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est raisonnable ou non, c’est une question assez épineuse ce me semble, & assez importante dans nostre subject, pour meriter que je m’arreste un peu à l’examiner. Il est bien vray que la Raillerie, lors qu’elle peut se contenir dans une honneste reigle, est un doux aliment de la conversation ; laquelle deviendroit à la fin bien froide, & mesmes ennuyante, sans ces agreables intermedes de petites contrarietez dont elle la diversifie, qui la resveillent, & la rescchauffent, ce semble, pour luy donner une nouvelle vigueur, & de nouvelles graces. La plus part des esprits cherchent plu-
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stost ce qui les divertit avec quelque sorte d joye, que ce qui les occupe serieusement : Et comme naturellement ce qui provocque à rire plaist, ils se rebutent aisément des compagnies qui n’ont qu’un entretien tousjours égal, pour suivre celles où ils treuvent de ces amusemens. Cecy se remarque particulierement parmy un certain nombre de personnes qui s’endorment dans l’oisiveté de Paris, & parmy la jeunesse de la Cour : Car si cet exercice ne tenoit leurs esprits en haleine, & ne les resveilloit de temps en temps, il y auroit danger qu’ils ne tombassent à la fin dans un assoupissement
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letargique. Aussi est-ce proprement en de semblables compagnies que cette sorte d’entretien est en regne : Si bien qu’il semble que d’honnestes gens venant à se rencontrer parmy eux, s’aquiteroient fort mal de leur devoir, & manqueroient bien de vivacité, s’ils ne l’employaient à s’entrepiccoter de petites railleries, qui ne sont jamais si douces au commencement, qu’à la fin elles ne laissent quelque pointe d’aigreur dans l’ame, qui ne s’en arrache pas tousjours facilement. De tous les Railleurs que j’ay jamais veux, je n’en ay point remarqué de si modestes, qu s’ils sont allez seu-
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lement jusques à la deuxiesme repartie, il ne soit eschappé au tenant ou à l’assaillant quelque parole, qui avoit je ne sçay qyelle teinture de colere ou du moins de dépit. Et quoy qu’ils dissimulent leur ressentiement, il est d’autant plus grand, qu’il n’y a que la vanité qui le suprime : Car il semble que ce soit une loy de ce jeu, afin que la liberté de mordre jusqu’au vif soit plus insolente, que le premier qui se fasche perd la partie. Quoy qu’il en soit, celuy qui a eu la plus froide replique, n’a pas seulement la honte de se voir vaincu en une chose en quoy l’on cede rarement, qui est l’esprit, mais
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outre cela, il luy reste presque tousjours dans l’ame l’amertume des railleries dont son adversaire l’a pressé. Là-dessus je laisse à juger lequel est le plus raisonnable & le plus seur à quiconque veut plaire, de n’en user point du tout, ou de vouloir fairele Railleur, au hazard de perdre à châque fois un amy, ou se faire un ennemy.
Les bons mots ne sont pas si dangereux, pourveu que l’imagination qui les conçoit, consulte le jugement un peu devant que de les laisser sortir : Et ils ont eminemment cela de particulier, qu’ils ne plaisent pas seulement à ceux qui
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les escoutent, comme font toutes les choses bonnes, mais encore font regarder celuy qui les dit avec une extraordinaire admiration. Il semble que ceux qui ont ce don de rencontrer ainsi sur plusieurs sujets, ayent quelque chose de divin, ou quelque genie particulier qui esleve à tos coups leur ame au dessus de la matiere. Et certes quoy qu’il y ait quelquesfois de l’heur, & que la fortune se mesle jusques dans cette sorte de jeu, qu’on diroit estre tout à fait exempte de sa jurisdiction : Si est-ce que presque tousjours on voit ceux qui ont grace à s’en servir, estre ornez en mesme
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temps de plus rares qualitez de l’esprit. Il n’y a gueres de grands personnages dans l’Antiquité dont il ne nous reste aujourd’huy des apophtegmes, & nostre siecle en peut produire quelques-uns, qui outre cette faculté de l’imagination, ont encores les autres parties de l’ame d’un si parfait temperament, qu’on les a juges capables de toutes sortes d’emplois les plus difficiles : Les uns dans les armées, les autres dans les negociations estrangeres, & generalement dans les plus importantes affaires de l’Estat. Or pour se servir agreablement d’une chose si
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rare, comme sont les bons mots, il faut observer des reigles, & se retenir dans plusieurs considerations, sans lesquelles il perdent souvent toute leur grace. Il faut regarder qui nous sommes, quel rang tient celuy que nous voulons picquer, de quelle nature est la chose sur laquelle nous voulons exercer nostre esprit, en quelle occasion c’est, en quelle compagnie, & en fin quelle est la chose que nous voulons dire, & si l’on peut esperer avec aparence qu’elle doive passer pour bon mot. Quelque excellence & quelque beauté que l’on admire en cette sorte de propos, si est-ce
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qu’il n’est pas de l’Honneste-Homme, de faire jmais de contes ny de rencontres sur aucun sujet, tant agreable soit-il, dont la grace ne se puisse exprimer sans grimaces & gestes ridicules. La moindre action où il y a quelque air de bouffonnerie qu’il doit joüer, & comme il faut qu’il ait soin de diversifier son entretien par ces agreables subtilitez, il doit de mesme estre curieux que[1] l’on ne croye pas qu’il les affecte : C’est pourquoy toutes les fois qu’il se sentira de ces traits aigus sur le bout de la langue, il ne les laissera pas tousjours eschapper ; mais ay-
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mera souvent mieux les perdre, que de diminuer quelque chose de son authorité, ou de la bien seance ; Il observera particulierement de n’attaquer jamais de ses brocards les miserables, ny les meschans : Pource que l’inclinatio naturelle qu’ont presque tous les hommes à se laisser toucher de pitié des pressantes calamitez dont ils voyent ces malheureuses gens affligez, empesche que l’on ne puisse rire d’eux ; Et les meschans meritent un chastiment plus rude que celuy des simples paroles. Il n’y a que les glorieux que l’on n’espargne point dans l’estat mesme le plus deplorable
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où ils sçauroient tomber ; tant la presomption est odieuse sous quelque habit qu’elle se cache. Les personnes qu’il faut biensoigneusement espargner, sont celles qui ont la voix publique, & qui sont generalement aymées de tout le monde, à cause qu’il peut arriver telle fois qu’en les pensant chocquer de tquelque mot de raillerie, on trouve moins d’aprobateurs, que de ceux qui par une secrette indignation prennent part au ressentiment de cette picqure. Il faut bien aussi considerer de ne blasser jamais de semblables[2] atteintes les grandes Puissances, qui donnent l’ordre & le mouvement
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à l’Estat ; ny les personnes d’eminente condition : car l’un est capital, & l’autre n’est gueres moins dangereux. Aussi n’y a-il rien qui offense si outrageusement le ressentiment de cette sorte de gens- là, qui ont l’ame delicate & tendre aux moindres injures, comme fait le mespris, dont il semble que les plus modestes railleries ayent quelque meslange. On ne doit pas mesme en leur presence tourner en risée les vices d’un tiers, ausquels eux sont sujects ; d’autant qu’ils s’imaginent aussi-tost que ce sont de sourdes reproches, qui ne sont tirées contre un autre que pour les frapper eux-mes-
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mes. Il ne faut je m’asseure avertir qui que ce soit, de ne faire jamais le plaisant des defauts qu’il a luy-mesme. Quant à nos amis, ils nous doivent estre des personnes trop sacrées pour oser les violer d’aucune, parole mordante : Et faut estre bien rustique, & plus brutal que les Ours, pour ne traitter pas les honnestes femmes avec la mesme reverence, & pour ne s’abstenir pas, non seulement contre elles, mais encore devant elles, de ne lascher aucun mot, ny aucune pensée dont le sens se puisse destourner à quelque sale interpretation. Or l’excellence des bons mots consiste principalement à estre
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courts, aigus, clairs, proferez avec grace, & si à propos qu’ils ne sentent pas l’odeur de l’estude, ny qu’on les ait aportez de la maison : Et c’est la cause pour laquelle ceux qui repliquent sont plus estimez que ceux qui attaquent, car ils sont moins soupçonnez d’avoir esté preparez. Quant aux diverses sortes qu’il y en a, c’est une matiere un peu espineuse, & que je traitteray peut-estre un jour à plein, aussi bien que des lieux d’où ils se peuvent tirer. Mais à cette heure elle est trop l’ongue pour le peu que j’ay pris d’estneduë & de liberté en ce discours. Je n’en allegueray nonplus aucuns exemples,
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pource que les anciens sont communs, & ceux de nostre temps, pour ne perdre rien de leur grace voudroient que l’on nommast presque tousjours des personnes qu’il faut respecter.
Il reste maintenant à considerer la difference des âges, des mœurs, & des conditions de la fortune, qui se treuvent parmy un si grand nombre d’hmmes, en la conversation desquels les diverses rencontres nous jettent : L’on s’entretien autrement avec les jeunes gens, qu’avec les vieillards, & les discours qui sont agreables aux uns, & aux autres ne conviennent gueres à
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ceux en qui l’âge a temperé les vices de ces ceux extremitez : De mesme, on ne vit pas d’un air tout semblable avec les bons, qu’avec les meschans, s’il avient que l’on soit contraint de se treuver parmy eux : Ny avec ceux qui nous sont familiers, comme avec d’autres qui ne nous sont qu’à peines conneus : Ny avec les personnes qui ayment la joye, comme avec celles qui sont melancholiques, & severes : Ny encores avec le glorieux, de mesme sorte qu’avec ceux qui sont civils & honnestes. Parmy cette confusion d’humeurs si contraires les unes aux autres, il faut certes un jugement
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bien net, pour s’en desmesler de bonne grace ; mais il en faut un bien penetrant, pour discerner ceux qui sont interessez, d’avec ceux qui ne le sont point, sans s’y tromper. Ceux qui sont nais Gentilshommes, & avec toutes les qualitez qui doivent accompagner la Noblesse, recherchent principalement les hcoses d’honneur. Et ceux qui n’on rien de plus recommandable que leurs richesses, sont bien aises que l’on admire leur opulence. Les personnes constituées aux grandes charges, veulent d’extraordinaires soumissions, & generalement tous ceux qui sont heureux, sont volontiers
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imperieux, & desirent que l’on flechisse devant leur bonne fortune. Un Honneste-homme, parmy toutes ces sortes de conditions, juge de ce que la sienne luy peut permettre honnestement, & sçait relascher & retenir de sa courtoisie autant qu’il est necessaire, pour ne faire rien d’indigne du personnage qu’il represente. Son jugement est si propre à trouver par tout des temperaments, que sans jmais estre flatteur, & mesme sans abuser de sa complaisance, il ne laisse pas d’observer cette raigle d’Epictete, qui conseille de ceder sans resistance aux opinions & aux volontez des Grands,
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de consentir autant qu’il se peut à celles de nos égaux, & de persuader avec douceur ceux qui sont au dessous de nous. A ces trois macimes j’ajouste pour dernier & general precepte, que jamais il n’entreprenne d’entretenir personne pour luy plaire, qu’il n’ayt premierement bien consideré son humeur, ses inclinations, & de quelle trempe il a l’esprit ; afin de naller point plus bas, ny plus haut qu’il ne faut ; mais de l’accompagner de si prés, que tous ses discours s’ajustent à sa portée. Que s’il se rencontre avec d’aussi habiles gens que je presupose qu’il est, je ne luy recommande-
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qu’une ferme attention à ce qui se dit devant luy, & à ce qu’il dit luy-mesme, afin que non seulement il fasse ses responses à propos, mais encore qu’il les rende agreables, & puisse attacher son imagination à les orner de toues les graces du langage, & de l’action exterieure.
Maintenant apres avoir traité de l’entretien du Prince, & de la conversation des Egaux, il reste à parler de celle des Femmes, de laquelle on peut dire, que comme elle est la plus douce & la plus agreable, elle est aussi la plus difficile & la plus delicate de toutes les autres. Celle des hommes est
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plus vigoureuse & plus libre, & pource qu’elle est ordinairement remplie de matieres plus solides & plus serieuses, ils prennent moins garde aux fautes qui s’y commettent que les femmes, qui ayant l’esprit plus prompt, & ne l’ayant pas chargé de tant de choses qu’eux, s’aperçoivent aussi plustost de ces petits manquements, & sont plus prontes à les relever. Il n’y a point de lieu où cette sorte de conversaton se voye avec tant d’esclat & d’appareil que dans le Louvre ; lors que les Reynes tiennent le Cercle, ou plustost qu’elles estallent comme un abregé de tout ce que l’on a jamais vanté
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de merveilles & de perfections dans le mode. Quiconque a leu dans les Poëtes la magnificence de ces celebres assemblées qui se faisoient dans le Ciel, lors que Junon envoyoit appeler toutes les Deesses, pour assister à la pompe de quelque resjouyssance extraordinaire : Ou bien quiconque a pris plaisir à considerer, dans une Nuict bien sereine, la Lune entre un million d’Estoilles briller d’une splendeur si vive & si nette, & respandre une luëur si claire, qu’il semble que toutes ces Estoilles qui l’accompagnent soyent autant de ses rayons qu’elle va semant, ou plustost ne soient qu’autant
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d’étincelles de son feu qu’elle laisse tomber dans le Ciel : Clluy-là se peut figurer, au moins imparfaitement, l’abord de tant d’illustres & belles Dames devant les REynes, à qui elles viennent comme rendre hommage de tout ce qu’elles ont de plus charmant & de plus admirable. A n’en point mentir, lors que l’on se trouve devant ces grandes lumires, il n’y a guere de cœur si peu hardy, qui ne se sente secrettement tenté du desir de se rendre assez Honneste-homme, pour meriter l’honneur d’en aprocher & d’en estre regard& comme d’Astres favorables, qui font nos inclinations
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& nos fortunes heureuses par la seule bonté de leurs aspects. Tout à l’entour de ce divin Cercle, dans lequel on peut dire que se trouve le vray centre de toutes les perfections de l’esprit & du corps, on voit les autres Dames, comme de moindres clartez, reluire en une sphere inferieure à cette premiere qui donne l’ame & le mouvement à toutes les autres. Non loin de là, comme en un Ciel à part, parait une troupe de jeunes Nymphes, qui comme des feux errants, prennent en liberté telle place que bon leur semble dans ce magnifique pourpris : Et pendant que les Reynes estalent
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leur gloire sur leurs trônes à tous les yeux de la Cour, ces belles Filles, ou plustost ces jeunes Soleils, d’un autre costé, font admirer leur éclat, & soumettent à leur empire jusques aux plus hautes & plus indomptables libertez de la Terre. C’est bien là sans doute le grand Theatre de la conversation des femmes ; mais l’estrange confusion de monde qui s’y voit, sur tout à ces magnifiques heures du soir, est si importune, que les meilleurs entretiens s’en ressentent. Une bonne compagnie n’est pas si-tost formée, qu’incontinent elle ne soit soüillée de l’abord de quelque fascheux, ou que
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la douceur n’en soit troublée par la presence de quelque personne de grande condition, ou tout à fait gesnée par le voisinage de quelques espoins de Cour, qui ont des oreiles mercenaires, & ne s’en servent que comme les Medecins font des sangsuës. Si bien qu’en ce lieu-là c’est plustost par hazard, ou par force, que par choix, que l’on s’engage dans la conversation : & l’on est bien souvent contraint de s’arrester à telle personne, dont hors de là l’on fuyroit la rencontre comme d’un pestiferé. Il faut donc descendre à la ville, & regarder qui sont celles d’entre les Dames de condition
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que l’on estime les plus honnestes Femmes, & chez qui se font les plus belles assemblées, & s’il se peut se mettre dans leur intrigue ; afin qu’elles s’interessent à nous rendre de bons offices aupres des tous ceux qui les visitent. Icy je me suis reservé à parler de quelques menus preceptes, qui en aparence semblent estre plus propres à s’excercer parmy elles, qu’entre les hommes : comme aussi la pluspart de ceux que j’ay cy-devant examinez, entrent en pratique à tous propos parmy les femmes. Aussi faut-il avoüer qu’ils tiennent les uns aux autres de si pres, qu’ils vont presque tousjours
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ensemble, & s’en fait un parfait enchaisnement comme des sciences & des vertus.
Le premier soit que doit avoir celuy qui veut hanter les cabinets & les reduits, & se jettere dans l’entretien des femmes, c’est de rendre sa presence agreable. Car la premiere chose qu’elles considerent en un homme, c’est la mine & l’action exterieure, que Ciceron nomme l’Eloquence du Corps. Il ne la divise qu’en deux parties, le geste, & la voix : Mais au sujet que nous traitons il faut encore ajouster l’habit & la composition du Corps mesme qui doit estre d’une structure bien formée
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& bien proportionnée, ou du moins qui n’ait rien qui d’abord rebute les yeux de ceux qui le regardent. Pour les vestemens, il vaut mieux estre propre que paré, & toutes celles qui ont bon goust, ayment mieux voir ceux qui sont nettement, que ceux qui ne sont que richement couverts. Neantmoins le plus que l’on y peut mettre sans s’incommoder est le meilleur, & c’est une des plus utiles despenses qui se fassent à la Cour. C’est presque la seule sui suit par tout ceux qui sçavent s’en servir, & leur ouvre des portes qui bien souvent sont fermées à la grande condition, & encore plus
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souvent à la vertu. Pour estre bien, il ne faut rien porter de particulier ny d’extravagant, & faut que les habits soient assortis & bien entendus. Quantité de femmes jugent de l’esprit des hommes, par leur façon de s’habiller, & ne peuvent s’imaginer qu’ils soient bijarres en la forme de leur chapeau, ou de leur pourpoint, & qu’ils ne le soient pas en leurs humeurs. L’âge encore se considere en ce poinct : Car un vieillard seroit ridicule dans un manteau de velours nacarat ou grisdelin, & un jjeune homme n’auroit gueres bonne grace d’estre tousjours couvert de noir, ou d’autres
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couleurs obscures. Sour toutes choses il faut estre curieux de la mode : Je n’entens pas celle de quelques estourdis d’entre les Jeunes)gens de la Cour, qui pour faire bien les determinez s’abisment tantost la moitié de la taille dans de grosses bottes, tantost se plongent depuis sous les aisselles jusques aux talons dans leurs haut-de-chausses, & tantost se noyent toute la forme du visage dans des borts de chapeau aussi larges que des parasols d’Italie. Mais j’entends cette mode, qui estant authorisée par les plus aprouvez d’entre les Grands & les Honnestes gens, sert comme de loy à tous les
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autres. Je treuve ceux-là fantasques, qui s’opiniastrent à contrarier les usages receux en quoy que ce soit, mais principalement en une chose si indiferente comme sont les habits. Qu’un Honneste-homme se garde bien de tomber en un tel caprice ; comme aussi de vouloir faire l’original à inventer de nouvelles facons, s’il ne se sent bien capable d’y reüssir. Comme que ce soit, il doit bien s’empescher que l’on ne remarque trop de soin en sa propreté ; & en effect, un homme trop ajusté est plus mal, qu’un autre trop negligé. Cette sorte d’estude n’est bienseante qu’entre les femmes, &
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un homme n’est jamais beau, que los qu’il ne croit point l’estre. Pouveau qu’il soit nettement, il n’importe qu’il soit si pompeux. C’est assez qu’il ait tousjours de beau linge et bien blanc ; qu’il soit bien chaussé ; que ses habits, s’ils ne sont riches, du moins ne soient ny vieux, ny sales ; que son chapeau soit neuf, & de la nouvelle forme ; qu’il ait tousjours la teste deseichée & les cheveux bien-faits comme on les porte, qu’il tienne sa barbe ajustée avec soi, à cause de l’incommodité qu’autrement il en recevroit à parler & à manger : & particulierement qu’il ait tousjours les dents &
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la bouche si nettes, qu jamais il ne puisse incommoder de son haleine cux qu’il entretient. Un art plus estudié sert moins qu’il ne neut, & l’on voit souvent tel paraistre plus agreable aux yeux d’une troupe de Dames, tout halé qu’il est, & tout couvert de sueur & de poussiere au retour de la guerre ou de la chasse, que ces hommes de cire, qui n’osent jamais se monstrer au Soleil, n s’approcher trop pres du feu, de peur de se fondre.
L’action, qui est une partie de la division de cette eloquence du corps dont nous avons parlé, se doit aussi grandement considerer, estant comme elle
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est, l’ame de tous les discours que nous faisons. En effect nos paroles languissent si elles n’en sont secouruës, & l’on voit plusieurs personnes en la bouche de qui les plus belles choses semblent estre mortes, ou du moins sont si froides qu’elles ne touchent point ; & d’autres sçavent animer les moindres de tant de grace, qu’elles delectent tous ceux qui les entendent. Mais afin de vaincre deux sens tout à la fois, & d’assieger également les esprits par les yeux & par les oreilles, il faut prendre garde fort exactement que le ton de la voix n’ayt rien ny de rude, ny d’aigre, ny de confus, ny de trop
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éclatant, ny de trop foible : Au contraire, qu’il soit doux, clair, distinct, plein, & net, en sorte qu’il penetre facilement jusques dans l’ame, sans trouver aucune resistance à l’entrée.
La Contenance est encore une partie de l’action exterieure, par laquelle on se peut rendre agreable. Elle consiste en une juste situation de tout le corps, de laquelle se forme cette bonne mine que les femmes loüent tant aux hommes : Mais elle reçoit toute sa perfection des mouvements du visage, qui doit estre tousjours serain, riant & acceuïllant tout le monde avec douceur & courtoisie. Et certes on peu dire
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que c’est l visage qui domine au maintien exterieur, puis que c’est luy qui prie, qui menace, qui flatte, qui tesmoigne nos joyes & nos tristesses, & dans lequel on lit nos pensées, devant que nostre langue ait eu le temps de les exprimer. Les yeux sur tout font bien cet office de la parole ; & c’est par eux que nostre ame s’escoule bien souvent hors de nous, & qu’elle se monstre toute nuë à ceux qui la veillent pour luy desrober son s ecret. Les mains sont encore forteloquentes ; & c’est elles proprement qui font les gestes dont on se sert pour enflammer l’action, lesquels toutesfois doivent estre
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fort moderez. Les autres parties aydent bien ceux qui parlent ; mais on peut dire en quelque façon des mains qu’elles parlent elles-mesmes. Car c’est par elles, presque qu’aussi souvent qu’avecques la langue, que l’on demande, que l’on promet, que l’on appelle, que l’on renvoye, que l’on interroge, que l’on nie : Et enfin que l’on exprime un si grand nombre de choses differentes, qu’en cette estrange diversité de langages de tant de Nations, dont la terre est habitée, il semble que la nature ait reservé celuy des mains tout seul, pour le rendre commun entre tous les hommes.
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En suitte de tous ces soins que l’on met à rendre l’exterieur agreable, le premier & principal precepte que doit observer celuy qui veut plaire aux femmes, c’est de les honorer avec tous les respects, & toutes les soumissions qui luy sont possibles & convenables. C’est un effect de leur foiblesse d’estre df’une humeur imperieuse comme elles sont, & leur semble qu’en usurpant cette authorité qu’elles prennent sur les hommes, elles reparent en quelque façon le defaut naturel de leur peu de force. C’est pourquoy l’on voit que toutes les actions qui leur tesmoignent de l’obeissan-
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ce, & du respect leur sont si agreables ; & que ceux-là sont ordinairement le mieux en leurs bonnes graces, qui sçavent soumettre devant elles. Qui pourroit, ne devroit jamais aporter en ce trafic que de ces paroles de soye dont on entretient les Roys ; Et tous ceux qui, comme l’on dit, ne sçauroient jamais parler qu’à cheval, devroient passer leur chemin pour aller à la guerre, sans s’arrester aupres des femmes. Ce sexe est trop doux & trop paisible pour pouvoir souffrir des rudesses & des querelles Tout ce qui est tant soit peu farouche l’espouvante, &
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la moindre chose qui le contrarie le rebutte. Les plus habiles mesmes d’entre elles ont l’esprit tendre à se picquer des plus petites contestations qui s’oposent à leurs sentiments, & qui chocquent leur esprit ; Si bien que ceux qui n’ont nulle contrainte à ceder facilement à leurs colontez & à leurs opinions, ne sçauroient jamais estre mal avec elles, ny manque d’en estre estimez. En fin c’est icy que toutes les reigles de la plus delicate complaisance se doivent mettre en pratique, & que les plus humbles soumissions sont de bonne grace à qui que ce soit. Et certes ce n’est pas seulement
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pour les raisons que l’on allegue d’ordinaire, que les femmes sont honorées comme elles sont des honnestes gens : Car si ce n’estoit, comme l’on dict, que pour le plaisir que l’on reçoit avec elles que l’on leur defere tant, les brutaux seroient ceux qui en feroient le plus d’estant. Si ce n’estoit aussi qu’en consideration de ce qu’elles conservent nostre espece, il n’y auroit gueres que les Philosophes, & ceux qui meditent sur les principes, & les causes universelles des choses qui les estimeroient. Ou bien encore si ce n’estoit que pour reconnoistre la peine qu’elles ont de nous porter
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neuf mois dans leur ventre, de nous mettre au jour, de nous nourrir, & de supporter les defauts de nostre enfance, & quelquesfois detous nos âges, il semble que nous ne devrions ces hommages que nous rendons à tout leur sexe, qu’à nos meres particulierement. Mais c’est leur vertu propre que nous respectons ; laquelle a dautant plus de charmes pour se faire admirer, qu’elle est accompagnée des Graces, & comme esclairée des rayons de la Beauté ; En effect elle n’est en rien differente de celle des hommes ; Et Plutarque a raison de s’opiniastrer à soustenir qu’elle est
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toute la mesme ; & de le prouver, comme il fait, par un grand nombre d’exemples, où il semble qu’il vueille mettre en comparaison les plus haites actions des hommes, avec celles des femmes, & conferer leurs vies comme des trableaux copiez d’une mesme main sur un mesme original. Et apres tout, si la magnificence (dit il) de la Reyne Semiramis est aussi éclatante que celle du Roy Sesostris ; Si la prudence de Tanaquille n’est pas moindre que celle du Roy Servius ; Si POrcie esgale la force du courage de Brutus ; Ou si celle de Timoclée en cede point à la magnanimité de Pelopidas ;
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pourquoy ne les reverera-t’on pas de mesme sorte, & ne les recompensera-t’on pas de mesme loüanges ? Que s’il s’y rencontre quelque diference, ce n’est pas en la nature de la Vertu, mais en celle des personnes qui l’exercent, qui n’estans pas de mesme humeur, la pratiquent aussi de diverse façon. Achille estoit vaillant d’une sorte, & ajax d’une autre ; La prudence d’Ulisse n’estoit pas semblable à celle de Nestor, & Caton n’estoit pas juste comme l’estoit Agesilaüs. Irene aussi naymoit pas son mary de la mesme sorte qu’Alcestis aymoit le sien ; Ny Cornelie n’estoit pas genereuse du mesme
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air que l’estoit Olimpie : Cecy ne conclud pas pourtant qu’il y ait ny plusieurs valeurs, ny plusieurs prudences, ny plusieurs justices, ny que chacune de ces vertus se puisse multiplier en diferentes especes : Mais on peut bien tirer de tout ce que nous venons de dire, que la generosité des femmes est la mesme que celle des hommes, & que la diference de leurs seces n’en fait aucun de leurs vertus. A cela il faut ajouster, que sans elles les plus belles Cours du monde demeureroient tristes & languissantes, sans ornement, sans splendeur, sans joye, & sans aucune sorte de galanterie ; Et faut
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avoüer que c’est leurs seule presence qui resveille les esprits, & picque la generosité de tous ceux qui en ont quelques sentiments. Cela estant veritable, comme certainement il est, quels hommes assez stupides pourroient refuser des respects & des honneurs à celles qui leur donnent de la gloire, ou du moins qui leur inspirent le desir d’en acquerir ? Or ces respects consistent en une certaine expression d’humilité, & de reverence par gestes, ou par paroles, qui tesmoignent une extraordinaire estime que nous faisons des personnes envers qui nous en usons. Ils s’expriment encore par les actions,
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& il y a mille petites soins, & mille petites services à rendre aux femmes, qui estans rendus à temps, & souvent reiterez, font à la fin sur leurs esprits de plus fortes impressions, que les plus importants mesmes, dont les occasions ne s’offrent que rarement. Ceux qui sont amoureux n’ont que faire icy de mes preceptes, puis qu’ils n’ont desja que trop de precieux maistres en cest art, & ne sont que trop inventifs d’eux-memes à cultiver leur folie. Mais combien est à plaindre une honneste-femme, de qui la beauté a eu le malheur de faire naistre cette passion dans une ame mal composée, &
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d’indiscretion & de vanité, qui sont aujourd’huy les deux grandes pestes dont la jeunesse de la Cour est infectée. Les yeux des Basilics sont moins mortels & moins à craindre à la vie des hommes, que les regardes des hommes vains ou indiscrets ne sont à redouter à l’honneur des honnestes femmes. Ce que j’y voy de plus perniceieux, c’est que les plus chastes sont celles qui quelques-fois sont le plustost perduës par cette deplorable voye. Car la reputation ne consistant, comme elle faict, qu’en l’opinion, qui se torurne facilement de bonne en mauvaise, & estant le propre des
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esprits vains, de s’attaquer tousjours aux choses les plus relevées : Dés qu’une belle femme & qui est en estime destre vertueuse, a laissé tomber, & peut-estre en resvant, ses yeux sur eux ils s’imaginent qu’il y iroit du leur, de ne faire pas croire à tout le monde qu’ils en reçoivent de bien particulieres faveurs. Ainsi faisant de leurs chimeres une espece de jouyssance ; pour persuader ce qui n’est point, ils employent tant d’artifices, que les moins credules, & les moins susceptibles d’impressions scandaleuses, sont bien souvent comme contraints de concevoir de mauvaises doutes. Ceux
[1] Mot dupliqué.
[2] femblables.