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1630-L'honneste-homme (Nicolas Faret) (i-xiv)

L’HONNESTE-HOMME OU, L’ART DE PLAIRE A LA COURT.

PAR LE SIEUR FARET

A PARIS, Chez Toussaincts du Bray, ruë sainct Jacques, aux Epics meurs.

M. DC. XXX.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.

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A MONSEIGNEUR FRERE UNIQUE DUY ROY. MONSEIGNEUR,

Si la gloire des Grands Princes pouvoit souffrir quelque comparaison, je dirois que je vous offre une image de ces excellentes qualitez que l’on voit ordinairement reluire avec plus d’éclat

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en ceux qui sont destinez, comme VOSTRE ALTESSE, à commander aux autres hommes. Toutesfois, MONSEIGNEUR, lors que je considere que LE FEU ROY VOSTRE PERE, aprés avoir justement merité tous les tîtres les plus augustes que la flatterie des Anciens souloit donner aux Maistres de la terre, trouvoit le comble de ses loüanges à estre estimé le plus HONNESTE-HOMME de son Royaume ; Je prens un peu plus hardiment la liberté de dire qu’en vous presentant ce Li-

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vre, je vous presente comme un pourtrait de vous mesme. C’est la premiere recognoissance que je vous rends, MONSEIGNEUR, de tant de favorables accueils dont vous avez daigné m’obliger toutes les fois que j’ay eu l’honneur de me presenter devant VOSTRE ALTESSE. Vous estes élevé à un si haut point de Grandeur, que vous voyez presque tout le Monde au dessous de vous,  & n’y en a gueres sur qui vous vouliez seulement baisser les yeux pour les regarder, qui ne ressentent que cette faveur

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ajouste une glorieuse marque à leur condition. Cependant, MONSEIGNEUR, nous sçavez user de cet avantage avec tant de moderation, qu’il n’y a point d’esprit si rude, que la oduceur du vostre ne surmonte. Cette agreable & familiere communication qui rend vos moindres actions charmantes, semble vouloir disputer de l’Empore du monde avec vostre naissance. Si bien que partageants ensemble cet avantage, l’une estend son authorité sur la moins noble partie dont les hommes sont composes, &

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l’autre se reserve le pouvoir de triompher des ames, & faire fléchir devant soy les volontes les plus rebelles, & les plus indontables. Et certainement il faut que cette bonté extraordinaire avec laquelle vous gaignez tant de cœurs vous soit extrémement naturelle, puis que VOSTRE ALTESSE l’a bien voulu laisser descendre jusques à moy, qui n’ay de nom ny de merite que par la seule  gloire que j’ose m’attribuer de ne luy estre pas tout a fait inconneu. Je sçay bien que les plus grands efforts que sçauroient faire les per-

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sonnes de si peu de consideration que moy, pour témoigner leur ressentiment à ceux qui comme vous, MONSEIGNEUR, sont nays pour le salut & la prosperité des peuples, ne sont que de visibles preuves de leur foiblesse. Aussi est-ce la plus éclatante marque de divinité que l’on voye reluire aux Puissances Souveraines, que cette humble reconnoissance avec laquelle tout le monde confesse ne pouvoir jamais assez dignement reverer leurs graces & leurs bien-faits. En effet, nous n’avons que les vœux

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& les soumissions libres pour reparer en quelque façon le defaut de nostre pauvreté ; & comme la magnificence de vostre fortune ne souffre point de revanche, la misere de nostre condition nous excuse, en nous en ostant les moyens. Pour moy, MONSEIGNEUR, tout ce que je puis pour ne demeurer pas tout à fait ingrat, c’est de témoigner que le FILS & le FRERE des deux plus Illustres Monarques qui jamais ayent porté Couronne, est plus digne de l’amour & des respects de toutes les Nations, que pas

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un de ceux dont le genre humain a fait autresfois ses delices. J’ajouterois bien à cette verité le denombrement de tant de Vertus qui vous font admirer de toute la terre ; mais elles sont trop relevées, & en trop grand nombre, pour pouvoir estre contenuës dans ce petit espace, où la tyrannie des reigles a mis des bornes si étroittes. Que si je suis contraint d’en supprimer icy les loüanges, pour le moins elles ne mourront jamais dans ma bouche, non pus que dans mon ame le ressentiment d vos faveurs, qui me seroient d’eter-

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nelles reproches d’ingratitude, si je n’estois toute ma vie,

MONSEIGNEUR, DE VOSTRE ALTESSE,

Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidelle serviteur,

FARET.

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A MONSIEUR DE PUYLORENS.

MONSIEUR,

Le respect que l’on doit aux grands Princes est une chose si sacrée, que la hardiesse de le violer ne trouve point d’excuse parmy les Nations mesmes les moins capables de disciplines & de civilité. Leur presence fait naistre des soumissions dans les ames les plus farouches, leurs regards humilient les superbes, & leur abord fait trembler ces Sages qui s’estiment estre au dessus de la tyrannie des

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passions & des outrages de la Fortune. Aussi jamais la crainte n’est de si bonne grace, que devant ces personnes en qui Dieu semble avoir imprimé certains caracteres de sa gloire & de sa puissance. Ce n’est pas qu’ils ne rendent leur accez facile, & qu’ils ne soient bien aises de descendre quelquesfois de leurs throsnes, pour se mesler avec les autres hommes : Mais la modestie de ceux qui osent s’en approcher doit estre d’autant plus exacte, que la bonté de ceux qui sont élevez à ces conditions éminentes se daigne rendre communicable à leur bassesse. Et à parler raisonnablement, on peut dire que comme on ne faisoit point autresfois de sacrifices aux Dieux dont les victimes n’eussent receu quelque sorte d’expiation devant que de leur estre immolées : On devroit de mesme estre si religieux aux presents que l’on fait à ceux qui representent en terre la grandeur & le pouvoir du Ciel, que de ne leur en offrir jamais qui n’eussent esté en quelque façon purifiez, en passant par les

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mains des personnes qui leur sont agreables. Je ne considere toutes ces choses, MONSIEUR, qu’afin de ne faire rien d’indigne du tître de cet ouvrage, au dessein que j’ay de luy procurer par vostre moyen un accez favorable auprés de MONSEIGNEUR. Vostre recommandation en fera, s’il vous plaist, supporter les defauts ; & vous seul me pouvez faire trouver auprés de SON ALTESSE l’art de plaire que j’entreprens d’enseigner aux autres. C’en sont icy quelques preceptes generaux, qui peut-estre ne seroient pas tout à fait inutiles à d’autres moins sages que vous, MONSIEUR, de qui on peut dire hardiment qu’en un âge où l’on commence à peine de n’est plus si sujet aux imprudences de la jeunesse, vous pouvez servir d’exemple à ceux qui ont vieilly dans l’estude & l’experience des choses du monde. Je sçay bien que le seul avantage d’estre aimé des grands Princes, rend dignes de quelque sorte d’ad-

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miration ceux qui le possedent, quand mesme ce ne seroit que par hazard, & par quelque favorable rencontre de la Fortune. Mais lors que la Vertu s’en mesle, & se rend maistresse de la conduitte de ce bon-heur, comme elle fait en vous, Monsieur, j’avoüe qu’il n’y a gueres de loüanges qui ne soient bien au dessous d’une si éminente gloire. Aussi toutes celles que je vous sçaurois donner sont comprises en cette seule verité ; & ne me reste plus que les vœux & les prieres que j’adresse au Ciel, pour vous témoigner mon affection. Puissiez vous donc, MONSIEUR, jouïr durant le cours d’une longue & heureuse vie des honneurs & des biens dont cette Vertu qui vous sert de guide tasche de vous recompenser ; & de ceux qu’elle vous prepare à l’avenir : Que vostre courage vous éleve au plus sublime rang des grandeurs de l’Estat, & que vostre sagesse vous comble de prosperitez. Après tout cela, je sçay bien qu’encore n’en aurez-vous jamais qui surpassent

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vostre merite, ny qui puissent égaler les contentements que vous souhaitte,

MONSIEUR,

Vostre tres-obeïssant & tres-fidelle serviteur.

FARET

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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