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prenoit auncun plaisir. Et combien quelle dissimulast vertueusement son ennuy, ne aumoins estoit aucuneffoiz tellement pressee de doulleur que les lermes tumboient goute a goute leong de sa blanche face, qui engendroit aux assistens une espece de pitie et compassion, car bien scavoient quelle estoit illec par force. ¶ Apres que tous eurent prins refection il y eut diversite de joyeux esbastemens tant de dances commedies mommeries que autres passetemps acoustumez estre fais es maisons des princes, lesquelz le roy avoit commande faire pour divertir ladicte saincte de son bon propos, lequel ne changea jacoit ce que par le dehors monstrast assez joieuse face pour acomplaire au roy qui tant luy avoit fait de biens. Et surce ferons fin aulivre de ceste presente hystoire Par lequel la grace a dieu nous avons clerement congneu lroigine & naissance de saincte radegonde, & comment elle se gouverna en lestat de pucellage avecques le sommaire daucunes hystoires de france.
Si verrons dieu ayant par le second comment elle se porta en lestat de mariage
¶ Le second livre.
¶ Comment le roy clotaire persuada saincte radegonde destre sa femme espouse. Chappitre premier du second livre.
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[illustration]
LE jour de la joyeuse reception de saincte radogonde passee en bonnes cheres ainsi que nous avons ditdessus : Et le landemain matin apres la messe oye. Le roy se retira petitement acompaigne en la chambre dicel
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le saincte, qui toute l nuyt avoit veille en oraison Et en presence de plusieurs dames & princesses (apres lavoir fait seoir sur ung banc pres de luy) la prinst par la main et luy dist.
¶ Mamye je vous congnois despieca si tressage & prudente que ne vouldriez par ingratitude estre negligente de rendre les biens quon vous a faiz, a ceulx qui lont bien merite, & mesmement a moy qui des vostre enfance vous ay souverainnement amee. Et voulu bien entreprendre guerre contre mon feu frere theodoric pour vous avoir ma prisonniere, en esperance que quelque jour seriez mon espouse si le cas advenoit que je demourasse sans femme. En ceste entention vous ay fait nourrir & entretenir reverer & honnourer comme lung de mes enfans et mieulx & nen plains ne regrete la mise. Car soubz mon helle vous avez proffite en honnestete humilite & autres vertuz. Lesquellles apres le deces de ma tresloyalle compaigne dame consonne mont persuade & admonneste de vous espouser, dont je vous ay fait advertir par aucun de mes gens. Lesquelz mont rapporte que par crainte & doubte de ne povoir servir dieu ainsi que avez acoustume, differez dentendre a ce tant desire mariage Ce que je ne puis croire actendu ce que dit est. Ne pensez que je vous vueille avoir pour abuser de vostre beaulte, mais affin que par vostre louable temperance mon ancien aage soit contregarde & que je puisse longuement vivre avec vous.
Je jure par le dieu en qui je croy ma treschere & parfaicte amye que sil vous plaist obeir a ma volunte, qui est honneste, serez la plus eureuses femme de la terre Et aurez autant de biens entre voz mains quil vous plaira pour disperser & donner es elises, & aux pauvres & miserables personnes, tout ainsi, voire cent foiz mieulx & en. plus grande liberte que navez fait le temps passe. ¶ Touchant loccupation des jours et des sepmaines vous en ferez tout ainsi que voudrez : Car il me suffira. Mais que vostre court et la mienne soient
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bien conduites & que puissons acomplir les euvres de mariage en la grace de dieu
La response que feit saincte radegonde au roy clotaire. Chappitre second.
BRiefve fut la priere du roy clotaire gracieusement par luy proferee & dicte a saincte radegonde qui ny prinst ung seul plaisir. Car elle estoit disposee de servir autre mary plus grant sans comparaison que tous les roys de la terre. ¶ Et aceste cause respondit au roy ce qui sensuit. ¶ Sire je scay pour verite dautant que vous estes roy que ne vouldriez dire ne proferer parolle mensongiere, & que certainement les doulx & amoureux admonnestemens quil vous a pleu me faire, ne sont pour me decepvoir, mais me colloquer sans merie en honneur & bien incomparable, dont tresfort je esbays. ¶ Car ma beaulte nest telle quelle peust ne deust avoir appelle vostre tresnoble cueur a avoir ung seul souvenir de moy.
¶ Au regard de la prudence ne vous scauroit ne pourroit convenablement exagiter ne provocquer a mon amour, & encores moins ma richesse contraindre vostre royalle majeste a tant se humilier quelle volust prendre une telle & si pauvre fille comme je suis. ¶ Davantaige sire il ne vous desplaira si je dy que jay donne mon cueur a ung autre prince. Lequel vous peult sil luy plaist expeller hors de vostre royaume, & faire le plus petit de tous les aultres. Non que je soie seure quil me vueille espouser fors par lasseurance de trois nobles dames qui le mont ainsi promis si je les veulx croire & suyvir leur conseil Ce que je ne pourrois convenablement faire, si je me donnois avous, car il est impossible de parfaictement en amer deux ala foiz et aussi dautant que ce grant roy est desi haulte & excellante noblesse quil ne demande la corruption du corps, & encores moins celle de lame Aceste cause pour luy estre plus agreable jay delibere par son ayde & secours garder ma virginite.
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Affin que le jour des nopces que jespere destre celebrees entre luy & moy en son ciel empire je soye de luy plus exaltee & mieulx amee. vous suppliant treshumblement me pardonner se je ne vous puis obeir.
¶ Recommandation de virginite faicte par saincte radegonde ou roy clotaire. Chappitre. iii.
Vous me pourriez replicquer que sainct paul a escript que virginite nest de commandement. mais de conseil A quoy je vous respons sauf vostre correction & sans vouloir vous desplaire. Que jesuchrist qui est le puissant roy, dont je vous parle : et le nom duquel est en mon cueur escript. a dit par la bouche de salomon en ses cantiques. Que son amye estoit comme le liz entre les espines. Par lequel liz est entendue virginite par trois raisons. La premiere que le pie & la sepe du liz est verte. la fleur blance. & la graine jaulne & doree par la verdure est entendue incorruption. car une chose est dicte verte qui nest bruslee & corrumpue par la chaleur de volupte charnelle. et comme il est escript on livre de sapience, incorruption faict aprocher la personne de dieu : et est ung grant tresor Lequel (comme a dit sainct mathieu) est musse en ung camp. cest a dire on corps corruptible. Et pour icelluy achapter & garder doit la personne vendre tous es biens. savoir est renoncer a toute mondanite & vivre recluse en ung monastere. Ce que je voudrois bien faire si vostre plaisir estoit. ¶ Secondement la fleur du liz est blanche : qui signifie purite plusaisee & facille a garder par les vierges que autres personnes. Car comme il est escript par sainct paul. la femme qui nest mariee & est vierge pense es choses divines, & commant elle pourra plaire a dieu. affin quelle soit saincte de corps & de pensee. Et aumoien de ce quelle est hors la subgection & servitude de mary & de famille peut plusconvenablement vacquer au service de dieu. ¶ Tiercement le liz a trois grains qui semblent estre dorez : signifians trois ma
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nieres damer dieu, savoir est doulcement, prudemment, & fort. Au regard des espines qui sont auctour du lez, & qui le lacerent ce sont occupations mondaines, & six vices entre. autres. Le premier est gormandie contre laquelle on doit avoir sobriete qui se treuve difficillement en gens riches et plains. Le second est paresse et trop long repos, contre lequel fault avoir labeur et exercice, que grans dames ne prennent voluntiers. Le tiers est curiosite de veoir et oyr choses mondaines et non prouffitables comme contumelles dances & autres choses lascivieuses, dont on se doit retirer par contempnement, ce que ne peuent a leur aise faire femmes mariees dediees aux euvres de ce monde. Le quart est loquacite et superfluite de langage. Car qui veult garder virginite se doit sur toutes choses garder de parler & prester loreille a toutes gens, qui est bien difficille a dames mondaines en honneur terrien colloquees Le cinquiesme est orgueil qui vient aisement a. Roynes et pricesses. tant pour la preciosite et superfluite de leurs vestemens. Que pour leurs richesses. Contre lequel vice fault avoir humilite par mesprisement de telles choses. Le sixiesme est trop grant familiarite et frequentation de gens que roynes et princesses ont ordinairement autour de leurs personnes sans y povoir obvier Et si les vices dessus touchez font dommaige au liez de virginite, autant en f[ait] a la fleur de mariage ou chastete doit estre gardee. Aumoien de quoy sire vous supplie treshumblement quil plaise a vostre royalle puissance me permectre de vivre chastement et en cotinence tout le parsus de ma petite vie en quelque monastere ou nuyt et jour je prieray dieu pour vous.
¶ La response faicte par le roy clotaire a saincte radegonde & de la recommendation de mariage. Chappitre. iiij.
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LE roy clotaire nota bien les parolles de saincte radegonde, esquelles il prenoit plaisir dune part, & desp[l]aisir dautre. Car la doulceur de la prolation de la response luy fut plaisente. parce quelle estoit mixtionnee de prudence. dicte & proferee froidement sans pertinacite en si honneste gravite : que bien sembloit proceder de sa bouche dune sibille. Mais le vouloir dicelle dame ne luy estoit agreable. Touteffoiz ne sen collera : & sans changer contenance commanca luy replicquer en telles parolles ou semblables.
Ma seulle & treschere amye je voy & congnois par vostre responce que navez vouloir de me obeir ne faire chose qui me plaise. Et si voulez demourer en ce propos je diray que vous estes la plus ingrate du monde : & que me voulez rendre mal pour bien Vous mavez allegue plusieurs raisons par lesquelles ne voulez entrer en mariage. mais garder vostre virginite je ne scay si vous. dictes vray ou mensonge, dieu le scait qui congnoist les pensees de ses raisonnables creatures. Et de ma part je lappelle a tesmoing si le vouloir que jay a vous est juste ou non. Quant au louanges que mavez cy prolixement faictes de virginite : je suis aseure quon ne la sauroit trop louer, & quelle est a dieu tresplaisente : mais elle est de ficcille garde & croy quil en est peu qui se puissent dire vierges tant de faict que de vouloir. Et me semble que lestat de mariage nest a desprise & quon se y peut aussi facillement saulver quen lestat de virginite
¶ Qui vouldroit reprouver mariage seroit de loppinion des datians & martians hereticques, qui maintenoient lhomme & la femme ne se povoir saulver ondit estat. Laquelle heresie a este abolie & damnee par luniverselle eglise. qui a dit par decret arreste, que non seullement les vierges continentes & vefves peuvent avoir salut. mais aussi les mariez par droicte foy. et bonnes operations peuent meriter leternelle beatitude.
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Et quil soit ainsi dieu tout puissant sapiant & bon institua mariage apres la creation de toutes choses, & parce qui diroit que soy marier est peche, on vouldroit inferer que dieu seroit aucteur de peche, qui est ung trop grant blaspheme. Lisons nous pas que la pluspart des sainctes personnes des precedans aage ont estez mariez, non seullement adam, maisaussi enoch qui a este transporte en corps & ame en paradis terrestre. Noe qui fut preserve du deluge, lestrois patriarches abraam, ysaac, & jacob, le prudent & sainct joseph. Moyse le legislateur qui merita veoir en ce monde dieu par essence, Le roy david qui fut tant ame de dieu. Le prophete ezechias ala requeste du quel dieu feit retourner le souleil on ciel de dix ligueamans Le bon josias, la benoiste vierge marie. joachin & zacharie qui furent toutes sainctes personnes. Si mariage eust este prohibe nostre saulveur et redempteur jesus quant il estoit corporellement en ce monde, ne se fust voulu trouver es nopces en gallillee ou il convertist leaue en vin. Et par le texte de levangille lapprouva depuis, quant il dist. Lhomme laissera son pere & sa mere & adherera a sa femme, & seront deux en une chair. Par lesquelles raisons povez clerement congnoistre quen mariage on se peut aussi bien saulver quen lestat de virginite : & que navez plus matiere ne occasion de me refuser. mais dautant que je vous ay tousjours amee par honnestete & congnoissez que vous me serez propice pour gratieusement traicter mon ancien aage dont je pourroy pluslonguement & justement vivre, devez (ainsi quil me semble) obtemperer a ma volunte. Et si vous le faictes (avant quil soient trois ans passez) rendray vostre frere paisible roy de thuringe
¶ Commant le roy clotaire espousa saincte radegonde. Chappitre. v.
EN grant perplexite fut saincte radegonde Et feit en son esprit (sans ouser plus recalcitrer) de grans argumens dune part & dautre. Car le desir quelle avoit
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de vivre en virginite et contenence tenoit son vouloir en telle subjction quelle ne vouloit donner aucun consentement a soy marier. Touteffoiz quant elle eut pense les grans biens que leroy luy avoit faiz lamour honneste quil avoit a elle les dangiers & inconveniens qui pourroient advenir au roy sil ne lespousoit par merencolie courroux ou par fornication & aussi quil estoit dancien aage et quelle pourroit en lestat de mariage vivre chastement et acquerir par bonnes euvres paradis Recogitant aussi que si elle refusoit le roy (par autant quil estoit collere & merveilleux) la pourroit faire mourir & semblablement son frere ou leur pourroit faire dautres insuportables maulx voire la prendre par force et en abuser, persuadee de telles rensons y donna consentement et dist au roy. ¶ Sire vous avez alleque de si fortes raisons & bonnes sentences que mon petit esprit sesbayt et ny scauroit respondre parquoy en voulant vous obeir parautant que vous estes mon pere par redemption puis que mavez de mort delivree mon pere par nutricion qui mavez nourrie et entretenue comme lune de voz filles faites demoy ce qui vous plaira non que je me repute digne destre vostre espouse mais preste & appareillee destre vostre chamberiere & servante.
¶ Celle breifve responce fut tant agreable au roy que de joye les lermes luy tumberent des yeulx Et atant en la presence de ceulx & celles qui tousjours avoient illc assiste prinst saincte radegonde par lune de ses mains laquelle se mist de genoux davant luy et apres lavoir levee & baisee luy dist mamye je vous mercye de vostre octroy & vous ay baisee en nom de mariage Saincte radegonde le sceut bien remercier humblement et reverenciallement ainsi quil appartenoit Et peu de temps par aprres furent les espousailles celebrees en face de saincte eglise en la ville de soissons Ou la feste fut tresgrande & magnifique tant pour la multitude des grans princes seigneurs
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du royaume qui y furent que pour les jouxtes tournois et autresesbatemens & passetemps illec faiz lesquelz je laisse pour cause de breifvete.
¶ COmmant saincte radegonde se gouverna en lestat de mariage. Chappitre. vi.
IL a este escript par quelcun que saincte radegonde neut compaignee charnelle avecques le roy clotaire son mary mais lescripvant ne alegue son aucteur jacoit ce quil soit moderne judiciaire et historiographe et ne le croy pas car sainct fortune qui fut son familier comme je diray cy apres et lequel a escript au long sa legende & semblablement maistre vincent debeauvaiz baudoyne et plusieurs autres qui ont parle delle ne sont de ceste oppinion Ne quelle eust des enfans comme a voulu maintenir celuy qui a escript les croniques de france abregees Lequel a dit que saincte radegonde estoit mere desquatre filz que laissa le roy clotaire apres sa mort qui est pure mensonge. car ilz furent enfans les aucuns de jugonde & les autres de consonne selon la cronique de sainct gregoire comme a este dit dessus Aussi ledit croniqueur ne se nomme & parle sans aucteur & support daucun ancien historiographe ce qui est requis en genealogies antiques Or tous les historiens dessus nommez qui sont bien approuvez quant aceste histoire & autres plus grandes maintienent que saincte radegonde obeit au roy son espoux tout ainsi que une prudente femme doit & est tenue faire a son mary. Mais que pour lamour maritalle noublia celle quelle avoit a jesucrist car son corps ne habandonna tant a son mary charnel quelle ne le gardast immacule a son espoux spirituel
¶Par la concordance desditz historiens je trouve que saincte radegonde eut en lestat de mariage plusieurs vertuz excellentes & dignes de memoire La premiere fut comme bien adviser damer son espoux dun amour maritalle bien ordonnee non
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lubricque ne lascivieuse. Car onques a luy ne se soubmi & pour d[e]lectation charnelle. Mais seulement pour luy compla[i]re & donn[e]r remede alinfirmite de sa sensualite et affin quil ne tumbast en pehce Et sil vou[l]oit user des actes de mariage autrement que apoint comme aucuns incontinens mariz veulent faire sans rudement y resister scavoit bien par doulces et gracieuses parolles le divertir de ce maulvaiz propos. En lieu de diviser on lict de choses folles luy disoit helas monsieur cest grant misere de ce monde. Nous sommes au jourduy vivans & ne scavons si demain le serons il nest rien plus certain que lamort et ne habandonnez ou iront noz pauvres ames en paradis ou en enfer monsieur quant quelque fievre ung peu ague nous tient vouldrions avoir donne tous noz tresors pour avoir guerison. Et nous ne pensons que une delectacion sexsuelle et ung plaisir presens en ce monde contre la colunte de dieu nous condennne a estre non ung an, ne dix seulement. mais perpetuellement on feu denfer. Lesquelles choses nous doyvent par crainte esmouvoir & induire a fuyr peche et faire bonnes euvres qui ne consistent quen deux poincts. Amer dieu & nostreprochain Celuy ame dieu qui croit en luy et acomplist ses commandemens Et celuy ame son prochain qui ne luy vouldroit son mal & desplaisir mais son bien et honneur Au regard de vous et moy nous ne pourrions estre plus proches et nous deyvons amer dune amour mutue et honneste etavoir participacion et communication de noz corps poue engendrer lignee ou eviter les rebellions de la chair et non par charnalite corrumpue et bestialle car en ce cas y pourrions aussi griefvement pecher que hors mariage du quek dangier dieu par sa grace nous vueille preserver et garder.
¶ Sur ces propos la bonne saincte endormoit le roy puis incontinent se levoit Et secretement se mectoit en la ruelle du lict toute
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nuhe et de genoux sur la terre ou en pleurs larmes souspirs priooit dieu en disant O eternel et souverain dieu je vous supply que contre moy ne vous irritez si jay prins mary temporel Car comme scavez ce na este par charnalite & a maulvaise fin. mais pour exteindre la fureur de celuy qui povoit destruire non seulement ma personne mais celle de mon frere vous congnoissez men vouloir et vous sont toutes mes pensees ouvertes il ne vous est incongneu que je ne desire autre chose fors que par le conge de mon espoux je puisse entrer en religion et laisser les pompes de ce monde les plaisirs corporelz et les richesses terriennes vous priant que en ce il vous plaise me secourir et ayder. Et ce pendant par fragilite feminine je prens delectations actes charnelz de mariage pardonnez moy si vous plaist. et vueillez conduyre mon espoux en ses actes temporelz si tresbien que ce soit au proffit de son peuple et le sien salut et mesmement vous plaise leslongner et distraire de ses lubricites acoustumees & vengences effrenees.
¶ Apres avoir fait ses oraisons & prieres pour macerer son tendre corps au plus meriter envers dieu se couchoit et mectoit sa chair nuhe sur une mante de poil de cehval ague et poignante quelle avoit avant son coucher estendue en la ruelle de son lict et ilec se tenoit jusques au revueil du roy son espoux qui souvant la trouvoit adire mais elle se scavoit bien ecuser combien quelle fust froide plus que marbre.
¶ COmmant saincte radegonde usoit de ses vestemens royaulx. Chappitre. vii.
QUant il advenoit que saincte radegonde pour lhonneur de son mary portoit habitz & vestemens royaulx riches & precieux ne povoit estre joieuse mais souspiroit sans cesse pour la craincte quelle avoit de desplaire a son especial amy jhesus qui ne demande fors lornement et decorement de lame et disoit en son cueur O bon saulveur et redempteur jesus quant
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vous descendistes en ce monde pour la redemption dhumaine nature jacoit ce que fussiez roy de tous les roys Neautmoins tousjours eustes en abhomination boubans et pompes et suyvistes pauvrete Helas mon dieu jay grant peur de vous desplaire en ces royaulx habitz et pompes manificques. combien que vous savez & congnoissez le secret de mon cueur qui est que mentellement je mesprise tel estat, & vouldrois quil ne me fust permis de les porter. Et si honnestement & sans scandalle je le povois faire, men deporterois tresvolentiers. vous suppliant contre moy. et medonner la grace de ny rendre aucune vaine gloire. mais que tousjours vous puisse servir en tout humilite
Cestoient les protestations que faisoit a dieu la bonne royne touchant ses vestemens Esquelz (jacoit ce quilz fusent riches) ny avoit aucune dissolution Ung jour advinst comme raconte sainct fortune que pour quelque grant solennite elle sacoustra dunerobbe de drap dor, et dautres acoustremens tresgorgias et nouveaux en france, parce quilz estoient a la mode et facon de son paus de thuringe, dont elle fut fort regardee. car combien que de soy elle fust tresbelle Touteffoiz telz acoustremens ne diminuoient son excellente beaulte, Et de ce fut advertie par lune de ses damoiselles qui par flaterie (comme on fait souvent) luy dist quelle navoit onc porte vestement qui tant la decorassent & qui si bien luy fussent advenans. Aumoien de quoy soudainement la bonne royne les laissa, & dispersa es eglises & monstiers pour en faire chappes & ornemens. Et non contente de ce, feit une grosse penitence dont elle avoit porte telle nouveaulte de vestemens doubtant avoit fait pecher quelqun
Comme saincte radegonde durant ce quelle fut en mariage ama les pauvres
Chappitre. viii.
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LOn ne doit oublier ne obmectre la vertuz de charite dont saincte radegonde fut garnie tant envers les pauvres que les gens deglise car tout ce qui luy estoit ordonne pour son train & tous les dons a elle faiz par le roy et autres tant es entrees des villes que autrement, elle dispersoit & administroit si tresvien que impossible est de mieulx Premierement en paioit & rendoit la dixiesme partie a dieu en le distribuant es eglises Et du surplus entretenoit son train sans superfluite de serviteurs vestemens chauvaux viandes & autres choses superabundantes mais en la plus grant parsymonie que faire se pouvoit En maniere que grans restes luy en demouroient desquelz elle ne faisoit tresor mais les emploioit en aulmosnes & euvres charitables Sy amoit sur toutes choses pauvres gentilz hommes qui par vieillesse ou adversite estoient tombez en necessite & aussi pauvres vafves pupilles vieilles personnes gens mallades & impotens, Comme representans les membres de jesucrist, Et pour eulx feit bastir construire & edifier en la ville de atheis (ou elle avoit este nourrie avant son mariage) ung bel & grant hospital quelle dota de plusieurs rentes et gros revenuz Ou elle mesme (quant par la permission du roy se tenoit a atheis) alloit servir les pauvres en une merveilleuse humilite Elle leur faisoit cuyre & assaisonner leurs viandes, leur bailloit leaue a laver les mains, les indivisoit a prendre leur refection mesmement ceulx qui estoient mallades visitoit leur playes les necoioit mondiffioit & faisoit autres petites humanitez & services voir telz que plusieurs servantes et chamberieres auroient grant horreur de voir ce quelle ne desdaignoit toucher, & lors quelle estoit mandee par le roy laissoit propres femmes qui avoient chage expresse & gages ordinaires pour servir gouverner & entretenir les pauvres en la maniere dessus escripte, Et pour en parler b[r]efvement & a la verite se[l]on la legende escripte par ledit sainct fortune laplusgrant delec
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tation quelle avoit en ce monde estoit prier dieu & faire aulmosnes Car il luy sembloit que ce quelle faisoit es pauvres que cestoit a dieu et quil estoit musse et ascond soubz leurs dessirees robes comme aussi estoit il souvent ainsi quil est vray semblable.
[Des grandes abstinences que faisoit saincte radegonde en mariage. Chappitre. ix.
IL ne suffisoit a saincte radegonde destre charitable qui est la vertuz sur toutes autres excellente, mais de peur de habandonner son corps aux delices de ce fragille monde le molestoit de jusnes abstinences & autres macerations par maniere de medecine spirituelle Car (ainsi que jay trouve par ledit sainct fortune maistre vincent de beauvaiz & ladite baudoyne) elle portoit la haire sur le doz tout le temps de quaresme Et en toute autre saison si elle nestoit a la table du roy ne mangeoit que herbes et buvoit eaue pure qui estoit presque tous les jours, car ilz avoient chascun leur estat a part comme roys & roynes ont acoustume toutesfoiz de ce adverti le roy qui lamoit singulierement tant aumoien de sa beaute que pour ses vertuz, des lors en avant la contregnoit souvent prendre sa refection avecques luy & a sa table, pour la distraire de telles abstinences, mais pourtant ne laissa a faire une partie de ce quelle avoit acoustume Car elle trouva moien envers les maistres dostelz destre servie a son appetit Et ne buvoit que eaue clere quelle se faisoit administrer en une coupe couverte affin que le roy ne sen aperceust, & touchant les delicates viandes desquelles on servoit le roy nen mangeoit que bien peu pour ocmplaire au roy seulement Lequel finablement sen irrita contre elle & aussi de ce que aucunes foiz le faisoit trop attendre a disner & a leure quil la mandoit administroit aux povres leur refection corporelle
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Car sa coustume estoit ne boire ne menger jusques ace quelle les eust repeuz et refectionnez Et pour de ce la divertir et destourner luy dist selon ledit sainct fortune. Madame je ne scay si vous estes religieuse ou mariee. Si voules tousjours mener la vie par vous encommancee il vauldroit beaucoup mieulx pour vous et pour moy que fussiez recluse en ung monastere vous avez assez de prudence pour congnoistre que sur toutes choses me devez obeir apres dieu & aussi quant on a esleu quelque estat quon se doit gouverner selon iceluy Ce que ne faictes je vous pry que changez voz conditions si me voulez faire plaisir et que vivez comme les autres dames et princesses sans faire tant dabstinences et longues oraisons. Car cela me desplaist & si je ne vous congnoissois vertueuse penserois quil y eust quelque peu dipocrisie et simulation. ¶ Saincte radegonde prinst toutes ces parolles joieusement sans monstrer quelle en fust aucunement troublee ne courrousee. Et dun visage affable et riant dist au roy. Monsieur je vous supply treshumblement que ne prenez courroux contre moy touchant mes gestes et conversation car si jay mal faict je vous promectz de lamender et faite tout ce que vous plaira je ne entendy onques faire chose que je pensasse vous desplaire et si je lau faict ce a este par ignorace non par malice. Et me semble monsieur par autant que vous avez la charge des subjectz de vostre royaume & de garder voz terres et seigneuries des surprinses de voz adversaires quil ne vous fault faire aultre penitence. En vous y acquictant ainsi quil apparitent Car bien eureux sont ceulx qui font justice en tout temps Mais quant amoy je ne puis meriter fors par aulmosnes oraisons jusnes et abstinences et si je ne le faisois me devriez a ce exciter par amour marialle Laquelle amour doit estre par le sainct esprit gouvernee autrementelle seroit folle & cause de plusieurs grans maulx. Vous avez veu et leu que salomon le plus sage de tous les autres eut amour desordon
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nee a ses femmes aumoien dequoy ydolatria. A ceste cause a escript lapoustre aux epheses quilz amassent leurs femmes ainsi que dieu avoit ame leglise. Laquelle il ama affin quelle fust saincte chaste et honeste. Et pour ace linduyre et instruire lavoura grandement ainsi quil appert par le texte des evangilles. Semblablement ung bon mary doit amer sa femme non pour delectation charnelle ou pour ses bien temporelz : mais pour ses vertuz et desirer quelle soit continentce de bonne conversation et honeste vie. En reprenant de ses legeretez et linduisant a amer dieu et saincte eglise. Pource monsieur quant ainsi seroit que dieu mauroit donne la grace de faire abstinences oraisons et autres bonnes euvres vous en devriez estre joieux tant parce que estes tenu a ce me induire que aussi auriez part en toutes ces operations Le roy ne sceut que replicquer a saincte radegonde fors quil luy dist. Madame et ma seule bien amee espouse et compaigne : je voy mon tort et congnois que contre raison vous ay reprise et blamee j vous pry que me pardonnez Et si vous avez bien faict par cy devant faictez mieux. Deslors ordonna le roy quelle eust par chascun an oultre son estat acoustume certaine somme de deniers pour distribuer en euvres piteuses a sa volonte.
¶ Comment saincte radegonde gouverna sa famille et comment on le doit faire. Chappitre. x.
CE congie de bien faire fut tresagreable a saincte radegonde et deslors en avant sefforca de faire plus frans aumosnes et de plus macerer son corps quelle navoit acoustume mais pour tant ne laissa davoir loeil a sa maison. Car en premier lieu quant a ses damoiselles (dont elle avoit grans nombre & de grosses maisons parce quelle estoit royne & plaine de toutes vertuz) Les conduisoit si sagement et de si bonne sorte
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que scandalle nen sortit onques. Leur ordinaire estoit des le matin avant que faire aucune euvre serville oyr la messe dire leurs heures oraisons et suffrages, Et si le temps estoit opportun les faisoit avant le disner vacquer a quelques petilz ouvrages honestes comme tixtre en saye ou laune couldre et tailler en linge et les occupoit en autres negociations feminines Apres disnet et avant retourner a leurs petites negoces leur donnoit quelque bonne doctrine, enseignoit aux filles comme elles devoient estre humbles sans estre oiseuses, Et aux femmes mariees monstroit commant il se failloit entretenir en lestat de mariage Oubien leur recitoit les misteres de la passion nostre saulveur & redempteur jesus. Les doueleurs & joies de nostres dame La vie des apoustres marties & confesseurs, ou quelques autres hystoires salutaires & proffitables, comme bient elle scavoit faire, Puis les mectoit en besoigne et commancoit a la premiere sans cesser jusques a heure de vespres quelle les menoit au service divin. Au regard des dances nen vouloit oyr parler ne souffrir que plusieurs jeunes gentilz hommes tinssent propos a ses damoiselles fors en sa presence et si hault quelle les povoit oyr et davantage ne les vouloit perdre de veue Aumoien dequoy tout aloit bient apoinct sansce que fille ne femme fussent en sa court scandalizees.
Et si par fragilite ou jeunesse quelque faulte ne la reprenoit ne corrigeoit par collere & en public mais la retiroit a part & sans sesfraier luy remonstruit par apparentes raisons quelle avoit failly et par amoureuses remonstrances la distrahoit de toutes folies jeunesses et occasions de mal faire.
Ses officiers et autres serviteurs estoient si tresbient entretenuz & paiez de leurs gages sans retardement que plaincte
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nen sortit onques et nu avoit homme ne femme de sa cout qui eust ause jour ne blasmer le nom de dieu de sa glorieuse mere ne de ses sainctz jeuz de cartes de dez & autres azars defenduz & toutes vilaines parolles flateurs & rapporteurs nestoient les bien venuz mais les chassoit & reculloit de sa court Et touchant les officiers & serviteurs de la maison du roy entretenoit encores mieulx
Si aucun deulx avoit failly & que le roy avoit alencontre de luy hayne ou courroux le pacifioit incontinant.
Et leur faisoit tant dautres biens & gratuytez quilz lamoient autant ou plus que le roy
Elle nestoit du nombre des femmes desquelles caton le moral a parle & dit quil advient souvent que la femme fait ce qui est ame par son maru Car elle amoit ce que le roy amoit & ce qui avoit en hayne elle semblablement Jentends de ceulx qui se doivent licitement amer ou hair
Que diray je plus fors quelle estoit si tressage et prudente que toute la court du roy & la sienne estoient en paix sans question noise sedition ne discorde entre les officiers serviteurs ne autres
¶ Commant saincte radegonde faisoit plusieurs aumosnes secetes a gentilz hommes femmes vefves pupilles filles a marier & autres gens destat tumbez en adversite.
Chappitre. xi.
JAy dit dessus la charite tres grande que saincte radegonde avoit es pauvres mendicans et mallades Mais je nay parle de ses aulmosnes secretes qui excedoient les autres Car la daincte dame avoit gens
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par elle commis pour senquerir par les villes & Citez : ou elle alloit de la pauvrete des gens de guerre qui avoient bien servy & aussi de celle des femmes vefves, arphelins et autres miserables personnes, qui avoient autreffoiz eu des biens du monde en bonne quantite. Et ces miserables personne nourrissoit & entretenoit honnestement selon leur estat, & leur envoyoit secretement argent pour ce faire. Aussi marioit pauvres filles selon la maison dont elles estoient venues, et les filz qui avoient volunte dacquerir science ou se habituer aux armes les u promouvoit. encores plus & bailloit argent pour les y entretenir. Sil y avoit quelque marchant ou mecanique qui par fortune deaue ou de feu, peril de mer, dangier de larrons, & brygans, par maladies ou autre adversite fust tumbe en pauvrete. Luy faisoit distribuer or & argent pour le relever de son infortune. Et les autres qui navoient dequoy mestier mener, et qui par ayde se pouvoient avancer en marchandise ou autre mestier & avoient vouloir de ce faire Leur donnoit quelque somme de deniers, en maniere que chascun porsperoit pres delle. Et avecques les biens temporelz quelle leur faisoit estoient par elles confortez & admonnestez de si bonne sorte, que personne ne partoit davec elle en douleur & merencolie. Notez ceste facon de faire roynes & princesses & que liberalite est la plus apparente & profitable vertu qui puisse estre en vous, mesmement quant elle procede de charite & pitie, comme celle de saincte radegonde, qui ne consumoit ses biens en pompes, jeuz, dances exces, chasses & autres choses peu proffitables. Mais a pourveoir les despourveuz. conforter les desolez. alimenter les affamez. adroisser les devoyez. & enrichier les indigens.
¶ Ce sont les especes de vraye liberalite qui fait resplendir & eternellement durer la memoire non seullement des princesses. Mais aussi de tous les empereues roys ducs & princes
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¶ Comment saincte radegonde estoit piteable et misericordieuse aux crimineux. Chappitre. xii.
PAr les faitz et gestes du roy clotaire & par tous les cronicqueurs qui en ont escript il appert quil fut cruel & vindicatif en sa collere, et fort obeissant a sa sensualite qui dominoit souvent sur la raison combien que au demourant il faust vertueux car il estoit liberal veritable et bon justicier son peuple nestoit pille ne moleste et si ne vouloit ouyr flateurs ne rapporteurs autmoins que bien peu Voyant saincte radegonde que ces deux vices de crudelite & lubricite abnubiloient et effacoient toutes les autres louables vertuz par doulces et gratieuses remonstrances quelle luy savoit faire a temps & heure sefforcoit trouver les moiens de revocquer de ces deux villaines coustumes. Et si tresbien y ouvra par la grace de dieu que ung peu mitiga sa furieuse colere en maniere quil commenca user de pitie plus quil navoit facoustume Neautmoins aucunesfoiz et souvent usoit de son acoustumee vengence et quant quelque gentil homle luy avoit faict son desplaisir le faisoit emprisonner et en eust fait mourir plusieurs neust este la bonne royne qui leur faisoit pardonner et les delivrer de prison Et si le roy lu faisoit la sourde oreille parloit au chancellier & au princes & seigneurs qui avoient credit envers le roy et tellement les importunoit que toutes les requestes quelle faisoit luy estoient actroiees aussi ne demondoit chose qui ne fust juste Car elle parloit seulement pour ceulx desquelz les cas estoient misericordieux & non pour les crimes irremissibles de droit. Quant le roy luy disoit quil failloit faire justice scavoit bien respondre que justive ne peut estre convenablement faicte sans misericorde ne misericorde sans justice et excusoit les crimineux en disant quilz estoient createures de dieu & que si par quelque legierete avoient commis quelque faulte il en failloit avoir pitie & considerer que
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si dieu ne tenoit la bride a plusieurs qui se dient justes. Feroient paravanture pis. Plusieurs autres grans persuasions faisoit au roy par lesquelles amolissoit la rigoureuse excecution de justice & les prisonniers de guerre qui navoient de quoy payer leur rencon quant elle congnoissoit quilz estoient gens de bien et vertueux les gaignoit et mectoit du party du roy ou bien secretement leur faisoit donner et remectre leur rencon.
¶ Dun miracle fait a peronne par merites de saincte radegonde sur la delivrance daucuns prisonniers. Chappitre. xiii.
POur entendre que telle pite estoit a dieu agreable il advinst ung jour que saincte radegonde pour prendre recreation se transporta avecques ses escuyers et damoiselles on jardrain du chasteau de peronne assis au pie dune grosse tour ou plusieurs prisonniers estoient estroictement tenuz & enferrez piedz et mains. Lesquelz advertiz que ladite saincte estoit ondit jardrin parce quilz la congnoissoient estre pitiable & avoir pauvres captifz en singuliere recommandation crierent tous a une voix en disant telz motz. Noble royne ayez pitie de nous Le cry fut grant et reitere plusieursfois tellement quil fut py par la bonne royne qui toutesfoiz netendit que quil disoient parce quilz esoient renfermez et assez loing delle. A ceste cause demanda a ses gens qui faisoit se bruit. La response fut que cestoient pauvres qui demandoient lausmone a la porte du chasteau Et croyant quon luy dist verite feit bailler a quelcun de sa compaignee argent pour leur distribuer lequel on lieu de faire ceste aumosne se transporta es prisons & pour faire taire les prisonniers leur donna entendre que la royne les delivreroit dedans le landemain il cuydoit mentir mais il dist verite. Car la nuyt sub
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sequente ainsi que ladicte saincte estoit a la maniere acoustumee en priere & oraison qui fut environ lheure de mynuyt.
Ung ange de paradis en la figure dicelle saincte se transporta esdictes prisons deferra lesditz prisonniers & les mist hors & au delivre puis referma la porte sans ce que les gardes en aperceussent aucune chose Le lenfemain matin lesditz prisonniers qui pensoient avoir este delivrez du consentement du roy par ladite saincte delibererent len remercier Et ainsi quelle alloit a la messe se trouverent au davant & luy en rendirent graces dont elle fut fort honteuse & esbaye car rien navoit sceu de leur delivrance Si les feit prendre le roy clotaire les interroga par qui a quelle heure & en quelle forme ilz avoient este delivrez & apres bonne enqueste surce faicte trouva veritablement que ce avoit este par miracle fait de dieu par les merites de sa bonne & saincte espouse Aumoien dequoy les laissa aller a leur plaisir & leur pardonna Ce miracle fut peuplie par tout tellement que le peuple eut en merveilleuse reverance & honneur ladicte saincte mais elle ne sen esleva & sachant quil venoit de dieu sen humelia plusfort envers luy & les hommes & redoubla a laustorite de sa vie par multiplication de jusnes & maceration de sa chair ainsi que raconte au long ledit sainct fortune.
¶Commant saincte radegonde eut en grande reverance et recommandacion les eglises & ministres dicelles Chappitre xiiii.
PArce que saincte radegonde avoit leu que la bouche des prestres est une espargne de science et que par la saincte excripture ilz sont nommez anges & dieux
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Elle se delectoit de oyr leur doctrine et enseignemens et sur toutes choses vouloit et disroit estre en leurs prieres & oraisons les avoit en recommadacion et reverence si tressinguliere quelle eust plustost esleu la mort que lessouffrire estre pillez & par exaction grevez Aux indigens elle distribuoit de ses biens en si bonne quantite quilz en vivoient honnestement selon leur estat doubtant que ce fust a sa dannation de souffrir les anges mandier Touteffoiz ne sentemectoit des benefices mais an laissoit faire aux chiefz deglise. ¶ Il ne se fault enquerir si les eglises quelle visitoit estoient en royne car sans craindre la mise prenoit ung merveilleux plaisir et grande peine a les entretenir de toutes reparacions necessaires et les decorer dornemens reliquaires & luminaires il luy sembloit lors quelle aidoit a parer quelque aultier quelle faisoit le lict ou devoit reposer nostres sauveur jesus. Que diray je plus fors quelle navoit son cueur ailleurs quen dieu & a faire euvres a luy agreables. An oyant la messe & lors que le prestre tenoit entre ses mains la saincte hostie soubz laquelle estoit mussee lhumanite & divinite du bon jesus faisoit plusieurs souspirs et sortoit de ses yeulx aussi grant habundance de larmes que si elle leust veu entre les mains des juifz et une autre foiz crucigier. Celle grande foy nestoit sans ardente charite car il ny eut oncques personne criant apres elle qui ne fust ouy Elle ne veit jamais personne affliger quelle ne secourust Et pour en parler selon la legende quen a faicte ledit sainct fortune & les autres hystoriens Onques occupacion temporelle ne lempescha une seule heure de faire les operacions spirituelles & estoit toute son affection de consoller les desolez de subvenir aux despourveuz de adroisser les devoiez & faire toutes autres euvres charitables sans soy divertir de ses affaires seculiers Tellement quen la vie active resembloit a marie marthe et en la contemplative la magdaleine
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¶ Commant lanne que la royne clotilde trespasse le roy clotaire voulut lever ung subside sur leglise. Chappitre. xv.
DEux ou trois ans apres que saincte radegonde eut este mariee avec le roy clotaire, la bonne & saincte royne clotilde qui lors se tenoit en la ville de tours tumba au lict mallade de la malladie dont elle mourut lan cinq cens cinquante & quattre selon la cronique dudit sigibert, le corps de laquelle fut honnorablement porte & inhume en leglise saincte geneviefve de paris ou il repose depresent, par injuriosus lors arcevesque de tours Et ondit an selon la cronique dudit sainct gregoire on premier chappitre du quart livre le roy clotaire par faulx conseil qui luy donna entendre que les ministres de leglise possedoient une grant partie de son royaume & quilz estoient trop riches & opulens voulut exiger deulx la tierce partie de leur revenu, a quoy plusieurs evesques dissumulateurs sestoient acordez, Mais ledit evesque injuriosus par laide support & faveur de saincte radegonde qui luy feit avoir audience envers le roy (ainsi que a escript assez confusement ledit sainct fortune) empescha lexecution dudit subside par telles remonstrances quil feit au roy en presence de tout son conseil
¶ Sire vous scavez que royaumes ceptres & seigneuries dependent de la souveraine deite qui faict regner & dominer en terre ceulx qui luy plaisent et qui le meritent par vraye obedience & recongnoissance de supperiorite et congnoissez assez clerement que les prestres sont chevaliers et ministres de dieu la dignite desquelz est si tresgrande quen ladministration du saint sacrement de lautier transcendent la puissance et nature des anges et (comme il est escript) qui leur fait desplaisir en faict a dieu et au contraire Aumoien de quoy plusieurs grans princes terriens pour les exalter en terre et faire vivre honnorablement : selon lexcellence de leur estat leur ont donne terres seigneu
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ries possession, & plusieurs grans biens qui sont a dieu dediez entant que pour lhonneur de luy leur ont este dstrivuez, tellement quon ne leur pourroit tollir sans leur faire force violence et le detestable crime de sacrilege, qui pourroit causer aux ravisseurs adversite si tresgrande que par effect congnoistroient lire de dieu estre sur eulx tumbee, ainsi quon aveu par experience le temps passe. parquoy sire si volez prosperer & faire chose a dieu agreable gardez vous de toucher aux biens des prestres & de leglise & moins a leurs personnes. car ilz pourroient estre cause de vostre subversion, actendu mesmement que sans cause le voulez faire. Car (a dieu graces) de rpesent estes en paix sans guerre & necessite. aultre chose seroit si vous & costre royaume estiez assailliz par vos adversaires & ennemys : neussiez dequoy vous defendre que par prieres & supplications ne peussiez convenablement prendre des biens de leglise non seullement pour vostre tuition. Mais aussi pour la defense dicelle eglise de ses ministres & de ses terres. ¶ Les parolles de levesque injuriosus qui estoit supporte par saincte radegonde, & ceulx de sa maison furent de si grande efficace & vertuz que le roy changea son premier propos Et la matiere bien debatue dune par & dautre fut ordonne que le subside ne seroit prins ne leve. & demoura leglise en sa liberte & franchise. Commant saincte radegonde feit brusler une ydole. Chappitre. xvi.
SElon lhistoirede baudoyne de laquelle jay dessus parle Saincte radegonde fut priee par quelque dame & princesse quelle ne nomme, daller disner a une sienne maison on paus de soissonnois. Et en y allant bien acompaignee ainsi que a son estat royal appartenoit rencontra par les chemins grant nombre de menu populaire. qui alloient faire certainesserymonies a ung ydolle estant illec pres comme ilz avoient acoustume faire par chascun an. Pour laquelle ydolatrie empecher & abatre, envoya aucunes de ses gens, qui furent mal recueilliz par les ydolatres : qui tous
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se armerent contre eulx : en maniere quilz prindrent fuyte vers elle Laquelle par ferveur de foy sans craindre la fureur de ce fol peuple avant que faire autre chose alla au lieu ou estoit lydolle le feit abatre & brusler davant elle pulicquement nonobstant que par armes on la voulust empescher. & remonstra audit peuple qui nestoit encores bien ediffie en la foy leur abuz & follie de sorte que tous recongneurent leur peche & en sa presence en demenderent a dieu pardon. en exaltant treffort la force & prudence de ladite saincte que monstra par effect lamour quelle avoit a la divinite & la grandeur de sa foy. Par chascun jour ladite saincte faisoit plusieurs autres notables faictz dont elle estoit crainte & amee de tous les subgectz du royaume : qui prosperoient par ses merites & intercessions en tous biens terrestres & celestes. Mais quoy quelle feist en lestat de mariage eust bien voulu estre en religion si lopportunite se fust peu trouver quelle ne pensoit estre si pres quelle estoit comme nous verrons cy apres.
Commant le roy clotaire feit mourir le frere de saincte radegonde & commant elle eut par ce moyen conge dentrer en religion. Chappitre. xvii.
SAinct fortune & Maistre vincent de beauvaiz : ont escript. que par la volunte divine advient souvent aucun cas fortuit aux bonnes & sainctes personnes pour leur salut. aussi affin que saincte radegonde vesquist plus religieusement quelle navoit acoustume advint que son frere fut innocentement occis : parquoy se rendit en religion ladite saincte du consentement du roy son espoux. Ce sont les propres motz translatez de latin en fracois que lesditz deux historiens ont escriptz surce pasage de lentree de religion faicte par ladite saincte. Et en les accordant avecques la cronique de sigibert & celle de sainct gregoire. on. vii. chappitre du tiers livre pour : savoir commant ce fut est a presupposer Que lan apres que clotilde deceda qui fut lan de nostre salut cinq cens cinquante cinq : selon ledit sigibert & quate ans apres que saincte radegon
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eust este mariee. le roy clotaire feit guerre aux saxons & les subjuga. A son retour passa par le royaume de thuringe et aussi tournay ou il feit plusieurs maulx : & mesmement aux thuringiens parce que aucuns deulx avoient donne secours aux saxons, & les prinst en une merveilleuse hayne. Deux ans apres le roy theodal (qui avoit regne sept ans selon tous les historiographes) alla de vie atrespas sans enfans : parquoy le roy sempara du royaume de thuringe daustriche la basse, & de toutes es autres terres & se rendit a luy le fredre de .saincte. radegonde que theodobal avoit tousjours entretenu depuis le deces de son feu pere theodobert. Si fut honnorablement receur par le roy clotaire. Mais la chance tourna soudain. Car en celle annee mesme qui fut lan de nostre salut cinq cens cinquante sept clotaire le feit incontinent mourir Je nay peu scavoir commant ne pourquoy, car lesditz historiens ne lont escript, Et est a conjecturer et croire que ce fut parce que clotaire avoit faict plusieurs maulx aux thuringiens et douvta que par vengence ilz volussent faire leur roy dudit frere de ladicte saincte auquel ldit royaume de thuringe appartenoit.
¶ Par quelque peu de temps on differa de singnifiee a la bonne royne ce cruel cas inique homicide Toutesfoiz lun des enfans du roy clotaire domme sigibert quelle amoit singulierement pour ses vertuz, acompaigne de deux ou trois autres princes ce transporta vers elle et luy dist (apres ce quilz furent retirez en ung cabinet ou chambre de retraicte) Madame vous scavez que les puissances et richesses mondaine sont caducques et fragilles, parce que subit affluent et soudain se perdent Ceulx que le monde par lincertain soufflement de fortune a soudain eslevez par impourveu rabessement lesplonge miserablement en la profundite de toutes maleuretez & meschances Nous avons tous congneu a loiel le trespiteux deffinement de plusieurs empereurs roys et princes, & scavons par experience quil ny a certaine asseurance es honneurs et richesses de ce monde. Par
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ce madame ne vous troublez si nous vous declairons quelque infortune advenue en vostre frere, Et pour vous compter le cas aulong, il est vray que le roy a bient ame vostredit frere pour la reverance de vous et avoit delibere ainsi quil disoit le exalter sur tous les autres de sa court, mais par maleur on luy a faulsement rapporte quil avoit machine contre luy guerre secrete & promeu les thuringiens a ce faire pour recourer le royaume de thuringe qui luy appartenoit. Aceste cause le roy qui est colere & vindicatif & qui trop tost preste loreille a telz rapporteurs sans autrement senquerir de la verite du fait cuidant quil fust vrau parce que vostre frere na gueres et puis la mort du roy theodobal est alle en thuringe la feit mectre a mort & son corps inhumer, et ensevelir honnorablement en une des villes daustriche Madame il est bien certain que ceste nouvelle vous est terrible et merveilleuse et parce fault que presentement usez de prudence constance & force mieulx que jamais et que portz le faict tel quil est patiemment, sans en faire aucun semblant envers le roy, qui par ung second despit vous pourroit faire quelque desplaisir scandaleux & irreparable. Ainsi que sigibert mettoit fin a son piteux propos saincte radegonde conmenca a trembler comme la fueille en labre, sa face blanche & vermeille devinst palle & ternie, & fut tellement pressee de douleur quelle tumba pasmee sans povoir ouvrir la bouche ne desserrer les dens pour parler. Parquoy futsoudain mise sur ung lit. Et lors quelle eut recouvert la parolle commenca ouvrir ses yeulx desquelz sortoit si grant habondance de lermes que tous ses vestemens en estoient couvers & moillez. & en souspirant commenca a dire :
¶ Ha miserable ambicion & contencion dhonneur, fondee en damnee avarice qui est ung couvoiteux vorage de proye manifeste, on te doit bien hayr : puis que la multiplication de telz desiers prepare aux humains amaritude de tous maulx Helas fault il que ton auctorite soit si grande. Que tu pervertisses le
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royal cueur dung prince qui est dominateur & surmonteur de tant de peuple. Estoit il besoing que par ton desloyal admonnestement les mains de celluy qui doit administrer a ses subgectz amour clemence & benignite soient souillees du sang des innocens. Fault il veoir la puissance dung directeur & conduicteur estre tant effrenee quelle le face nommer dissipateur & destructeur fault il que le tant noble nom de france soit macule de la barbare violence des incongneus : & que le sang dung seul homme honnisse la noblesse & exaltee proesse dung si grant conquerant. helas que je feiz tu mourir mon frere en son innocence. perverse ambition, sans actendre lheure quil devoit prosperer & recevoir recompense des infortunes passees, dont le deul croist de moictie a tout son noble parentage : Touteffoiz mon dieu quelque chose que je die, netends contrevenir par murmure a ta juste volunte. ne impugner par pertinacite tes secretz jugemens, desquelz nappartient aux humains de savoir la cause. Tep priant & suppliant treshumblement treshault & souverain dieu me donner patience, & avoir pitie de lame de mon pauvre frere. Plusieurs autres lamentations furent par elle faictes qui seroient longues a reciter. Et apres quon leut seulle laissee en sa chambre, se mist en oraison, en laquelle faisant fut inspiree daller parler au roy. Ce quelle feit desle lendemain matin a heure opprotune Si trouva le roy en sa chambre davant lequel se prosterna & de genoux luy dist. Monsieur je pensois que toutes voz promesses fussent asseurees comme arrestez de vostre souveraine justice, & veritables comme texte de bible. mais je congnois le contraire. Car lors que me feistes lhonneur de mespouser me promistes & jurastes que restituriez mon frere an royaume de thuringe a luy appartenant, & a lheure que avez eu puissance de le faire & quil a este vacquant, par injuste hayne, inexcusable envie, & cruelle vengence lavez fait traditieusement mourir sans lavoir deservy, non pour autre chose fors pour avoir ledit royau
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me. Monsieur vous leussiez aisement possede autrement ainsi que vos predecesseurs ont fait Et davantage a cause de moy y avez part et portion. Que diront les estranges nations de vous puisque navez pitie de sang vostre ne de celuy despouse enquel nom voulez cous vivre. Commant entendez vous que vostre fasme soit perpetuee. Desirez vous que ce soit comme celle du cruel neron. Jay regrete et regrete mon frere : & ay sa mort amerement ploree par autant que cestoit la perle dhonneur que je portois au plus hault de mon front, et le parement de mes precieuses choses : et que son humilite estoit ma gloire, son honestete mon confort, sa constance ma consolation, sa prudence mon passetemps, & ses vertuz mon tresor. Ce que jay entierement perdu. Neaumoints je me desconforte plus pour vostre peche qui charge vostre pauvre ame, de sorte : que je pense que a peyne pourrez estre saulve. si ne changez de meurs et condicions Il semble que voulez user de la puissance de dieu qui a reserve a luy gloire, vengence, et jugement. Mais il y a dangier quil assorbe et adnichille vous et vostre puissance. et que pour la gloire que demandez il vous envoye approbre injure et villenue. Pour vengence suppression et moleste. Et pour jugement eternelle malediction. Ne presumez avoir autre povoir que celuy quil vous a donne. Sur lequel il a retenu la superintendence & superiorite. Dont apres vostres doloreuse mort fauldra rendre compte jusques ala derniere cogitation. Voiez vous point monsieur que vostre pensee est envelopee dobscures tenebres puis que laissez tumber voz desirs en si patente & manifeste erreur
¶ Saincte radegonde neut loisir de parachever ses remonstrances au roy Clotaire Car il luy rompit propos. Et comme non coutant de telles parolles, luy dist tout furieusement quelle vuydast de sa presence et que jamais ne la veist Parquoy cessa de plus le balsmer, & tout gratieusement luy re
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spondit. Monsieur il ne vous desplaira si jay tant avant parle a vostre royalle mageste, ce que jen ay fait nest que pour la grant amour que jay a vous, & que je doubte que mal vous adviengne si perseverez en vous coustumes, vous en aves de si bonnes mais les maulvaises abatardissent Monsieur vous estes dorenavant vieil, et je ne suis jeune vous mavez plusieursfoiz desiree recluse en ung monastere. Puis que les cas est advenu que de moy ne voulez plus : je vous supply monsieur que me donez conge destre religieuse. car aussi bien ne pourriez jamais autant me amer quavez fait, & aurez tousjours quelque remois & scrupule sur moy, aumoien de la mort de mon frere. Le roy nota ces parolles, et apres y avoir eu pense quelque peu, dist a dainste radegonde : faictez ce que vouldrez je ne vous y empescheray, et vous en donne conge. Je vous mercie treshumblement (dist saincte radegonde) et vous pry davantage que me donnez quelque chose pour vivre, il y a ung petit lieu a vous appartenant nomme sees qui nest de grant revenu. Sil vous plaist me le laisser je vous seray perpetuellement tenue. Le roy luy octroya voluntiers. et luy en feit bailler lectres autenticques des celluy jour dont elle fut tresjoyeuse et toute consolee de ses douleurs. car la chose que plus desiroit en ce monde estoit estre religieuse. ¶ Quant elle eust fait ses aprestz pour sen aller a sees et quelle eut prins conge du roy, prinst aussi conge le plustost quelle peut de tous les gens de sa maison, et de celle du roy en leur disant. Messieurs il a pleu au roy pour quelques causes a ce le mouvans de se separer de moy, et me donner conge dentrer en religion, ce que jay delibere faire par layde de dieu. je scay & congnois que je ne vous ay traictez comme il appartient ne comme jestois tenue, il vous plaira me pardonner et prier dieu quil me doint la grace de mieulx le servir en religion que je nay fait en mariage. Et atant je prens conge de vous. Si se prinst la bonne et saincte royne a les baiser tous
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lung apres lautre. Et quant elle eut fait et distribue a chascun quelque petit don, sen alla Ce fut grant petie doyr les regretz plainctes & lamentations que faisoient lors prinses chevaliers escuyers dames, et damoiselles officiers, serviteurs des les petit jusques au plus grant. fort quelque petit nombre de maulvaises gens qui conseilloient le roy toutes ses maulvaises voluntez lesquelz ladicte saincte reprenoit souvant.
¶ Lung des enfans du roy clotaire nomme Sigibert qui amoit singulierement ladicte saincte feit plus grant deul que tous les autres Et envoya deux ou trois gentilz hommes vers levesque de noyon pour empescher quelle ne fust voilee. car elle luy avoit dit quelle alloit vers luy querir lhabit de religion Mais ilz ny feirent rien comme nous verrons cy apres.
¶ Et a tant ferons fin au second livre ou nous avons veu commant la saincte dame ses gouvernee en lestat de mariage. Si verrons dieu aydant par le tiers livre commant elle sentretinst en religion.
¶ Le tiers livre de la vie saincte Radegonde.
¶ Commant saincte radegonde fut voilee par sainct medart evesque de noyon. Premier Chappitre du tiers livre :
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[illustration]
PEu sejourna .saincte. radegonde en la court du Roy apres quelle eut prins son conge en la forme que nous avons veu cy dessus Et acompaignee seulement de ladite baudoyne & deux de ses damoiselles print chemyn vers la ville de noyon, ou elle arriva ung jour de feste bien matin incontinant feit diligence daller parler a sainct medart lors evesque dudit lieu jusques en son hostel. & ilec
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luy declaira la cause de sa venue et comme elle vouloit prendre le voile de religion. sainct medart qui ja avoit este adverty dudit affaire & prie par les serviteurs dudit sigibert filz dudit roy clotaire quil ne la voilast : senquist au mieulx quil peut avec ladite saincte dont luy procedoit ce vouloir. & la pria actendre jusques au lendemain pour savoir (come il est a conjecturer) si elle persevereroit puis sen alla faire le divin service en son eglise dudit lieu, ou assisterent plusieurs gentilz hommes & entre autres ceulx que sigibert y avoit envoiez pour empecher que ladite saincte nentrast en religion. Et ce pendant icelle saincte precogita que si elle actendoit jusquesau lendemain le roy clotaire se pourroit adviser & lenvoyer querir. Parquoy toute gravite royalle delaissee se transporta en ladite eglise Et davant tout le peuple illec affluant se gecta de genoux davant ledit evesque. & luy dist a haulte voix comme si elle neust jamais parle a luy. Monsieur vous savez la volubilite & changement des pensees & voluntez du roy Lequel de sa grace mavoit prinse pour espouse & compaigne, jacoit ce que mon entention fust lors de nestre marie et dentrer en religion, et ma tenue cinq ou six ans avecques luy. Toutesfoiz est advenu que pour quelque question que avons eu ensemble aumoien de mon feu frere : lequel il a faict mourir. de noz propres voluntez avons fait separation de noz corps & divorce et ma permis destre religieuse, qui est la chose que plus jedesire en ce monde. A ceste cause suis venue vers vous comme a mon pere. en dieu, pour recevoir de vous le voile & habit de religion. vous priant voire conjurant on nom de dieu que ainsi le faictes. Sainct medart fut tresesbay de la perseverance de .saincte. radegonde et apres quil leut reverenciallement recuillye. ainsi quil vouloit a elle parler, les gentilz hommes illec presens commancerent a faire ung merveilleux bruit en disant a sainct medart quil se gardast bien de la voiler. & quilz ne le permectoient parce que depuis quelle avoit espouse le roy Clotaire. Au moien de ses onnes meurs et vertuz, il avoit tousjours vescu en paix, et prespoere contre tous ses ennemys. ¶ Saincte radegonde
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persista et voulut estre voilee, pressant sainct medart de ce faire qui differoit y entendre, aussi le cas gisoit en grant difficulte. Si appella ladite saincte apart & luy dist. Madame je suis en une merveilleuse perplexite touchant vostre affaire qui mest estrange & nouveau, je vous congnois si tressage & prudente que ne vouldriez dire ne faire chose qui fust contre la volunte de dieu et a vostre deshonneur, il ne vous fault advertir que la conjunction de mariage ne peut estre par les hommes dissoluee ne desjoincte. Bien pourroient le mary & la femme de leur mutue volunte vouher continence & chastete Mais lung ne le pourroit faire sans le vouloir de lautre. vous dictes que le roy le veult ainsi, & vous semblablement je croix quil ya cy gens expres envoyez pour empecher que ne soiez voilee, si je fais de mon auctorite vostre desir, ilz en pourront faire ung maulvaiz rapport au roy, qui pourroit le promovoir a quelque grant tirannie. Parquoy madame y fault sagement proceder. Monsieur dust saincte radegonde. Puis que craignez la puissance du roy terrien je invocque celle du roy et seigneur de tout le monde, & proteste cy davant luy a lencontre de vous que si mon ame souffre aucun detriment par vostre faulte : que vous en rendrez compte. Sainct medat ne sceut plus que dire, fors madame faictes ce quil vous plaira : je vous obeiray a la peine de mort Or ne vouloit la bonne saincte quil eust mal pour elle. parquoy sur lheure le laissa & se retira on revestiaire de ladite eglise : ouquel elle mesme prinst le voile & habit de religion quelle avoit fait faire expressement. & en cestuy estat se presenta a sainct medart & luy dist publicquement Vous avez refuse ala requeste de ce populaire de me bailler le voile & robbe de religon soubz umbre de ce quil ne vous appert du conge amoy donne par le roy, qui est tel que je vous ay dit. & de ce faiz serment davant le sacraire ou repose le precieux corps de jesucrist moy mesmes en vostre reffuz lay prins & requiers vostre auctorite & benediction
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Laquelle me baillerez sil vous plaist. Et si ne le voulez faire. et que mo name en soit pire je requiers a dieu quil en face la justice telle quil appartiendra. Tous ceulx qui estoient ilec presens furent estonnez quant ilz la virent voilee et revestue, et ne sceurent que dire Au regard de sainct medart (comme celuy qui avo[i]t dieu davant les yeulx) neut povoir ne puissance de la reffuser, et la receut religieuse, luy bailla sa benediction et la dedia a dieu, dont elle fut toute consolee. Et apres quelle en eut rendu graces davant le grant aultier, et que le peuple se fut retire remerchia sainct medart, et donna ses royaulx vestemens qui estoient riches & precieux aladicte eglise avecques autres bagues & joyaux qui qui fut en lan de nostre salut. Cinq Cens. lvii. & parce fut ladite saincte en lestat de mariage six ans seulement
Commant saincte radegonde la premiere annee de sa conversion feit sa demoiree au lieu de seez Chappitre. ii.
PEu de tempsdemoura saincte radegonde a Noyon : apres quelle eut este voilee. Car doubtant son rappel incontinant se transporta avec baudoyne et deux autres jeunes filles en la ville de tours pour visiter le corps monsieur sainct martin. Et en y allant ainsi que a escript sainct fortune passa par les cellules & oratoires des bons saincts avvez jumer, addon & gradulphe : ou elle feit de grans dons & presens Et apres avoir fait son pelerinage a sainct martin & donne plusieurs beaux joyaulx a leglise dufit lieu pour les orenemens des aultiers : alla a cande. pour visiter le lieu ou ledit sainct estoit trespasse : & y donna semblablement de ses biens. Et dilec prinst son chemin a sees que le roy lcotaire luy avoit donne pour sa deourance Auquel lieu de sees qui est assis on diocese de poictiers et pres de cande & de chinon, elle se tinst par aucun temps parce que audit chinon y avoit ung religieux nomme jehan de saincte vie & conversation : duquel elle recevoit par chascun jour la
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forme de vivre religieusement, & autre bonne doctrine : avec plusieurs grans consolations de son esprit non par collocution & frequentation corporelle. mais par epistolles contemplatives. Et deslors ladicte saincte commenca croistre ses abstinences & a marcerer de plus en plus sa chair. & ne cessoit jout & nuyt de faire oraisons & prieres a dieu. & entre autres quelle demourast le reste de sa vie en lestat de religion : car parce quelle congnoissoit la volubitlite du roy clotaire tresfort doubtoit que par maulvaiz conseil la voulust rappller a luy Et (ainsi que raconte ladite baudoyne qui lors estoit sa servante) il advinst ung jour que ladite saincte estant en ceste merveilleuse craincte ainsi quelle faisoit a dieu ses oraisons aucstumees, eut vision dune nef en figure dung homme. sur les membres du quel reposoient hommes et femmes de divers estatz, & icelle saincte sur ses genoux. A laquelle il dist. Tu reposes maintenant sur mes genoux. mais tu reposeras plus hault, Ce sera sur mon estomac, qui estoit prediction de la future perfection dicelle saincte : qui ne sen esleva aucunement. mais sen humilia plusfort envers dieu & les hommes.
¶ Lung de ses grans desirs estoit de decorer les eglises de joyaulx & sainctes relicques Et parce quelleen avoit recueilly certaine quantite de plusieurs saincts & sainctes lors quelle estoit en la ville de atheis ou elle avoit este nourrie, Lesquelles elle avoit illec laissees, eust voluntiers envoye vers le roy pour le recouvrer. Mais elle doubtoit lexiter a soy repentir du conge quil luy avoit donne. parquoy demoura surce propos assez long temps. Pendant lequel ung jour quelle estoit en oraison sapparut en son oratoire ung prestre qui mist sur lautier dicelluy oratoire ung riche & beau vaisseau quelle ne peut lors apercevoir. mais par la permission divine en fut empeschee par ung legier sommeil qui la surprinst, duquel fut tantost apres reveillee dune doulce & amoureuse voix, qui luy dist. ma chere & bien amee ton desir a este presente a la divinite. Car les reliques par toy
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congregees a atheis avecques autres de sainct andre Sont on vaisseau mis en ta presence sur lautier de ton oratoire.
Aceste voix elle commanca ouvrir les yeulx & vy ung homme resplendissant comme le soleil : qui soudain se disparut. Toutes ces visions & autres subsequentes elle raconta depuis a baudoyne sa servante soubz le seel de secret, & moiennant quelle luy feit serment de ne les reveller durant son vivant. jay oy parler dung puys qui estoit audit lieu de sees et dautres petites choses qui sont a la louange de ladicte saincte. Mais parce que je nen ay veu tesmoignage suffisant doubtant que ce soit apocriphe : ne lau voulu escrire cy dedans.
Commant le roy clotaire apres que saincte radegonde eut prins labit de religion espousa la vefve du roy Theodal son nepveu, Et puis la laisse. Aumoien dequoy entreprinst rappeller saincte radegonde. Chappitre. iii.
PAr la deduction des regnes de theodoric theodobert, & theodobal selon les historiens dessus nommez, appert que le roy theodal trespassa lan de nostre salut. cinq cens cinquante sept : qui fut lan que saincte radegonde fut voilee. car comme nous avons veu dessus. Le roy clovis trespassa lan cinq cens quatorze. Theodoric lung de ses enfans regna apres luy vingt trois ans, apres theodoric theodobert son filz treze ans & theodal filz dudit theodobert sept ans. lesquelz regnes se continuerent & durerent jusques ondit an cinq cens cinquante sept.
Si laissa le roy theodal sa vefve nommee widotrade qui estoit belle & jeune. laquelle (selon ledit sainct gregoire on Ix. chappitre. du. iiii. livre de sa cronicque) le roy clotaire espousa. qui fut (comme il est a conjecturer) qpres que saincte radegonde eut entre en religion mais incontinant par le conseil de leglise la aissa aumoien de ce que ledit theodal son feu mary estoit nepveu diceluy clotaire, & la maria avec le duc garinal. Or quant il fut sans femme commanca a penser
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es meuts & vertuz de saincte radegonde qui estoit audit lieu de sees & nuyt & jour ne faisoit que soupirer & la regreter. En disant. Jay bien par laschete perdu la seulle felicite de mon corps. le sur repoz de mon esprit, le reconfort de mes douleurs le support de ma vieillesse, lhonneur de mon palais, lescarboucle de mon royaume, le propinacle de mes adversitez, le passetemps de mes ennuyeux jours, & lacomplissement de tous mes desirs. Suis je bien mauldit & malhereux davoir perdu la compaigne de celle qui mendormoit de ses bons propos au lieu secret de noz amoureuses aliances. Suis je bien incompatible, congnois je point mon imperfection, nest point claire davant mes yeulx ma reprouvee coustume de furieuse rigueur. Plusieurs autres regretz fasoit leroy en son secret & davant ses chambellans. lesquelz congnoissans son deul luy remonstrerent : que mieulx seroit rappeller de religion saincte radegonde : que se mectre en dangier de mort. dont le bruit fut si grant quil vinst a la congnoissance de ladite saincte qui en avoit une merveilleuse crainte, & ne savoit ou trouver secours & reconfort fors a dieu, quelle prioit nuyt & jour que son plaisir fust a garder de retourner aux mondains honneurs Et affin que sa priere fust exaulcee redoubloit lausterite de saincte & religieuse vie. & trouvoit nouvelles inventions de macerer son corps par louables penitences
¶ Combien que ses prieres gussent de dieu acceptees comme de celle qui bien luy estoit agreable. Toutesfoiz ne le presumoit, mais (sans perdre le merte desperance) se reputoit indigne de estre de dieu oye. Parquoy envoya se recommander a ce sainct homme nomme jehan qui estoit a chinon : & luy envoya ung reliquiayre couvert de fin or & pierre precieuses, le priant la consoler en ses douleurs, & conseiller en son affaire.
¶ Le bon & sainct rel[i]gieux receut la lettre de saincte radegonde avecques le present quil mist en son eglise. Et la prochaine nuyt ensuyvant se mist en oraison, & merita tant envers dieu