer franchement que la faute que j’ay faitte de me donner cette peine, est encore pire que n’auroit esté celle de demeurer dans l’oisiveté.

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Mais apres tout, ce qui m’en plaist le plus,& qui me rend si hardy à publier ainsi mes pensées, c’est que nous n’avons encore point de loix contre les mauvais Autheurs, & que le crime de mal escrire est demeuré jusques à present parmu nous sans aucun exemple de punition. Mon dessein n’est que de representer plus briefvement que les autres un homme de bien, plustost qu’un de ces adroits Courtisans de ce temps, dont les plus vertueuses maximes ne sont pas tousjours innocentes. S’il est mal habile, c’est que je le suis : Et si l’on trouve que je ne luy donne pas assez de bons con-

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seils, je ne treuve pas aussi que je sois obligé à luy enseigner plus que je n’ay apris. Je luy propose pourtant assez d’ocupation pour une partie de sa vie, & m’asseure qu’il n’emploiera gueres de ses heures inutilement, s’il veut  s’adonner à tous les exercices que je luy monstre estre convenables à sa profession. Aussi-est-ce plustost icy une idée de ce qui est possible, qu’un exemple d’une chose qui se voye communément. Qui n’aura pas assez dequoy acquerir tant de bonnes qualitez, qu’il se tienne à ce qu’il peut, & tasche au moins d’avoir une partie des plus necessaires, sans se rebutter.

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Ceux qui veulent que de chasque chose que je ne fais que designer en passant, je donne des preceptes à plein & par le menu, font une proposition qui tesmoigne une foiblesse de raisonnement digne de compassion. Quand je dis qu’un Gentilhomme doit estre bien à cheval, & qu’il doit sçavoir bien faire des armes ; n’est-ce pas l’avertir d’aller à l’Academie, & de hanter les Sales, ou d’avoir chez luy de bons maistres, pour apprendre d’eux ce qu’il ne doit pas ignorer ? Ainsi quand je luy conseille l’estude ou de le Politique, ou de la Morale, ou des Mathematiques, n’est-ce pas luy dire qu’il lise

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avec soin les meilleurs Autheurs qui ont escrit de ces belles Sciences, ou qu’il en confere avec les hommes doectes ? Voudroit-on point que j’enflasse mon livre du Maneige Royal, & du noble jeu de l’Escrime ; & que j’y misse encore des lieux communs de toute l’Histoire, & les figures de tous les instrumens de Geometrie ? De mesme, lors que je l’introduits aupres du Roy & des gRands, faudroit-il point aussi que je luy fisse des harangues & de beau discours pour châque jour de la semaine, avec un petit traitté de la Civilité puerile ; afin qu’il fust muny dequoy faire bien

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sa Cour ? N’est-ce pas assez de m’estre engagé à monstrer le chemin, sans que l’on veuille encore m’obliger à le faire ? Quoy qu’il en soit, j’ay mis dans ce petit ouvrage ce que j’y croyois estre de plus necessaire, & en ay retranché, autant qu’il m’a esté possible, ce que je jugeois estre superflu. J’y ay meslé mes opinions avec celles des Anciens & des Modernes, & tasché de m’arrester aux plus saines, & aux plus conformes à la raison. S’il falloit maintenant demesler ce que j’ay pris d’eux, pour en faire la restitution, javoüe que je l’ay tellement engagé & confondu dans le mien propre, que

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je ne le pourrois plus reconnoistre pour l’en separer. Mais cette peine seroit si inutile, & il m’importe si peu que l’on croye que j’invente, ou que j’imite, que plustost que d’endurer la question, je suis tout prest de confesser  que les bonnes choses que l’on remarquera dans ce discours ne sont, si l’on veut, que purs larcins ; Que les mediocres ont esté mal copiées sur de bons originaux ; Et que les mauvaises, qui s’y trouveront en beaucoup plus grand nombre que les bonnes, sont toutes de mon creu & de mon invention. Que les Censeurs le dechirent s’ils n’ont assez de le re-

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prendre, je leur promtz de ne m’en mettre non plus en colere, que quand je vois battre mes habits pour en faire sortir la poussiere.

FIN

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SOMMAIRE DES MATIERES CONTENUES DANS CE TRAITTÉ.

TABLEAU DE LA COUR

Le Roy, les pRinces & les Grands.

Les Mediocres.

La Fortune, & les vices qui la suivent.

Le sujet de ce[1] discours.

Des precepts, de leur utilité, & de leur foiblesse.

DE LA NAISSANCE.

Des avantages de la Noblesse.

De l’heureuse naissance, de la mauvaise & de la mediocre.

De la profession du Gentilhomme, qui doit estre celle des armes.

Qu’il doit estre homme de bien.

(270)

Qu’il doit estre soigneux de la conservation de son honneur.

Des querelles.

Contre les querelleurs.

De l’intellignece des querelles.

Contre la vanité & la Fanfaronnerie.

DE LA DISPOSITION DU CORPS.

Des exercices du Corps.

Des Jeux de hazard.

Contre les Joüeurs.

De la Grace naturelle.

De l’Affectation & de la Negligence.

De la Negligence affectee.

De l’affectation de la Beauté.

Contre les Femmes fardées.

DES QUALITEZ DE L’ESPRIT.

Que la vertu est plus aymable, & le vice plus odieux aux Grands qu’aux autres.

Des avantages de la Vertu.

Des moyens de l’acquerir, & particulierement des bonnes lettres.

Du mespris qu’en font les Gentilshommes.

De leur excellence & combien elles sont utiles & convenables à la Noblesse principalement.

Des sciences qu’un Gentilhomme ne doit pas ignorer. pag. 49

Des questions de Philosophie.

Des Matematiques.

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De l’Oeconomie

De la Politique, de la Morale & de l’Histoire.

Du choix des Historiens.

Jugement des meilleurs Historiens

De l’experience & du jugement.

Qu’il est necessaire de sçavoir bien escrire en prose.

De la Poësie.

De la Peinture & de la Musique.

DES ORNEMENTS DE L’AME, & de la vertu Chrestienne.

De la Religion, & de la Foy.

Contre les Athées.

Des autres vertus en general.

De la crainte de Dieu.

DE LA VIE DE LA COUR, & de ses épines.

De la servitude.

Des fatigues.

Des inquietudes.

De l’ambition, de la crainte & de l’esperance.

Des soins ambitieux.

De la tranquilité de la vie.

Qu’un homme de bien peut vivre dans la corruption de la Cour sans en estre souillé.

De la fin que l’homme de bien se doit proposer dans la Cour.

Contre les Courtisans avares & ambitieux.

Que la vertu doit estre exercée.

(272)

Que les plus sages sont les plus obligez à suivre la Cour.

MAXIMES que doit observer celuy qui n’a jamais veu la Cour, pour y aborder.

Du choix d’un Amy.

De moyen d’acquerir des Amys.

Contre les Fourbes.

DIVISION DE LA VIe, en Actions et en parles.

Des actions, de la Valeur, & de la conduitte du courage.

De la Modestie & de la franchise à obliger.

Des bons Offices.

De la liberalité.

Le Prodigue, l’Avare, & le liberal.

Des presents.

Des autres actions en general.

DES PAROLES, qui sont la seconde partie de la division de la vie.

De l’usage des paroles.

DE L’ENTRIEN DU PRINCE.

De la premiere entrée du Gentilhomme chez le Roy, & quel doit estre son abord.

De son affection a le servir.

Quel doit estre son object.

Ce qu’il doit observer en parlant à luy.

Ce qu’il doit observer pour luy estre agreable.

Ce qu’il doit observer depeur de luy desplaire.

(273)

Contre les Flatteurs.

De ce qu’il faut observer en demandat à son Maistre.

Qu’il faut fuyr de se rendre importun dans ses plaisirs & de luy estre à charge.

DE LA CONVERSATION DES EGAUX. pag. 127

De celle des Amys.

Des fautes qui s’y commettent.

Malheurs qui suivent les faux Amis.

De l’estime, & du moyen de la gaigner.

Que les esprits judicieux ont moins d’éclat que ceux en qui la memoire & l’imagination abondent.

De l’Opinion, son aveuglement, & sa tyrannie.

Exemples sur ce suject.

DE LA CONVERSATION DES GRANDS.

De leurs couroisie, & de l’estat qu’ils font des honnestes gens.

De l’honneste respect.

Des respects importuns.

Contre les opiniastres faiseurs de compliments.

De l’égalité d’humeur.

Des bonnes habitudes, & des connoissances honnestes.

Des avantages qui reviennent de l’estime des Grands.

(274)

MAXIMES GENERALS de la conversation.

Qu’il faut vaincre ses passions & ses humeurs. pag. 163

De la souplesse & moderation d’esprit.

De la rudesse & opiniastreté d’esprit.

Reigles generales de la complaisance.

Qu’un Honneste homme s’acommode à toutes sortes d’humeurs.

De la douceur qui se trouve en la conversation des honnestes gens.

Contre les grands Parleurs.

De la difficulté de se taire.

Des incommoditez que donnent les grands parleurs. pag. 178

Impertinences & vices ordinaires des grands parleurs.

De la difficulté qu’ont les hommes à conserver les secrets qui leur sont communiquez.

Exemple sur ce suject.

ELOGE DES HONNESTES GENS. pag. 178

De leur prudence.

De la conduitte de leur langue.

De leur civilité.

De leur familiere communication.

De la douceur de leur esprit.

De leur façon de debiter ce qu’ils sçavent.

(275)

De leur modestie à juger & à parler d’eux-mesmes. pag. 195

De leur galanterie.

De leur Probitè.

Contre les Menteurs & les parjures.

Malheurs que cause la perfidie.

DE LA RAILLERIE.

Que la douce & honneste Raillerie anime la conversation.

Que pour peu qu’elle soit opiniastrée elle est dangereuse.

DES BONS MOTS, & de leur excellence. pag. 205

Des choses qu’l y faut observer.

Qu’il y faut éviter la bouffonnerie.

Qu’il y fait éviter l’aigreur.

Qu’il ne faut attaquer de brocards, ny les miserables, ny les meschans, ny les honnestes gens.

Ny les Grands.

Ny soy-mesme.

Ny ses Amys.

Ny les honnestes Femmes.

Des reigles des bons mots.

DE LA DIFFERENCE DES âges, des mœurs, & des autres conditions qui se doivent observer en la conversation.

De quelle sorte unHonneste-homme se sçait demesler d’entre ces differentes humeurs.

(276)

Dernier precepte de la conversation des égaux.

DE LA CONVERSATION des Femmes.

Description du Cercle.

Les Reynes & les Princesses.

Les Dames.

Les Filles d’honneur.

De la conversation du Louvre, & de ses incommoditez.

Du choix qu’il faut faire à la ville.

De la presence exterieure.

Des habits.

De la mode des habits & de leur assotrissement.

Contre les inventeurs de modes extravagantes.

De la propreté des hommes.

DE L’ACTION, qui est l’ame des paroles. pag. 234

Du ton de la voix.

De la bonne mine.

Du geste.

Qu’il faut respecter les Femmes.

De la complaisance parmy les Femmes.

Raisons pourquoy l’on doit honorer les Femmes.

Que la Vertu des Femmes est la mesme que celle des hommes.

Combien elles sont necessaires dans les Cours.

Des soins qu’il leur faut rendre.

(277)

Contre les vains & les indiscrets.

Que  les plus chastes sont souvent les plus sujettes à la medisance.

Vices odieux en la conversation des femmes.

Les Medisans.

Les Blasphemateurs.

Les Opiniastres, & les Resveurs.

Les Orgueilleux.

Que le Jugement est celuy qui donne l’ordre à la conduitte de la vie.

DIVERS  AVERTISSEMENS SUR LE SUJET DE CE TRAITTE. pag. 257

FIN DE LA TABLE.

(278)

PRIVILEGE DU ROY.

LOUYS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE France ET DE NAVARRE. A nos amez & feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de PArlemens, Baillifs, Seneschaux, Prevosts ou leurs Lieutenans, & autres nos Officiers & Justiciers qu’il appartiendra, Salut. Nostre cher & bien amé le Sieur FARET nous a remonstré qu’il a composé un Livre intitulé L’Honeste-Homme, ou l’Art de plaire à la Cour.  Qu’il desireroit faire imprimer & mettre en lumiere, mais il craint qu’autres le voulussent faire, s’il n’avoit sur ce nos lettres qu’il nou a supplié luy accorder. A CES CAUSES, desirant le favorablement traitter, luy avons permis & octroyé, permettons & octroyons par ces presentes faire imprimer, faire vendre & distribuer par tel Libraire ou autre que bon luy semblera ledit Livre durant le temps de six ans, à commencer du jour qu’il sera achevé d’imprimer, pendant lequel nous faisons tres-expresses inhibitions & defenses à tous autres de l’imprimer vendre & distribuer sans le consentement dudit Exposant, ou de ceux à qui il aura transporté le present Privilege, qui auront charge de luy ; à peine de confiscation desdits livres, & de ceux qui se trouveront contrefaits, & de trois mil livres d’amende, dont un tiers nous appartiendra, l’autre au denonciateur, le troisiesme audit Exposant ou celuy qui sera en son lieu & place. Et outre ce en tous despens, dommages & interests. A la charge de mettre ou faire mettre deux exemplaires dudit livre en nostre Biblio-

(279)

theque publique, à peine d’estre décheu dudit Privilege. Si vous mandons que du cotnenu en ces presentes ous fassiez jouyr & user ledit Exposant, ou ceux qui auront charge de luy, pleinement & paisiblement, sans permettre qu’ils soient troublez en quelque façon qu ce soit. VOULONS en outre, qu’en mettant au commencement ou à la fin de chacun desdits livres, copie dudit Privilege, ou un bref extraict d’iceluy, foy soit adjoustée & tenu pour deuëùent verifié : CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR. Donné à Lyon le vingtiesme jour d’Aoust l’an de grace mil six cens trante. Et de nostre Regne le vingtiesme.

PAR LE ROY EN SON CONSEIL.

RENOUARD.

A la relation de Monsieur d’Irval,

Maistre des Requestes.

Et ledit sieur FARET depuis le present Privilege obtenu, declare qu’il cede la moitié du tiers à lu adjugé de l’amende, à l’Hostel-Dieu de Paris.

Et outre ce ledit FARET a cedé & transporté le present privilege à TOUSSAINCT DU BRAY, Marchand Libraire à Paris, pour en jouyr, aux conditions dont ils ont accordé entre-eux pardevant Notaires.

Achevé d’imprimer le Jeudy 14 Novembre 1630.

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Quelques-unes des fautes survenuës en l’impression.

Affection lisez. Affectation

Il lisez. je.

toute ensemble lisez. tout

Pour le bien ajoustez. public

ces vers lisez. ce vers.

tant magnificence lisez. tant de

 

[1] Les deux derniers mots soudés.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

ulb ltc

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