ghf

1707-Traité du récitatif (Grimarest) (1-50)

[1]

TRAITÉ DU RECITATIF

Dans la lecture,

Dans l’Action publique,

Dans la Déclamation,

Et dans le Chant.

LE Recitatif est l’Art de lire, de prononcer, de déclamer, ou de chanter un Discours, suivant les regles de la Prononciation, & de la Ponctuation.

[2]

Il n’y a point de Nation qui recite avec plus de grace, avec plus de délicatesse, que nous le fesons aujourdhui ; mais il est tems de fixer le goût, & l’usage, s’il est possible, & de commencer à donner des regles pour les conserver. Je conviens que cela n’est pas aisé : il faut une expérience consommée, & beaucoup de reflexions, pour être toujours en état de donner à sa parole des tons, & des mesures qui conviennent à l’expression. J’avoue encore que la Nature fait les premiers frais dans cette partie de la Rhetorique ; nous aportons avec nous une voix sonore & flexible, & la facilité du geste, nécessaires l’un & l’autre pour satisfaire l’esprit, & pour toucher le cœur de

[3]

ceux qui nous écoutent. Il y a cependant des regles pour conduire la voix & le geste ; il est important de les savoir, si l’on veut se faire un mérite de la parole. Je vais essayer d’enseigner cet agrément, qui pourroit se perdre, si on ne soutenoit par des principes, le goût & l’usage dans les bornes de la justesse.

Pour faire une lecture avec intelligence : pour prononcer un discours oratoire avec grace ; pour donner de l’action à un ouvrage ; & pour exprimer le chant avec justesse, il est nécessaire absolument de connoître l’effet des Accens, de la Quantité, & de la Ponctuation dans la prononciation, & dans l’arrangement de nos termes, & de nos expressions. Ainsi je me trouve obli

[4]

gé de préparer mon Lecteur sur cestrois parties, avant que d’entrer dans la matiere, qui fait l’objet de mon travail.

CHAPITRE I.

des Accens.

J’entens ici par, Accent, une marque dont on se sert dans l’Ecriture, & dans l’Impression, pour faire prononcer une silabe d’un ton plus aigu ou plus grave ; dans un tems plus long, ou plus bref, que si cette marque n’y étoit pas.

Comme je ne traite de l’Accent que par raport au besoin que l’on en a pour prononcer, je suis dispensé de parler de son origine, & de l’usage qu’en font les autres Nations.

[5]

Je ne discuterai point aussi, si nous avons raison, ou non, de nous en servir ; il suffit que nous l’aïons admis. Je dois seulement faire connaître son effet dans la Prononciation, & l’emploi que nous en devons faire. C’est en quoi les personnes, mêmes les plus éclairées, ont acoutumé de se tromper ; ou du moins c’est ce quon neglige communément ; sur tout dans l’impression, où cet abus tire à conséquence : Car je conviens que dans le commerce ordinaire de l’écriture, il y auroit une espece de pédantisme, pour un homme du monde, d’observer trop rigoureusement l’emploi des Accens. Il faut passer cette negligence à une Dame ; à un Courtisan ; ils n’ont pas besoin de cette fati

[6]

gante atention. Mais ces Accens mal emploués font dans l’impression des effets di différens, qu’il n’est pas pardonnable à un Auteur de les confondre, ou de les omettre ; puisqu’ils sont absolument nécessaires au recit, comme on le verra par la suite.

Nous avons trois Accens, l’aigu, le grave, & le circonflexe.

L’accent aigu, qui se fait ainsi, ’, est celui qui marque le l’e sur lequel il est employé doit être prononcé d’un ton élevé, & avec un son aigu, comme dans la derniere silabe de bonté. Et l’é ainsi accentué s’appelle e fermé, ou latin.

L’Accent grave, dont voici la figure, ‘, avertit que l’e, sur lequel on l’emploie, doit se

[7]

prononcer d’un ton plus bas & plus sourd, comme à la derniere silabe de succès, ou l’e, doit être prononcé de la même maniere que s’il y avoit un a, & un i, à sa place. On se sert encore de cet accent pour distinguer la particule à, de a troisiéme personne du singulier du present de l’indicatif du verbe, avoir ; , adverbe, d’avec la, article : mais il ne cause aucune différence dans la prononciation de ces monosilabes. L’e sur lequel on met cet accent, se nomme e ouvert. Neanmoins il y en a qui sans cet accent se prononcent de même, comme je le ferai remarquer.

L’Accent circonflexe, qui se fait ainsi, ^, a trois propriétez ;

[8]

l’une de rendre longue la silabe, sur laquelle il est employé ; comme dans la premiere de, ôter : l’autre de n’y être mis qi’à la place d’une lettre muette qui fesoit le même effet, & la troisieme d’ouvrir l’e sur lequel il est placé, comme dans honnêtement.

On peut ajoûter à ces accens ; la cédille, & le point double, sur une voyelle, puisqu’ils causent de l’altération au son de la silabe, où on les emploie.

Comme deux voyelles jointes ensemble font en françois un son aussi simple, & aussi parfait, que celui d’une des cinq voyelles ordinaires prononcée seule ; c’a été une nécessité, lorsqu’on a été obligé de faire sonner ces deux voyelles séparément, de convenir d’une

[9]

marque, pour la faire connoître ; ce sont deux points, que l’on met sur la derniere, comme on le voit dans les mots suivans ; haïr, Saül, réüssir, boëte. Mais les Imprimeurs (car je ne veux point accuser les Auteurs de l’ignorance que je vais reprocher à ceux-là) ne sachant point l’effet que doivent produire ces deux points, les emploient presque toujours mal à propos, sur tout après ces deux especes de voyelles, eu, & ou ; car ils écrivent, feuïlle, & rouïlle, au lieu de feuille & rouille ; ce qui feroit faire véritablement une faute de prononciation à un étranger, ou à un autre Lecteur, prévenu de l’effet de ces deux points, en prononçant, feu-ille rou-ille. Car l’usage aïant établi deux u dans notre langue, l’un

[10]

voyelle, u, l’autre consone, v ; & le propre des deux points sur la derniere voyelle, étant de la détacher de celle qui la précede, pour les faire sonner toutes deux, il s’ensuivra que l’orthographe ou la prononciation de ces termessera vicieuse. Cette faute des Imprimeurs vient, de ce qu’ils ne distinguent pas le son parfait d’une voyelle françoise, d’avec celui d’une autre voyelle ; & ils se sont imaginés que c’étoit une regle générale de mettre deux points sur la derniere des deux voyelles qui sont jointes ensemble.

La Cédille est une petit , renversé, ou une virgule que l’on pet sous le ç, pour lui donner devant l’a, l’o & l’u, le son de l’s forte, comme dans ces mots, deça, déçu, leçon. Un célebre

[11]

Académicien n’admet point ce ç adouci ; il substitue deux ss, à sa place : ainsi il écrit dessa, dessu, & lesson. Mais il y a un inconvénient pour la prononciation ; non seulement parce que la premiere silabe change de quantité ; mais encore parceque la prononciation en est différente : car, par exemple, dans le pluriel de leçons, où la premiere silabe est breve, l’e muet, si on substitue deux ss au lieu du ç, avec la cédille, l’e deviendra long & ouvert, parcequ’il sera devant deux consones, & on prononcera lessons, come cessons, ou paissons, & l’e fermé de déçu, se changera en e ouvert. C’est là, ce me semble, ne pas faire atention à la délicatesse de la prononciation, que d’admettre ces sortes de changemens, que

[12]

le raisonnement détruit. Ainsi je trouve que l’usage de la cédille est nécessaire pour prononcer.

Si l’on ne fesoit point un abus grossier des accens, j’aurois suffisamment expliqué leur usage par raport à la prononciation ; mais on en fait un emploi si bisarre, que je suis obligé de prévenir sur cela le Lecteur, afin qu’il ne s’y trompe pas.

Tous les noms substantifs qui se terminent en é fermé, doivent y avoir un accent aigu, comme dans charite, bonté. Si l’on marque leur pluriel par une s, on doit y employer ce même accent ; parce que le propre de l’s finale étant d’être muette, on prononceroit bontes, s’il n’y avoit point d’accent, comme l’on prononceroitcontes. Il en est de même des adjectifs, &

[13]

des participes terminés en é fermé, & de leurs pluriels ; ainsi que des secondes personnes du pluriel, comme éveillé, éveillés, aimé, aimés, vous aimés, vous aimerés. Mais il est à remarque que si l’on met à ces pluriels un z, au lieu de l’s finale, on ne doit pas y employer d’accent, parceque le propre du z final est de fermer l’é qui le précede. Il en est de même de l’r muette, aux noms & aux verbes terminés en, er, maier, oublier, metier, articulier ; car la prononciation des Parisiens est tres-défectueuse, d’ouvrir l’e de ces infinitifs, comme on le fait aux adjectifs ; & aux monosilabes terminés par la même lettre, comme amer, léger, fer, mer ; car dès que l’on fait sonner l’r finale, l’e qui est devant doit être ouvert.

[14]

Toute silabe qui a un e fermé, comme dans bonté, doit donc absolument avoir un accent aigu ; ainsi je suis de sentiment qu’il faut accentuer toutes les silables suivantes, été, dégénéré, & semblables. Cette exactitude éclaircit le Lecteur sur sa prononciation, qui est incertaine en bien des ocasions, quand on n’est pas déterminé par l’accent ; bien des gens, comme en Dauphiné, prononçant decision avec un e muet pour décision ; & d’autres, comme les Gascons, donnant à tous les e muets la prononciation de l’é fermé.

On dira sans doute que je veux acabler notre Langue par une multitude fort incommode d’accens. Il ne falloit point les admettre, si l’on ne vou

[15]

loit pas s’en servir ; ou à l’exemple des Latins, ne donner qu’une prononciation à notre e. Mais il y a bien des ocasions où il ne faut point d’accens ; la prononciation y est déterminée par les lettres, ou par les silables qui suivent, ou qui précedent, comme on le verra plus particulierement, quand j’aurai parlé de l’emploi qu’on doit faire de l’accent granve.

Tous les substantifs, & les prépositions, ou adverbes terminées en es, on besoin d’un accent grave, pour déterminer leur prononciation, comme succès, après ; autrement l’on prononceroit succes, comme la seconde personne du singulier je succe ; & apres, comme le pluriel de l’adjectif, apres. Il me paroît que c’est là tout l’usage

[16]

que l’on doit faire de l’accent grave ; puisqu’en fesant les remarques suivantes on peut s’exemter de s’en servir.

Premierement tous les monosilabes en es ont l’e ouvert ; ainsi ils n’ont pas besoin d’accent, excepté dès ; adverbe de tems ; mais c’est seulement pour le distinguer de l’article & non pour le faire prononcer. On doit excepter de cette regle deux monosilables qui ont l’é fermé, si on veut les écrire par une s. ce sont, nés, nasus &, chés, apud : mais comme leur véritable orthographe est de les écrire par un z, la regle que je viens d’établir est générale. Ainsi l’on écrit mes, tes, ses, les, des, sans accent. Je ne trouve rien de plus éloigné de l’usage & de la raison, que le senti

[17]

ment de l’Auteur de l’Art de prononcer, qui veut que ces monosilables se prononcent en é fermé : Je ne veux pas pour prouver le contraire, que prier le Lecteur d’en chanter quelqu’un avec cadence, ou avec tenue, le prononcera-t-il comme la derniere silable de bontés ?

Secondement toutes consones que l’on fait sonner à la fin d’un mot, comme le c, l’f, & le t, ouvrent l’e qui les précede, c’est pourquoi on ne donne point d’accent grave à tous les noms de cette terminaison, comme avec, bec, chef, bref, sujet, valet, net. Il en est de même de l’r à la fin des substantifs, & des adjectifs, comme Jupiter, mer, amer, léger. Que l’on ne me dist point que quelques personnes prononcent

[18]

léger, comme si le dernier é étoit fermé ; que quelques Poëtes feroient rimer à protéger ; & que l’on prononce aussi clef en e fermé. Je répons en premier lieu que la prononciation, & la rime de léger en & fermé sont fausses l’une & l’autre ; & en second lieu que l’on ne fait point sonner l’f de clef, & qu’ainsi il ne le faut regarder que comme un mot que l’on écrit sans f : & ainsi de tous les autres noms dont la consone finale est muette. Il est à remarquer que les mots dont on fait sonner l’r finale conservent l’e ouvert dans leurs composés, comme on le remarque dans légereté, légerement de léger.

En troisieme lieu, c’est le propre de la silabe muette, ou féminine, qui termine un mot,

[19]

d’ouvrir l’e de la silable qui la précede, fortement quand il y a deux consonnes entre les deux e, comme dans tonnerre ; foiblement lorsqu’il n’y en a qu’une, comme dans, pere ; ainsi il ne faut point d’accent grave sur les pénultiemes des mots féminins. Cette regle est si certains que la pénultieme, par exemple, du participe dégénéré ; qui se prononce en é fermé, change de prononciation dans la troisieme personne du present de l’indicatif & du conjonctif dégénére, dégenerent, où l’e devient ouvert. C’est pourquoi ce seroit plûtôt mon sentiment que l’on receût ce principe, que de suivre la regle qu’un illustre Academicien veut établir, qui est d’ôter une des consones semblables, & d’ac

[20]

centuer tous les e ouverts. Car outre que c’est donne une desagréable atention à ceux qui écrivent, ou qui impriment, c’est que cette innovation altere la quantité des silabes, comme je le ferai remarquer dans la suite. Je ne doute pas que bien des gens, qui pincent leur prononciation, s’il m’est permis de parler ainsi, ne s’élèvent contre moi, à l’occasion de cette regle : Ils diront que la plus part de ces pénultiemes silabes sont en é fermé ; mais ils n’y ont pas bien fait atention ; & je les prie, pour se desabuser, de consulter le chant, ils verront que je n’ai pas tort.

Enfin je puis encore épargner les accens graves dans les autres silabes qui ont l’e ouvert, en fesant observer, que c’est

[21]

un principe certain, qu’il est toujours de cette nature devant deux consones, plus fort, lorsqu’elles sont semblables, comme dans errer, absse, & quand elles terminent le mot, comme dans ouvert ; plus foible lorsqu’elles sont dissemblables, & qu’elles ne terminent pas le mot, comme dans exprimer. On doit cependant excepter de cette regle les termes, qui commencent par des prépositions inséparables, comme, décliner, mépriser, réprimander, dont l’é est fermé.

Toutes les silabes dont on a ôté une lettre muette, qui rendoit la silabe longue, doivent avec un accent circonflexe, comme dans les mots ôter, fête, qu’il formât, vous aimâtes, vous dîtes, au parfait simple,

[22]

vous êtes, vous fûtes. Mais cest un abus que d’employer cet accent sur une silabe, qui n’est point longue, quoique l’on en ait ôté une lettre muette, comme dans vu, pu, participes des verbes voir & pouvoir, parce que cet accent alors ne contribue en rien à leur prononciation. Ce qui me donne ocasion de faire remarquer que quand, votre, est pronom possessif adjectif, il ne doit point avoir d’accent circonflexe sur la premiere silabe ; parce qu’elle ne reste pas longue, j’ai vu votre frere ; mais qu’il faut lui en donner un, quand il est pronom possessif absolu, comme quand on dit, j’ai perdu mon livre, mais j’ai retrouvé le vôtre ; parce qu’alors la silabe demeure longue.

[23]

C’est encore une propriété de l’accent circonflexe de rendre ouvert l’e sur lequel il est employé, comme dans les mots suivans, honnêtement, fêter.

Ceux qui suivent le sentiment de l’Auteur du Traité de la Grammaire, sur ce qui regarde l’Orthographe, pourront trouver à redire que j’étende si fort le pouvoir & l’usage des accens : Et ceux qui sur le même sujet sont de l’oinion du célebre Académicien, dont j’ai parlé, trouveront peut-être mauvais que je n’emploie pas les accens aussi souvent qu’il le juge à propos. Mais quand ils devroient me censurer, j’ai cru que je devois éviter les deux excès, où ils semblent être tombés. Le premier soutient son orthographe par l’u

[24]

sage ; & c’est ce même usage qui a banni l’ancienneté dont il prend le parti : Et l’autre s’est ataché à la prononciation ; mais il me paroît qu’il ne l’a point assez examinée, puisque son orthographe nous fait mal prononcer en bien des ocasions. Ainsi j’ai cru que je devois prendre le milieu entre ces deux grans hommes, pour acorder mieux, qu’ils ne l’ont fait, l’usage avec la prononciation. Je conviens que mon autorité n’est pas d’un aussi grand poids que la leur ; mais je suis si souvent dans les détails de la langue, qu’ils peuvent moins m’échapper qu’à ces Messieurs, qui n’en sont ocupés que par les endroits les plus élevés : Et je suis persuadé que si j’ai heureusement rencontré, ils m’en

[25]

sauront gré les premiers.

Après avoir fait connoître succinctement l’effet des Accens dans notre prononciation, l’ordre que je me suis prescrit, demande, que je prévienne aussi le Lecteur sur la Quantité que nous observons dans nos sillabes.

CHAPITRE II

de la Quantité.

LA Quantité des silabes, est la mesure du tems que l’on emploie à les prononcer.

Cette mesure est à la vérité arbitraire, par raport à la lenteur, ou à la briéveté de la prononciation despersonnes qui parlent ; les uns le fesant avec

[26]

beaucoup plus de facilité & de promptitude que les autres. Mais cette quantité doit être fixe & déterminée, suivant le raport que les silabes doivent avoir entre elles. Ainsi quoique leGascon ait la prononciation plus vive que le Normand, neanmoins, toutes choses égales, ils doivent observer les mêmes regles de quantité : Je vais tâcher de les établir, pour empêcher, ou de traîner sa parole, ou de bredouiller, pour me servir du terme qui est propre à ce défaut.

Je remarque que nous avons quatre intervales différens pour prononcer nos silabes.

Dans le plus court nous pronférons les silabes breves, & dans le plus long nous prononçons les longues ; mais l’inter

[27]

vale entre les unes & les autres est encore paragé en deux, l’un qui approche plus des longues, & l’autre des breves.

Ce n’est pas une chose aisée que de ranger nos silabes sous ces quatre intervales ; non seulement parcequ’ils sont un peu arbitraires ; mais encore parce que sur ces sortes de matieres personne ne veut jamais convenir. Qu’après bien des reflexions & du travail on trouve un principe, qu’on le propose, un homme dont la folie sera de croire être homme de lettres, & entendu en toutes choses, de sa pleine autorité condamnera ce principe, le tournera en ridicule : Le nombre des gens qui ressemblent à cet homme-là, étant le plus nombreux, il a les rieurs

[28]

de son côté ; & l’on ne remporte de son travail que le chagrin d’avoir découvert l’ignorance de gens, que le plussouvent on estmoit auparavant. Parce que l’on croit apprendre suffisamment la quantité sans la connoître, on trouvera peut-être extraordinaire que je veuille lui donner des regles. Je veux hazarder ce ridicule, parcequ’il est absolument nécessaire de savoir ces principes pour parvenir à la connoissance, qui fait le sujet de mon ouvrage. Et si je suis l’objet de leur raillerie, je leur déclare à mon tour qu’ils le sont de la mienne, quand ils s’exposent imprudemment à lire, ou à parler en public : c’est pour les conduire en cela que je me suis déterminé à travailler ; si

[29]

je n’y ai pas réussi, qu’ils me reprennent par de solides raisonnemens, je passerai condamnation de leur censure ; mais si à leur ordinaire ils s’écrient insensément sur mon ouvrage, je leur déclare encore que je les méprise par avance. Je prie le Lecteur de me pardonner cette petite digression ; j’ai cru qu’elle étoit nécessaire pour prévenir la mauvaise volonté de certaines gens, toujours préparés à prendre un Auteur de son mauvais côté : & quand ils ne peuvent mordre sur son travail, ils veulent pénetrer jusques dans ses intentions, & lui en donner de mauvaises s’ils peuvent. Cela m’est déjà arrivé plus d’une fois ; ainsi je puis m’en plaindre.

Je reprens mon sujet ; & je dis que nos silabes les plus bre

[30]

ves sont formées par nos e muets, ou féminins ; & même celles qui terminent les mots ne se font presque pas entendre, quoique l’on ne doive jamais ometre de les prononcer, comme les deux premiéres de recevoir ; la premiere & la derniere de fenêtre ; la seconde de porte, aiment ; & les monosilables me, te se, le, de, ne ,que, ce.

On emploie un peu plus de tems à prononcer les silabes formées par une consone seule & par une voyelle ; par un a, comme talent ; par un é fermé, comme semé ; par un i, comme, diligent ; par un o, comme monosilabe ; & par un il, comme munir. Si les voyelles forment seules une silabe, elles paroissent avoir la même quantité, comme dans les mots suivans, atendre, ha

[31]

bile, été, oblige, inutile usure. Je mets encore sous cette espece de quantité les dernieres silabes des infinitifs terminés en er, & en ir, comme diligenter, finir.

Il me semble que les silabes qui sont composées de ces voyelles qui sont propres à la Langue Françoise, autres que les cinq voyelles communes à toutes les Langues, sont plus longues que les précédentes : Teles sont i, eu, au, oi, an, en, am, em, om, on, um, un ; on s’en aperçoit dans les mots suivans, Antoins, enchere, auteur, Ambroise, emblême, Oniphale, maison, un. Les dernieres silabes d’un mot, ou les monosilables terminés par une consone que l’on fait sonner, sont encore de cette espece, comme neuf, vif, net, fer, léger,

[32]

esprit : de même que celles qui dans le commencement, ou au milieu d’un mot sont composées de deux consones, qui ensemble servent à former le son, comme la prémiere de prier, breton, normand ; & la seconde de obliger.

Enfin je mets au nombre des plus longuessilabes, celles qui terminées par un z, par un x, ou par une s muette, sont les dernieres des mots qui ont la terminaison masculine. Cette regle n’a point d’exception, de quelque nature que puissent être les termes. En voici des exemples nez, chez, vœux, je veux, montés, aimés adjectif, aimez second personne du pluriel, après, hélas. D’où il resulte que les dernieres silabes des pluriels masculins sont toutes longues.

[33]

Les voyelles françoises, dont je viens de parler, terminées par une lettre muette, ou suivies d’une silabe féminine, formée par deux consones, sont de même quantité. On reconnaît la vérité de cette observation en prononçant les termes suivants, blanc, marchand, second, song, long, contraint, feint, contraindre, feindre, comprendre, malingre, contente, marquer, entrer, haute, autre, neuve, outre. On pourroit excepter de cette regle les nomss les adverbes en ent, qui se prononcent avec plus de brieveté, & qui à cause de cela doivent être compris sous l’espece de quantité précédente. Mais il y a une bonne raison pour le faire à l’égar des noms, c’est pour distinguer leur pluriel d’avec leur singu

[34]

lier dans la prononciation, comme on peut le remarquer dans Président, Présidens ; mais à l’exception de faineant, de geant, d’enfant, & d’elephant, tous les noms de cette terminaison ont la dernier silabe longue.

Deux lettres semblables nécessaires à la prononciation de deux silaves rendent la premiere longue, errer, tonnerre. C’est cette longueur qui m’empêcheroit de suivre l’orthographe de l’Académicien, qui supprimé l’une de ces rr, & qui emploie un accent grave sur la premiere silabe pour lui conserver sa prononciation : mais il n’a pas pris garde que cet accent n’a pas la proprieté de conserver aussi la quantité. Ainsi l’on prononcera guère bellum,

[35]

comme guere, parum ; tère, terra, comme se taire, tacere. Cette altération de quantité me détermine absolument à réfuter cette nouveauté d’orthographe.

Je ne sais si je serai assez heureux pour éclaircir la quantité que deux ss, jointes ensemble, produisent dans les silabes : Elle est si diférente que cela ne me paroît pas aisé : & c’est en cette ocasion que j’a recours à l’usage. Cependant comme je suis de sentiment qu’il ne s’établir jamais que sur quelque fondement, je vais tâcher de le chercher. Ainsi je trouve que toutes les pénultiemes des imparfaits du conjonctif sont lingues, que j’aimasse, que je prisse, que tu fisses, que je deusse, que tu fusses : que les voyelles ai, & oi, & la diph

[36]

tongue ui, devant deux ss, sont longues, maisse, croisse, puisse : que les derivés d’un nom qui a une smuette à la fin, ont la pénultieme longue, ainsi que leurs composés, comme tasser, de ras ; amasser, de amas ; passer, de pas : qu’un mot qui a la même orthographe, & qui signifie deux choses diférentes, à cette silabe longue en une signification, & moins longue en l’autre, comme chasse, pour mettre des reliques, & chasse, divertissement ; grosse pour grosse femme, grosse, pour femme grosse : C’est le seul usage, qui nous aprend cette distinction. Tous les autres termes, excepté classe, abesse, confesser, & cesser, ont cette pénultieme sous l’espece de quantité précédente, parque les deux ss ne font

[37]

en cette ocasion que l’effet de la prononciatin d’une seule lettre, n’étant alors employées doubles, que pour empêcher, que l’s seule, que l’on y mettroit, ne fît prononcer, comme s’il n’y avoit qu’un z. le propre de l’s entre deux voyelles, étant de n’avoir plus de force, que cette lettre.

La silabe féminine formée par une z, ou par une s & qui permine un mot, rend longue la voyelle qui la précede ; comme on le voit dans ces termes, fraize, extaze, peze, embrase, aise, frise, ose, use.

Dans tout terme l’s seule, ou le z, en quelque silabe qu’on les emploie, rendent encore longue la voyelle qui les précede, comme dans saison, marquizat, amuser.

[38]

Enfin toute silabe qui a un accent circonflexe est longue, hâter, fêter, fîtes, ôte, fûtes, faîte, plaît, connoît.

On peut inférer de ce que je viens de dire de la quantité, que notre langue aïant autant de silabes longues qu’elle en a, elle doit être prononcée gravement ; & que le mêlange des longues & des breves, avec son arangement, lui donne de la grace dans la bouche d ceux qui parlent bien.

Om me dira peut-être qu’il étoit fort inutile de donner ces observations sur la quantité ; que personne ne les ignore. Je répons à cet esprit suffisant, qu’à l’entendre lire un ouvrage, il n’observera peut-être pas une de ces regles : on lui passe es negligences dans le discours

[39]

ordinaire de la conversation ; mais dans la lecture on ne lui pardonne rien. Je dis pus, le mauvais langage des Provinces ne vient que de ce que l’on y a peu de soin, d’observer les regles de la quantité ; & que l’on y prononce la silabe d’un mot, d’un ton plus haut ou plus bas que les autres. Car toute silabe devant être prononcée dans sa juste mesure ; & toutes celels qui composent un mot devant être proferees sur le même ton, comme je le ferai voir, dès qu’on s’écarte de ces deux préceptes, on forme un mauvaise prononciation, sans s’en apercevoir. A en croire un homme d’Angers ; ou de Blois, il s’imagine avoir la plus belle prononciation ; c’est même une erreur popu

[40]

laire qui s’est répandue jusques dans les payes étrangers : les parens ordonnent à leurs enfans, qu’ils envoient voyager en France, de séjourner à Blois, ou à Angers, comme au centre du bon accent, & du beau langage. Les habitans flatés par cette prévention croient que cela est vrai ; mais les uns é les autres se trompent lourdement. Nous sentons aisément le défaut de ces Provinces, parce que conduits par la Cour, qui ne s’éloignant plus de nous, nous soutient dans la meilleure prononciation ; l’accent étranger nous frape tout d’un coup. Je ne dis pas que les Parisiens n’aient une grand disposition à altérer la prononciation, je l’ai déjà fait remarquer : mais trop de personnes de

[41]

Cour, & de littérature cultivent la langue à Paris, pour qu’on ait lieu de craindre du changement dans le bel usage de la parole. Il est vrai que dans le tems que la Cour fesoit des oyages à Chambor, pendant que Gaston de France, Monsieur, fesoit de longs sejours à Blois, le langage du pays pouvoit être meilleur. Mais les habitans ont eu le tems de le corrompre ; & ils le font encore tous les jours : tout ce que je puis leur acorder, c’est qu’il n’est pas encore aussi mauvais que le Picard & le Normand. L’Etranger, en arrivant dans le Royaume, n’est point en état de connoître le bon ou le mauvais usage) de la prononciation : & apres avoir passé quelque tems

[42]

dans une méchante habitude, il n’est plus suceptible de changement, la prévention l’entretient das son langage de Province, qui tranche fort avec celui d’un homme[1] de qualité.

Je soutens donc qu’une personne, qui veut se donner l’agrément de la prononciation, doit dans sa manire de parler, lente ou précipitée, selon son tempérament, se fixer une juste mesure pour proférer les silabes, suivant les regles établies par le bon usage ; observant neanmoins que la prononciation posée est plus noble, plus propre à la langue françoise, que cele qui est précipitée. Ce n’est pas pour cela que j’approuve cette lenteur affectée de quelques Courtisans, qui[2] pour vouloir donner au

[43]

tant de hauteur à leur ton, qu’à leur manieres, croient pouvoir exprimer la supériorité de leur naissance par la longueur de leurs paroles, qu’ils traînent à un tel excès, qu’ils ennuient, & bien souvent révoltent ceux qui les écoutent.

Si je n’ai pas entierement reglé les pauses des silabes, je crois du moins en avoir beaucoup approché, quand on voudra y faire un peu d’atention ; & je prie le Lecteur de ne point condamner mon ouvrage, qu’après m’avoir donné cette satisfaction, car je suis jaloux de mériter son estime. Je viens de donner ce que j’ai exactement observé sur la quantité ; je passe avec le même esprit à la Ponctuation.

[44]

CHAPITRE III.

De la Ponctuation.

J’Entreprens de traiter ici d’une matiere qui n’interesse guere les gens peu versés dans les lettres. Ignorant l’usage dont elle est dans la composition, dans la déclamation, & dans la lecture, ils s’embarassent fort peu de la suivre, & de l’observer. Ils la regardent comme le partage des Sçavans ; c'est-à-dire, comme un objet inutile, & méprisable. Cependant j’ose avancer que cette petite science est importante. De là quelquefois dépend la clarté d’un acte ; l’éclaircissement des faits ; l’expli

[45]

cation des sciences, & des arts. Et l’on sait que le defaut de ponctuation a souvent causé des équivoques, qui ont eu de tres-mauvaises suites. Il y a plus de difficulté que l’on ne pense à bien ponctuer ; & quoique cette connoissance ai paru jusqu’à present arbitraire, à examiner la différente ponctuation des Auteurs, je voudrois pourtant bien faire entendre qu’elle de devroit pas l’être : Et si je puis y parvenir, ce sera une nouveauté dont jespere que le Public connoisseur me tiendra compte. Il n’est pas aisé sur cette matiere d’entrer dans le sentiment général ; les personnes qui ne composent point, & qui n’écrivent que le courant de leur commerce, ne se mettront peut-être pas en peine d’a

[46]

profondir mes raisons. Les gens de Palais, ou d’affaires qui ne connoissent que la virgule pour séparer leurs expressions dans leurs écritures, negligeront seurement mon travail : ainsi il semble qu’il ne soit destiné que pour les personnes de litérature. C’est cependant à tout le monde que je vais donner des regles ; puisque tout le monde peut lire, ou prononcer un discours : Et si les pauses n’y sont exactement observées, suivant la liaison que les expressions doivent avoir entre elles ; on ne se rendra point intelligible à l’Auditeur. La Ponctuation est le fondement de cette clarté : on ne doit donc pas en ignorer les principes.

La Ponctuation est l’art de marquer, par de petits caracteres, les endroits d’un dis

[47]

cours où l’on doit faire des pauses, & le sens que l’on doit donner à l’expression.

Il y a quatre sortes de ces caracteres, le Point (.) les deux Points (:) le Point avec la Virgule (;) & la Virgule (,).

Nous n’avons que quatre sorte de Points dans notre Ponctuation ; le Point fermé (.) le Point d’admiration (!) le Point interrogant (?) & le Point interronpu (….) les deux Points ; le Point avec la Virgule ; & la Virgule ne se divisent pas.

Il seroit à souhaiter que l’on eût admis dans notre Langue des Points de commandement ; d’ironie, de mépris ; d’emportement ; d’amour, & de haine ; de joie, & de dou

[48]

leur : la lecture en seroit beaucoup plus aisée, & l’on donneroit à sa prononciation le sens qu’un[3] Auteur auroit mis dans son ouvrage : Au lieu qu’incertain de ce qui va suivre, un Lecteur manque souvent le ton nécessaire à l’expression. Je ne suis pas d’un assez grand poids pour innover dans cette rencontre ; je ne remporterois de mon atention que le ridicule, que ceux qui hazardent des nouveautez ; ne sauroient se sauver, quelques utiles qu’elles soient. Je m’en tiens donc à ce qui est fait : bienheureux encore, si je puis parvenir à faire connoître l’usage que l’on doit faire de la Ponctuation qui est établie.

Le Point fermé est celui qui marque un sens complet, &

[49]

que la période est achevée, sans désigner le mouvement, ny le sens des expression qui la composent, comme on peut le remarquer par l’exemple suivant.

Je me contois trop tôt au rang des malheureux,

Si Titus est jamoux, Titus est amoureux.

Après avoir lu ces deux vers, je n’ai plus rien à souhaiter pour les comprendre ; le sens en est parfait.

Mais ce qu’il y a d’incommode pour un Lecteur, c’est que la stérilité de notre Ponctuation nous oblige de nous servir de ce même Point fermé dans toutes les passions, dans toutes les figures, excepté dans l’admiration, & dans l’interrogation. Et lorsque les premiers termes d’une période ne désignent pas le sens d’un Auteur, celui qui lit, ne pouvant

[50]

à l’abord le développer par la Ponctuation, est toujours incertain, lorsqu’il prononce un ouvrage pour la premiere fois : Ainsi je doute qu’à la premiere lecture, il donnât aux verssuivans le ton, qu’ils doivent avoir ; les deux premiers ne le fesant pas connoître par leurs termes. C’est Cleopatre empoisonnée qui commande à sa Confidente dans Rodogune.

Si tu veux m’obliger par un dernier service,

Après les vains efforts de mes inimitiés,

Sauve-moi de l’affront de tomber à leurs piés.

Un Lecteur epu sensible à l’expression ne s’apercevra pas aussi de l’ironie qui est renfermée dans les vers que Nicomede dit au sujet de son frere.

Puisqu’il peut la servir à me faire descendre,

Il a plus de vertu que n’en eut Alexandre :

 

[1]             Le texte porte unihomme.

[2]             U inversé.

[3] Premier u inversé.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

ulb ltc

L’utilisation du genre masculin dans les pages du présent site a pour simple but d’alléger le style. Elle ne marque aucune discrimination à l’égard des femmes.