TRAITÉ DU RECITATIF
Dans la Lecture,
Dans l’Action Publique,
Dans la Declamation,
Et dans le Chant.
Avec un Traité des Accens, de la Quantité, & de la Ponctuation.
A PARIS.
Chez
Jaques le Fevre ; dans la grand’Salle du Palais, au Soleil d’or
Et
Pierre Ribou, proche les Augustins, à l’Image Saint Louis.
M. DCC. VII.
AVEC PRIVILEGE DU ROI.
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A SON ALTESSE SERENISSIME MADAME LA DUCHESSE DU MAINE.
MADAME,
Je sais, Madame, que nos efforts pour témoigner à Votre Altesse Sere
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nissime les sentimens respectueux que nous avons pour sa Personne, suffisent pour mériter les effets de Votre Bonté. C’est par cette haute Vertu, autant que par votre illustre Naissance, & par l’étendue de Votre Discernement, & de Votre Savoir, que Vous vous plaisez, Madame, à nous faire une loi de l’inclination que nous avons à Vous respecter, à Vous admirer. Dans cette confiance j’espere que Votre altesse serenissime daignera recevoir favorablement le petit ouvrage que je prens la liberté de lui presenter.
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Si j’étois assez heureux pour l’avoir bien travaillé, il pourroit être digne de Votre Protection, par le raport qu’il a aux nobles amusemens qui détachent avec tant déclat l’élévation de vos ocupations sérieuses. Votre Altesse Serenissime, qui pour goûter avec plus de plaisir les sentimens des grandes Princesses ; la simplicité des personnes les plus communes, en represente l’action avec tant de délicatesse, & de supériorité, verroit peut-être avec quelque satisfaction dans mon ouvrage des regles dans lesquelles je voudrois bien fixer le
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goût de l’Action. Non, Madame, que je présume avoir aproché dans mes instructions de cette délicatese, de cette supériorité, qui fait l’admiration de ceux qui ont le bonheur d’être rémoins de vos divertissemens ; les maximes les plus solides, létude, l’execution la plus consommée, ne pouront jamais nous conduire à cette perfection. Ainsi, Madame, je suplie Votre Altesse Serenissime de ne point se servir de ses lumieres pour juger de cet ouvrage ; mais d’user de sa Bonté ordinaire pour le protéger. Ce sera toujours
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beaucoup pour moi, qu’apres avoir eu une favorable ocasion de témoigner au grand Prince, à qui vous devez vos precieux jours, l’inviolable atachement que j’ai pour sa Personne, je puisse aussi, Madame, en vous dédiant cet ouvrage, Vous faire connoitre le zele & la vénération que j’ai pour Votre Altesse Serenissime. Ce n’est point à un Auteur aussi foible que je le suis, à rapeler toutes les Vertus qui la font revérer ; à representer cet Esprit sublime, qui pénetre dans le savoir le plus profond, qui se produit avec tant d’Eloquence,
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qui donne enfin ses décisions avec tant de justesse, qu’à peine sont-elles prononcées qu’on les respecte avec admiration, qu’on les suit avec empressement. J’altererois des Véritez, qui ne peuvent recevoir tout leur éclat que dans votre Personne. Ainsi, Madame, assez sage pour retenir des expressions, qui ne pourroient répondre à ces éclatantes Vertus ; mais assez éclairé pour en connoitre toute la grandeur, je reste dans le respectueux silence qu’elles m’imposent. Il ne m’est permis que d’en être touché aussi vivement que je le suis ; & de me conduire
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avec tant de soumission, que je puisse Vous persuader, Madame, que personne ne sauroit être avec plus de respect & de vénération que je le suis,
Madame,
De Votre Altesse Sereniss.
Le tres-humble & tres-obeissant serviteur De Grimarest.
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PREFACE
CE Livre doit sa naissance à la Critique que l’on a faite de la Vie de Moliere ; dans laquelle on me reproche de la présomption sur ce que j’ai avancé touchant l’action du Theâtre. J’ai cru que je devois dans ma Réponce à cette Critique, faire connoître au Public que je n’ignorois pas tout-à-fait cette partie de la Rhetorique : Heureusement j’ai fait voir que mon Critique n’en avoit qu’une légere & imparfaite connoissance, & telle qu’on l’acquiert, quand destitué de principes & de goût, on se contente de fréquenter
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les spectacles pour se la donner. Messieurs les Journalistes de Paris dans l’extrait de cette Réponce m’ont animé à faire davantage. Il seroit à souhaiter, disent-ils, que sans crainde d’ennuyer le Public, l’Auteur nous eût dit tout ce qu’il paroît sacoir sur cette matiere ; cela auroit son utilité. Un jugement si assuré & si avantageux m’a donné de la confiance ; mais j’ai poussé plus loin mon ouvrage, aïant remarqué que ceux qui lisent, & qui chantent, avoient autant besoin d’être conduits, que ceux qui déclament. J’ai même été jusques à donner des regles à ceux qui peuvent avoir un Discours public, ― ou un Plaidoyé à prononcer. Et comme toutes ces parties suposent une parfaite connoissance de l’effet des
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Accens, de la Quantité, & de la Ponctuation, je n’ai pu me dispenser de dire ce que j’en sais, pour donner à mon Lecteur ce qu’il peut desirer de moi. Voila donc véritablement un livre nouveau que je lui presente : car je ne crois pas qu’en notre Langue on ait encore traité de toutes ces parties ensemble ; & il y en a même dont on ne l’a point fait séparément. Quelque succès que puisse avoir mon travail, il aura son utilité. S’il est mauvais, quelque Auteur charitable, & connoisseur pourra faire mieux : s’il est passable, on aura des principes que l’on n’avoit point encore dans une science, dont l’usage est cepednant si fréquent & si nécessaire.
Il est vrai que l’on a traité
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avant moi de l’Action de l’Orateur, & de la Méthode de bien prononcer un Discours ; mais ce n’a pas été dans la même vue ; & j’ose même avancer que ces traités sont imparfaits, & d’un goût différent de celui dont on veut s’instruire aujourdhui. Je vois si peu de personnes qui aient une juste & agréable Récitation, dans quelque genre que ce soit, que j’ai cru me faire un mérite de donner des préceptes pour l’aquerir, quand on a d’ailleurs les dispositions de la Nature nécessaires pour y parvenir. Si je reussis dans mon dessein, je croirai avoir fait un grand ouvrage ; parcequ’il n’y a personne qui ne soit exposé à réciter en public ; & il y a des gens que leurs emplois y obligent indis
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pensablement, & qui seron[t]
peut-être bien aises de lire en leur particulier les avis que je prens la liberté de leur donner publiquement, pour leur procurer un avantage, qui a presque toujours d’heureuses suites. Je ne prétens donc point avoir traité d’une matiere frivole ; au contraire je la crois grave ; & l’on en conviendra avec moi, si l’on veut bien se donner la peine de l’examiner sérieusement. Je ne parle ainsi que pour répondre à l’avance à de certaines gens qui s’imaginent qu’il est de leur honneur de négliger les premieres connoissance, & de se donner de la supériorité sur les Auteurs qui s’y atachent. Ces petits fanfarons littéraires, dont la chancelante réputation n’est
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soutenue que par le talent qu’ils ont de s’enrichir des dépouilles des Auteurs qui les ont précédés, & de faire valoir pour quinze jours de bel esprit qu’ils ont eu soin de ramasser, décident sur un ouvrage avec tant d’effronterie, que leur jugement fait quelquefois effet parmi le commun des Lecteurs, qui se laissent conduire par ces pestes de la littérature ; lesquels sont d’assez mauvaise foi, pour puiser dans un ouvrage qu’ils blâment les connoissance qui leur manquent. Je prie donc mon Lecteur de ne se point laisser séduire par ces ennemis du bons sens, avant que d’avoir reflechi sur mon travail, que j’ai fait avec toute l’atention dont je suis capable. Je ne prétens pas neanmoins avoir épuisé la
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matiere ; mais je n’en sais pas davantage, à moins qu’on ne m’aide à l’aprofondir. J’ouvre le chemin pour la perfectionner ; c’est encore beaucoup pour moi ; car il n’est pas aisé de statuer sur une chose que l’on a cru jusqu’à present ne dépendre que du goût.
De tous les tems l’usage noble & agréable de la parole dans le Recitatif a fait honneur à celui qui l’a possedé ; les personnes les plus élevées veulent bien même le cultiver ; mais l’on n’a point encore recherché les moyens de l’établir sur des rincipes ; on s’en est tenu au goût courant, qui tantôt a été bon, tantôt mauvais : Le seul plaisir de détruire cette incertitude ma déterminé à travailler ; & mon ambition seroit as
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sez remplie, si quelques connoisseurs se rangeoient de mon côté ; & vouloient bien répandre que cet ouvrage, quoique peut-être imparfait, m’a cependant coûté beaucoup. Il n’est pas jusques au titre qui ne m’ait embarassé : l’idée vulgaire que l’on a de la signification du terme Recitatif, ne s’étend point au de là du Chant. En voila assez pour élever des Critiques contre moi : on est alerte pour me trouver en défaut dans l’expression ; & l’on m’a reproché que j’aie dit dans un autre ouvrage, que pourvu que je me fisse bien entendre, je m’embarassois peu qu’on me reprochât la singularité. C’est cette singularité, a-t-on dit, qui jette de l’obscurité, & de la confusion dans le stile. Il me semble que
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l’on pouvoit me reprendre avec plus de justesse, & que l’on ne peut inférer de ma proposition, que j’aie dessein d’être obscur, & confus ; au contraire, & je l’ai déjà dit ailleurs, je ne hazarde une expression que pour donner plus de feu, plus de concision, plus de netteté à ce que j’exprime, & pour m’acommoder aux gens du monde, qui ont un langage quelque fois bien différent de celui des personnes qui me reprennent. C’est pour leur épargner de la peine que je me justifie sur mon titre. Je leur avoue que j’ai été partagé entre Recit, Recitatif, & Recitation. Mais le premier n’étant que la Narration d’une avanture, ou d’une action qui s’est passée ; & la Recitation n’étant que la maniere
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de reciter de l’Orateur, détachée du geste, j’ai cru que je devois m’en tenir à celui de ces trois termes dont la signification est la plus juste & la plus étendue ; Et afin d’ôter toute équivoque, j’ai ajouté des termes pour faire entendre au Public que je traitois de l’action du Lecteur, de l’Orateur, de celui qui déclame, & de celui qui chante.
On trouvera peut-être encore mauvais que j’aie donné quelques regles qui dérogent à l’usage. Pourquoi, dira-t-on, avancez-vous, par exemple, que les e sont ouverts devant les finales muettes ; college, manege, privilege, siege, détruisent votre principe. Mon Lecteur en fera s’il veut une exception ; mais mon sentiment est que,
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bien que ces silabes aient presque le son de l’é fermé ; cependant j’y sens de la différence assez pour ne les point excepter de ma regle, Ce sont-là de petites altérations, que de bons Orateurs de Province, qui viennent briller à Paris, introduisent dans notre Langue, & contre lesquelles on devroit toujours être en garde. Mais sans songer que ce célebre Prédicateur est Provençal, que cet habile Avocat est Normand, on se fait un honneur, ou une habitude d’imiter leur langage. C’est par le peu de précaution que l’on a contre leur défaut de prononciation que l’on commence, même sur le Theâtre, à prononcer Roïaume, envoïer, & autres termes semblables, pour Royaume, envoyer, &c,
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Et quelque soin qu’un célebre Académicien ait pris de nous démontrer l’usage que l’on doit faire de l’y grec, & la conséquence dont il est de ne le point employer mal à propos, on ne veut pas s’assujettir à la raison, & l’on ne veut dans ces ocasions recevoir pour guide que sa phantaisie. Parce qu’un Provincial aportera quelque défaut dans notre prononciation, faudra-t-il à cause de cela faire une exception, une regle ? Je croirois au contraire que les personnes qui se font un plaisir & une ocupation de cultiver la Langue, devroient détruire toutes ces innovations vicieuses.
Comme je préviens dans le corps de mon ouvrage, quelques objections que l’on peut me faire, j’ai la satisfaction de
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n’être point obligé de faire une plus longue Préface.
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TABLE DES CHAPITRES.
Des Accens Chap. I. 4.
De la Quantité. Chap. II. 25.
De la Ponctuation Chap. III. 44.
De la Lecture, ou Recit simple. Chap. IV. 73.
De la Prononciation du Discours oratoire. Chap. V. 101.
De l’Action de l’Avocat. Chap. VI. 110.
De la Declamation. Chap. VII. 119.
Du Chant. Chap. VII. 199.